Bonjour à toi,
de temps en temps, j’enregistre des livres audios pour la Bibliothèque Sonore Romande à destination des personnes malvoyantes. Il y a beaucoup de choses que j’aime dans ce projet : les livres évidemment, le fait de lire à voix haute, de parler dans un micro, et de rendre, à ma toute petite échelle, la littérature accessible à tou·te·s.
Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une formation de lecteur·rice·s. En amont de la formation, les trois participant·e·s que nous étions ce jour-là avions enregistré une nouvelle d’Arthur Schnitzler (inconnu à mon bataillon jusqu’alors). Le texte s’ouvrait sur le suicide d’un jeune homme, expliqué ensuite par une lettre écrite par son amie et qu’il avait reçue juste avant de commettre cet acte. Son amie, jeune cantatrice qui avait perdu sa voix, y dévoilait qu’elle l’avait pris comme amant parce que les médecins qu’elle avait vus lui avaient indiqué qu’un amant était la seule façon de guérir et… c’était tombé sur lui. Maintenant que sa voix était plus claire et belle que jamais, elle avait décroché de nouveaux contrats prestigieux, et lui annonçait donc qu’elle le quittait, le remerciait de lui avoir servi de médicament, et l’implorait de lui pardonner.
Le jour J de la formation, nous avons écouté les trois versions du même texte. Alors bien sûr, je le savais dans l’idée, que chacun·e avait une lecture personnelle, mais là, c’était l’occasion de le sentir « dans la matière », sur des textes longs (entre 14 et 20 minutes) (oui bonjour c’est moi celle qui lit mille fois trop vite). En fonction des versions, on développait une empathie pour la jeune femme et on comprenait ses actes, ou bien on était profondément choqué·e·s par sa cruauté et son ambition. Les intonations, les silences, le timbre, les points de suspension, les hauteurs de voix, l’accent sur certains mots, certaines syllabes, faisaient bouger le sens. C’était fascinant.
Ça m’a fait réfléchir à l’écriture, aussi, évidemment. Qu’entre ce qu’on veut dire, ce qu’on dit et comment c’est reçu, il peut y avoir des mondes. Que ça peut être frustrant. Ou faire peur. Mais qu’on n’a aucun contrôle sur comment un texte va être lu, entendu. Que chacun·e va le découvrir avec son histoire, son expérience, sa trajectoire, son humeur du moment, la qualité de sa nuit précédente, ses projections.
C’est un peu déprimant.
Ou bien, non. On pourrait le penser autrement. Se dire qu’au contraire, ça libère. Qu’on n’a rien à expliquer aux lecteur·rice·s. Qu’on peut « juste » écrire, que c’est assez.
Dans Comme par magie, bouquin délicieux sur la créativité, Elizabeth Gilbert parle de la publication de Mange, prie, aime.
« Je reçus des lettres disant : « Je déteste tout en vous » et d’autres déclarant : « Vous avez écrit mon livre de chevet. »
Imaginez si j’avais tenté de me définir à partir de n’importe laquelle de ces réactions. Je n’essayai pas. […] Je ne peux être responsable que de la production de l’œuvre elle-même. C’est une tâche déjà bien assez difficile. Je refuse d’en assumer d’autres, comme essayer de contrôler ce que des gens pensent de mon livre une fois qu’il a quitté mon bureau. »
En fait, ce dont j’ai pris conscience, c’est que mon énergie est loin d'être inépuisable, et que du coup, j’ai plutôt envie de la mettre là où je peux avoir de l’influence : dans ce que j’écris, pas sur comment c’est lu.
Et toi ?
À bientôt,
Amélie
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