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Hebdo n° 33/2022
19 septembre 2022
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme l’existence d’un avantage économique en faveur de JCDecaux dans l’affaire du mobilier urbain de la ville de Bruxelles

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme que la Commission n’a pas rencontré de difficultés sérieuses de nature à la conduire à éprouver des doutes quant à la compatibilité avec le marché intérieur des modifications apportées au mécanisme de capacité à l'échelle du marché italien de l’électricité préalablement autorisé


JURISPRUDENCE ACTIONS PRIVÉES : L’avocat général Pitruzzella estime que, lorsque la directive « dommages » n’est pas applicable, les juridictions nationales sont néanmoins tenues, en vertu des principes d’effectivité et de sécurité juridique, d’attribuer à la constatation d’une infraction contenue dans une décision définitive de l’autorité nationale de concurrence la valeur de « preuve prima facie » en cas de coïncidence complète entre l’infraction constatée dans cette décision et l’infraction alléguée qui fonde l’action civile en réparation du préjudice concurrentiel

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JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme l’existence d’un avantage économique en faveur de JCDecaux dans l’affaire du mobilier urbain de la ville de Bruxelles

 

Le 7 septembre 2022, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire T-642/19 (JCDecaux Street Furniture Belgium contre Commission européenne… soutenue par Clear Channel Belgium).

Il y rejette le recours de JCDecaux Street Furniture Belgium demandant l’annulation de la décision de la Commission en date du 24 juin 2019 aux termes de laquelle cette dernière a considéré que l’aide d’État en faveur de la requérante, d’un montant correspondant aux loyers et taxes non payés sur les dispositifs publicitaires installés en exécution du contrat de 1984 sur le territoire de la ville de Bruxelles et maintenus au-delà de la date d’enlèvement prévue par l’annexe 10 du contrat de 1999, octroyée illégalement entre le 15 septembre 2001 et le 21 août 2010 par la Belgique en violation de l’article 108, § 3, TFUE, était incompatible avec le marché intérieur et, partant, en a exigé la récupération auprès du bénéficiaire de l’aide.

En 1984, la ville de Bruxelles a conclu avec JCDecaux un premier contrat d’une durée de quinze ans, prévoyant la mise à disposition par la requérante d’abribus publicitaires et de mobiliers urbains pour l’information (MUPI) dont elle conservait la propriété. En outre, JCDecaux devait mettre gratuitement à disposition de la ville de Bruxelles des corbeilles à papier, des sanitaires publics et des journaux électroniques et réaliser un plan général de la ville de Bruxelles, un plan touristique et hôtelier et un plan des voies piétonnes de la ville de Bruxelles. En contrepartie de ses prestations, JCDecaux était non seulement dispensée du paiement de tous droits d’occupation pour pour les abribus et les MUPI, mais en outre était autorisée à exploiter à des fins publicitaires ce mobilier urbain. En 1995, la ville de Bruxelles a mis fin au contrat de 1984 et lancé un nouvel appel d’offres. Afin de respecter ses engagements contractuels découlant du contrat de 1984 et d’assurer la transparence de l’appel d’offres, la ville de Bruxelles a répertorié, dans l’annexe 10 du cahier spécial des charges dudit appel d’offres, 282 abribus et 198 MUPI pour lesquels les conditions du contrat de 1984 continuaient de s’appliquer.

Un second contrat, également d’une durée de 15 ans, reprenant les obligations posées à l’annexe 10, a été conclu en 1999 par la requérante, qui a remporté l’appel d’offres. À la différence du contrat de 1984, la ville de Bruxelles devenait propriétaire des mobiliers urbains mis en place, moyennant le paiement d’un prix net forfaitaire par dispositif fourni, complètement équipé, installé et opérationnel. Par ailleurs, JCDecaux devait payer un loyer mensuel pour l’utilisation des mobiliers urbains faisant l’objet du contrat à des fins publicitaires.

Lors de la mise en œuvre du contrat de 1999, certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 ont été enlevés avant leur date d’échéance prévue par la même annexe, tandis que d’autres ont été maintenus au-delà desdites dates. Pour ces derniers dispositifs, contrairement à ceux relevant du contrat de 1999, la requérante n’a payé ni loyer ni taxe à la ville de Bruxelles. Cette situation a pris fin en août 2011, quand les derniers dispositifs inscrits dans l’annexe 10 ont été démantelés.

Le 19 avril 2011, l’intervenante, Clear Channel Belgium, a saisi la Commission européenne d’une plainte dans laquelle elle considérait que, en continuant à exploiter certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue sans payer ni loyer ni taxe à la ville de Bruxelles, la requérante avait bénéficié d’une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

Au soutien de son recours, la requérante soulevait quatre moyens.

À la faveur du premier moyen, la requérante contestait les conclusions de la Commission concernant l’existence d’un « avantage économique » au sens de l’article 107, § 1, TFUE.

Elle faisait d’abord valoir que la Commission avait écarté à tort le mécanisme de compensation appliqué par la ville de Bruxelles afin de respecter l’équilibre économique du contrat de 1984. À cet égard, JCDecaux soutenait que le maintien et l’exploitation de certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe avaient visé à compenser un désavantage subi du fait du retrait anticipé d’un certain nombre de dispositifs inscrits dans l’annexe 10 imposé par la ville de Bruxelles. Sur quoi, le Tribunal note d’emblée qu’une telle compensation, à la supposer établie, n’implique pas que ledit mécanisme ne saurait constituer une aide d’État (pt. 25), dès lors que le fait de continuer à exploiter certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe sans payer ni loyer ni taxe à la ville de Bruxelles a eu pour effet l’allègement de ces charges qui auraient grevé son budget (pt. 28), puisqu’aussi bien, le fait de continuer à exploiter certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 dans les conditions établies par le contrat de 1984 après les dates d’échéance prévues par la même annexe a permis à la requérante d’éviter d’installer et d’exploiter des dispositifs nouveaux relevant du contrat de 1999 et, par voie de conséquence, de payer des loyers et des taxes qu’elle aurait dû payer, selon ce dernier contrat (pt. 30).

Pour le Tribunal, c’est à juste titre que la Commission a considéré que le maintien et l’exploitation par la requérante de certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe constituaient un avantage économique au sens de l’article 107, § 1, TFUE même si ce maintien était un mécanisme de compensation du contrat de 1984, dans la mesure où, d’une part, en ne respectant pas les dates d’échéance prévues à l’annexe 10, elle avait exploité sans titre ni droit nombre de ces dispositifs sur le domaine public de la ville de Bruxelles, dès lors qu’elle n’avait pas obtenu l’autorisation expresse de la ville de Bruxelles de procéder à une « interversion » des dispositifs publicitaires (pt. 31), et où, d’autre part, la Commission a pu utilement se référée à la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans concernant la compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général pour exécuter des obligations de service public (pt. 35). De même la Commission pouvait-elle retenir que le mécanisme de compensation du contrat de 1984 ne pouvait pas être considéré comme un comportement normal d’un opérateur en économie de marché, ne serait-ce que parce que la requérante n’avait pas obtenu l’autorisation expresse de la ville de Bruxelles de procéder à une « interversion » des dispositifs publicitaires et qu’elle avait, dès lors, exploité sans titre ni droit nombre de ces dispositifs sur le domaine public de la ville de Bruxelles (pt. 40).

JCDecaux soutenait encore que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en considérant que la requérante avait bénéficié d’une économie en termes de loyers et de taxes constitutive d’un avantage.

S’agissant des loyers non perçus, le Tribunal retient que, étant donné que l’une des conditions prévues dans le contrat de 1999 était le paiement de loyers, c’est à juste titre que la Commission a conclu que l’exploitation par la requérante de certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe, sans payer aucun loyer à la ville de Bruxelles, avait constitué un avantage au moyen de ressources d’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE (pt. 49).

S’agissant des taxes non perçues, le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en prenant comme système de référence les règlements-taxes de la ville de Bruxelles, dès lors que, pendant la procédure précontentieuse, les autorités belges n’ont pas contesté que ces règlements constituaient le régime fiscal de référence concernant la taxation de l’exploitation de dispositifs publicitaires sur le territoire de la ville de Bruxelles (pt. 54), de sorte que l’exploitation de certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe était assujettie au règlement-taxe du 17 octobre 2001 et que le non-paiement de taxes a bien impliqué un allègement de son budget (pt. 55). Constatant que  l’exonération de taxes appliquée par la ville de Bruxelles aux dispositifs inscrits dans l’annexe 10 et maintenus au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe était la conséquence de l’application à ces dispositifs de l’exonération de taxes prévue par ses règlements-taxes pour les annonces de la ville de Bruxelles, même si elle n’était ni l’exploitant ni le propriétaire desdits dispositifs (pt. 60), le Tribunal en déduit que c’est à juste titre que la Commission a conclu que les règlements-taxes adoptés par la ville de Bruxelles à partir de 2001 auraient dû s’appliquer aux dispositifs inscrits dans l’annexe 10 et maintenus en place au-delà de leur date d’échéance et que l’exemption appliquée par la ville de Bruxelles avant l’exercice d’imposition 2009 était une dérogation au système de référence impliquant un avantage au moyen des ressources d’État de la part de la ville de Bruxelles (pt. 61). Ainsi, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que la requérante avait bénéficié d’une économie en termes de loyers et de taxes constitutive d’un avantage (pt. 65).

Toujours dans le cadre du premier moyen, la requérante soutenait enfin que les contrats de 1984 et de 1999 n’étaient pas « purement commerciaux » et que le mécanisme de compensation du contrat de 1984 remplissait les quatre conditions de la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg. Elle faisait valoir qu’elle était chargée de missions de service public clairement définies, que les paramètres de calcul dudit mécanisme de compensation étaient établis préalablement de façon objective et transparente, que la compensation était limitée à ce qui était nécessaire pour couvrir les coûts associés à l’exécution des obligations de service public et que les contrats de 1984 et de 1999 lui ont été attribués grâce à des procédures d’appels d’offres ouvertes, transparentes et non discriminatoires.

Sur quoi le Tribunal lui répond qu’il ne ressort d’aucun document produit par la requérante que les autorités belges aient défini en tant que service d’intérêt économique général l’installation et l’exploitation de mobiliers urbains tels que ceux faisant l’objet du contrat de 1984, de sorte qu’il n’existe aucun acte de puissance publique qui aurait mandaté la requérante pour effectuer l’enlèvement de certains dispositifs de mobilier urbain en exécution d’une obligation de service public (pt. 72). Par suite, constate le Tribunal, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation lorsqu’elle a conclu que le contrat de 1984 était un contrat purement commercial, de sorte que la première condition de la jurisprudence issue de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg n’était pas remplie (pt. 73). Et comme les quatre conditions posées par ladite jurisprudence doivent être respectées cumulativement pour que la compensation d’obligations de service public imposées puisse échapper à la qualification d’aide d’État, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas respectée suffit à conclure à l’existence d’un avantage et donc à la qualification d’aide de la compensation en question (pt. 74). Par suite, le Tribunal rejette la troisième branche du premier moyen et le moyen dans son intégralité.

Sur le deuxième moyen, selon lequel une hypothétique aide d’État aurait été compatible avec le marché intérieur en application de la communication de la Commission relative à l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public et de la décision 2012/21, le Tribunal se contente de répondre que, dès lors que les autorités belges n’ont à aucun moment pendant la procédure d’examen devant la Commission avancé d’argument tendant à prouver qu’une des dérogations prévues à l’article 106, § 2, TFUE s’appliquait dans le cas présent, la requérante ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné d’office la compatibilité du mécanisme de compensation du contrat de 1984 avec ledit article, de sorte que c’est à juste titre que la Commission a estimé que l’exception visée à l’article 106, paragraphe 2, TFUE ne pouvait être invoquée (pts. 81-82).

Quant au troisième moyen, selon lequel la Commission a violé l’obligation de motivation en ce qui concernait l’évaluation du montant à récupérer, le Tribunal observe que la mention du montant de deux millions d’euros a été inscrite dans le cadre de la présentation des estimations de l’aide à récupérer avancées par l’intervenante et les autorités belges, et non comme un motif de la Commission au soutien de son appréciation dudit montant (pt. 86), de sorte que l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission a fait sien le montant de l’aide avancé par l’intervenante sans motiver son choix de suivre la proposition de cette dernière est non fondée (pt. 88).

La requérante soutenait encore que la quantification du montant d’une hypothétique aide d’État était impossible et formait un obstacle à sa récupération. Rappelant que le maintien et l’exploitation par la requérante de certains dispositifs inscrits dans l’annexe 10 au-delà de leur date d’échéance prévue par la même annexe constituent un avantage économique au sens de l’article 107, § 1, TFUE, le Tribunal estime que la Commission a retenu à juste titre que le calcul devait être effectué pour chaque dispositif inscrit dans l’annexe 10 et maintenu au-delà de sa date d’échéance prévue par la même annexe après le 15 septembre 2001 en prenant pour référence les loyers dus au titre du contrat de 1999 et les taxes généralement applicables aux dispositifs publicitaires entre la date d’échéance initialement prévue dans l’annexe 10 (si elle est postérieure au 15 septembre 2001) ou le 15 septembre 2001 (si la date d’échéance initialement prévue à l’annexe 10 était antérieure au 15 septembre 2001) et la date à laquelle l’enlèvement a effectivement eu lieu, sans prendre en compte le mécanisme de compensation du contrat de 1984 (pt. 95).

Enfin, sur le quatrième moyen, selon lequel l’aide d’État retenue par la décision attaquée serait en tout état de cause prescrite, le Tribunal écatre l’objection en jugeant correcte la méthodologie de calcul du montant de l’aide établie par la Commission, selon laquelle le calcul doit être effectué pour chaque dispositif inscrit dans l’annexe 10 et maintenu au-delà de sa date d’échéance prévue par la même annexe après le 15 septembre 2001 en prenant pour référence les loyers dus au titre du contrat de 1999 et les taxes généralement applicables aux dispositifs publicitaires entre la date d’échéance initialement prévue par l’annexe 10 (si elle est postérieure au 15 septembre 2001) ou le 15 septembre 2001 (si la date était antérieure au 15 septembre 2001) et la date à laquelle l’enlèvement a effectivement eu lieu, et ce, sans prendre en compte le mécanisme de compensation du contrat de 1984 (pt. 106).

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme que la Commission n’a pas rencontré de difficultés sérieuses de nature à la conduire à éprouver des doutes quant à la compatibilité avec le marché intérieur des modifications apportées au mécanisme de capacité à l'échelle du marché italien de l’électricité préalablement autorisé

 

Le 7 septembre 2022, le Tribunal de l’Union a rendu deux arrêts rédigés en des termes quasi identiques à propos de l’instauration de limites d'émission strictes dans le cadre du mécanisme de capacité italien, et ce, dans les affaires T-793/19 (Tirreno Power SpA contre Commission européenne) et T-794/19 (Set SpA contre Commission européenne).

Ce faisant, le Tribunal rejette les recours par lesquels les deux requérantes demandaient l’annulation de la décision de la Commission en date du 14 juin 2019, par laquelle celle-ci a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime d’aide relatif audit marché de capacité modifié, au motif que ledit régime était compatible avec le marché intérieur, et de l’autoriser jusqu’au 31 décembre 2028.

En février 2018, la Commission a autorisé un mécanisme de capacité à l'échelle du marché italien de l’électricité. Elle a notamment estimé que l'Italie avait clairement défini et quantifié les risques en matière de sécurité de l'approvisionnement et que le mécanisme était adéquatement conçu pour les atténuer.

Le 21 mars 2019, alors que ledit mécanisme de capacité n'avait pas encore été mis en œuvre, l'Italie a notifié à la Commission son intention d'apporter certaines modifications au mécanisme de capacité autorisé. Ces modifications seront appliquées aux premières enchères organisées dans le cadre du mécanisme de capacité italien, qui devaient avoir lieu avant la fin de l’année 2019. Afin d’empêcher la production d'électricité à taux d'émission élevé, issue notamment de centrales au charbon, l'Italie a décidé de n'autoriser à participer à ces enchères que les fournisseurs de capacités qui respectent des limites d'émission de CO2 strictes. Parallèlement, l'Italie s’engage à mettre en oeuvre plusieurs mesures pour faire en sorte que le mécanisme reste concurrentiel malgré l'exclusion de ce type de fournisseurs de capacité. Ces mesures viseront notamment à favoriser les nouvelles entrées sur le marché, ce qui permettra aux capacités de production plus écologiques et à d'autres technologies, telles que la participation active de la demande et le stockage, de remplacer progressivement les centrales plus polluante.

Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que la mesure en cause relative au marché de capacité italien modifié était certes une aide d’État, mais que les changements notifiés ne modifiaient pas les éléments pris en compte pour parvenir à la conclusion formulée dans la décision de 2018, selon laquelle ladite mesure est compatible avec le marché intérieur.

Au soutien de leur recours, les requérantes dénonçaient d’abord une violation de l’article 108, § 2, TFUE, une violation des principes de proportionnalité et de non-discrimination, un défaut de motivation, ainsi que l’absence d’une évaluation appropriée de l’ouverture du marché de capacité aux nouvelles unités de production non autorisées, et d’un détournement de pouvoir. Selon les requérantes, l’élargissement du cercle des participants au marché de capacité italien modifié, la méconnaissance de l’objectif d’intérêt commun poursuivi par ce dernier et l’absence d’évaluation de certaines modifications qui y ont été apportées par rapport à la décision de 2018 auraient dû conduire la Commission à éprouver des doutes quant à la compatibilité dudit marché de capacité avec le marché intérieur.

Sur la motivation de la décision attaquée, le Tribunal constate que celle-ci fait apparaître de façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles la Commission a estimé ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (pt. 41).

Sur l’analyse du marché de capacité italien modifié concernant l’élargissement du cercle de participants audit marché de capacité, l’objectif d’intérêt commun poursuivi par ce dernier et les modifications qui y ont été apportées par rapport à la décision de 2018, les requérantes dénonçaient d’abord une situation de concurrence avantageuse pour les capacités nouvelles par rapport aux capacités existantes. Selon elles, la Commission se serait contentée de prendre acte de l’élargissement du cercle des bénéficiaires du marché de capacité italien modifié, sans pour autant apprécier l’impact concret de cette modification.

S’agissant d’abord de la question de la durée des contrats pouvant être conclus par les capacités nouvelles dans le cadre du marché de capacité italien, le Tribunal estime que cette question avait fait l’objet d’un examen minutieux dans le cadre du marché de capacité autorisé par la décision de 2018, et que ladite durée est demeurée identique dans le cadre du marché de capacité modifié autorisé par la décision attaquée, de sorte qu’elle n’était pas de nature à susciter, par elle-même, les doutes de la Commission (pt. 53).

S’agissant ensuite de l’argument selon lequel, avec l’entrée en vigueur du règlement 2019/943, il deviendra impossible de conclure des contrats de capacités dans le cadre du marché de capacité italien modifié autorisé par la décision attaquée, et que, dans la mesure où l’article 22, § 5, dudit règlement prévoyait le maintien des contrats de capacité conclus avant le 1er janvier 2020, les contrats de quinze ans qui seraient conclus par les capacités nouvelles lors des enchères de 2019 pénaliseraient de manière disproportionnée les capacités existantes jusqu’au terme desdits contrats, le Tribunal répond que l’exigence d’adapter le marché de capacité italien modifié au chapitre 4 du règlement 2019/943 comme la nécessité d’évaluer l’adéquation des ressources n’impliquent en rien que ledit marché de capacité ne puisse plus fonctionner (pt. 59). Dès lors, ni l’exigence de réévaluer régulièrement la nécessité du marché de capacité italien avant de conclure de nouveaux contrats, ni les exigences relatives aux émissions de CO2 qui ont été formalisées par l’article 22, § 4, du règlement 2019/943 ne sauraient être regardées comme des éléments qui auraient dû faire l’objet d’un examen particulier de la part de la Commission dans le cadre de la décision attaquée et, le cas échéant, susciter ses doutes quant à la compatibilité du marché de capacité italien modifié avec le marché intérieur. En tout état de cause, s’il n’était pas nécessaire d’organiser de nouvelles enchères à l’avenir, cela signifierait simplement que les défaillances résiduelles du marché de l’électricité italien ont été surmontées et que l’objectif d’adéquation des capacités a été atteint (pt. 65).

Par ailleurs, les requérantes faisaient valoir, en substance, que l’objectif de garantir l’adéquation de la capacité de production poursuivi par le marché de capacité italien approuvé par la décision de 2018 avait été remplacé par l’objectif de mettre en œuvre une politique de substitution des capacités existantes par des capacités nouvelles sans que la Commission ait apprécié ce changement et soutenait que ce dernier objectif n’était pas conforme aux lignes directrices.

Sur ce point, le Tribunal estime que c’est à tort que les requérantes soutiennent que l’objectif d’intérêt commun de l’adéquation des capacités de production a été remplacé par un autre objectif visant à favoriser la transition énergétique sur le marché de l’électricité italien, sans avoir fait l’objet d’aucune appréciation de la part de la Commission. En effet, en premier lieu, l’objectif d’intérêt commun de l’adéquation des capacités de production n’a pas été remplacé par un objectif de transition énergétique mais est demeuré intact tout en intégrant ce dernier. En second lieu, la Commission a dûment pris en compte ladite modification, et celle-ci a fait l’objet d’un examen dans le cadre de la décision attaquée (pt. 87). Dès lors que l’objectif principal poursuivi par le marché de capacité demeurait de garantir le respect de la norme de fiabilité, aux fins de s’assurer qu’une quantité suffisante d’électricité demeure disponible pour préserver la sécurité d’approvisionnement, l’intégration d’un objectif relatif à la protection de l’environnement, à travers l’envoi de signaux visant à promouvoir les capacités plus respectueuses de celui-ci pour compenser le futur retrait des unités de production fonctionnant au charbon, n’était pas de nature à susciter les doutes de la Commission (pt. 90).

En deuxième lieu, les requérantes soutenaient en substance, que l’exclusion des unités de production fonctionnant au charbon, conjuguée à l’ouverture de l’accès au marché de capacité italien aux capacités nouvelles non autorisées, visait à favoriser les opérateurs historiques qui détenaient la majorité desdites unités de production.

Constatant que la décision attaquée a été adoptée dans des temps adéquats au contexte particulier caractérisé par de simples modifications apportées à un marché de capacité autorisé seulement seize mois auparavant (pt. 98), le Tribunal écarte l’argument relevant que tant la décision de 2018 que la décision attaqué indiquaient que la participation au marché de capacité italien était ouverte, sur une base volontaire, à tous les opérateurs qui satisfaisaient aux critères qu’ils énonçaient (pt. 100) et que, s’il est vrai que les opérateurs historiques peuvent participer aux enchères en tant que capacité nouvelle non autorisée, cela l’est aussi pour n’importe quel opérateur du marché de l’électricité italien, pour autant qu’il satisfasse aux critères énoncés aux points 57 et 58 de la décision de 2018 (pt. 101).

Les requérantes dénonçaient encore l’absence d’examen, par la Commission, de certaines modifications apportées au marché de capacité italien. Selon elles, la Commission ne pouvait pas ne pas éprouver de doutes quant à la compatibilité du marché de capacité italien modifié avec le marché intérieur sans connaître la manière dont les capacités nouvelles non autorisées seraient amenées à participer aux enchères.

Écartant ce grief qu’il juge abstraite et dénué de démonstration, le Tribunal constate que les modifications querellées ont été introduites par un décret ministériel et par la réglementation relative aux phases initiale et intégrale de mise en œuvre du marché de capacité, tous deux adoptés le 28 juin 2019, soit après l’adoption de la décision attaquée, et, partant, qu’il ne saurait être valablement reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte de dispositions réglementaires qui ont été adoptées postérieurement à l’adoption de la décision attaquée aux fins d’apprécier la compatibilité du marché de capacité italien modifié avec le marché intérieur (pts. 121-122).

Les requérantes reprochaient enfin à la Commission d’avoir omis d’examiner la modification découlant de l’article 45.5 de la réglementation relative aux phases initiale et intégrale de mise en œuvre du marché de capacité et consistant à imposer l’obligation de désignation prioritaire, laquelle conduit à prendre en compte le fonctionnement effectif d’une installation, alors qu’un marché de capacité ne devrait rémunérer que la mise à disposition de la capacité et non sa production. Sur quoi, le Tribunal répond que l’obligation de désignation prioritaire n’est pas liée à la rémunération de la capacité fournie par l’opérateur concerné, en ce sens que celle-ci n’exerce aucune influence sur le montant de la prime perçue par ce dernier, ni sur le volume de capacité qu’il est tenu de fournir, lesquels demeurent liés au contrat conclu lors des enchères de capacité (pt. 151).

JURISPRUDENCE ACTIONS PRIVÉES : L’avocat général Pitruzzella estime que, lorsque la directive « dommages » n’est pas applicable, les juridictions nationales sont néanmoins tenues, en vertu des principes d’effectivité et de sécurité juridique, d’attribuer à la constatation d’une infraction contenue dans une décision définitive de l’autorité nationale de concurrence la valeur de « preuve prima facie » en cas de coïncidence complète entre l’infraction constatée dans cette décision et l’infraction alléguée qui fonde l’action civile en réparation du préjudice concurrentiel

 

Le 8 septembre 2022, l’avocat général Giovanni Pitruzzella a présenté ses conclusions dans l’affaire C-25/21 (Repsol Comercial de Productos Petrolíferos) à propos de la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de commerce de Madrid.

Le litige à l’origine de la présente demande de décision préjudicielle porte sur une relation verticale d’une vingtaine d’années — de 1993 à 2013 — entre les propriétaires d’une station-service espagnole et l’entreprise pétrolière Repsol qui les fournissait en carburant.

Considérant que les contrats mis en oeuvre entre les parties relevait de l’achat pour revendre et non du contrat de commission ou d’agence, l’autorité de concurrence espagnole, confirmée en cela par les juridictions nationales, a sanctionné à deux reprises — en 2001 et en 2009 — Repsol pour avoir mis en oeuvre un pratique de prix imposés, en 2001 sur le seul fondement du droit national, en 2009 également sur le fondement de l’article 101 TFUE.

Le 12 février 2018, les propriétaires de la station-service ont introduit devant la juridiction de renvoi non seulement une action en nullité des contrats, au titre de l’article 101, § 2, TFUE, du fait de la fixation par Repsol du prix de vente au public pour les combustibles et carburants en violation de l’article 101, § 1, TFUE, mais également une demande d’indemnisation des dommages causés en conséquence de la violation de l’article 101 TFUE. À titre de preuve de la pratique illicite, les héritiers de KN ont produit les deux décisions des autorités espagnoles de la concurrence (à savoir la décision de 2001 et la décision de 2009) ayant acquis un caractère définitif.

Les deux questions préjudicielles soulevées par la juridiction de renvoi dans la présente affaire visent à déterminer, à la lumière du droit de l’Union, la valeur probante qu’il y a lieu d’attribuer dans l’action civile intentée devant elle à ces deux décisions définitives des autorités espagnoles de la concurrence qui ont constaté des infractions au droit de la concurrence, tant national que de l’Union.

Quoique la juridiction de renvoi qualifie expressément cette action d’action « stand-alone », l’avocat général Pitruzzella nourrit des doutes quant à cette qualification et lui préfère à juste titre celle d’« action de suivi » (ou d’« action follow-on ») (pts. 36-37).

Sur la question de l’application au cas d’espèce de la directive « dommages » et de son article 9, § 1, qui impose aux États membres de veiller à ce qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre des articles 101 ou 102 TFUE ou du droit national de la concurrence, l’avocat général Pitruzzella parvient à la conclusion que cette disposition, qui doit être considérée comme substantielle et, partant, ne doit pas recevoir une application rétroactive, n’est pas applicable ratione temporis, puisqu’aussi bien préjudice dont il est demandé réparation s’est produit dans la période comprise entre le 14 janvier 1993 et le 17 avril 2013, date du dernier approvisionnement de la part de Repsol aux propriétaires de la station service, de sorte que, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, la situation juridique en cause au principal devait être considérée comme acquise (pts. 69-70). De fait, estime-t-il, l’article 9, § 1, de la directive « dommages » n’est pas applicable ratione temporis à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement cette directive dans le droit national, d’une part, porte sur une infraction découlant de restrictions à la concurrence contenues dans des contrats dont les effets ont cessé avant la date d’expiration du délai de transposition de ladite directive et, d’autre part, concerne une demande de réparation d’un préjudice qui a été causé pendant une période qui s’est écoulée avant cette date (pt. 71).

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la valeur probante qu’elle doit attribuer, dans l’action civile entamée devant elle, aux décisions des autorités espagnoles de la concurrence de 2001 et de 2009. Cette juridiction veut savoir plus spécifiquement si les conditions, prévues à l’article 2 du règlement n° 1/2003, relatives à la charge de la preuve, doivent être considérées comme remplies si, en vertu de ces deux décisions, la partie requérante a démontré que sa relation contractuelle d’approvisionnement exclusif et d’affiliation relève du champ d’application territorial et temporel examiné par l’autorité nationale de concurrence.

Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la question de savoir si, au cas où les conditions prévues par l’article 2 du règlement n° 1/2003 relatives à la charge de la preuve doivent être considérées comme remplies en vertu desdites deux décisions, cela a comme conséquence nécessairement la déclaration de nullité de plein droit des contrats en cause, conformément à l’article 101, paragraphe 2, TFUE.

L’avocat général Pitruzzella se propose de répondre conjointement aux deux questions préjudicielles.

Si, en l’absence de réglementation de l’Union régissant la matière, il revient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de régir la valeur probante des décisions de l’autorité de la concurrence dans les litiges de droit privé dans lesquels une personne se prévaut en justice de la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE pour faire valoir la nullité d’une entente ou d’une pratique interdite par cette disposition, au titre de l’article 101, paragraphe 2, TFUE, et pour demander réparation du préjudice subi lorsqu’il existe un lien de causalité entre ce préjudice et cette entente ou cette pratique, il n’en reste pas moins que l’autonomie procédurale des États membres à cet égard est limitée, d’une part, par les principes d’équivalence et d’effectivité, et, d’autre part, par le principe de sécurité juridique.

S’agissant du principe d’effectivité, l’avocat général Pitruzzella rappelle que l’exercice du droit à réparation pour violation de l’article 101, § 1, TFUE deviendrait excessivement difficile si on ne reconnaissait pas aux travaux préalables d’une autorité de la concurrence le moindre effet dans l’action civile en dommages et intérêts. Dès lors, compte tenu de la complexité particulière de nombreuses infractions au droit de la concurrence et des difficultés pratiques rencontrées par les personnes lésées pour établir ces infractions, le principe d’effectivité impose de reconnaître à la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction à l’article 101, § 1, TFUE au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve dans l’action en dommages et intérêts de l’existence de l’infraction (pt. 91). Il en va de même, selon lui, en ce qui concerne les actions visant à faire valoir la nullité d’une entente ou d’une pratique interdite par cette disposition, prévue à l’article 101, § 2, TFUE. Dans la mesure où la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction est pertinente pour déterminer une telle nullité, le principe d’effectivité impose de reconnaître à une telle constatation au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve indicative dans l’action en nullité afin de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 (pt. 92). Cette approche selon laquelle le juge civil ne saurait ignorer les constatations des autorités nationales de la concurrence au regard des infractions du droit de la concurrence de l’Union est, d’ailleurs, conforme à la nécessaire complémentarité fonctionnelle entre le « public enforcement » et le « private enforcement » de ce droit, qui constitue l’un et l’autre un instrument indispensable pour renforcer l’efficacité de la politique de répression des pratiques anticoncurrentielles (pt. 93).

Et si le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE ne peuvent pas être interprétés jusqu’à imposer aux États membres de reconnaître une présomption irréfragable telle que celle qui est désormais prévue, en ce qui concerne les actions en dommages et intérêts, à l’article 9, § 1, de la directive « dommages », l’avocat général Pitruzzella estime que, dans le cadre de la marge d’appréciation dont dispose un juge civil en application de ses propres règles procédurales nationales – relevant de l’autonomie procédurale des États membres – relatives à l’appréciation des moyens de preuves, la valeur que ce juge, en vertu du principe d’effectivité, est tenu à attribuer à la constatation d’une infraction contenue dans une décision définitive de l’autorité nationale de concurrence doit varier selon le niveau de coïncidence entre l’infraction constatée dans cette décision et l’infraction alléguée qui fonde l’action civile engagée devant lui (pt. 94).

En pratique, lorsqu’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale de concurrence à l’article 101, § 1, TFUE et celle alléguée sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale qui concerne la nature de l’infraction, ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale, le principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE imposent au juge civil d’attribuer à cette constatation non pas seulement une valeur d’indice ou de commencement de preuve, mais au moins une valeur de preuve prima facie de l’existence de cette infraction. En effet, dans un pareil cas, il y aurait coïncidence complète entre l’infraction constatée et celle invoquée aux fin de l’action civile qui, à la lumière des principes susmentionnés, ne justifierait pas, à mon avis, l’attribution de simple valeur d’indice ou commencement de preuve à la constatation de l’autorité nationale de concurrence (pt. 95). À cet égard, la référence à la « nature de l’infraction » implique qu’il doit s’agir de la même infraction, fondée sur la même qualification des faits contenue dans la décision de l’autorité de la concurrence. La référence à la « portée matérielle » de l’infraction implique que la coïncidence doit concerner les comportements explicitement mentionnés dans la décision de l’autorité de la concurrence. La référence à la « portée personnelle » de l’infraction implique que, seulement pour les entreprises au regard desquelles la violation des règles de la concurrence est établie dans la décision définitive, celle-ci constitue une preuve prima facie de l’infraction. La référence à la « portée temporelle » de l’infraction implique que les constatations contenues dans la décision définitive ne constituent une preuve prima facie pour le juge civil que pour la durée de l’infraction telle que constatée dans cette décision définitive. De même, la référence à la « portée territoriale » de l’infraction implique que le caractère de preuve prima facie (pt. 107) pour le juge civil de ladite décision ne couvre que le territoire sur lequel l’infraction a été constatée dans la même décision (pt. 96). En revanche, lorsque la coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale de concurrence à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et celle sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale n’est pas totale mais seulement partielle, car par exemple la constatation de l’autorité nationale de concurrence concerne des pratiques anticoncurrentielles qui, tout en étant analogues et mises en œuvre par la même entreprise, ne coïncident pas exactement avec celles constatées dans la décision de l’autorité de la concurrence, le juge national ne saura ignorer complètement la décision, mais devra, en vertu du principe d’effectivité et de l’exigence de garantir la pleine efficacité de l’article 101 TFUE, lui attribuer valeur d’indice ou de commencement de preuve (pt. 97).

Quant au principe de sécurité juridique, l’avocat général Pitruzzella considère qu’il impose également aux juridictions nationales de reconnaître à la constatation définitive par l’autorité nationale de concurrence d’une infraction à l’article 101, TFUE au moins une valeur d’indice ou de commencement de preuve dans les actions civiles engagées devant elles pour violation du droit de la concurrence de l’Union et la valeur de preuve prima facie lorsqu’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée par l’autorité nationale de concurrence et celle sur laquelle se fonde l’action civile engagée devant la juridiction nationale en ce qui concerne la nature de l’infraction, ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale (pt. 101).

À cet égard, l’avocat général Pitruzzella entend préciser que ces exigences liées au principe d’effectivité et l’exigence de garantir la pleine efficacité concernent exclusivement le droit de l’Union et en particulier, dans le cas d’espèce, l’article 101 TFUE et ne s’étendent pas nécessairement au droit national (pt. 104).

À partir de là, l’avocat général Pitruzzella s’attache à appliquer sa grille de lecture au cas d’espèce et en particulier à la décision de 2009 qui contient, à la différence de la décision de 2001 cantonnée à l’application du seul droit national, une mise en oeuvre parallèle du droit national de la concurrence et de l’article 101, § 1, TFUE. S’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe une coïncidence entre l’infraction constatée et celle sur laquelle se fondent les actions civiles (en nullité et en dommages et intérêts) engagées devant elle en ce qui concerne la nature de l’infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale, l’avocat général risque sa propre interprétation. Il estime, à propos de la portée temporelle et de la portée territoriale, qu’elles ont été établies par les demandeurs. En effet, il apparaît du dossier que les contrats conclus entre les propriétaires de la station service et Repsol se situent temporellement et territorialement dans le champ d’application de la constatation de l’infraction contenue dans la décision de 2009 (pt. 113). Selon lui, la portée personnelle des deux infractions coïncide également, dans la mesure où tant l’infraction constatée que l’infraction invoquée dans l’action civile ont été commises par Repsol (pt. 114). Quant à coïncidence entre l’infraction constatée et celle invoquée dans l’action civile en ce qui concerne la nature et la portée matérielle de l’infraction, il relève que la constatation de l’infraction contenue dans la décision de 2009 a une portée matérielle très large, en ce qu’elle concerne tous les entrepreneurs indépendants opérant sous l’enseigne de Repsol et tous les contrats incluant les clauses donnant lieu à l’infraction, et toutes les clauses y décrites, de sorte qu’il revient, en fin de compte, à la juridiction de renvoi de vérifier si les clauses des contrats conclus par les propriétaires de la station service avec Repsol relevant du champ d’application temporel de la décision de 2009 peuvent être considérées comme relevant du champ d’application matériel de la constatation contenue dans cette décision, de sorte qu’il puisse être considéré qu’il existe une coïncidence complète entre l’infraction constatée et celle invoquée aux fin de l’action civile.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Afin de préserver la course à l'innovation pour développer et commercialiser des tests de détection précoce du cancer, la Commission interdit bloque l’acquisition de Grail par Illumina et prononce ainsi sa première interdiction après renvoi article 22 du règlement « concentration » d'une opération sous les seuils

 

Le 6 septembre 2022, la Commission européenne a annoncé qu’elle avait interdit l'acquisition de GRAIL par Illumina. Selon elle, l'intégration verticale d'Illumina, seul fournisseur crédible d'une technologie — les systèmes NGS — permettant de développer et de traiter des tests de détection du cancer, actuellement développés par GRAIL, avec ce dernier, par ailleurs client d'Illumina utilisant cette technologie NGS pour développer ses propres tests de détection précoce du cancer basé sur le sang, aurait étouffé l'innovation et réduit le choix sur le marché émergent des tests sanguins de détection précoce du cancer. Elle estime qu’Illumina n'a pas proposé de mesures correctives suffisantes pour répondre à ses préoccupations de concurrence. En cas de succès, ces tests révolutionneront la lutte contre le cancer et contribueront à sauver des millions de vies. D'ici 2035, ce marché pourrait atteindre plus de 40 milliards d'euros par an, à l'échelle mondiale.

Selon la Commission, avec cette opération, Illumina aurait été en mesure et aurait été incité à empêcher les rivaux de GRAIL d'accéder à sa technologie, ou, à tout le moins, à les désavantager — par exemple en augmentant les prix, en dégradant la qualité ou en retardant les livraisons, de sorte qu’elle prenne le contrôle du marché prometteur des tests de détection précoce du cancer. Pour elle, il est essentiel de préserver la concurrence entre les développeurs de tests de détection précoce du cancer à ce stade critique du développement. En effet, plusieurs acteurs développent actuellement des tests de détection du cancer qui, en l'absence de l'opération, viendront concurrencer étroitement le test phare de GRAIL, « Galleri ».

Dans cette course à l'innovation pour développer et commercialiser des tests de détection précoce du cancer, il n'existe pas d'alternatives crédibles aux systèmes NGS d'Illumina à court ou moyen terme pour développer et exécuter les tests. En outre, les barrières à l'entrée sont importantes. Il s'agit notamment du risque de litige en matière de propriété intellectuelle, de la nécessité pour les rivaux de GRAIL de s'appuyer sur un acteur NGS qui dispose d'une base installée d'instruments dans des laboratoires tiers, qui peut rivaliser avec l'innovation permanente d'Illumina, qui dispose d'une technologie développée et stable, et dont la fiabilité des services de support a été prouvée dans le temps. De plus, changer de fournisseur NGS serait un processus long et coûteux pour les rivaux de GRAIL, sans garantie de succès.

Pour répondre aux préoccupations de concurrence de la Commission, Illumina  proposait en premier lieu d’accorder une licence ouverte aux fournisseurs NGS pour certains des brevets NGS d'Illumina, et un engagement à cesser les poursuites en matière de brevets aux États-Unis et en Europe contre le fournisseur NGS BGI Genomics (Chine) pendant trois ans.

Toutefois, la Commission a estimé que ces engagements n'auraient pas garanti l'émergence d'une alternative crédible à Illumina pour les rivaux de GRAIL à court ou moyen terme. La licence de brevet n'aurait eu qu'un impact limité car les brevets couverts devaient expirer à court terme et parce qu'Illumina possède de nombreux autres brevets dont les concurrents auraient besoin pour développer un autre système NGS. En outre, ces engagements ne répondaient pas, selon elle, à la préoccupation selon laquelle, même si des systèmes NGS alternatifs émergeaient, le changement de fournisseur serait un processus long et coûteux pour les rivaux de GRAIL, sans garantie de succès.

Par ailleurs, Illumina a proposé de conclure des accords avec les rivaux de GRAIL afin de leur garantir un accès continu aux systèmes NGS d'Illumina. Sur ce point également, la Commission a estimé que ces engagements avaient peu de chances d'être efficaces dans la pratique, car ils n'abordaient pas efficacement toutes les stratégies de verrouillage possibles qu'Illumina pourrait adopter. Par exemple, cet engagement ne supprimait pas le risque qu'Illumina évince les rivaux de GRAIL en dégradant le support technique de ses systèmes NGS. En outre, ajoute la Commission, il aurait été facile pour Illumina de contourner les obligations imposées par ces accords, en accordant un traitement préférentiel à GRAIL, ce qui aurait rendu la concurrence plus difficile pour les rivaux de GRAIL. En outre, ces engagements auraient été difficiles à contrôler en raison de leur complexité et du fait que les rivaux de GRAIL n'auraient guère été en mesure de détecter les violations.

Sur quoi, la Commission a conclu que les mesures correctives proposées par Illumina n'étaient pas suffisantes pour résoudre les problèmes de concurrence, dans la mesure où la concurrence émergente dans le domaine des tests de détection précoce du cancer à partir du sang serait entravée, voire éliminée, et, par suite, a interdit l'opération.

La Commission rappelle à cet égard que lorsqu'une concentration déclarée incompatible avec le marché intérieur a déjà été mise en œuvre, la Commission peut, en vertu de l'article 8, § 4, du règlement « concentrations », dissoudre l’opération ou prendre d'autres mesures appropriées. Au cas d’espèce, la Commission évaluera en temps utile si et quelles mesures supplémentaires seront nécessaires.

On se souvient que la société américaine Illumina avait confirmé publiquement le 18 août 2021 qu’elle envisageait de procéder à l'acquisition de Grail, alors même que la Commission s’était déclarée compétente pour examiner l’opération de concentration en acceptant, à la faveur d’une décision du 19 avril 2021 (non encore publiée), la demande de renvoi du 9 mars 2021 au titre de l’article 22, § 1, du règlement CE sur les concentrations formulée par l’Autorité de la concurrence française. Il s’agit là en effet de la première opération de concentration en-dessous des seuils de notification à être examinée par la Commission sur le fondement du règlement concentration de 2004 et donc de la « clause hollandaise » introduite à l’article 22 dudit règlement depuis le revirement dans la mise en œuvre de cette disposition annoncée le 11 septembre 2020 par la vice-présidente exécutif de la Commission, chargée de la politique de la concurrence, Margrethe Vestager. Ce faisant, il s'agit également de la première interdiction d'une opération de concentration sous les seuils examinée après renvoi en vertu de l'article 22 depuis le changement de doctrine opérée par la Commission sur la mise en œuvre de cette disposition.

Souveraineté et autonomie stratégique de l'Union européenne
Un rôle renouvelé pour le contrôle des aides d'État ?

Paris — 26 septembre 2022

 

Bonjour,
 
Nous avons le plaisir de vous annoncer que l'édition 2022 de la conférence annuelle « État des aides » des universités Paris I Panthéon-Sorbonne et Paris II Panthéon-Assas sur les aides d'État se tiendra le lundi 26 septembre 2022 de 9h à 12h30 au Panthéon.
 
Cette année, après un bilan du droit des aides d'État pour 2021-2022, nous consacrons notre table ronde au thème suivant : « Souveraineté et autonomie stratégique de l'Union européenne. Un rôle renouvelé pour le contrôle des aides d'État ? ». Pour échanger sur cette thématique et discuter des évolutions récentes en la matière, nous accueillerons des représentants de la Commission, des autorités françaises, des universitaires et praticiens.
 
Pour vous inscrire merci de nous envoyer un EMAIL (inscription dans la limite des places disponibles).

Vous retrouverez le programme de la conférence ICI.
 
Nous espérons vous y retrouver nombreux.
 
Christophe Lemaire
Maitre de conférences à l'École de droit de la Sorbonne Université Paris I Panthéon Sorbonne
Co-directeur du Master 2 – Droit économique de l'Union européenne
Avocat à la Cour – Ashurst
 
et
 
Francesco Martucci
Professeur à l'Université de Paris II Panthéon Assas
Directeur du Parcours Droit européen du marché et de la régulation du Master Droit européen

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