Copy
L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
Voir cet e-mail dans votre navigateur
Hebdo n° 26/2022
27 juin 2022
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union apporte d’importantes précisions sur l’application ratione temporis des règles régissant le délai de prescription pour l’introduction d’actions en réparation des dommages concurrentiels et sur celle des règles régissant la quantification du préjudice et la présomption réfragable de l’existence d'un préjudice résultant d’une entente

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Proposant l’application d’un nouveau critère pour juger de la recevabilité d’un recours en annulation introduit par des « parties intéressées » contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une aide notifiée, l’avocat général Rantos, estimant que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’affaire de l’aide en faveur de la banque italienne BMPS, invite la Cour à rejeter le pourvoi formé par la Commission

JURISPRUDENCE UE : Le Tribunal de l’Union confirme l’interdiction du projet de concentration entre thyssenkrupp et Tata Steel

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Validant le choix de la Commission de se départir, lors de l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur de la recapitalisation de la compagnie aérienne Finnair par ses propriétaires publics et privés au prorata de leur participation antérieure, de certaines exigences énoncées dans l’« Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de Covid-19 », le Tribunal rejette le recours de Ryanair

JURISPRUDENCE ACTIONS EN FOLLOW-ON : Estimant que, suite à l’annulation du marché public vicié par l’entente sur la signalisation routière verticale, les dépenses utiles engagées par l’auteur de la pratique anticoncurrentielle, au remboursement desquelles il peut prétendre, n’ont pas été correctement évaluées, le Conseil d’État annule l’arrêt de la Cour administrative d'appel de Douai et ordonne une expertise

JURISPRUDENCE : Constatant à son tour que l’Office des Postes et Télécommunications de la Nouvelle-Calédonie dispose d’un monopole de droit sur l’exploitation des réseaux et services relevant du service public des télécommunications et que l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie n’est pas compétente pour en connaître, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l’annulation de la première décision de mesures conservatoires prise par l'ACNC


JURISPRUDENCE OVS : Les sanctions encourues en cas d'obstruction aux OVS n’ont pas à être notifiées aux entreprises visitées ni cette formalité mentionnée dans le procès-verbal

INFOS : Persistant dans la voie des engagements, l’Autorité de la concurrence accepte et rend obligatoires les ultimes propositions de Google à propos de la juste rémunération des droits voisins, laquelle repose largement sur un mécanisme de recours à un arbitrage contraignant et pris en charge par le moteur de recherche


INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : La décision autorisant sans condition le rachat de Conforama par But, au bénéfice de l’application, pour la première fois depuis 20 ans, de l’exception de l’entreprise défaillante est en ligne (+ 20 décisions d’autorisation, dont 19 simplifiées)

ANNONCE COLLOQUE : « Regards économiques sur le droit de la concurrence : private enforcement, marché pertinent et réforme sur les restrictions verticales » à l’occasion de l’assemblée générale de l’AFEC — Paris, 7 juillet 2022 [Message de Mathilde Boudou]

 

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union apporte d’importantes précisions sur l’application ratione temporis des règles régissant le délai de prescription pour l’introduction d’actions en réparation des dommages concurrentiels et sur celle des règles régissant la quantification du préjudice et la présomption réfragable de l’existence d'un préjudice résultant d’une entente

 

Le 22 juin 2022, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-267/20 (Volvo AB et DAF Trucks NV contre RM).

Ainsi que l’y avait invité l’avocat général Rantos dans ses conclusions présentées le 28 octobre 2021, la Cour, qui suit du reste l’essentiel de ses recommandations, est venue préciser le champ d’application temporel des règles régissant le délai de prescription pour l’introduction des recours en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence ainsi que des règles régissant la quantification du préjudice résultant de telles infractions et la présomption réfragable relative à l’existence d'un préjudice résultant d’une entente

À la suite de la décision du 19 juillet 2016, à la faveur de laquelle la Commission a sanctionné plusieurs fabricants de camions, parmi lesquels AB Volvo et DAF Trucks, pour avoir participé, de 1997 à 2011, à une entente sur les prix des camions, l’acquéreur de trois camions fabriqués par ces deux sociétés a obtenu devant une juridiction espagnole une réparation de son préjudice, estimé à 15 % du prix d’acquisition des camions.

Pour ce faire, le juge a écarté le moyen des constructeurs tiré de la prescription de l’action, concluant à l’applicabilité du délai de cinq ans prévu dans la législation espagnole qui a transposé la directive « dommages » de 2014.

Les deux sociétés ont alors fait appel de ce jugement devant la Cour provinciale de Léon, en faisant valoir, d’une part, que l’action était prescrite car le délai d’un an prévu par le régime de responsabilité extracontractuelle du code civil aurait commencé à courir à compter de la publication du communiqué de presse relative à la décision de la commission, le 19 juillet 2016. D’autre part, elles contestent l’existence d’un lien de causalité entre l’entente et l’augmentation du prix des camions.
 
Dans ce contexte, la Cour provinciale de Léon a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles visant à savoir si l’article 10 et l’article 17, §§ 1 et 2, de la directive 2014/104 — qui établissent respectivement les règles i) de prescription des actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, ii) de quantification du préjudice résultant de telles infractions et iii) de présomption de l’existence de ce préjudice —, sont applicables à un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une entente qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de cette directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

S’agissant d’abord de l’application ratione temporis de la directive 2014/104, la Cour rappelle qu’elle est limitée par son article 22 qui établit une distinction entre les « dispositions substantielles », qui ne s’appliquent pas rétroactivement, et les « dispositions procédurales », qui s’appliquent dans le cadre d'actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie après l’entrée en vigueur de ladite directive, soit après le 26 décembre 2014 (pts. 36-37). Dès lors, afin de déterminer l’applicabilité temporelle des dispositions de la directive 2014/104, il convient d’établir, en premier lieu, si la disposition concernée constitue une disposition substantielle ou non (pt. 38).

S’agissant de l’applicabilité temporelle de l’article 10 de la directive 2014/104, qui établit les règles relatives à la prescription des actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, la Cour relève, ensuite, que de telles règles protègent tant la personne lésée que la personne responsable du dommage (pt. 45). Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour que les délais de prescription, en entraînant l’extinction de l’action en justice, se rapportent au droit matériel, puisqu’il affecte l’exercice d’un droit subjectif dont la personne concernée ne peut plus se prévaloir effectivement en justice (pt. 46). Dès lors, l’article 10 de la directive 2014/104 est une disposition substantielle, au sens de l’article 22, § 1, de cette directive (pt. 47), pour laquelle l’application rétroactive des dispositions de transposition est exclue au titre de la directive.

Dès lors que la directive 2014/104 a été transposée dans l’ordre juridique espagnol cinq mois après l’expiration de son délai de transposition, fixé au 27 décembre 2016, la Cour considère que, afin de déterminer l’applicabilité temporelle de l’article 10 de cette directive, il convient de vérifier si la situation juridique en cause au principal était acquise avant l’expiration du délai de transposition de ladite directive ou si elle continue à produire ses effets après l’expiration de ce délai (pt. 48). Ainsi, la Cour s’attache à établir si, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, à savoir le 27 décembre 2016, le délai de prescription applicable à la situation en cause au principal s’était écoulé, ce qui implique de déterminer le moment auquel ce délai de prescription a commencé à courir (pt. 49). Or, avant la transposition de ladite directive dans le droit espagnol, le délai de prescription, d’une durée d’un an, ne commençait à courir qu’à partir du moment où le requérant concerné avait pris connaissance des faits générateurs de responsabilité (pt. 51).
 
Rappelant que les litiges concernant des infractions au droit de la concurrence de l’Union et au droit national de la concurrence se caractérisent, en principe, par une asymétrie d’information au détriment de la personne lésée, la Cour retient que les délais de prescription applicables aux recours en dommages et intérêts pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union ne sauraient commencer à courir avant que l’infraction n’ait cessé et que la personne lésée n’ait pris connaissance ou ne puisse raisonnablement être considérée comme ayant pris connaissance des informations indispensables pour l’introduction de son action en dommages et intérêts (pt. 56), à savoir l’existence d’une infraction au droit de la concurrence, l’existence d’un préjudice, le lien de causalité entre ce préjudice et cette infraction ainsi que l’identité de l’auteur de celle-ci (pt. 60).

Au cas d’espèce, relève la Cour, le communiqué de presse de la décision de la Commission constatant l’entente, diffusé le 19 juillet 2016, ne semble pas identifier avec la précision du résumé, publié le 6 avril 2017, l’identité des auteurs de l’infraction, sa durée exacte et les produits concernés. Dans ces conditions, la pleine effectivité de l’article 101 TFUE exige de considérer que, en l’occurrence, le délai de prescription du recours en indemnisation introduit par RM a commencé à courir le jour de la publication du résumé de la décision de la Commission (pts. 70-72).

Dans la mesure où tel serait le cas, dans le litige au principal, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, l’article 10 de ladite directive est applicable ratione temporis en l’occurrence (pt. 75).

S’agissant de l’applicabilité temporelle de l’article 17, § 1, de la directive 2014/104, la Cour, observant que cette disposition vise à garantir l’effectivité des actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence, notamment dans des situations particulières dans lesquelles il serait pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le montant exact du préjudice subi et a pour objectif d’assouplir le niveau de preuve exigé aux fins de la détermination du montant du préjudice subi et de remédier à l’asymétrie d’information existant au détriment de la partie requérante concernée ainsi qu’aux difficultés résultant du fait que la quantification du préjudice subi nécessite d’évaluer la manière dont aurait évolué le marché concerné en l’absence d’infraction (pts. 81-82), conclut que l’article 17, § 1, de la directive 2014/104 constitue une disposition procédurale au sens de l’article 22, § 2, de cette directive (pt. 85), pour laquelle l’application des dispositions de transposition à des actions introduites avant le 26 décembre 2014 est exclue. Dès lors, relève de son champ d’application temporel un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant l’entrée en vigueur de ladite directive, a été introduit après le 26 décembre 2014 et après l’entrée en vigueur des dispositions nationales la transposant dans le droit national (pt. 89), ce qui est le cas de recours formé dans l’affaire au principal introduit le 1er avril 2018 (pt. 88).
 
Quant à l’applicabilité temporelle de l’article 17, § 2, de la directive 2014/104, établissant une présomption réfragable relative à l’existence du préjudice résultant d’une entente, la Cour souligne que cette disposition est directement liée à l’engagement de la responsabilité civile extracontractuelle de l’auteur de l’infraction concerné et affecte, en conséquence, directement la situation juridique de celui-ci (pt. 95). Une telle règle pouvant être qualifiée de règle de fond (pt. 97), la Cour considère que l’article 17, § 2, de la directive 2014/104 revêt une nature substantielle au sens de celle-ci (pt. 98), de sorte qu’une application rétroactive des dispositions le transposant en droit espagnol est interdite.

Dès lors que le fait identifié par le législateur de l’Union comme permettant de présumer l’existence d’un préjudice au titre de l’article 17, § 2, de la directive 2014/104 est la présence d’une entente, il convient de vérifier si la date à laquelle l’entente concernée a pris fin précède la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, cette dernière n’ayant pas été transposée dans le droit espagnol dans ce délai (pt. 102). Au cas d’espèce, l’entente a duré du 17 janvier 1997 au 18 janvier 2011, de sorte que cette infraction a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104 (pt. 103). Dès lors, conclut la Cour, la présomption réfragable qui est établie à l’article 17, § 2, de cette directive ne saurait être applicable ratione temporis à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement ladite directive dans le droit national, porte sur une infraction au droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci (pt. 104).

Je m’en tiens là. Le présent arrêt fera l’objet dans les prochains jours dans ces colonnes d’un commentaire circonstancié du professeur Rafael Amaro.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Proposant l’application d’un nouveau critère pour juger de la recevabilité d’un recours en annulation formé par des « parties intéressées » contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une aide notifiée, l’avocat général Rantos, estimant que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’affaire de l’aide en faveur de la banque italienne BMPS, invite la Cour à rejeter le pourvoi de la Commission

 

Le 21 juin 2022, l’avocat général Athanasios Rantos a présenté ses conclusions dans l’affaire d’aides d’État C-284/21 (Commission européenne contre Anthony Braesch e.a.), qui fait suite au pourvoi formé par la Commission à la faveur duquel elle demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 février 2021 rendu dans l’affaire T-161/18 (Braesch e.a. contre Commission), qui, rejetant l’exception d’irrecevabilité de la Commission, a déclaré recevable un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 4 juillet 2017 de ne pas soulever d’objections, approuvant, à l’issue de la phase préliminaire d’examen et sur la base des engagements offerts par les autorités italiennes, tant l’aide de trésorerie de quinze milliards d’euros en faveur de la banque italienne Banca Monte dei Paschi di Siena (BMPS) que l’aide à la recapitalisation préventive de celle-ci à hauteur de 5,4 milliards d’euros. Ces mesures d’aide, accompagnées d’un plan de restructuration et des engagements offerts par les autorités italiennes, ont été considérées comme constituant des aides d’État compatibles avec le marché intérieur pour des motifs de stabilité financière.

Le plan de restructuration, condition sine qua non de l’approbation de l’aide par la Commission, a entraîné l’annulation des contrats de financement. Les détenteurs de ces obligations FRESH ont formé un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections.

Dans un cadre factuel inédit, se pose à nouveau la question des conditions de recevabilité d’un recours en annulation introduit par des parties intéressées contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une aide notifiée, et, plus particulièrement, les conditions auxquelles des personnes, qui ne sont pas des concurrents d’un bénéficiaire de cette mesure ni ne prétendent être affectées par celle-ci sur le marché, peuvent être qualifiées d’« intéressé[e]s », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, ou de « parties intéressées », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, afin de se prévaloir de la qualité pour agir contre cette décision.

À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève un moyen unique tiré de ce que le Tribunal a erronément qualifié les requérants en première instance de « parties intéressées ».

En substance, la Commission fait valoir que la Cour n’a admis, en tant que parties intéressées, que les requérants démontrant que l’aide d’État litigieuse était susceptible d’avoir une incidence concrète « en lien avec la concurrence » sur leur situation, tandis que les parties défenderesses objectent que si, aux fins d’établir son statut de « partie intéressée », un requérant doit démontrer que la mesure litigieuse a une incidence préjudiciable sur sa situation, il n’est pas exigé que cette incidence soit de nature concurrentielle (pt. 26).

Pour l’avocat général Rantos, qui conclut au rejet du pourvoi de la Commission,  s’il ressort de la jurisprudence que la qualité de « partie intéressée » ne repose pas nécessairement sur l’existence d’une incidence concrète sur la situation du requérant en lien avec la concurrence, mais sur l’existence d’une incidence concrète sur sa situation qui peut être plus large, encore faut-il établir l’étendue et les limites d’une telle incidence concrète (pt. 32). Selon lui, la notion de « partie intéressée » ne saurait être étendue jusqu’à inclure toute partie qui peut déplorer une détérioration de sa situation matérielle par une simple comparaison de cette situation avant et après la décision de ne pas soulever d’objections. Il conviendrait donc, pour définir la notion de « partie intéressée », de se référer à un intérêt spécifique, à savoir un intérêt lié à l’application des règles en matière d’aides d’État et concernant donc des éléments pertinents pour l’appréciation de la compatibilité de l’aide (pt. 33). Ainsi, un tel intérêt spécifique, c’est-à-dire lié à l’application des règles en matière d’aides, pourrait être constaté lorsque le requérant est (ou risque d’être) affecté par l’octroi de l’aide litigieuse, c’est-à-dire lorsque cette aide, telle qu’approuvée par la Commission dans la décision de ne pas soulever d’objections, risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation, indépendamment de toute relation de concurrence (actuelle et potentielle), au sens de l’article 107, § 1, TFUE, avec le bénéficiaire de l’aide ou de toute incidence en lien avec la concurrence (pt. 34). Bref, si cette aide, telle qu’approuvée par la décision de ne pas soulever d’objections, est à l’origine de l’affectation du requérant, celui-ci peut être qualifié de « partie intéressée » (pt. 38).

Au cas d’espèce, l’avocat général Rantos rappelle que, par son moyen unique de pourvoi, la Commission, en substance, reproche au Tribunal d’avoir conclu que les requérants avaient la qualité pour agir en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE contre la décision litigieuse, en les qualifiant de « parties intéressées » simplement en raison de la perte économique qu’ils avaient prétendument subie en tant que détenteurs d’obligation FRESH, du fait des mesures de répartition des charges appliquées par la République italienne aux créanciers subordonnés de BMPS. Le Tribunal aurait ainsi suivi une interprétation excessivement large de la notion de « partie intéressée », incluant non seulement les entités pour lesquelles l’aide d’État pourrait avoir des effets concurrentiels, mais aussi les entités contestant d’autres aspects de cette aide, qui n’ont aucun lien avec la concurrence (pt. 40).

La difficulté principale de cette affaire, concède l’avocat général Rantos, réside dans le fait que les requérants en première instance ont été affectés non pas par les mesures en cause, c’est-à-dire par l’aide de trésorerie et par la recapitalisation en faveur de BMPS, mais plutôt par les mesures de répartition de charges qui font partie des engagements adoptés par les autorités italiennes aux fins de l’approbation de l’aide litigieuse et formant l’ensemble des mesures notifiées par ces autorités et approuvées par la Commission (pt. 42). Ce faisant, estime l’avocat général, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en constatant que les circonstances évoquées étaient suffisantes pour qualifier les requérantes de « parties intéressées » (pt. 43). Si l’annulation des contrats FRESH, qui a impliqué la perte du paiement des coupons liés aux obligations FRESH détenues par les requérants, est bien la conséquence de la décision des autorités italiennes d’envisager une répartition des charges à l’égard des actionnaires et des créanciers subordonnés de BMPS dans le cadre du plan de restructuration de celle-ci, les mesures en cause et les engagements revêtent un caractère indissociable, en ce que ces derniers conditionnent la déclaration de compatibilité (pt. 45).

En conclusion, l’avocat général Rantos soutient que la Commission n’a pas démontré que le Tribunal avait commis une erreur de droit lorsque, en rejetant l’exception d’irrecevabilité soulevée par cette dernière, il a déclaré le recours recevable (pt. 52).

JURISPRUDENCE UE : Le Tribunal de l’Union confirme l’interdiction du projet de concentration entre thyssenkrupp et Tata Steel

 

Le 22 juin 2022, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire T-584/19 (thyssenkrupp AG contre Commission européenne). Il y confirme la décision de la Commission du 11 juin 2019 interdisant le projet de concentration entre thyssenkrupp et Tata Steel
 
Thyssenkrupp, groupe industriel allemand, et Tata Steel, société dont le siège social se trouve en Inde, sont tous deux actifs notamment dans la fabrication et la fourniture de produits d’acier plat au carbone et d’acier magnétique. Le 25 septembre 2018, elles ont notifié à la Commission leur projet d’acquérir le contrôle conjoint d’une entreprise commune nouvellement créée. La Commission a estimé que le projet de concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et a décidé d’engager une procédure d’examen approfondi. Le projet concernait principalement des produits en acier à revêtement métallique et laminé destinés à l’emballage et des produits en acier galvanisé à chaud utilisés dans le secteur automobile.
 
La Commission a adopté une communication des griefs par laquelle elle a conclu à titre préliminaire que l’opération de concentration envisagée donnerait lieu à une entrave significative à une concurrence effective dans une partie substantielle du marché intérieur. Après un échange avec les entreprises en cause et la formulation de demandes d’informations auprès d’un certain nombre d’acteurs du marché, notamment des concurrents et des clients, la Commission a déclaré l’opération incompatible avec le marché intérieur et l’Espace économique européen (EEE).
 
La Commission a considéré que l’opération entraînerait une entrave significative à une concurrence effective, notamment en raison d’effets horizontaux non coordonnés résultant de l’élimination d’une forte contrainte concurrentielle. Dès lors, les clients auraient été confrontés à une réduction du nombre de fournisseurs, ainsi qu’à une hausse des prix.
 
Selon la Commission, les mesures correctives proposées par thyssenkrupp et Tata Steel ne répondaient pas pleinement et durablement aux problèmes de concurrence soulevés.

Thyssenkrupp a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de la décision.

Dans son arrêt de ce jour, le Tribunal rejette l’ensemble des arguments invoqués par l’entreprise et confirme la décision de la Commission.

Ce faisant, le Tribunal approuve les appréciations de la Commission concernant la définition des marchés de produits en cause, à savoir ceux de l’Auto HDG et de l’acier destiné à l’emballage, confirmant que la Commission n’était pas tenue d’appliquer le test SSNIP, dans la mesure où il lui est loisible de prendre en compte d’autres outils aux fins de définir le marché pertinent, tels que des études de marché ou une évaluation des points de vue des clients et des concurrents (pt. 76). Il approuve encore la Commission d’avoir conclu que le HDG et l’EG, n’étant pas substituables, n’appartenaient pas au même marché de produits pertinent de l’acier galvanisé (pt. 93). Par ailleurs, le Tribunal  confirme la définition d’un marché de produits distinct pour l’acier laminé (pt. 144).

Le Tribunal parvient à la même conclusion concernant la définition du marché géographique en cause aux termes de laquelle la Commission a constaté que l’approvisionnement comme la fourniture d’acier plat au carbone se faisant principalement au niveau de l’EEE et que les prix de l’acier plat au carbone ne sont pas fixés au niveau mondial. À cet égard, il retient que la Commission n’a pas méconnu les critères prévus dans la communication sur la définition du marché (pt. 158) et que la requérante n’est pas parvenu à démontrer que les appréciations de la Commission étaient erronées.

Le Tribunal confirme encore les conclusions de la Commission selon lesquelles  l’opération de concentration envisagée aurait donné lieu à une entrave significative à une concurrence effective (ESCE) dans une partie substantielle du marché intérieur, au sens de l’article 2 du règlement n° 139/2004. À cet égard, la Commission a expliqué à suffisance les facteurs qui l’avaient amenée à conclure que Tata Steel Limited constituait une importante contrainte concurrentielle et dans quelle mesure et que ArcelorMittal n’aurait pas été incitée à réagir aux hausses de prix de l’entité issue de la concentration après l’opération, en augmentant son offre à des prix plus bas aux clients du secteur automobile, dans la mesure où les marges supplémentaires que générerait ArcelorMittal en accroissant sa production seraient neutralisées par une diminution des marges sur sa large base de ventes existantes, ce qui ne serait pas le cas si elle suivait l’augmentation de prix des parties pour l’ensemble de sa base de ventes (pt. 284). Le Tribunal considère que cette analyse n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation (pt. 290). Il confirme par ailleurs que les entreprises sidérurgiques autres qu’ArcelorMittal ne disposaient pas de capacité de réserve et donc ne seraient pas en mesure de contrer une éventuelle augmentation de prix par l’entité issue de la concentration (pt. 361). Il récuse également toutes erreurs dans le calcul de l’IHH, confirmant du même coup l’évaluation du degré de concentration sur le marché de l’Auto HDG (pt. 382). À cet égard, le Tribunal fait sienne les conclusions selon lesquelles sur ce marché, Thyssenkrupp et Tata Steel sont des concurrents importants, du fait de leur intégration verticale et du fait qu’elles sont les seules à disposer de toutes les capacités techniques nécessaires pour répondre à la demande des clients automobiles, Tata Steel est un important moteur de la concurrence et la concentration entraînerait son élimination sur le prétendu marché de l’Auto HDG (pt. 492). Il confirme au surplus les conclusions selon lesquelles les parties à la concentration — Thyssenkrupp et Tata Steel — sont des concurrents particulièrement proches sur le marché de l’Auto HDG dans l’EEE (pt. 532) et les importations constituent une contrainte concurrentielle limitée sur les fournisseurs de l’EEE dans le secteur de l’Auto HDG à l’intérieur de l’EEE (pt. 551).

Le Tribunal parvient à des conclusions sensiblement identiques à propos des constatations de la Commission selon lesquelles l’opération de concentration envisagée aurait donné lieu à une entrave significative à une concurrence effective sur les marchés de la production et la fourniture de fer-blanc, ainsi que sur celui de l’acier revêtu de chrome électrolytique destinés à l’emballage  et sur celui de l’acier laminé.

La Requérante contestait encore l’appréciation portée par la Commission sur les mesures correctives proposées par les parties. Elle faisait d’abord valoir que, pour apprécier les mesures correctives proposées par les parties, la Commission avait appliqué un critère juridique plus strict que celui prévu par le règlement n° 139/2004 et la communication sur les mesures correctives. La Commission aurait de façon erronée exigé que ces mesures restaurent la concurrence antérieure à la concentration que l’opération notifiée allait supprimer au lieu d’examiner si lesdites mesures élimineraient les problèmes de concurrence. Sur quoi le Tribunal relève que la Commission a effectué une analyse globale des problèmes de concurrence que les engagements visaient à évincer et ne s’est pas uniquement et strictement cantonnée à étudier la capacité de ces engagements à restaurer exactement la concurrence qui aurait été éliminée du fait de l’opération (pt. 767), de sorte que l’analyse de la Commission relative à son appréciation sur les engagements proposés par les parties, est conforme à la communication sur les mesures correctives (pt. 772) et que la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir appliqué, dans la décision attaquée, un critère juridique plus strict que celui prévu par le règlement n° 139/2004 et la communication sur les mesures correctives, en soutenant que celle-ci exigeait la restauration de la concurrence ou la suppression du chevauchement complet des activités des parties sur le marché en cause, ce qui n’est pas le cas (pt. 782).

La requérante soutenait aussi que la Commission aurait surévalué l’importance de l’intégration verticale , laquelle ne serait pas nécessaire pour pouvoir exercer une concurrence effective sur le marché de l’Auto HDG. Or, répond le Tribunal, eu égard à l’importance de l’intégration verticale pour des produits de haute qualité, tels que l’Auto HDG, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir méconnu le paragraphe 47 de la communication sur les mesures correctives, en écartant les engagements révisés du 23 avril 2019, lesquels se bornaient à exiger que l’acquéreur dispose de suffisamment d’activités existantes dans l’industrie sidérurgique. En effet, ces engagements ne comportaient pas, comme le prescrit ce paragraphe, de critères de pertinence, notamment en ce qui concerne les capacités en amont existantes de l’acquéreur, lui garantissant ainsi ladite intégration verticale, qui auraient permis à la Commission de déterminer si la cession de l’activité à cet acquéreur était susceptible de résoudre les problèmes de concurrence recensés (pt. 805). Au final, la requérante n’a nullement démontré que la Commission n’avait pas apprécié de manière précise et cohérente les mesures correctives concernant l’Auto HDG (pt. 824), non plus qu’elle ne saurait valablement reprocher à la Commission d’avoir commis des erreurs manifestes d’appréciation dans son analyse des mesures correctives concernant l’acier destiné à l’emballage (pt. 854) ou encore qu’elle ne saurait valablement reprocher à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation dans son évaluation de l’intérêt exprimé par les acquéreurs potentiels des activités à céder concernant l’Auto HDG et l’acier pour emballage, dans le cadre de l’analyse des mesures correctives (pt. 871) ou d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation dans son évaluation de la solution de « l’acquéreur initial » proposée par les parties dans leurs engagements révisés du 23 avril 2019 (pt. 896).

Enfin, quant à la violation du principe de proportionnalité alléguée par la requérante, le Tribunal, rappelant que, dans une telle situation, le principe de proportionnalité ne saurait être interprété comme obligeant la Commission à accepter des engagements insuffisants (pt. 913), en déduit que le principe de proportionnalité ne saurait être invoqué que s’il a été démontré que les engagements proposés par les parties à la concentration étaient déjà complets et efficaces à tous points de vue et, partant, permettaient d’éliminer entièrement tous les problèmes de concurrence recensés, sans qu’il soit nécessaire d’y apporter la moindre amélioration complémentaire. Or, force est de constater que, en l’espèce, tel n’est pas le cas. En effet, la requérante n’a pas été en mesure de prouver que les engagements des parties contenaient des exigences spécifiques explicites pour l’acquéreur permettant que la mesure corrective résolve intégralement les problèmes de concurrence, de sorte que la Commission était en droit de conclure que ces engagements n’étaient ni complets ni efficaces. Par conséquent, tous les problèmes de concurrence n’ayant pas été entièrement éliminés, l’allégation de la requérante concernant une prétendue violation du principe de proportionnalité ne saurait valablement prospérer (pt. 914).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Validant le choix de la Commission de se départir, lors de l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur de la recapitalisation de la compagnie aérienne Finnair par ses propriétaires publics et privés au prorata de leur participation antérieure, de certaines exigences énoncées dans l’« Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de Covid-19 », le Tribunal rejette le recours de Ryanair

 

Le 22 juin 2022, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire T-657/20 (Ryanair DAC contre Commission européenne).

Estimant que la Commission pouvait, sans ouvrir la procédure formelle d’examen, approuver la recapitalisation de la compagnie aérienne Finnair par ses propriétaires publics et privés au prorata de leur participation antérieure, il y rejette dans son intégralité le recours formé par Ryanair visant à l’annulation de la décision de la Commission approuvant l’aide accordée par la Finlande à la compagnie aérienne Finnair.
 
Le 3 juin 2020, la Finlande a notifié à la Commission une mesure d’aide en faveur de la compagnie aérienne Finnair, dont elle est actionnaire majoritaire, passant par la souscription, au prorata de ses parts existantes, de nouvelles actions proposées à tous les actionnaires de Finnair en vue d’une recapitalisation de cette dernière.

Sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE, la Commission a accepté, par décision du 9 juin 2020, la mesure en cause en application de l’article 107, § 3, sous b), TFUE, en vertu duquel des aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur.

À cette occasion, la juridiction valide le choix de la Commission de se départir, aux fins de son examen de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, de certaines exigences énoncées dans sa communication intitulée « Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de Covid-19 ».

Au soutien de son recours en annulation, la requérante reprochait, en substance, à la Commission de ne pas avoir ouvert la procédure formelle d’examen malgré les doutes qu’elle aurait dû éprouver lors de l’examen préliminaire de la compatibilité de l’aide notifiée avec le marché intérieur.

Plus précisément, Ryanair faisait grief à la Commission d’avoir violé les principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime en renonçant, aux fins de l’examen de la mesure en cause, à appliquer certaines exigences prévues au point 3.11 de l’encadrement temporaire relatif aux mesures d’aide sous forme de recapitalisation, à savoir : i) l’exigence selon laquelle les mesures individuelles de recapitalisation doivent comporter un mécanisme de hausse de la rémunération de l’État, ii) l’interdiction pour les bénéficiaires d’acquérir une participation supérieure à 10 % dans des entreprises concurrentes tant que 75 % au moins de ces mesures n’ont pas été remboursées et iii) l’interdiction pour les bénéficiaires de distribuer des dividendes tant que lesdites mesures n’ont pas été remboursées intégralement. Selon Ryanair, le non-respect des exigences prévues par l’encadrement temporaire serait révélateur des doutes qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

Tout en confirmant l’obligation pour la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen en cas de doutes quant à la compatibilité d’une aide notifiée avec le marché intérieur, le Tribunal récuse les différents arguments avancés à cet égard par la requérante.

Sur l’indice relatif à une violation du point 3.11 de l’encadrement temporaire

En ce qui concerne la valeur juridique de l’encadrement temporaire, le Tribunal rappelle tout d’abord que, si, dans le domaine des aides d’État, la Commission est tenue par les encadrements qu’elle adopte, l’adoption de tels encadrements ne l’affranchit toutefois pas de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, § 3, sous b), TFUE (pt. 62).

Le Tribunal souligne, en outre, que l’encadrement temporaire a été adopté quelques jours après l’adoption des premières mesures de confinement par les États membres, afin de permettre à ceux-ci d’agir avec l’urgence que requérait la situation. Cet encadrement ne pouvant envisager toutes les mesures que les États membres étaient susceptibles d’adopter, il a été modifié à plusieurs reprises. Ainsi, notamment au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission s’apprêtait à engager la procédure pour modifier l’encadrement temporaire une nouvelle fois, afin qu’il tienne compte du type de mesures d’aide temporaires telles que celle en cause. Cette modification a finalement eu lieu le 29 juin 2020, soit une vingtaine de jours après l’adoption de la décision attaquée (pt. 67).

Ensuite, et en ce qui concerne les spécificités de la mesure en cause, le Tribunal observe que cette mesure présentait des caractéristiques très particulières que la Commission n’avait pas envisagées au moment de l’adoption des exigences énoncées au point 3.11 de l’encadrement temporaire dont elle s’est départie dans la décision attaquée. C’est à la lumière de ces circonstances exceptionnelles et des caractéristiques très particulières de la mesure en cause que le Tribunal a vérifié si les éléments avancés par la requérante étaient de nature à susciter des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur (pts. 68-69).

S’agissant, en premier lieu, du mécanisme de hausse de la rémunération, le Tribunal rappelle que l’objectif de ce mécanisme est d’inciter le bénéficiaire de l’aide à racheter la participation souscrite par l’État et, par conséquent, d’assurer le rétablissement du statu quo ante (pt. 74). Or, dans un cas comme celui de l’espèce où l’État achète de nouvelles actions au prorata de sa participation antérieure, appliquer les paragraphes 61 et 62 de l’encadrement temporaire et exiger de cet État qu’il vende la part de capital qu’il a acquise au titre de la mesure en cause l’obligerait en réalité à réduire sa part à un niveau inférieur à celui existant avant la mise en œuvre de la mesure en cause, ce qui aurait pour conséquence une modification de la structure du capital de la bénéficiaire pouvant aller jusqu’à ce que l’État perde la position d’actionnaire majoritaire qu’il détenait avant la recapitalisation, cela allant au-delà de l’objectif des mécanismes de hausse de la rémunération prévus aux paragraphes 61 et 62 de l’encadrement temporaire (pt. 75). Dès lors, le Tribunal conclut sur ce point que, compte tenu des caractéristiques très particulières de la mesure en cause, l’exigence d’un mécanisme de hausse de la rémunération, qui incite la bénéficiaire à racheter la part de capital acquise par l’État, prévue aux paragraphes 61 et 62 de l’encadrement temporaire, était, comme l’a constaté à juste titre la Commission, inappropriée (pt. 76). Le Tribunal souligne, de plus, que du fait que les nouvelles actions souscrites par l’État avaient un prix inférieur d’au moins 20 % à celui du cours des actions de Finnair, cette décote était suffisante pour que la République de Finlande soit correctement rémunérée (pt. 73).

S’agissant, en deuxième lieu, de l’interdiction d’acquisitions par la bénéficiaire, d’une participation supérieure à 10 % dans des entreprises concurrentes ou de la même ligne d’activité tant qu’au moins 75 % des mesures de recapitalisation COVID-19 n’ont pas été remboursées, prévue au paragraphe 74 de l’encadrement temporaire, la requérante faisait valoir que la Commission avait illégalement autorisé la République de Finlande à appliquer cette interdiction pendant une durée de trois ans. Là encore, le Tribunal approuve la Commission d’avoir considéré qu’une telle exigence, liée au remboursement de 75 % de la mesure en cause, n’était pas appropriée, dans la mesure où un tel remboursement aurait pour conséquence d’obliger l’État membre concerné à réduire sa part dans le capital de la bénéficiaire à un niveau inférieur à celui qu’il détenait avant la pandémie de COVID-19. Dans ces conditions, la Commission pouvait conclure à bon droit que l’interdiction d’acquisition prévue au paragraphe 74 de l’encadrement temporaire ne pouvait être appliquée en l’espèce (pt. 86).

S’agissant, en troisième lieu, de la levée de l’interdiction pour Finnair de verser des dividendes tant que la mesure en cause n’a pas été intégralement remboursée, laquelle interdiction vise à garantir le caractère temporaire de l’intervention de l’État — en incitant la bénéficiaire à racheter la part de l’État acquise au titre de la mesure d’aide — et à renforcer les fonds propres de la bénéficiaire, le Tribunal confirme une nouvelle fois que l’application dece dispositif n’était pas appropriée, compte tenu des caractéristiques particulières de la mesure en cause (pt. 94). À l’inverse, il était important dans le cas d’espèce de permettre le versement de dividendes dès lors que cela constituait une incitation pour les actionnaires privés et les investisseurs privés à souscrire de nouvelles actions et à fournir ainsi à Finnair de nouveaux capitaux privés. En effet, la mesure en cause étant conçue de manière à réduire le plus possible le montant de l’aide, il était cohérent que, afin d’assurer que la contribution des investisseurs privés fût significative, ces derniers se voient assurés de percevoir des dividendes sur les nouvelles actions qu’ils souscrivaient (pt. 96). Dès lors, l’absence d’interdiction de versement de dividendes trouve sa justification dans le fait que l’État n’augmente pas sa participation par rapport à celle qui était la sienne avant la crise causée par la pandémie de COVID-19 du fait de la participation concomitante d’actionnaires et d’investisseurs privés à la recapitalisation de Finnair, ce qui réduisait le montant de l’aide. Ainsi, les dividendes versés aux actionnaires privés et aux investisseurs privés ne sont que la rémunération de leur investissement important dans Finnair, dans des circonstances de crise et un climat d’investissement morose (pt. 98). Par suite, comme le cas d’espèce se distingue des situations visées par l’encadrement temporaire, le fait que la Commission a levé l’interdiction de verser des dividendes ne constitue pas un indice de l’existence de doutes au sens de l’article 4, paragraphes 3 et 4, du règlement 2015/1589 (pt. 100). De même, le seul fait que la Commission ait dérogé à l’application de certaines exigences de l’encadrement temporaire pour tenir compte des circonstances spécifiques de la mesure en cause, à savoir que l’État était l’actionnaire historique majoritaire de la bénéficiaire et qu’il ne souscrivait les nouvelles actions qu’au prorata de sa participation antérieure, ne saurait suffire à démontrer qu’elle aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, qui auraient dû entraîner l’adoption d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen (pt. 101). Dans ces conditions, le Tribunal conclut que, contrairement à ce que soutenait la requérante, la Commission n’a pas violé les principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (pt. 102).

Sur l’indice relatif à la méconnaissance de la prétendue obligation de mettre en balance les effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et le maintien d’une concurrence non faussée

Sur ce point, le tribunal rejette d’emblée l’argument de la requérante selon lequel l’obligation de mise en balance résulterait du caractère exceptionnel des aides compatibles, y compris celles déclarées compatibles en vertu de l’article 107, § 3, sous b), TFUE (pt. 108). Ainsi, pour autant que les conditions posées par l’article 107, § 3, sous b), TFUE soient remplies, à savoir, en l’espèce, que l’État membre concerné soit bel et bien face à une perturbation grave de son économie et que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées, lesdites mesures sont présumées être adoptées dans l’intérêt de l’Union, de sorte qu’il n’est pas requis par cette disposition que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, au contraire de ce qui est prescrit par l’article 107, § 3, sous c), TFUE. En d’autres termes, une telle mise en balance n’aurait pas de raison d’être dans le cadre de l’article 107, § 3, sous b), TFUE, son résultat étant présumé positif. Qu’un État membre parvienne à remédier à une perturbation grave de son économie ne peut en effet que profiter à l’Union en général et au marché intérieur en particulier (pt. 107).

Sur l’indice relatif à une erreur d’appréciation du caractère significatif du pouvoir de marché de Finnair

Le Tribunal écarte, en outre, l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission aurait violé la règle, prévue par l’encadrement temporaire, stipulant que, lorsque la bénéficiaire d’une mesure de recapitalisation d’un montant supérieur à 250 000 000 euros est une entreprise ayant un pouvoir de marché significatif sur au moins l’un des marchés en cause sur lesquels elle exerce ses activités, les États membres doivent proposer des mesures supplémentaires pour préserver l’exercice d’une concurrence effective sur ces marchés. Dans ce cadre, la requérante reprochait plus particulièrement à la Commission d’avoir commis une erreur d’appréciation en concluant à l’absence de pouvoir de marché significatif de Finnair.

À cet égard, le Tribunal précise que, dès lors que la mesure en cause visait à maintenir dans la mesure du possible l’ensemble des activités de Finnair et qu’elle ne ciblait pas des liaisons particulières, elle était susceptible de produire les mêmes effets sur toutes les combinaisons de liaisons que Finnair pouvait effectuer grâce aux créneaux horaires et aux autres actifs qu’elle parvenait à conserver, de sorte que la Commission a constaté à bon droit que, pour déterminer le pouvoir de marché de Finnair, elle pouvait examiner la présence ou, à l’inverse, l’absence de contrainte concurrentielle exercée sur cette compagnie aérienne dans les aéroports où elle détenait des créneaux horaires. En l’espèce, la Commission a effectué cette appréciation sur la base, notamment, du niveau de congestion de l’aéroport d’Helsinki, principale base et plate-forme (hub) de Finnair, et de la part des créneaux détenus par Finnair dans cet aéroport (pt. 117). Or, dans cet aéroport, la part de créneaux horaires détenus par Finnair par rapport à la totalité des créneaux horaires était inférieure à 25 % en 2019. En outre, cet aéroport n’est pas congestionné, même aux heures de pointe, de sorte que des créneaux horaires sont disponibles, à n’importe quelle heure de la journée, pour les nouveaux entrants, y compris ceux voulant concurrencer Finnair, sur une liaison ou une autre. Pour ces raisons, la Commission pouvait considérer que Finnair ne disposait pas d’un pouvoir de marché significatif à l’aéroport d’Helsinki (pts. 120-121). Eu égard à ces considérations, le Tribunal conclut que la requérante n’a pas non plus présenté d’indice probant de l’existence de doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur au regard de l’appréciation, par la Commission, du pouvoir de marché de Finnair sur les marchés en cause (pt. 131).

Après avoir également écarté tous les autres griefs tendant à démontrer l’existence de doutes qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen, le Tribunal rejette le moyen tiré d’un défaut de motivation (pt. 167) et, par conséquent, le recours dans son intégralité (pt. 168).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE ACTIONS EN FOLLOW-ON : Estimant que, suite à l’annulation du marché public vicié par l’entente sur la signalisation routière verticale, les dépenses utiles engagées par l’auteur de la pratique anticoncurrentielle, au remboursement desquelles il peut prétendre, n’ont pas été correctement évaluées, le Conseil d’État annule l’arrêt de la Cour administrative d'appel de Douai et ordonne une expertise

 


Le 17 juin 2022, le Conseil d'État a rendu un nouvel arrêt sur les suites devant le juge administratif de l'affaire de l'entente dans le secteur de la signalisation routière verticale sanctionnée le 22 décembre 2010 par une décision n° 10-D-39 de l'Autorité de la concurrence et plus précisément sur les conséquences de la participation à l’entente anticoncurrentielle de la société Lacroix Signalisation, devenue la société Lacroix City Saint-Herblain.

Aux termes de la présente décision, le Conseil d'État annule partiellement l'arrêt rendu sur renvoi après cassation par la Cour administrative de Douai, qui devait, après avoir prononcé l'annulation de contrats conclus avec le département de Seine maritime, évaluer, au besoin en ordonnant une expertise sur ce point, les dépenses du titulaire des contrats qui ont été utiles à la personne publique, lesquelles comprennent, à l'exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l’administration. De fait, la personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l'annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif. Toutefois, en cas d'annulation du contrat, si l’auteur de la pratique anticoncurrentielle doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique, elle peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci.

Au cas d’espèce, l’annulation est principalement encourue en raison d'une mauvaise appréciation du montant de ces dépenses utiles. Par ailleurs, la censure est encourue en raison de l'évaluation du préjudice estimé que le département de la Seine-Maritime avait subi en raison de l'indisponibilité des sommes payées indûment par celui-ci au titre du surprix des marchés annulés.

Aux fins de statuer définitivement sur cette affaire, le Conseil d'État, relevant toutefois que l'état du dossier ne lui permettait pas d'apprécier le montant des dépenses engagées par la société pour l'exécution de ces marchés et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime, pas davantage que les effets de l'érosion monétaire jusqu'à la date du 26 mars 2015, à laquelle la demande du département a été enregistrée devant le tribunal administratif de Rouen, sur les prix payés par le département au titre des marchés annulés et les dépenses utiles exposées par la société Lacroix City Saint-Herblain, il ordonne une expertise sur ces deux points.

Quant à l'appel incident du département de la Seine-Maritime portant sur le préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés, le Conseil d’État le rejette, constatant que ce préjudice n'est pas indemnisable.

Mais Je m’en tiens là. Le présent arrêt fera l’objet dans les prochains jours dans ces colonnes d’un commentaire circonstancié du professeur Rafael Amaro.

JURISPRUDENCE : Constatant à son tour que l’Office des Postes et Télécommunications de la Nouvelle-Calédonie dispose d’un monopole de droit sur l’exploitation des réseaux et services relevant du service public des télécommunications et que l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie n’est pas compétente pour en connaître, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l’annulation de la première décision de mesures conservatoires prise par l'ACNC

 

À la faveur d'un arrêt rendu le 22 juin 2022 et appelé à être publié au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue confirmer l’annulation prononcée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 2020 de la première décision de mesures conservatoires adoptée par l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie. Dans le présent arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se contente d’approuver l’ensemble des constatations opérées par la Cour d’appel.
 
On se souvient que, dans cette affaire, interprétant strictement les droits exclusifs conférés à l’Office des Postes et Télécommunications de la Nouvelle-Calédonie (OPT-NC) par la réglementation, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie avait considéré à ce stade que l’OPT-NC ne pouvait empêcher la société calédonienne de connectivité internationale (SCCI), qui souhaitait installer un câble sous-marin entre la Nouvelle-Calédonie et l’Australie pour offrir des services de capacités de connectivité internationale à des clients calédoniens, d’entrer sur ce marché. Un tel refus étant susceptible de constituer une pratique d’abus de position dominante de l’OPT et de porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la SCCI et au-delà aux intérêts des entreprises du secteur et, in fine, aux consommateurs, l’Autorité avait enjoint à l’OPT-NC de proposer à la SCCI, dans un délai maximum de huit semaines à compter de la notification de la présente décision, une offre technique et commerciale d’accès au réseau fédérateur local pour la fourniture de services de capacités de connectivité internationale à haut débit par câble sous-marin, à des conditions objectives et non discriminatoires et orientée vers les coûts, pour lui permettre l’exercice d’une concurrence effective sur ce marché.

L’Office des Postes et Télécommunications de la Nouvelle-Calédonie (OPT-NC) avait introduit un recours contre cette décision que la Cour d’appel de Paris a accueilli, en rappelant dès l’abord que, lorsque le marché concerné par les pratiques dénoncées dans la saisine est soumis à un monopole de droit, les principes de libre jeu de la concurrence et de fonctionnement concurrentiel des marchés, au respect desquels l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie doit veiller conformément à l’article Lp.461-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, ne s’appliquent pas, de sorte que cette autorité n’est pas compétente au sens de l’article Lp.462-8 du code de commerce, de sorte que, en pareil cas, la saisine initiale de l’ACNC par la SCCI serait, en vertu de ce texte, irrecevable.

Or, observant que le code des postes et télécommunications de la Nouvelle-Calédonie (CPTNC) constitue désormais le seul texte pertinent pour déterminer la nature et l’étendue des missions de service public de l’OPT-NC dans le secteur des télécommunications, la Cour de Paris a estimé qu’il se déduit de la lecture combinée des 1° et 2° de l’article 211-3, et des articles 231-1 et 231-3, que par ces dispositions, le CPTNC confère à l’OPT-NC, seul, l’exercice et l’exploitation des activités relevant du service public des télécommunications, tel que défini à l’article 221-2 et n’autorise l’intervention d’autres opérateurs que pour les activités ne relevant pas de ce service et énumérées au titre III. Forte de cette constatation, la Cour d’appel avait conclu que l’OPT-NC disposait d’un monopole de droit sur l’exploitation des réseaux et services des télécommunications ouverts au public qui relèvent du service public des télécommunications en Nouvelle-Calédonie, et partant, qu’il disposait des droits exclusifs sur ces réseaux et services. Par suite, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie ne pouvait tirer argument de ce que les textes précités n’utilisent ni le terme « monopole » ni les termes « droits exclusifs » pour contester l’existence du monopole attribué par le CPTNC à l’OPT-NC sur l’exploitation des réseaux et services des télécommunications ouverts au public.

La Cour ajoutait que l’intention du Congrès de la Nouvelle-Calédonie a été de préserver le monopole dont bénéficiait l’OPT-NC, lorsqu’il a adopté cette délibération instituant le CPTNC et que « si ce texte ne vise pas expressément le câble sous-marin, il l’inclut nécessairement en visant le support matériel de transmission de signaux.

La Cour parvenait à la conclusion que l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie n'était pas compétente pour connaître de la saisine de la SCCI. Annulant en conséquence la décision attaquée, la Cour d’appel de Paris, statuant à nouveau, avait déclaré la saisine de la SCCI irrecevable en application de l’article Lp.462-8 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.

JURISPRUDENCE OVS : Les sanctions encourues en cas d'obstruction aux OVS n’ont pas à être notifiées aux entreprises visitées ni cette formalité mentionnée dans le procès-verbal

 

Le 14 juin 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt à la suite d'un pourvoi formé par des entreprises visitées contre le l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Versailles, en date du 15 décembre 2020, concernant le déroulement d’opérations de visites et saisies (OVS) demandées par le rapporteur général de l'Autorité soupçonnant des pratiques mises en œuvre dans les domaines de l'ingénierie, du conseil en technologies, et des services informatiques.

Aux termes du présent arrêt, la Cour rejette le pourvoi, à la faveur duquel les entreprises visitées faisaient valoir que les enquêteurs étaient tenus de faire connaître aux personnes visitées les sanctions encourues en cas d'une absence de collaboration de leur part et qu'à l'instar de l'objet de l'enquête le procès-verbal relatif au déroulement des opérations, devait mentionner l'accomplissement de cette formalité. La Chambre criminelle approuve le premier président d'avoir considéré que le recours contre les faits d'obstruction est extérieur à l'instance en cours et qu'il n'existe pas d'obligation de notifier les sanctions encourues à ce titre.

INFOS : Persistant dans la voie des engagements, l’Autorité de la concurrence accepte et rend obligatoires les ultimes propositions de Google à propos de la juste rémunération des droits voisins, laquelle repose largement sur un mécanisme de recours à un arbitrage contraignant et pris en charge par le moteur de recherche

 

L’Autorité de la concurrence persiste et signe dans l’affaire des droits voisins… Alors que les saisissantes, le ministre de l’économie et la plupart des associations professionnelles, éditeurs et agences de presse qui ont répondu au test de marché portant sur la première série d’engagements proposée par Google en décembre 2021, ont contesté la pertinence même de recourir à la procédure d’engagements dans le cadre de la présente affaire (pt. 106 sq), compte tenu de l’exceptionnelle gravité des pratiques mises en oeuvre par le moteur de recherche, insistant sur le fait que l’absence de décision au fond représenterait un avantage considérable pour Google, en ce qu’elle lui permettrait d’échapper à la fois à une décision de constat d’infraction, sur laquelle pourraient se fonder les éditeurs et agences de presse dans le cadre d’un recours indemnitaire devant les juridictions compétentes, et au prononcé d’une amende (pt. 111), l’Autorité de la concurrence a rendu, le 21 juin 2022, une décision n° 22-D-13 à la faveur de laquelle elle accepte et rend obligatoires les ultimes engagements proposés par Google. Pour l’Autorité, la circonstance que les pratiques mises en œuvre par Google soient très graves n’exclut pas que la voie des engagements soit la plus appropriée pour répondre aux préoccupations de concurrence, dès lors que cette solution améliore et complète le dispositif des injonctions prononcées par l’Autorité (pt. 168). D’autant que la proposition de Google permet, grâce au mécanisme de rémunération rétroactive (pt. 212), de remédier, a posteriori, au dommage causé par les pratiques de Google (pt. 169).

L’Autorité ajoute qu’elle a déjà sanctionné, à hauteur de 500 millions d’euros, dans sa décision n° 21-D-17 du 12 juillet 2021 le non-respect par Google des injonctions qui lui avait été faites dans la décision de mesures conservatoires n° 20-MC-01 du 9 avril 2020. À cet égard, l’Autorité s’empresse de préciser que cette sanction ne pourra pas être remise en cause, à la suite de l’engagement de Google de se désister du recours qu’il a formé contre la décision de non-respect des injonctions du 12 juillet 2021 (pt. 170).

Ce faisant, l’Autorité de la concurrence clôt les procédures ouvertes en novembre 2019.

Pour mémoire, l’instruction menée a conduit à l’identification de plusieurs préoccupations de concurrence. Tout d’abord, Google aurait imposé aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction inéquitables au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 a) TFUE, en refusant de négocier et de rémunérer l’affichage de contenus de presse protégés sur les services existants de Google au titre des droits voisins. Ensuite, en imposant une rémunération nulle pour tous les éditeurs et agences de presse après l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 sur les droits voisins, indépendamment d’un examen de leurs situations respectives, Google aurait traité de façon identique des acteurs économiques placés dans des situations différentes, et, partant, aurait mis en oeuvre une pratique discriminatoire au sens des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 c) TFUE. Enfin, Google aurait abusé de sa position dominante pour contourner la Loi sur les droits voisins, notamment en utilisant la possibilité laissée aux éditeurs et agences de presse de consentir des licences gratuites pour imposer systématiquement un principe de non-rémunération pour l’affichage des contenus protégés sur ses services, sans aucune possibilité de négociation et en refusant de communiquer les informations nécessaires à la détermination de la rémunération.

Afin de répondre à la fois aux nombreuses et importantes préoccupations exprimées dans le cadre du test de marché (pts. 112-160), ainsi qu’à celles du collège, Google a transmis à l’Autorité, après plusieurs améliorations successives, la version finale de ses engagements le 9 mai 2022 (pts. 162-163).

 

  • Google étend ses engagements à Alphabet Inc, société de tête du groupe Google (pt. 176).
     
  • Google étend le champ d’application de ses engagements à tous les éditeurs visés par l’article L. 218-1 du code de propriété intellectuelle, qu’ils disposent ou non d’une certification CPPAP. Il en est de même pour la titularité de droits voisins aux agences de presse dont les contenus sont intégrés dans des publications d’éditeurs tiers (pt. 177).
     
  • S’agissant de l’engagement n° 1, Google s’engage à négocier de bonne foi, avec les agences et éditeurs de presse qui en feraient la demande, la rémunération due pour toute reprise de contenus protégés sur ses services, conformément aux modalités prévues par l’article L. 218-4 du CPI et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires. Google s’engage expressément à mener des négociations distinctes et indépendantes, d’une part, sur le service Showcase ou tout autre nouveau service de Google et, d’autre part, sur l’utilisation existante de contenus protégés (pt. 180).
     
  • S’agissant de l’engagement n° 2 relatif aux informations communiquées par Google sur les revenus qu’elle retire de l’affichage de contenus de presse sur ses services, Google s’engage à communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues par l’article L. 218-4 du CPI et permettant une évaluation transparente de la rémunération proposée par Google (pt. 184). À cette fin, Google a prévu de communiquer, dans un premier temps, un socle minimal d’informations, décrites dans l’annexe 1 des engagements, à chaque partie négociante dans un délai de 10 jours ouvrés en cas de négociations individuelles et de 15 jours ouvrés en cas de négociations collectives (pt. 183). Google s’engage, dans un second temps, à communiquer les informations complémentaires pertinentes demandées par les parties négociantes dans un délai de 15 jours ouvrés, sous le contrôle d’un mandataire indépendant (pt. 185). Le mandataire pourra également émettre des propositions sur les modalités de transmission des informations complémentaires demandées par les parties négociantes, en prévoyant, le cas échéant, des mesures destinées à préserver la confidentialité des informations de Google. Ce mécanisme permettra de concilier la demande légitime de Google de protéger ses secrets d’affaires avec la nécessité pour les éditeurs et agences de presse d’obtenir les informations nécessaires à l’évaluation des revenus directs et indirects de Google liés à l’affichage de leurs contenus protégés (pt. 186).
     
  • Sur le quatrième engagement, Google s’engage, dans les trois mois suivant le début des négociations, à faire une proposition de rémunération. Dans l’hypothèse où les parties ne parviendraient pas à un accord à l’issue de cette période, les parties négociantes auront la possibilité de saisir un tribunal arbitral chargé de déterminer le montant de la rémunération (pt. 222). La sentence prononcée par le tribunal arbitral présentera un caractère contraignant pour Google (pt. 224). Afin de tenir compte des moindres ressources financières des éditeurs et agences de presse, ces derniers pourront demander à Google de prendre en charge intégralement la rémunération des arbitres, y compris dans une éventuelle procédure d’appel (pt. 225).
     
  • Google s’engage encore à prendre les mesures nécessaires pour que les négociations n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés et n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs de presse et agences de presse (pt. 232).
     
  • Google propose également de faire bénéficier des dispositions des présents engagements les éditeurs et agences de presse qui ont déjà entamé des négociations ou conclu un contrat avec elle au titre des droits voisins, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une association professionnelle. Les agences et les éditeurs de presse ayant déjà conclu un accord pourront donc l’amender ou le résilier sans frais, pour engager de nouvelles négociations avec Google, étant précisé que la rémunération convenue en vertu de leurs accords préexistants continuera de s’appliquer jusqu’à la date de cet amendement ou de cette résiliation (pt. 234).
     
  • Un mandataire indépendant agréé par l’Autorité s’assurera de la mise en œuvre des engagements pris et pourra s’adjoindre, le cas échéant, les services d’experts techniques, financiers ou spécialisés en propriété intellectuelle (pt. 241). Il supervisera le déroulement des négociations entre Google et les éditeurs et agences de presse et sera également associé à la revue et à la mise à jour annuelle du socle minimum d’informations que Google devra communiquer aux éditeurs et agences de presse (pt. 244). Le mandataire jouera, le cas échéant, un rôle actif dans le règlement d’éventuels points de désaccord survenant entre les parties au cours de leur négociation, en émettant des avis ou des propositions à l’Autorité sur toute contestation relative à la qualification d’éditeur ou d’agence de presse, sur la question de savoir si le domaine d’un éditeur de presse contient du contenu protégé, sur la faisabilité technique ou sur la pertinence d’une demande d’informations complémentaires, ainsi que sur les modalités de communication des réponses aux demandes d’informations complémentaires aux éditeurs et agences de presse. Google s’est engagée à se conformer à ces avis et propositions, qui ne présentent pas de caractère contraignant à l’égard des éditeurs et des agences de presse. Ce mécanisme constitue un mode rapide de règlement des différends qui, tout en étant contraignant pour Google, préserve la liberté des éditeurs et agences de presse de recourir à d’autres voies de droit pour faire valoir leurs prétentions si elles le jugent opportun (pt. 245).


Les engagements s’appliqueront pour une durée de 5 ans, et seront renouvelables une fois pour une période de 5 ans sur décision motivée de l’Autorité (pt. 194).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : La décision autorisant sans condition le rachat de Conforama par But, au bénéfice de l’application, pour la première fois depuis 20 ans, de l’exception de l’entreprise défaillante est en ligne (+ 20 décisions d’autorisation, dont 19 simplifiées)

 

Ces derniers jours, l'Autorité de la concurrence a mis en ligne 21 nouvelles décisions d'autorisation d'opérations de concentration, dont 19 décisions simplifiées.

Parmi ces décisions figure la décision n° 22-DCC-78 du 28 avril 2022 à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé sans condition le rachat de Conforama par le groupe Mobilux, société mère de But, en faisant application, pour la première fois depuis 20 ans, de l’exception de l’entreprise défaillante.

Les parties à l’opération sont toutes deux actives dans la distribution au détail de produits d’équipement de la maison. Elles possèdent toutes les deux, en France, un vaste réseau de distribution de plus de 300 magasins pour But et d’environ 170 pour Conforama.

Les difficultés financières rencontrées par le groupe Conforama depuis 2017, accentuées par la crise sanitaire liée à la Covid-19, ont amené le Tribunal de commerce de Bobigny à ouvrir une procédure de conciliation le 19 mai 2020, sous l’égide du CIRI, afin de lui permettre d’obtenir les financements nécessaires à la poursuite de son activité. Dans le cadre de cette procédure de conciliation, le groupe Mobilux a présenté une offre de rachat le 9 juin 2020. L’Autorité a alors octroyé à Mobilux le 23 juillet 2020, une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations, lui permettant de procéder à la réalisation effective de l’acquisition, condition préalable à l’homologation du Tribunal de commerce.

L’existence de risques d’atteinte à la concurrence

Au terme de son analyse, l’Autorité a considéré que l’opération entraînerait trois risques d’atteinte à la concurrence.

Le premier risque concerne la disparition d’un groupe franchiseur majeur dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), où les enseignes But et Conforama sont les deux principaux groupes exploités par l’intermédiaire de contrats de franchise dans le secteur des produits d’ameublement dans les DROM. L’opération entraîne donc la disparition d’une alternative pour les franchisés avec le risque d’une dégradation des conditions de concurrence (sous la forme, par exemple, d’une augmentation de la redevance de franchise) (pt. 157). Ils seront confrontés, à l’issue de l’opération, à un seul groupe franchiseur actif dans le secteur de l’ameublement. Le risque est d’autant plus prégnant qu’il est important pour les franchisés d’exploiter, dans les DROM, sous des enseignes de dimension régionale ou nationale (pt. 150). On notera à cet égard que l’Autorité a considéré que, dans les DROM, les franchisés sous enseigne But étaient suffisamment autonomes commercialement de But, de sorte que les activités des parties dans les DROM ne se chevauchent pas sur les marchés aval de la distribution de produits d’ameublement, de bazar et de décoration et électrodomestiques (pt. 146).

Le deuxième risque concerne les marchés amont des produits d’ameublement et, plus spécifiquement celui de la literie. Il porte sur la dépendance économique des fournisseurs. L’Autorité a identifié sept fournisseurs de produits de literie qui réaliseront plus de 20 % de leur chiffre d’affaires individuel auprès de la nouvelle entité, entre [20- 30] % et [70-80] %, c’est-à-dire au-delà du seuil de menace de 22 % identifié par la Commission européenne dans la décision de 1999 Rewe/Meinl. La totalité de ces fournisseurs était déjà en état de dépendance économique à l’égard de Mobilux (pt. 176). Pour cinq d’entre eux, le taux de dépendance économique identifié est supérieur à 40 %. L’opération est d’autant plus susceptible d’affecter le secteur de la literie que tant But que Conforama occupe une position de « leader » sur les produits de literie (pt. 180) : elle conduit au rapprochement des deux principaux distributeurs de literies en France, avec une part de marché de près de 50 % (pt. 209), étant entendu que cette part de marché inclut des magasins franchisés des parties situés sur le territoire métropolitain, en raison de la conclusion de l’Autorité de la concurrence selon laquelle ils ne sont pas autonomes commercialement de leur tête de réseau (pt. 147). Or, au niveau national, les débouchés pour les fabricants de literie, en dehors de la nouvelle entité, qui sera le principal distributeur de produits de literie en France, sont particulièrement limités. En effet, le groupe Ikea, principal concurrent des parties en matière de distribution de literie, dispose de son propre réseau d’approvisionnement et ne saurait ainsi constituer un débouché alternatif pour les fabricants de literie (pt. 179). De sorte que les fournisseurs de literie ne disposeront que d’alternatives très limitées à la nouvelle entité, dont aucune ne présente des volumes d’achat comparables à ceux de But ou de Conforama préalablement à l’opération. Une telle situation aurait des effets substantiels sur la structure concurrentielle du marché amont de l’approvisionnement en produits de literie, dans la mesure où elle concerne un grand nombre de fournisseurs (pt. 181). Au total, l’Autorité a considéré que l’opération risquait d’entraîner la création ou le renforcement de la puissance d’achat de But de nature à placer les fournisseurs de produits de literie en état de dépendance économique (pt. 182).

Le troisième et dernier risque tient aux chevauchements d’activités sur les différents marchés aval de la distribution au détail de produits d’ameublement. À l’occasion de la présente opération, l’Autorité a fait sensiblement évoluer sa pratique décisionnelle s’agissant de la délimitation de ces marchés aval. Elle abandonne ainsi sa pratique décisionnelle consistant à retenir un marché global de l’ameublement, ce dernier devant à présent être segmenté en six familles de produits (meubles meublants, meubles de cuisine, meubles de salle de bain, dressings et placards, meubles rembourrés et literie). Par ailleurs, elle estime qu’il existe une pression concurrentielle exercée sur les grandes surfaces spécialisées (GSS) et les généralistes par les spécialistes et par les grandes surfaces de bricolage (GSB) sur certaines familles de produits (pt. 60). En revanche, elle maintient la distinction selon la gamme de prix (pt. 64). Enfin, l’Autorité a considéré que les ventes en magasins physiques et en ligne de produits d’ameublement appartenaient à un même marché (pts. 200-201). Compte tenu de l’important taux de pénétration des ventes en ligne, les concurrents implantés dans les zones concernées disposeront nécessairement de parts de marché très limitées et, en tout état de cause, très inférieures à celles de la nouvelle entité (pt. 285).

Si l’opération ne fait pas apparaître de problèmes de concurrence s’agissant des meubles de cuisine, la part de marché de la nouvelle entité étant systématiquement inférieure à 25 % sur l’ensemble des 162 zones locales analysées (pt. 230), l’Autorité a considéré au terme de son analyse, prenant en compte à la fois les fortes parts de marché de la nouvelle entité sur les différentes zones locales, la très grande proximité concurrentielle des parties à l’opération, illustrée notamment par l’existence d’importants ratios de diversion entre elles (pts. 264-270), étant précisé que plus ce ratio de diversion est élevé, plus la substituabilité entre les offres est forte et donc plus le risque d’effet unilatéral est important (pt. 262), la proximité de leur positionnement commercial (pts. 271-273) et géographique (pt. 274), ainsi que l’absence de perspective d’un nouvel entrant crédible sur ces marchés (pt. 283), que l’opération entraînait des risques d’atteinte à la concurrence dans 4 zones s’agissant des meubles rembourrés, 35 zones s’agissant des meubles meublants et 40 zones s’agissant des meubles de literie, soit en enlevant les doublons, 56 zones (pts. 250-252 et 284).

Examinant comme elle y est tenue par l’article L. 430-6 du code de commerce si l’opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence (pt. 322), l’Autorité a considéré que la partie notifiante n’apportait pas suffisamment d’éléments (pt. 331) au soutien des gains d’efficience allégués concernant d’éventuels économies de coûts découlant d’économies d’échelle en matière d’approvisionnement, voire de gains de coûts, plus indirects, en matière d’achats courants et de gestion (pt. 325).

L’application de l’exception de l’entreprise défaillante

Dans des cas exceptionnels, une opération qui porte atteinte à la concurrence et dont la contribution au progrès économique n’est pas suffisante pour compenser cette atteinte, peut tout de même être autorisée sans condition par application de l’exception dite « de l’entreprise défaillante » (pt. 332), pour autant qu’il puisse être démontré que la dégradation de la situation concurrentielle se serait produite même en l’absence de la concentration (pt. 339), de sorte que la détérioration de la structure de la concurrence qui se produirait après la concentration ne puisse pas être considérée comme étant causée par cette opération. Il faut donc que la détérioration de la structure de la concurrence sur le marché soit au moins aussi grave si l'opération ne se réalisait pas (pt. 340). Au cours de l’instruction, la partie notifiante, faisant valoir les importantes difficultés financières rencontrées par Conforama, a invoqué l’exception de l’entreprise défaillante.

Dans sa décision du 6 février 2004 relative à la concentration Seb/Moulinex, le Conseil d’État a rappelé les trois critères cumulatifs définis par la CJCE dans l’arrêt rendu le 31 mars 1998 dans l’affaire C-68/94 (Kali & Salz) pour l’application de l’exception de l’entreprise défaillante :

— critère n° 1 : les difficultés de l’entreprise cible entraîneraient sa disparition rapide en l'absence de reprise ;

— critère n° 2 : il n'existe pas d'autre offre de reprise moins dommageable pour la concurrence que celle de la partie notifiante, portant sur la totalité ou une partie substantielle de l'entreprise ;
 
— critère n° 3 : la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.

Compte tenu des importantes difficultés financières rencontrées par Conforama, illustrées par le fait que la société cible était en situation de cessation de paiement et faisait l’objet d’une procédure collective devant un tribunal de commerce suffit à démontrer que le premier critère tenant à la disparition rapide de cible en l’absence de l’opération est satisfait (pt. 344). Même si la cible n’était pas, au moment de sa reprise par Mobilux, en état de cessation de paiement, en l’absence d’une telle reprise, la cible se serait rapidement trouvée en état de cessation de paiement (pt. 397) et la poursuite de l’activité de la cible se serait avérée impossible (pt. 398).

Quant à l’absence d’offre alternative à celle de Mobilux moins dommageable, l’Autorité a d’abord considéré que la publicité relative aux difficultés de Conforama France, notamment dans la presse nationale et dans la PQR avait été suffisante pour informer les potentiels candidats à une reprise (pts. 404-405), puis est parvenue à la conclusion qu’il n’existait, à ce jour, aucune offre alternative à celle de Mobilux moins dommageable à la reprise des actifs Conforama France portant sur la totalité ou une partie substantielle d’entre eux (pt. 412), ce qui s’explique notamment par le fait que le secteur de l’ameublement français connaissait une grave crise depuis plusieurs années (pt. 407). Si lors du test de marché, un répondant a indiqué qu’il pourrait être intéressé par la reprise de 48 points de vente, l’Autorité considère que cette offre de reprise ne peut être considérée comme portant sur une partie substantielle des actifs de Conforama France constitués de 170 points de vente (pt. 411).

Quant au troisième critère, qui permet de comparer les effets propres de l’opération à la dynamique spontanée du marché, dans un cadre plus large que l’analyse du deuxième critère (pt. 413), l’analyse doit être menée sur chacun des marchés sur lesquels des problèmes de concurrence ont été identifiés, à savoir sur le marché amont de l’approvisionnement en produits de literie, à propos de la dégradation des conditions de concurrence des franchisés des parties dans les DROM, et enfin sur les différents marchés locaux de la distribution au détail de meubles meublants, meubles rembourrés et de literie (pt. 420). Pour apprécier le caractère moins dommageable de l’opération par rapport à un scénario de disparition de l’activité cible, appréciation dont l’Autorité rappelle qu’elle doit se faire au moment de l’examen qu’elle mène et non à la date de la réalisation de l’opération (pt. 429), celle-ci s’est d’abord assurée que les actifs de la cible auraient inéluctablement disparu, et ce, sur chacun des marchés sur lesquels l’opération est de nature à porter atteinte à la concurrence. Ainsi, dans les DROM, constatant qu’en l’absence de reprise, le réseau de franchise sous enseigne « Conforama » aurait disparu, l’Autorité parvient à la conclusion qu’il n’y aurait pas d’alternative pour les franchisés en dehors de But, obligeant les franchisés Conforama soit à se tourner vers But, soit à cesser leur activité, de sorte que la disparition de Conforama n’apparaît pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise par But Conforama (pt. 445).

De même, sur le marché amont de l’approvisionnement en produits de literie, l’Autorité, constatant qu’en l’absence de l’opération, la cible aurait disparu en tant qu’acheteuse de produits de literie (pt. 441), estime que la disparition de Conforama France aurait mis certains fournisseurs de produits d’ameublement en grande difficulté, au point que les effets de cette disparition pour le consommateur ne seraient pas moins dommageables que la reprise (pt. 442).

Quant aux marchés aval de la distribution de produits de literie, meubles meublants et meubles rembourrés, l’Autorité, confirmant l’absence de manifestation d’intérêt émanant d’opérateurs actifs sur les marchés identifiés comme problématiques (c’est-à-dire les meubles meublants, rembourrés et de literie), en tire la conclusion que les points de vente Conforama sur les 56 zones identifiées auraient disparu (pts. 435-436). D’une part, cette disparition aurait des conséquences négatives sur la diversité de l’offre de produits en privant les consommateurs d’une enseigne alternative, ainsi que de ses magasins dans les différentes zones locales, mais aussi entrainerait une dégradation générale de leur condition d’achat. D’autre part, la disparition des points de vente Conforama aurait pour effet de réduire la pression concurrentielle s’exerçant sur les concurrents de l’enseigne dans les différentes zones locales et ainsi d’entrainer des hausses de prix de leur part (pt. 438). Dès lors qu’en cas de réalisation de l’opération, tout ou partie des conséquences négatives qui viennent d’être identifiées en termes de réduction de la diversité de l’offre pourraient être évitées (pt. 439), l’Autorité conclut que les effets de la disparition des actifs ne serait pas moins dommageable pour le consommateur que la reprise par But (pt. 440).

Dans la mesure où l’ensemble des critères sont remplis, l’exception de l’entreprise défaillante est applicable concernant les 56 zones sur lesquelles des risques d’atteinte à la concurrence ont été identifiés, le marché amont de l’approvisionnement en produits de literie et les franchisés situés dans les DROM (pt. 448). Ainsi, bien que les différents risques concurrentiels identifiés par l’Autorité ne soient pas compensés par des gains d’efficience, l’opération peut être autorisée sans condition (pt. 449).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

 



On verra encore la décision n° 22-DCC-88 du 19 mai 2022 à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé Vitol Holding, société de droit néerlandais active en métropole, en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, dans le négoce de produits pétroliers raffinés, à prendre le contrôle exclusif de Vivo Energy, société anonyme établie au Royaume-Uni, active exclusivement à La Réunion dans le domaine de la fourniture au détail de carburants.

L’opération envisagée n’emportant aucun chevauchement d’activités, seuls les effets verticaux ont été examinés.

En l’espèce, les parties sont présentes à différents niveaux de la chaîne de valeur des marchés des produits pétroliers. Vitol est active sur le marché de l’approvisionnement en produits pétroliers à La Réunion. Vivo, pour sa part, est active, à La Réunion, sur les marchés de la vente de carburants hors réseau au détail à des utilisateurs professionnels et de la vente au détail de carburants en réseaux de stations-service.

La particularité de La Réunion par rapport aux autres DROM réside dans le fait que ce département ne comporte aucune raffinerie et que l’ensemble des produits pétroliers et GPL y est donc importé. Afin d’obtenir un coût d’approvisionnement compétitif pour l’achat de carburants les importateurs mutualisent l’intégralité des volumes nécessaires à l’approvisionnement de La Réunion en un unique appel d’offres, lancé auprès de plusieurs fournisseurs. Les caractéristiques propres du marché réunionnais ont justifié la mise en place d’une réglementation des prix. Toutefois, celle-ci laisse subsister une concurrence en prix puisqu’elle ne fixe que des prix maximum, qui ne concernent de surcroît pas tous les carburants distribués, les carburéacteurs en étant exclus.

S’agissant d’abord des risques d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux entre (i) le marché à l’amont de l’approvisionnement en produits pétroliers à La Réunion et, (ii) les marchés de la vente au détail de produits pétroliers hors réseau et en réseaux, l’Autorité s’attache d’abord, compte tenu des positions de la nouvelle entité sur ces marchés  à examiner la capacité et les incitations de la nouvelle entité à mettre en œuvre un verrouillage des intrants sur le marché amont. En pratique, Vitol sera-t-il incitée à refuser de fournir ou à dégrader les conditions d’achat de produits pétroliers qu’elle offre aux concurrents de Vivo, en imposant par exemple, une discrimination des conditions de fourniture (tarifaire ou autre) de ses produits aux autres opérateurs pétroliers actifs à la Réunion ? Ce risque est écarté. En effet, l’importation de produits pétroliers à La Réunion est opérée par un fournisseur désigné annuellement dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres qui fournit les volumes nécessaires à tous les opérateurs pétroliers opérant à la Réunion, de sorte que Vitol n'aurait pas la possibilité de limiter son approvisionnement (même lorsqu’elle remporte l'appel d'offres) à Vivo uniquement à l'exclusion des opérateurs pétroliers concurrents. Du fait de ce mécanisme d’appel d’offres, spécifiant les quantités nécessaires de produits pétroliers à importer, la nouvelle entité ne serait donc pas en mesure de restreindre la fourniture à l’un ou l’autre des opérateurs.

Quant au risque de verrouillage de l’accès à la clientèle, tenant à ce que la nouvelle entité pourrait restreindre l’accès des concurrents de Vitol au marché de l’approvisionnement en produits pétroliers à La Réunion, il est lui aussi écarté. En effet, Vivo ne sera pas en mesure d’opter pour le seul Vitol ou de s’opposer au concurrent de Vitol en posant un veto à tout opérateur présent à l’amont qui ne conviendrait pas à la nouvelle entité. Ainsi, la nouvelle entité n’aura pas la capacité de faire pression de manière décisive sur les autres distributeurs de produits pétroliers.

 



Les 19 décisions simplifiées :

Décision n° 22-DCC-62 du 6 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Cupa par la société Brookfield Asset Management Inc. ;

Décision n° 22-DCC-69 du 6 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Hoffmann* SE et de certaines de ses filiales par la société SFS Group International ;

Décision n° 22-DCC-72 du 6 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Coreal par la société Jym Nutrition ;

Décision n° 22-DCC-75 du 10 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe ba&sh par la société HLD Europe ;

Décision n° 22-DCC-76 du 6 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe IFMG par la société Alpha Private Equity Funds Management Company ;

Décision n° 22-DCC-77 du 5 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif d’Ostrum Asset Management par Natixis Investment Managers ;

Décision n° 22-DCC-80 du 13 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Umanis par le groupe CGI ;

Décision n° 22-DCC-82 du 17 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Millauto Losange par la société Emil Frey Motors France ;

Décision n° 22-DCC-83 du 20 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Unipex par le groupe Cinven ;

Décision n° 22-DCC-84 du 19 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Jean Rouyer d’un fonds de commerce de concession automobile ;

Décision n° 22-DCC-85 du 19 mai 2022 relative à la prise de contrôle conjoint par la Caisse des Dépôts et Consignations et le groupe Crédit Mutuel d’un ensemble immobilier en l’état futur d’achèvement ;

Décision n° 22-DCC-86 du 19 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif de 18 fonds de commerce sous enseigne « Monoprix » par le groupe Legout ;

Décision n° 22-DCC-87 du 19 mai 2022 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Toshiba Carrier Corporation par la société Carrier Corporation ;

Décision n°22-DCC-89 du 2 juin 2022 relative à la prise de contrôle conjoint du groupe Generix par les sociétés Montefiore Investment et Pléiade Investissement ;

Décision n° 22-DCC-90 du 7 juin 2022 relative à la fusion de fait entre six bailleurs sociaux en Île-de-France ;

Décision n° 22-DCC-91 du 3 juin 2022 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Portsynergy par la société Terminal Link ;

Décision n° 22-DCC-92 du 2 juin 2022 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Grimal Automobiles, Mondial Park Auto et Grimal Auto Premium par le groupe Tressol Chabrier ;

Décision n° 22-DCC-93 du 2 juin 2022 relative à la prise de contrôle du groupe Ayming par la société EMZ Partners ;

Décision n° 22-DCC-95 du 7 juin 2022 relative à la prise de contrôle de la société Lamuredis par la société Système U Est.

Regards économiques sur le droit de la concurrence : private enforcement,
marché pertinent et réforme sur les restrictions verticales

À l’occasion de l’assemblée générale de l’AFEC

Paris, 7 juillet 2022

 

Bonjour,

L’assemblée générale de l’AFEC se tiendra le jeudi 7 juillet 2022, à 17h30 dans les locaux du cabinet Vogel & Vogel (30 avenue d’Iéna 75016 Paris).
 
Elle sera suivie à compter de 18h15 d’une conférence animée par Laurent Benzoni, Professeur à l’Université Paris II Panthéon Assas et Associé fondateur de TERA Consultants, sur le thème
 
« Regards économiques sur le droit de la concurrence : private enforcement, marché pertinent et réforme sur les restrictions verticales »
 
puis d’un cocktail convivial à partir de 19 h.

Inscription libre et gratuite pour les adhérents à jour de leur cotisation par E-MAIL.
 
Au plaisir de vous revoir,
 
Le bureau de l’AFEC

S'ABONNER                     ARCHIVES       
RECHERCHER            MENTIONS LÉGALES
Website
Email
LinkedIn
Twitter
 
Cet e-mail a été envoyé à <<Adresse e-mail>>

Notre adresse postale est :
L'actu-droit
83 rue Colmet Lepinay
Montreuil 93100
France

Add us to your address book