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Hebdo n° 23/2022
13 juin 2022
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE : Confirmant le fait que la capture d’une autorité administrative par une entreprise en position dominante peut constituer un abus, la Cour de cassation rejette l’intégralité du pourvoi dans l’affaire du retard de l’entrée des génériques de Durogesic sur le marché et confirme ce faisant la sanction de 21 millions d’euros infligée au laboratoire Janssen-Cilag et à sa mère Johnson & Johnson

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : L’avocat général Rantos invite la Cour à préciser le critère de l’effet incitatif prévu par les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie de 2014

 

JURISPRUDENCE : Confirmant le fait que la capture d’une autorité administrative par une entreprise en position dominante peut constituer un abus, la Cour de cassation rejette l’intégralité du pourvoi dans l’affaire du retard de l’entrée des génériques de Durogesic sur le marché et confirme ce faisant la sanction de 21 millions d’euros infligée au laboratoire Janssen-Cilag et à sa mère Johnson & Johnson

 

Par arrêt adopté le 1er juin 2022, appelé à être publié au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rejetant dans son intégralité le pourvoi formé par le laboratoire Janssen-Cilag et sa mère Johnson & Johnson, est venu confirmer la sanction de 21 millions d’euros que leur a infligée la Cour d’appel de Paris au terme de son arrêt du 11 juillet 2019, rendu dans l’affaire du retard de l’entrée des génériques de Durogesic.

On se souvient que par décision n° 17-D-25 rendue le 20 décembre 2017, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné le laboratoire Janssen-Cilag, en tant qu’auteur, et sa mère Johnson & Johnson — imputabilité oblige — à hauteur de 25 millions d’euros, pour avoir mis en œuvre, du 25 mars 2008 à la mi-août 2009, soit pendant 16 mois, deux pratiques constitutives d’une infraction complexe et continue visant à empêcher, puis à limiter la pénétration des génériques concurrents du médicament princeps le Durogesic, un antalgique opioïde puissant, prescrit pour le traitement de la douleur sévère et commercialisé sous forme de patch, et ce, à l’occasion de l’ouverture à la concurrence des marchés français de son principe actif, le fentanyl. La pratique d’éviction retenue par l’Autorité avait pour objet de favoriser le princeps Durogesic commercialisé par Janssen-Cilag en retardant l’arrivée des génériques sur le marché.

Le brevet protégeant la formulation du Durogesic, c’est-à-dire du fentanyl commercialisé d’abord sous forme de patch « à réservoir », puis sous forme de patchs dits « matriciels », avait expiré en juillet 2005. Dès le 4 avril 2006, l’autorité de santé allemande accordait une autorisation de mise sur le marché à la saisissante, Ratiopharm, devenue Teva, pour ses patchs de fentanyl génériques. Elle a été suivie en cela, via une procédure de reconnaissance mutuelle, par la Commission européenne, à la faveur d’une décision du 23 octobre 2007.

Au moment des faits, Janssen-Cilag jouissait d’une position dominante sur deux marchés connexes, celui du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé en ville et, d’autre part, celui du fentanyl en dispositif transdermique commercialisé à l’hôpital.

L’Autorité avait alors rappelé que le contexte dans lequel se sont produites les pratiques sanctionnées était marqué par la prudence, voire l’aversion au risque des professionnels de la santé (médecins et pharmaciens) et des représentants de l’agence française de santé. Elle insistait également sur le rôle central de la visite médicale qui constitue en effet, pour les médecins, une source majeure d’information sur les médicaments et qui impose à ceux qui l’effectuent, en l’occurrence les visiteurs médicaux, de partager les informations dont ils disposent de façon absolument objective, complète et fiable. La première pratique reprochée à Janssen-Cilag relevait en quelque sorte d’une tentative de capture du régulateur sectoriel, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS, devenue ANSM). Le laboratoire princeps aurait ainsi manipulé l’autorité qui délivre les autorisations de mise sur le marché des médicament (« AMM »), afin qu’elle retarde l’entrée des génériques, alors même qu’elle était tenue par la décision de la Commission accordant le statut de générique au fentanyl commercialisé sous forme de patch. Plus spécifiquement, le laboratoire princeps aurait présenté à l’AFSSAPS des arguments juridiquement infondés portant sur les conditions de fond de délivrance d’une AMM pour des spécialités génériques, afin de la convaincre de refuser l’octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen. En clair, le laboratoire princeps serait revenu sur les conditions de fond d’attribution d’une AMM pour les spécialités génériques de fentanyl transdermique (remise en cause de la bioéquivalence, de la condition d’identité de quantité et qualité du principe actif et de la condition relative à la forme pharmaceutique), afin de retarder et la reconnaissance du statut de générique à ces spécialités et l’inscription desdits génériques au répertoire des groupes générique, laquelle inscription permet la mise en œuvre du droit de substitution au princeps par les pharmaciens, droit de substitition qui constitue l’un des principaux vecteurs de conquête de parts de marché pour les fabricants de génériques, et ce, alors que l’agence française de santé — l’AFSSAPS — ne disposait d’aucune marge de manœuvre pour revenir sur ce statut de générique, reconnu par la décision du 23 octobre 2007 de la Commission européenne, non plus que pour inscrire ledit générique au répertoire des groupes générique. C’est cette première pratique qui était essentiellement en cause dans la présente procédure devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

La seconde pratique reprochée à Janssen-Cilag tenait à ce que celle-ci avait, une fois ces autorisations octroyées, diffusé, jusqu'à mi-août 2009, un discours dénigrant sur les spécialités Ratiopharm auprès de professionnels de santé exerçant en milieu hospitalier et en ville.

À la faveur de son arrêt, la Cour d’appel de Paris, constatant que, si, dans le cadre de son intervention auprès de l’AFSSAPS, la société Janssen-Cilag avait remis en cause la qualité de générique des spécialités Ratiopharm et s’était opposée à leur inscription dans le répertoire des groupes génériques, condition sine qua non pour pouvoir les substituer aux spécialités de Durogesic, spécialités de référence, en revanche, cette intervention ne visait pas à remettre en cause la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm. De sorte que la Cour de Paris a estimé que l’Autorité avait considéré le premier terme de l’infraction unique comme plus grave qu’il n’était, du fait de son constat erroné selon lequel l’intervention de la société Janssen-Cilag tendait à empêcher la délivrance d’AMM aux spécialités Ratiopharm. Par suite, la Cour d’appel a considéré qu’il y avait lieu de réduire de 15 % à 13 % la proportion de la valeur des ventes de Durogesic réalisées par Janssen-Cilag en 2008. Ce faisant, la Cour d’appel réduit l’amende infligée à Janssen-Cilag et à sa mère de 4 millions d’euros, la faisant passer de 25 à 21 millions d’euros.

Dans son pourvoi, le laboratoire et sa maison mère ont soulevé six moyens dont cinq ont été jugé recevables.

Par leur premier moyen de cassation, les requérantes faisaient valoir que l’Autorité de la concurrence n’était pas compétente pour apprécier les arguments juridiques développés par la société Janssen-Cilag devant l’AFSSAPS. Elles faisaient valoir, en substance, que le directeur général de l'AFSSAPS, qui dispose d’une compétence exclusive pour se prononcer sur l'identification d'un médicament comme une spécialité générique et sur son inscription au répertoire des groupes génériques, est seul compétent pour apprécier, sous le contrôle du juge administratif, le bien fondé, au regard des normes du code de la santé publique, des arguments juridiques et scientifiques soulevés par un laboratoire pharmaceutique dans le cadre de l'instruction préparatoire à l'édiction de telles décisions. Et ce, d’autant plus que l'examen du bien-fondé de l'argumentation soulevée par le laboratoire à laquelle l'Autorité s'était livrée n'était pas détachable d'une appréciation de la légalité de la décision administrative du 28 juillet 2008 par laquelle le directeur général de l'AFSSAPS y avait fait droit et que la Cour d’appel ne pouvait opposer les appréciations de caractère juridique, pour lesquelles l'Autorité disposerait d'une plénitude de compétence, lesquelles sont indissociables de considérations de nature scientifique et impliquent une expertise de cette nature. De sorte que la Cour d’appel a violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, se livrer elle-même à cette appréciation, qui relevait de la compétence exclusive de la juridiction administrative.

Sur quoi la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond que la Cour d’appel de Paris, qui a estimé que des appréciations scientifiques n'étaient pas requises, au cas d'espèce, pour analyser la réglementation juridique en cause et que l'Autorité ne s'était pas livrée à de telles appréciations, n'a méconnu ni les pouvoirs et attributions de l'AFSSAPS et de son directeur général, ni la séparation des pouvoirs, ni la jurisprudence de la CJUE sur les compétences respectives des autorités sanitaires et des autorités de concurrence, et a, à bon droit, décidé que l'Autorité était compétente pour qualifier les comportements reprochés à la seule société Janssen-Cilag, au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce dont elle est chargée de vérifier le respect et, le cas échéant, de sanctionner les pratiques qui y sont contraires (pts. 6-8).

Par leur deuxième moyen de cassation, les requérantes reprochaient à la Cour d’appel d’avoir rejeter le moyen d'annulation de la décision de l'Autorité pris du défaut de notification des actes d'instruction au ministre chargé de la santé, estimant que ce défaut de notification au ministre avait privé les mises en cause des garanties du contradictoire, dès lors que les réponses que de simples agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM avaient pu donner lors de leur audition par les services de l'instruction de l'Autorité ne pouvaient être tenues pour équipollentes à l'avis que le ministre chargé de la santé, autorité de tutelle de l'établissement dont relevaient ces agents, aurait lui-même pu donner s'il avait été mis en mesure de le faire par la communication du rapport.

Sur ce point, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient que c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que la Cour de Paris a pu souverainement retenir que le défaut de notification du rapport au ministre de la santé, qui s'analysait certes comme un manquement à une consultation obligatoire, n'avait pu avoir d'influence sur le sens de la décision de l'Autorité, ce dont elle a déduit qu'il n'y avait pas lieu de l’annuler, dès lors que les auditions d'agents de l'AFSSAPS et de l'ANSM, auxquelles il avait été procédé au cours de l'instruction, avaient éclairé suffisamment l'Autorité sur le cadre juridique et scientifique dans lequel les pratiques en cause avaient été relevées, de sorte que l‘absence d'avis du ministre chargé de la santé n'a pu, en l'espèce, la priver d'éléments de compréhension de ce cadre ni avoir une incidence sur son interprétation (pts. 11-13).

Par leur troisième moyen de cassation, les requérantes contestaient la détermination du cadre réglementaire dans lequel s'était inscrite l'intervention du laboratoire Janssen-Cilag auprès de l’AFSSAPS. En substance, elles soutenaient que les Etats membres de l'Union européenne jouissent d'une compétence exclusive pour déterminer les conditions et les procédures par lesquelles un médicament peut se voir reconnaître la qualité de médicament générique au sens et pour l'application de leur législation interne de sécurité sociale autorisant la substitution par les pharmaciens de médicaments génériques aux médicaments de référence, là où la Cour d’appel de Paris avait, à l’instar de l’Autorité, considéré que, compte tenu de la décision antérieure de la Commission reconnaissant la qualité de médicament générique aux spécialités Ratiopharm, l'AFSSAPS avait une compétence liée en ce qui concerne l'octroi d'une AMM à ces spécialités, dès lors qu’un médicament ne peut à la fois être qualifié de médicament générique, au sens du droit de l'Union, et se voir dénier la qualité de spécialité générique, au sens du droit national.

Sur quoi la Chambre commerciale de la Cour de cassation estime que la Cour d'appel, qui n'a méconnu aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, mais a au contraire mis en oeuvre, conformément au principe d'effectivité du droit de l'Union, une interprétation des textes nationaux à la lumière de ce dernier propre à garantir la cohérence de l'ensemble des législations en cause, a statué à bon droit.

Par leur quatrième moyen de cassation, les requérantes contestaient la qualification des pratiques mises en oeuvre comme un abus de position dominante. Selon elles, le simple fait, de la part d'une entreprise en position dominante, de soumettre, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d'informations factuelles trompeuses, une argumentation juridique contraire au droit positif existant ou supposé tel à une autorité administrative pleinement compétente pour en apprécier elle-même les mérites ne relève que de l'exercice normal de la liberté fondamentale d'expression qui doit gouverner le dialogue entre les entreprises et les administrations dont elles relèvent et ne saurait être regardé comme un abus au sens des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. D’autant plus que le régulateur n’est pas tenu de faire droit à cette argumentation. Elles contestaient le fait même pour la société Janssen-Cilag d'avoir « soulevé » un débat juridiquement infondé devant le directeur de l'AFSSAPS soit de nature à produire un effet anticoncurrentiel. Ainsi, l'AFSSAPS avait en dernier lieu le pouvoir d'apprécier si les spécialités Ratiopharm devaient être identifiées comme médicaments génériques aux fins d'exercice du droit de substitution. Elles contestaient encore qu’il existât une interprétation « constante des textes applicables » qui aurait établi l'évidence d'un défaut de pouvoir du directeur général de l'AFSSAPS pour se prononcer sur la qualification de médicament générique des spécialités Ratiopharm, mettant en avant le fait que l'état du droit demeurait à tout le moins incertain à l'époque des faits.

À cet égard, la Chambre commerciale de la Cour de cassation tire des énonciations et appréciations de la Cour d’appel que le comportement en cause ne s'insérait pas dans un débat d'intérêt général relatif aux conséquences sanitaires de l'entrée sur le marché d'un nouveau médicament mais dans une stratégie visant à retarder le développement sur le marché de produits concurrents et dont la mise en oeuvre, dans les circonstances propres au contexte dont elle a relevé les caractéristiques, pouvait, à lui seul, produire cet effet anticoncurrentiel, peu important la capacité décisionnaire exclusive de l'autorité de santé, cependant que l'état du droit devant être connu par l'opérateur dominant résultait d'un arrêt du Conseil d'Etat, aurait-il été unique, qui établissait les conséquences de plein droit, en matière d'inscription sur le répertoire des médicaments génériques, d'une AMM d'un médicament générique, peu important qu'elle fût intervenue sur la seule initiative de l'autorité nationale et non en exécution d'une décision de la Commission européenne, la loi ainsi interprétée ne faisant aucune distinction sur cet effet en fonction de la nature de l'autorité ayant pris une telle décision. Par suite, la Cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de la libre recherche scientifique et n'a pas porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit à la liberté d'expression de la société Janssen-Cilag au regard de la nécessité de préserver l'ordre public concurrentiel, a, à bon droit, retenu que le comportement de cette société, qui ne s'était pas limitée à faire des préconisations scientifiques sur les modalités de substitution des génériques au princeps, ce qu'elle était en droit de faire, et peu important que le directeur général de l'AFSSAPS ait, dans l'attente d'informations complémentaires, réservé sa décision sur l'inscription des spécialités concernées sur le répertoire des génériques, était, en raison de sa responsabilité particulière née de sa position dominante sur le marché en cause, constitutif d'un abus de cette position (pt. 27).

Quant à leur sixième moyen de cassation, les requérantes reprochaient à la Cour d’appel de s’être fondée sur la seule décision AstraZeneca de la Commission en date du 15 juin 2005 qui s'est prononcée sur le point de savoir si les interventions d'un laboratoire pharmaceutique auprès d'une autorité administrative nationale pouvaient tomber sous le coup de la prohibition des abus de position dominante lorsque le laboratoire pharmaceutique a soumis à l'autorité administrative en charge des brevets des informations factuelles inexactes et trompeuses en vue d'obtenir des décisions indues d'extension de la durée de ses droits de propriété industrielle. Ce faisant, la Cour d’appel de Paris avait, selon elles, porté atteinte aux principe de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique. Les requérantes soutenaient encore que la sanction à elles infligée était fondée sur une interprétation nouvelle des dispositions servant de fondement aux poursuites et que l'absence de précédent ayant sanctionné un laboratoire du fait de la présentation d'arguments juridiquement infondés à une autorité administrative, dans des conditions exclusives de toute manipulation par fourniture d'informations factuelles trompeuses, violait encore le principe de proportionnalité des peines. À tout le moins, ces éléments aurait dû conduire à une réduction de la sanction à titre de circonstance atténuante.

Sur quoi la Chambre commerciale de la Cour de cassation, relevant des constatations et appréciations de la Cour de Paris que la prohibition des comportements litigieux était accessible et raisonnablement prévisible pour un opérateur tel que la société Janssen-Cilag, estime que c'est à bon droit et sans méconnaître l'objet du litige, ni aucun des principes ni textes invoqués par le moyen, et en faisant application des critères d'infliction de la sanction défini par l'article L. 464-2 du code de commerce que la Cour d'appel a retenu que le caractère inédit d'une pratique anticoncurrentielle dont les diverses manifestations possibles, compte tenu de leur variété et complexité, ne sont pas énumérées de façon exhaustive ni dans le droit de l'Union, ni dans le droit interne, n'empêche pas sa sanction.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : L’avocat général Rantos invite la Cour à préciser le critère de l’effet incitatif prévu par les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie de 2014

 

Le 2 juin 2022, l’avocat général Athanasios Rantos a présenté ses conclusions dans l’affaire d’aides d’État C-470/20 (Veejaam et Espo) qui fait suite à une demande de décision préjudicielle formée par la Cour suprême estonienne concernant l’interprétation de l’article 108, § 3, TFUE, de l’article 1er, sous c), du règlement (UE) 2015/1589 ainsi que du point 50 des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie de 2014, et ce dans le cadre des litiges opposant deux producteurs d’énergies renouvelables, à savoir les sociétés Veejaam et Espo, à Elering — l’autorité estonienne chargée de l’octroi de l’aide aux énergies renouvelables —, et portant sur les demandes de paiement de l’aide aux énergies renouvelables prévue par la réglementation estonienne et introduites par lesdites sociétés.

À la suite du remplacement des équipements de production d’énergie à partir de ressources renouvelables pour lesquels elles avaient initialement reçu des aides d’État, ces sociétés ont introduit de nouvelles demandes d’aides d’État, lesquelles ont été rejetées par Elering au motif qu’elles ne remplissaient plus les conditions prescrites par le régime d’aides d’État aux énergies renouvelables réservées, d’une part, à l’électricité produite par un équipement de production entièrement nouveau et, d’autre part, aux nouveaux opérateurs afin de favoriser leur entrée sur le marché. Les recours introduits par les deux producteurs d’énergie ayant été successivement rejetés, elles ont formé un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi.

La Cour suprême estonienne pose cinq questions préjudicielles. Les deux premières portent sur l’interprétation du critère de l’« effet incitatif » qui constitue une condition préalable pour l’octroi d’une aide d’État à l’énergie et l’environnement en vertu des points 49 et 50 des lignes directrices de 2014. Les trois autres questions portent sur des aspects procéduraux liés à la juxtaposition des différents régimes d’aides d’État mis en place par la République d’Estonie et les conséquences procédurales du défaut de notification, le cas échéant, de ces régimes à la Commission.

Par sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si l’ancien régime est compatible avec le point 50 des lignes directrices de 2014, lequel prévoit qu’une aide est dépourvue d’effet incitatif si la demande d’aide du bénéficiaire a été adressée aux autorités nationales après le début des travaux liés au projet. De manière plus générale, elle demande ainsi à la Cour de se prononcer sur la portée des lignes directrices adoptées par la Commission dans l’hypothèse d’un éventuel conflit avec une décision adoptée par la Commission en matière d’aide d’État.

Rappelant que, lorsqu’un État membre notifie un projet d’aides conforme aux lignes directrices, la Commission doit, en principe, l’autoriser, l’avocat général Rantos précise que les États membres conservent la possibilité de notifier à la Commission des projets d’aide d’État qui ne satisfont pas aux critères prévus par cette communication et que la Commission peut autoriser de tels projets dans des circonstances exceptionnelles (pt. 32), notamment lorsque l’effet incitatif est assuré autrement que par l’introduction de la demande avant le lancement des travaux. En l’occurrence, observe-t-il, la Commission, en prenant en considération une série d’autres critères ainsi que les effets économiques concrets du régime d’aide en cause, a estimé que celui-ci contenait un « effet incitatif » nonobstant le fait que la demande d’aide d’un bénéficiaire peut être formulée après le début des travaux (pt. 33). Ainsi, la Commission a conclu que ce régime remplissait les conditions de l’effet incitatif, en constatant que, en l’absence de ces aides, le lancement de nouveaux projets concernant les énergies renouvelables ne se ferait pas avec l’ampleur et la célérité requises (pt. 34).

Eu égard à ce qui précède, l’avocat général Rantos propose de répondre à la première question préjudicielle que la condition de l’effet incitatif prévue au point 50 des lignes directrices de 2014 ne s’oppose pas à ce qu’un producteur d’énergie renouvelable puisse demander le versement d’une aide d’État après le lancement des travaux de réalisation d’un projet, à condition, toutefois, que toutes les autres conditions énoncées dans la décision de la Commission approuvant la compatibilité du régime d’aide concerné soient remplies.

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’effet incitatif des aides d’État existe dans l’hypothèse où le remplacement d’un équipement de production est la conséquence d’un changement du cadre juridique qui encadre de tels investissements.

Sur ce point, si l’avocat général Rantos estime que l’effet incitatif des aides d’État n’est pas exclu si l’investissement donnant lieu à une aide d’État a été effectué en raison d’une modification des conditions d’une autorisation environnementale (notamment lorsque l’aide initiale est devenue insuffisante en raison d’une modification des exigences environnementales), c’est sous réserve que l’aide octroyée remplisse les conditions imposées par la décision de la Commission approuvant la compatibilité du régime d’aide concerné. Or, en l’occurrence, le régime estonien, tel qu’approuvé par la Commission dans ses décisions de 2014 et 2017, vise à faciliter l’entrée sur le marché des énergies renouvelables de nouveaux opérateurs, et ce, pour une durée qui ne peut excéder 12 ans. Par suite, l’objectif du régime d’aides n’est pas de soutenir de manière permanente (ou du moins pour une période supérieure à 12 ans) des producteurs ayant déjà reçu une aide d’État pour procéder à des investissements en énergies renouvelables. Ainsi, outre le risque de surcompensation, admettre que chaque remplacement d’équipement contribuerait à faire courir une nouvelle période d’aide de 12 ans aurait comme résultat que les entreprises concernées reçoivent des subventions de manière automatique et (quasi) ininterrompue tout en éliminant ainsi tout risque commercial (pt. 45).

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la République d’Estonie a mis en exécution une aide nouvelle sans l’autorisation de la Commission. Plus précisément, elle s’interroge sur le point de savoir si la prorogation de la mise en œuvre de l’ancien régime, lequel était devenu une « aide existante » grâce à l’approbation opérée par la décision de 2014, au-delà de la date indiquée à la Commission constitue une « aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589.

Estimant que la prolongation de la durée de validité d’une aide existante doit être considérée comme une modification d’une aide existante et constitue, dès lors, en application de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, une aide nouvelle, l’avocat général Rantos propose à la Cour de répondre que, lorsque la Commission a, par une décision relative à une aide d’État, déclaré compatible avec le marché intérieur tant un régime d’aides existant que ses modifications envisagées, mais que l’État membre ne se conforme pas à son engagement de n’appliquer ce régime que jusqu’à une certaine date, l’application dudit régime au-delà de cette date est considérée comme une « aide nouvelle », au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589 (pts. 56-57).

Par ses quatrième et cinquième questions, que l’avocat général propose à la Cour de traiter ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge sur les effets d’une éventuelle violation de l’article 108, § 3, TFUE par rapport aux demandes d’aides d’État formulées par les requérantes pendant la période où ces aides pourraient être considérées comme illégales. Ces questions se posent, en substance, dans l’hypothèse où la Cour devait considérer que l’ancien régime constituait, pendant la période allant des années 2015 à 2017, une aide nouvelle et donc illégale. Ainsi, la quatrième question vise à déterminer si Veejaam et Espo pourraient bénéficier de l’aide déjà à partir de l’introduction de leur demande, pendant l’année 2016, ou seulement à compter de la date d’adoption de la décision de 2017. Quant à la cinquième question, elle est liée à la situation particulière d’Espo. En effet, cette société a demandé de pouvoir bénéficier de l’aide à un moment où celle-ci (à savoir en 2016) pourrait être considérée comme illégale, alors que la réalisation de l’investissement, au cours de l’année 2009, pourrait être couvert par l’autorisation de la décision de 2014.

Rappelant qu’il résulte de la qualification de l’ancien régime d’« aide nouvelle » en raison de la violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, § 3, TFUE que cette aide était « illégale » entre les années 2015 et 2017 et que ladite aide n’est devenue une « aide existante » (et donc « légale ») que le 6 décembre 2017, date à laquelle sa prolongation a été déclarée compatible avec le marché intérieur par la décision de la Commission (pt. 63), l’avocat général Rantos précise immédiatement que la décision d’approbation de la Commission n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les mesures d’aide non notifiées et contraires à l’article 108, § 3, TFUE. Dès lors que, dans la présente affaire, aucune aide n’a été versée aux requérantes pendant « la période d’illégalité » (entre les années 2015 et 2017) en relation avec leurs demandes présentées au cours de l’année 2016, se pose la question de savoir si, dans un tel cas, les autorités estoniennes peuvent verser cette aide de manière rétroactive en prenant comme point de départ non pas la date de la décision de 2017, mais celle de la date de la demande du versement de l’aide au cours de l’année 2016, dans la mesure où le droit national permettrait une telle démarche. L’avocat général Rantos suggère à la Cour de justice de l’Union de répondre à cette question par l’affirmative (pt. 67), si les règles procédurales nationales le permettent, et sous réserve que toutes les autres conditions énoncées dans la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’un régime d’aides d’État appliqué en violation de l’article 108, § 3, TFUE soient remplies (pt. 76) et notamment qu’une aide pour une durée maximale de 12 ans n’ait pas déjà été octroyée.

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