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SCOTCH & PENICILLIN
 Précédemment dans cette infolettre... 
Ayant été informé du fait qu’il existe, dans l’Est de la France, une base aérienne “Lieutenant-Colonel Tony Papin”, j’ai décidé de me rendre sur place (vu qu’il s’agit également de mon nom). 
Pour rendre les choses plus intéressantes, j’ai décidé de m’y rendre à pied (en courant, dans la mesure du possible) depuis Rennes. J’ai également prévu de me déplacer sans assistance (alternant campements sauvages et nuits d’hôtels).
J’estime qu’il me faudra entre 2 et 3 semaines pour parcourir les 654 km (au plus court). Le départ est prévu cet été.
L'entraînement se poursuit. Je viens de passer le cap des 1200 km courus depuis le début de l’année. J’enchaîne les kilomètres mais j’ai l’impression de mal me préparer. Je fais régulièrement des séances de fractionnés qui doivent développer ma résistance mais mes sorties longues sont toujours aussi douloureuses. Passés les 25 km j’ai du mal à tenir le rythme et alterne marche et course. Après, je ne prépare pas l’Ultra Trail du Mont-Blanc et le principal est d’arriver au bout (tant pis pour le panache).

Mon premier test grandeur nature a été, début juin, de relier Rennes à Saint-Malo en suivant le canal d’Ille et Rance (environ 110 km) sur 2 jours, avec une nuit en airbnb au milieu du parcours.
J’ai rempli mon sac de tout ce dont j’allais avoir besoin : vêtements de rechange, serviette, médicaments, nourriture. Avec la réserve de 2 litres d’eau le sac est bien plein et dépasse les 4 kg ; et tout ça sans avoir pris mon nécessaire de campement… 
Je pars de bon matin, trottant sur les chemins. Je fais même une petite halte “menthe à l’eau” à la buvette du marché. Pour le repas du midi, j’ai trouvé un petit restaurant brésilien très sympathique qui a accepté de m’accueillir en terrasse malgré ma puanteur (j'étais seul, ça ne gênait personne à part moi). Je me restaure d’une délicieuse salade de crudités et noix de cajou accompagnée d’un smoothie de fruits frais (et sa coupelle de chips). Je remplis ma réserve d’eau et cède ma place odorante à un cyclotouriste.
Pour digérer, je m’installe dans un ancien lavoir où je ferme un peu les yeux jusqu’au passage d’une péniche.
Je repars sous le soleil qui commence un peu à chauffer. Heureusement, j’ai pris ma nouvelle casquette “saharienne”, orange, avec sa protection de nuque. Légèreté et élégance (non). 
Le paysage est vraiment très agréable mais à partir de 30 km je commence à moins apprécier la sortie. 
Les symptômes de la fatigue sont :
  • l’impression de peser le double de son poid (je regrette d’avoir pris les chips) ;
  • une sensation d'oppression respiratoire, comme si mon sac était trop serré, et un souffle plus court (malgré une prise de Ventoline) ;
  • la perte de concentration à l’écoute d’un podcast ou de musique. Même le simple fait de porter des écouteurs m'insupporte ;
  • le ressassement de pensées négatives : “c’est si dur, je suis tellement fatigué, pourquoi ne pas s’allonger dans l’herbe une heure ou deux ?” Comme si je devais me trimballer un Jiminy Cricket maléfique sur l’épaule en plus de mon sac de 4 kg.
Dans ces moments-là, je me focalise sur une envie, très généralement culinaire. C’est bien souvent un coca très frais accompagné de TUC ; mais ce jour-là, ce qui me fait vraiment rêver, c'est du bouillon de poule avec des vermicelles. Signe que je suis très certainement déshydraté.
Le canal étant une zone plutôt touristique, il est bien équipé en toilettes publiques et zones d’accueil de plaisance et camping-car, je peux donc régulièrement me passer la tête sous l’eau fraîche. Sah, quel plaisir.
Vers 17h00 je reçois un message de mes hôtes me disant qu’ils s’absenteront vers 19h. Il me reste alors une quinzaine de kilomètres à faire. Je pense être large ; grosse erreur. Ces kilomètres sont interminables et franchement, si je n’avais pas déjà réservé un logement, je me serais même arrêté dans un fossé pour passer la nuit.
À 18h45, après 58,9 km, j’arrive finalement. Je peux prendre une douche, boire de l’eau pétillante, vomir l’eau pétillante et dormir un peu. Vers 21h00 je me réveille et j’ai un peu faim. Je réhydrate donc mon repas lyophilisé “riz et poulet au curry” Décathlon©. C’est vraiment bon. On ne peut pas en dire autant du Yabon faisant office de dessert.
Ensuite je dors parce que c’est la nuit.

Dimanche, 8h00. Petit déjeuner, vêtements propres de rechange, crèmage de pieds (qui, hormis les crampes, ne me font pas du tout souffrir et ça c'est chouette), remplissage de gourdes et c’est reparti.
Dès le départ je sens que c‘est difficile. Je ne trottine plus vraiment. J'alterne tout de suite des périodes de course (lente) et de marche. Régulièrement je me pose quelques minutes sur un banc pour boire un peu et reprendre mon souffle, puis je repars sur le même rythme. Ce n’est pas rapide mais ça me convient. J’arrive à Dinan. Cela signifie que je suis passé dans les Côtes d’Armor. C’est la première fois que je change de département par mes propres moyens (non motorisés)
C’est jour férié mais les commerces sont ouverts. J’en profite pour acheter une bouteille de thé glacé dans une boulangerie. Il y a une compétition de nage en eau libre dans le canal et je poursuis mon chemin en croisant les derniers participants, esseulés. Encore quelques kilomètres et je quitte les chemins de halage pour (après une côte interminable) suivre une voie cyclable qui m'emmènera quasiment en ligne droite jusqu'à Dinard. Je craignais que ce tronçon soit ennuyeux à mourir mais il est plutôt agréable et ombragé. Le temps est couvert, un peu plus frais que la veille mais j’ai toujours aussi chaud. Mon fantasme est de me baigner dans la piscine d’eau de mer de Dinard. À ce moment-là, je ne pense qu’à ça : me rincer de cette sueur puante et me laisser flotter.
Mais là il est 14h00 et, même si je n’ai pas très faim, il faut que je mange. Je sors mon second sachet lyophilisé “semoule aux légumes” Décathlon©. Ce plat peut être réhydraté avec de l’eau froide mais cela prend une heure. Je préfère opter pour la version “eau chaude” (prête en 8 mn) et décide d’aller frapper à la porte d’une maison (je n’ai pas de four micro-ondes sur moi). Un gentil/vieux monsieur accepte sans problème de me fournir en eau chaude directement au robinet. Merci à lui. Je me pose derrière une haie pour manger mon taboulet/soupe. C’est bon mais je n’ai pas assez faim pour finir. Des poules viennent me rendre visite. Je fais une micro-sieste allongé dans l’herbe et bercé par le passage des voitures sur la route toute proche.
Il me reste encore une vingtaine de kilomètres à parcourir. 
Un panneau indique “ami promeneur, porte ton regard sur l’horizon, et par temps clair tu pourras voir le Mont Saint-Michel.” C’est vrai (très très loin, mais vrai, croyez moi).
Du côté de Pleslin-Trigavou, j’entre dans une salle des fêtes aux portes ouvertes et je tombe sur le club de bridge du 3e âge qui m’autorise à utiliser leurs toilettes.
Il mouillasse un peu et la température a baissé. J’ai beaucoup moins envie de me baigner. Je me traîne et j’ai hâte que ça se termine.
J’arrive dans une zone commerciale. Je traverse des parkings et passe entre un Action et un Gifi. Je retrouve un dernier tronçon de voie verte qui débouche sur un quartier résidentiel et là, entre deux maisons, je la vois : la mer.
Je longe les gros hôtels et les villas cossues. Sur une terrasse, des enfants proposent de faire un spectacle contre une pièce mais j’ai peur de manquer de temps et continue, à regret (je ne connaîtrai jamais ce spectacle très certainement fabuleux). J’arrive enfin au port de plaisance d’où je vais pouvoir prendre le bateau jusqu’à Saint-Malo. On m’indique que le prochain départ est dans 5 mn, mais au quai le plus éloigné du port. Je vais donc encore devoir courir… On ne m’épargne rien.
Après cette dernière course digne des plus belles heures de La Carte aux Trésors, j’embarque juste à temps. Il est 17h15, mon train de retour est à 18h30. Cette fois je suis vraiment large.
Je débarque aux pieds des remparts. Comme j’ai le temps, je n’essaye même plus de courir. Je passe le long du palais du Grand Large où se termine le festival Étonnants Voyageurs. Il y a une ambiance de fin de fête. Dans le port, un énorme bateau de pêche-usine fabrique du surimi. Je m’arrête dans une supérette pour me récompenser d’un Volvic citron et d’un wrap Daunat au saumon. 
18h00, j’entre enfin dans la gare, je peux arrêter mon chrono. 55,8 km en presque 8 heures.
Ce n’est pas très rapide mais je m’en fous, je suis arrivé.
Mon TER est à quai. Je m'installe sur un strapontin dans l’entrée pour ne pas indisposer les autres voyageurs avec mon odeur de corsaire. Je mange tout doucement mon wrap (je ne veux pas revivre l’épisode du vomi de la veille). Le train se remplit de familles, poussettes, vélos. C’est le foutoir et la tension monte entre certains passagers. 
Le train démarre, je vais remonter en une petite heure tout le trajet effectué ces 2 derniers jours. Arrivé à Rennes, ma famille est venue me chercher à la gare pour m’épargner le bus.
Une délicieuse et chaude douche m’attend à la maison mais je dois avant tout couper aux ciseaux toutes les boulettes de colle dans mes poils de torse à cause des sparadraps censés protéger mes tétons des frottements.
Le mont Saint-Michmich
Cet entraînement a été l'occasion de juger mes capacités en situation et la conclusion est que je ne pourrai jamais faire les 50 km quotidiens prévus dans mon programme. Les derniers kilomètres quotidiens étaient une vraie souffrance et je préfèrerais que ce projet reste un plaisir. Je vais donc revoir mes ambitions à la baisse et me donner comme objectif de faire entre 40 et 45 km chaque jour. Ensuite, je verrais bien si je m’aguerris ou accumule de la fatigue.
L’impact est que je dois revoir mon parcours (j’avais déjà tracé la roadmap des 6 premiers jours) pour me donner de la souplesse tout en restant en capacité de me restaurer (supermarchés, café-restos) et de me requinquer (camping, gîte…). Il y a des zones rurales très vides où cela va être problématique (surtout au mois d’août).

J’ai également pu tester mon matériel en emportant tout ce qu’il me fallait pour ces 2 jours (sauf le nécessaire de camping). Le sac est déjà bien plein et je vais encore devoir sacrifier des choses : 
  • Le bas de survêtement pour la nuit prend trop de place. Je vais sans doute le remplacer par un legging ou un collant moins volumineux.
  • Je ne vais pouvoir prendre qu’un short et un tee-shirt de rechange. Je vais peut-être m’envoyer un colis à mi-parcours avec des vêtements propres (mais cela signifie que je devrai abandonner mes vêtements sales et ce n’est pas très éco-responsable).
  • J’ai acheté une brosse à dents en bois et, comme tout explorateur qui se respecte, j’ai scié le manche pour économiser quelques grammes. C’est vraiment superflu mais j’ai l'impression que c’est une sorte de rituel chamanique obligatoire.
  • La Ventoline ne m’a pas été d’un grand secours. Je dois pouvoir m’en passer.
  • Les tongs étaient franchement dispensables.
Niveau équipement, j’ai investi :
  • une cuillère-fourchette en plastique très mal conçue (mais je ne m’en suis rendu compte qu’à l’usage) : la cuillère pouvait servir de chausse-pied et avait les bords très coupants. Je l’ai remodelée et adoucie à coup de décapeur thermique et papier de verre grain 3000.
  • le minuscule opinel n°4 de mon enfance. Ouvert, il ne mesure que 11,5 cm mais, si comme moi vous avez vu 10e chambre, instant d’audience, vous savez qu’il vaut mieux éviter de se créer des problèmes.
  • des petits tubes de dentifrice “de voyage”.
  • après de nombreuses recherches et hésitations j’ai finalement acheté un tarp (une grande bâche ultra-légère) pour en faire une tente. Elle ne pèse que 500 g et permet de multiples agencements selon les besoins et la météo.
  • un “sac à viande” en soie. Ce n’est qu’un tissu très fin qui doit normalement servir en plus d’un duvet mais c’est ce que j’ai trouvé de plus léger (130 g) en espérant que les nuits d’août soient chaudes.
Je n’ai pas besoin d’autres choses : un savon, une lampe frontale, une batterie de secours avec un câble et une prise, des écouteurs, du sel, des médicaments de base. Pour l’imprévu, comme je ne traverse pas l’antarctique, je devrais pouvoir me débrouiller avec mes cartes bancaire et vitale.
 QUELQUES LIENS POUR FINIR 
  • L'horloge parlante vient de fermer, heureusement qu'il nous reste EnjoyPhoenix.
  • J'ai enfin compris (en gros) ce qu'était la quadrature du cercle.
  • J'aime les films d'Apichatpong Weerasethakul mais j'aime par dessus tout leurs ambiances sonores. Alors quelle joie que ce mix d'une heure de vent dans les arbres, de cricris et de pop Thaï.
  • Mindfuck : c'est le même petit oiseau que l'on trouve sur la pochette du premier Lou Reed et du premier Grandaddy !
  • I love refrigerators.
  • 1987 : vous vous souvenez de Luna Parker qui chantait "Tes états d'âmes Eric" ? et bien le Eric en question était Eric Tabuchi, co-auteur de l'Atlas des Régions Naturelles. Incroyable, non ? (source)
  • Je découvre le principe des "ignorant tatoos" dans cette vidéo très instructive (mais en anglais).
  • On a tout·es besoin de poésie. Heureusement que Jérémie Grandsenne nous fournit (abonnez-vous)
  • J'espère que les Zit Remedy pourront jouer à la fête de fin d'année du collège.
  • "Le Chips est un jeu aux règles et aux sanctions variables. A New York, les arbitres qui définissent ces règles sont membres d'une unité d'élite, appelée Unité Spéciale pour les Chipseurs. Voici leurs histoires..."
  • La chanson du moment : Chèques Vacances, par Gwendoline, bien évidemment.
Dédié à la mémoire de Julee Cruise

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