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Un sandwich au jambon ?

par Eric Deschavanne

L'émergence d'un parti animaliste aux élections européennes ou les progrès au sein de la société civile du véganisme, ce mode de vie consistant à n'utiliser aucun produit ou service issu des animaux, témoignent de l'importance prise par une cause animale dont l'ambition, révolutionnaire, est rien moins que d'abolir toutes les formes d'exploitation de l'animal par l'homme.

Ce programme est accompagné d'un mouvement philosophique : “l'antispécisme”. Le refus de considérer l’animal comme une "chose" appropriable et exploitable, fondamentalement distincte de la personne humaine, débouche sur deux grands courants. Le premier, s'inscrivant dans la tradition de l'utilitarisme, fait valoir le principe de "l'égale considération des intérêts" ; le second, prolongeant l'universalisme des droits de l'homme, promeut une théorie égalitariste des droits reconnaissant à tous les animaux, hommes compris, des droits inviolables.

Peter Singer, dont le livre Animal Libération (1975) est à l'origine du mouvement animaliste contemporain, s'adosse à la philosophie morale utilitariste pour laquelle le critère de la considération morale ne peut être que la souffrance : "Si un être souffre, il ne peut y avoir aucune justification morale pour refuser de prendre en considération cette souffrance". Les intérêts de tous les êtres sensibles, sans distinctions de race, de sexe ni d'espèce doivent donc être pris en considération. On ne peut toutefois parler de "droits", sauf par commodité de langage, car "le rejet du spécisme n'implique pas que toutes les vies soient d'égale valeur". L'inégalité des intelligences ou des niveaux de conscience ne justifie certes pas la discrimination dans la considération des intérêts, mais il faut en tenir compte pour évaluer les degrés et qualités de souffrance. Lorsqu'on met en œuvre "le principe de la réduction maximale de la souffrance", la vie d'un être humain adulte pèse davantage que celle d'une souris. Cette hiérarchie des intérêts qui peut fonder un traitement différencié, n'est toutefois pas spéciste, puisqu'elle implique aussi, par exemple, que la vie d'un chimpanzé adulte importe davantage que celle d'un nourrisson humain.

Les défenseurs de la théorie égalitariste des droits récusent un tel relativisme : "Ce qui revêt de la valeur pour un utilitariste, c'est la satisfaction des intérêts de l'individu, et non pas l'individu lui-même dont ce sont les intérêts", affirme Tom Regan, chef de file de ce courant. L'instauration de droits inviolables pour tous les animaux requiert la reconnaissance de la valeur absolue de chaque individu, quelle que soit l'espèce à laquelle il appartient. Le semblable est "le sujet d'une vie", l'être pourvu d'une subjectivité, définie de façon minimaliste par la conscience de la souffrance et du bien-être. C'est cette subjectivité ou cette individualité animale qui, en lieu et place de la seule "dignité de la personne humaine", doit faire l'objet d'un respect inconditionnel justifiant le renoncement à l'exploitation animale.

Quoiqu'on pense de ces mises en cause du privilège moral de l'humanité, il ne faut pas les sous-estimer ni les confondre avec un pâle sentimentalisme. Dans la préface de son livre fondateur, Singer moquait cette dame de ses amies qui, tout en évoquant son amour des chiens et des chats, avalait tranquillement un sandwich au jambon. Animalistes et humanistes peuvent s'accorder sur ce point : la justice exige rigueur et cohérence intellectuelles.


Eric Deschavanne

Peter Singer (né en 1946)

Philosophe australien, spécialiste des questions d'éthique. La publication en 1975 d'Animal Liberation en fait l'un des fondateurs des mouvements modernes de défense des droits des animaux. Il y plaide notamment pour que tous les êtres sensibles soient considérés comme moralement égaux. En savoir plus.
Tom Regan (1938 - 2017)

Philosophe américain, spécialiste de philosophie morale. Il est l'un des principaux théoriciens des droits des animaux et de la position "abolitionniste" qu'il défend notamment dans son principal ouvrage : Les Droits des animaux (1983). En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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