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IRENE : LE FÉMINISME SERA RÉVOLUTIONNAIRE OU NE SERA PAS 
Qu’est-ce que le fascisme ? Comment, encore aujourd’hui, impacte-t-il les générations qui lui ont survécu ? Irene est anarcho-féministe, et a grandi aux confins des cultures basques, françaises et espagnoles. Hilaria était son arrière-arrière-grand-mère : basque et veuve, elle était là quand le franquisme a renversé le pouvoir en Espagne pour y instaurer une dictature, il y a plus de 80 ans. Dans cet ouvrage, Hilaria est figure de mémoire, et de résistance. Une résistance féministe, anti-capitaliste, populaire, anarchiste, antifasciste. Une résistance qui appelle les luttes d’aujourd’hui au féminisme révolutionnaire, dans une Europe où le fascisme, traumatisme ignoré, menace de refaire surface. 

Hilaria est le titre de ton livre, mais avant tout un prénom. Qui est la personne qui se cache derrière, et en quoi a-t-elle été déterminante dans ton engagement ?

Hilaria était mon arrière-arrière-grand-mère, dont je ne connaissais pas du tout l’existence il y a encore quelques mois. J’avais déjà commencé à écrire le livre avant de savoir qu’elle existait, à écrire la partie théorique sur la prison, ou l’anti-capitalisme. Mais je savais bien que je ne pouvais pas sortir un livre juste avec une partie théorique. J’ai entendu parler d’elle pour la première fois l’été dernier, il y a un an. Ça m’a apporté, d’un point de vue personnel, de savoir d’où je viens, que mes engagements ne sont pas nés de rien, que j’ai une histoire familiale engagée. D’un point de vue travail, ça m’a permis d’incarner un peu mon texte. Je trouve que c’est bien de parler de la théorie, mais c’est bien de savoir aussi comment elle s’applique dans la réalité. Pour moi c’était important de mettre son nom parce-que ce n’est pas une heroïne, ce n’est pas une super théoricienne, c’est juste une femme lambda, mon arrière grand-mère, et c’est moi qui ai décidé de la faire vivre dans un livre. On ne prête pas assez d’attention à ces femmes lambda, alors qu’elles ont aussi participé à notre vie, à notre politique, à nos mouvements sociaux.

Comment, dans l'écriture de cet ouvrage, as-tu envisagé les principes de starification et de mystification que tu évoques à plusieurs reprises (le fait qu’Hilaria soit une femme lambda, l'idéalisation de ta propre personne par ta communauté instagram, la figure du héros national construite dans les livres d'histoire, le mythe autour du vote féminin...)

Il arrive qu’on me pose cette question : « comment c’est d’être militante sur Instagram ? ». Je dis toujours que moi je ne sais pas, car mon militantisme n’est pas sur Instagram. Il est dans la rue, au sein des collectifs, des groupes d’actions. Mais quand je milite, je suis totalement anonyme. Quand je suis dans des collectifs et qu’il faut faire des interviews, ce n’est jamais moi qui répond. Pour moi le militantisme c’est dans le collectif, tu ne peux pas être personnifié.e. Quand on érige quelqu’un, on se met forcément en dessous, et ce n’est pas normal, ce n’est pas sain, parce qu’on va accorder des sortes de pouvoir, des caractéristiques un peu surhumaines qui ne sont pas réelles. Par rapport au vote, je trouve que parfois on n’est pas assez critique. Moi je n’ai pas le droit de vote et j’ai des discours critiques sur le vote, mais clairement j’aurais voté ce dimanche. Pour moi ce n’est pas contradictoire : justement, c’est parce qu’on connaît l’historicité de cette République représentative, qu’on sait que ça ne marche pas. Pour autant, on peut jouer sur plusieurs terrains, parce qu’on est dedans et qu’on n’a pas le choix.

Dans ton livre, au milieu de tes phrases en français, tu utilises du vocabulaire basque et espagnol non traduit : « la tia », « la calle », « mi tierra ». Comment tu te situes face à ce choix de non-traduction, et quelle est ton intention lorsque tu y as recours ? 

J’ai grandi à la frontière, et beaucoup de gens ne comprennent pas ce que ça veut dire, surtout dans un contexte d’Union Européenne. Toute ma famille est espagnole, je n’ai aucune famille française. J'habitais en France, mais on allait au cinéma en Espagne, on écoutait la radio en espagnol, la télé en espagnol. Avec mes ami.es on faisait des blagues en disant qu’on parle fragnol, parce-que tu te rends compte très vite que les langues sont toutes incomplètes. Quelqu’un disait « le langage forme la pensée » et c’est vrai : je trouvais important de montrer de manière plastique, dans mon texte, cette multiculturalité ! Il y a beaucoup de citations que j’ai laissées en espagnol pour cette même raison : je trouve qu’il y a des idées qui n’existent pas en français, et même si les citations ont été traduites, parfois elles n’expriment pas vraiment ce que le texte original exprime. Des gens qui ne lisent que le français ne pourront jamais le savoir, mais  les personnes qui parlent espagnol pourront le voir et c’est intéressant. Par exemple pour la tía : pour nous les tantes sont très importantes dans la famille, ce sont elles qui vont garder les enfants quand les parents sont au travail, ou quand les parents meurent. Ce sont comme des deuxièmes mamans, je ne sais pas si c’est pareil en France, mais j’ai l’impression qu’il y a une dimension un peu différente.

La transmission orale occupe une grande place dans ton récit : tu répètes à plusieurs reprises que l'histoire de tes ancêtres t'a été racontée, qu'il en existe pas ou peu de traces, tu parles également des chansons transmises de génération en génération. Que représente cette transmission orale pour ton vécu, pour ta famille, pour Hilaria ? Quel rôle tient-elle ? 

La traduction orale a été cruciale : c’est presque l’unique transmission qu’on a. Pour Hilaria je n’ai rien à part des photos, que j’ai eu il n’y a pas très longtemps. Les seules choses qu’on a, c’est le fait que l’une de ses filles ait raconté son histoire à tout le monde qui voulait l’entendre. Elle a quand même laissé des traces écrites, que j’ai pu lire, mais ce sont surtout des histoires orales qu’elle a raconté à beaucoup de gens. Et plus que la transmission, ce qui est aussi important c’est la non-transmission. Mon père a connu presque toutes ces femmes, il les a côtoyées pendant des années, elles sont mortes assez tard pour certaines. Mais ces femmes-là n’ont jamais rien raconté, ou très peu, parce qu’il y a tout ce poids du silence ou du traumatisme. C’est le problème en Espagne : on connaît très peu notre histoire personnelle, les gens n'ont pas parlé, parce qu’après la guerre c’était le silence. Tu n’avais pas le droit de parler, parce que si tu parlais tu étais l'ennemi du régime, même après la transition démocratique. La seule qui à parlé c’est Pili. Et ce qui est marrant, c’est que j’ai parlé à ses enfants, mais j’ai aussi parlé avec des enfants d’autres de ses frères et sœurs. Et tous à chaque fois me disent que celle qui a raconté, c’est elle. Même le fils de Manolo, qui a été en prison, c’est Pili qui lui a raconté tout ce qu’il sait, pas son père.

Une expression m'a marqué dans le dernier chapitre de HIlaria : « capaciter les femmes ». Peux-tu nous expliquer de quoi il s'agit ? Ce principe a-t-il encore un sens auprès des populations marginalisées dans le contexte politique actuel ? 

Cette expression était une des valeurs fondamentales de Mujeres Libres, un groupe et une revue anarchiste exclusivement féminine. Leur deux valeurs principales étaient capaciter et capter. Capter ça voulait dire trouver des femmes pour intégrer le mouvement, capaciter c’était les former. Parce que des femmes qui ont grandi dans les années 20-30 sous une dictature, sont analphabètes, ou ont très peu de connaissances, et surtout ont beaucoup été biberonnées par l’Église catholique. Mujeres Libres ont pensé qu’elles avaient besoin d’une « formation », d’être un peu aidées pour avoir l’esprit libre, pour pouvoir prendre leur propre décision. C’est ça qu’elles entendent par capaciter : leur donner des clés, des connaissances. Et j’ai envie de dire que oui, tout ce qui relève de l’autoformation au sein d’un groupe est toujours d’actualité. Je pense qu’on a tous besoin d’apprendre ou de désapprendre des choses, et je pense que le meilleur endroit pour le faire c’est aussi le collectif. Malheureusement je trouve que beaucoup de gens ont parfois peur d’y entrer aujourd’hui parce qu’ils se disent « je n’ai pas de connaissance ». Alors que ce n’est pas une évaluation, si on est féministe c’est parce qu’on l’a dans nos tripes, c’est pas parce qu’on a lu Simone de Beauvoir ! C’est au sein de collectifs qu’on apprend, en échangeant, dans la pratique, en découvrant des personnes nouvelles, des pensées nouvelles.

Les conséquences du fascisme résonnent encore aujourd'hui pour toi et les proches que tu évoques dans Hilaria, et au sein de milliers d'autres familles espagnoles. Selon toi, comment l'anarcho-féministe peut-il continuer d'affronter la pensée fasciste dans des espaces, des sociétés, auprès de populations contemporaines, qui ont oublié ces conséquences aujourd'hui ? 

Malheureusement c’est ce qu’on essaie de faire depuis plusieurs années, et ça n’a pas empêché que Marine Le Pen soit en mesure de passer : quand l’interview sera publiée, elle sera peut-être présidente de la France. Donc si on savait comment le faire, on l’aurait fait. Mais je pense qu’il ne faut pas laisser oublier. Peut-être que c’est moins matérialisé ici, mais en Espagne c’est très clair : la droite veut qu’on oublie. Toutes les choses qui arrivent dans le présent ont une historicité : comment sont-elles arrivées ? Comment en est-on arrivé au faschisme dans les années 30, qu’est-ce qu’il y avait avant ? Ça n’empêchera jamais que des choses horribles se reproduisent, mais c’est une manière d’essayer. Je pense qu’il faut aussi multiplier nos moyens de communication. Par exemple, ce n’est  pas à Paris que Le Pen prend le plus de voies, c’est dans les petits villages. Donc il faut se demander comment on entre en contact avec ces gens-là, sans que ce soit paternaliste, sans que ce soit les citadins parisiens qui viennent leur expliquer la vie. Plutôt se demander comment comprendre leur besoin ? Quelles sont les conditions de vie de ces populations qui les amènent à voter massivement à l’extrême droite ? Interroger le pourquoi pour essayer d’arranger. Après, comment le faire, je ne sais pas.
 

Interview : Paola Serafin

Hilaria, récits intimes pour un féminisme révolutionnaire est publié aux éditions Divergences et sortira en librairies le 29 avril. Commandez-le auprès de vos librairies indépendantes !
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« LE VOYAGE SANS FIN », MONIQUE WITTIG
Monique Wittig, au-delà de ses essais, écrivait des romans, des contes, des pièces de théâtre. Le voyage sans fin entre dans cette dernière catégorie : réécriture fantasque et féministe de Don Quichotte, l’écrivaine raconte les aventures de deux femmes « guérillères », Quichotte et Panza, en contrecarrant à nouveau les marques du genre et les conventions. Préfacé par Wendy Delorme, l’ouvrage est disponible dès à présent aux éditions Gallimard, dans la collection L’Imaginaire.

LES « ATELIERS JURIDIQUES » PAR CONTEMPORAINES
Dans le but de donner aux artistes femmes, non-binaires et/ou transgenres les savoirs et outils pour monter leur projet, le collectif Contemporaines organisent de nouveaux « Ateliers Juridiques ». Ils ont pour but de familiariser les demandeureuses aux différents types de contrats dans le marché de l’art. Les ateliers sont accessibles sur inscriptions juste ici, et auront lieu le 26 avril à Vitry-sur-Seine, et le 4 mai à Marseille.

EXPOSITION ET PROJECTION AVEC CINEFFABLE X LES ARCHIVES LESBIENNES
Le mardi 26 avril, à l’occasion de la journée internationale de la visibilité lesbienne, les archives lesbiennes investissent le centre Pompidou à Paris ! Quarante ans de luttes seront regroupés en une collection d'archives sélectionnées pour l’occasion. L’expo aura lieu de 18h à 21h, et sera suivi d’une projection de court-métrages par le collectif Cineffable. L’événement est accessible sur inscription en envoyant votre nom et prénom à l’adresse ddct-egalite@paris.fr, objet "Inscription JVL".

Ghoslty Kisses - Play Dead
Eartheater - Spill the Milk
Masahiko Sato- Valle Incantanta
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