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Bonjour à toi,

 

Cet été, au cœur du Queyras, en stage d’écriture, j’échangeais avec une autre des participantes sur les textes que nous avions écrits le jour-même. Elle évoquait sa difficulté à être dans le concret, le fait que même sans y penser, elle partait trop loin, mais que ça ne lui correspondait pas exactement. Elle a dit une phrase que j’ai adorée : "J’ai l’impression d’avoir mis les pieds dans l’assiette de quelqu’un d’autre."

 

Je comprends complètement cette impression d’écrire quelque chose qui n’est pas tout à fait nous. On aimerait que ce soit plus nous, mais on n’a pas tellement envie de se dévoiler non plus, ou en tout cas, pas trop. Alors on enrobe avec d’autres mots, on rajoute des couches, on fait des phrases au quatorzième degré, mais on sait bien au fond que ça ne colle pas. On voudrait quelque chose de plus limpide, de moins abstrait. On se casse un peu les dents sur ce juste milieu à trouver.

 

Alors, quand j’ai tendance à partir, moi aussi, trop loin, qu’est-ce qui m’aide à rester ? Eh bien, c’est une bribe d’atelier que j'ai donné il y a quelques années.

 

Atelier en école primaire, enfants de 8 ans, thème de la mer. Pour l’occasion, je leur fais faire un poème d’île déserte (honnêtement, je ne sais plus si j’ai piqué cette forme quelque part ou si je l’ai inventée au fur et à mesure de tâtonnements, mais un jour, mon copain Martin Granger m’a écrit en me disant « ta petite forme, là, tu appelles bien ça un poème d’île déserte ? » et à vrai dire, je n’appelais ça rien du tout, alors j’ai répondu que c’était une bonne idée.)

 

Pour écrire un poème d’île déserte, donc, on liste d’abord cinq objets qu’on emmènerait si on devait partir. Une fois cette première liste constituée, on la complète avec cinq mots abstraits, chaque mot commençant par la même lettre qu’un objet.

Sur une île déserte, j’emmènerais
Un couteau et de la chance,
Une tente et toute ma ténacité,
Un maillot, de la malice,
Une hache, un peu d’humour,
Quelques carrés de chocolat et de courage.

Revenons-en à ma classe de 8 ans. Première étape : au top. C’est à la deuxième que ça se corse : "Améliiie, ça veut dire quoi asb… apts… abstrait ?" Ah oui, bien vu…  

 

"Eh bien, concret, ce sont des choses que tu peux toucher, par exemple : une table, un radiateur, tes cheveux… Vous avez d’autres idées ?" Et les enfants de m’en donner plein. "Super ! Et abstrait, ce sont des sensations, des sentiments, des qualités, des défauts, des idées… Les mots abstraits, on peut y penser mais on ne peut pas les toucher." Autres exemples à foison donnés par les enfants. Parfait.


Maintenant que la proposition d’écriture est claire, ils/elles peuvent y aller. Pendant que les crayons s’agitent, je passe entre les tables pour aider, et il y a cette petite qui a écrit :

Sur mon île, j’emmènerai une gourde et de la gadoue.

Et alors que je reprends mon explication concret/abstrait, elle s’indigne : "Mais Amélie, la gadoue, on NE peut PAS la toucher, sinon on se fait gronder !!!"
 

 

Voilà. C’est souvent le souvenir de cette phrase-là qui m’aide à rester dans la justesse des mots. Quand j’ai la tentation du trop abstrait, du trop philosophique, du trop perché, du trop blabla, j’essaie d’en revenir toujours à la matière brute, à la gadoue.


Je te souhaite plein de mots doux tout le mois d'août, et les deux pieds dans la boue !
Et si jamais ça te dit, je serais ravie de lire ton poème d’île déserte :)

À bientôt,

Amélie

Et puis quoi encore ?


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Photo : Nirine Arnold
Mais au fait,
qui est-ce qui écrit ?


Je m’appelle Amélie, et mon but, c’est de donner aux gens des outils pour qu’ils s’approprient la langue à leur manière.

Je fais ça principalement en animant des ateliers d’écriture créative pour toutes et tous et en enseignant le français comme langue étrangère.

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Amélie Charcosset · c/o neonomia · Rue Prévost-Martin 21 · Genève 1205 · Switzerland

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