Lettre AFAS N° 2021-3 (mai-juin 2021)

ÉDITORIAL

La communication scientifique malmenée par la Covid-19

La communication fait partie de la pratique scientifique. Lorsqu’ils sont validés par les pairs, les résultats expérimentaux ont vocation à être communiqués hors de la sphère professionnelle pour informer le public et, éventuellement, guider le choix des politiques. Or les crises sanitaires, comme celle de la Covid-19, rapprochent les scientifiques, les médias, les politiques, le public, par de nouvelles formes de communication qui, par leur retentissement, jouent un rôle majeur dans l’évolution des comportements. Rarement la science n’est plus proche du citoyen qu’en de telles circonstances. Mais si la science de l’urgence diffère de celle des temps plus calmes et se vit en direct par de multiples canaux de diffusion, elle ne doit rien perdre de ses impératifs : le succès d’une communication scientifique se mesure, quelle qu’en soit la nature, par sa capacité à informer de manière rigoureuse, honnête et objective.

Dans le contexte de la Covid-19, ces qualités furent-elle respectées ?

La communication scientifique fut d’une grande richesse, mais marquée par des dérives qui ont impacté la portée des recherches, et souvent nui à leur mise en œuvre.
Les médias ont certes servi de plateformes à de nombreux professionnels de toutes disciplines qui y ont rapporté leur expertise et ont réuni de larges audiences, mais la rigueur scientifique a alors parfois cédé la place au spectacle.
Les connaissances sur le virus et ses conséquences, en constante évolution, ont souvent déstabilisé le public et ainsi incité à sélectionner l’information qui rassure ou conforte son opinion.
La méfiance, l’appréhension, la peur, le besoin de (fausses) certitudes ont pu conduire certains citoyens à chercher un exutoire dans les réseaux sociaux, les fausses rumeurs, les croyances complotistes, les accusations tous azimuts.

Face à la crise sanitaire, les citoyens ont ainsi oscillé entre confiance et défiance. L’équilibre des temps ordinaires fut mis à mal par l’irruption de ce virus inconnu, par le climat d’angoisse qu’il crée, par certaines décisions politiques mal interprétées ou mal comprises. Les critiques et la défiance contre le fait scientifique avéré purent présenter alors quelques analogies avec les positions politiques extrêmes, s’appuyant plus sur les croyances que sur les faits. C’est ainsi qu’on a vu naître le concept du populisme scientifique. Ce courant de pensée revêtit des aspects démagogiques, favorisant des solutions simplistes à des problèmes sociaux que la crise sanitaire révélait. Sans validation scientifique, le populisme scientifique, en temps de crise sanitaire, se propage aussi vite que le virus. Il crée une infodémie qui véhicule scepticisme, peur, déni, rumeurs, qui donne la parole à de faux guérisseurs et qui devient presque aussi dangereuse que l’épidémie tant elle contrecarre les moyens de lutte.

Plus que jamais la crise nous rappelle que la démocratie passe par la culture scientifique. Au-delà de l’analyse, les initiatives pour diffuser la culture scientifique – dont celles de l’Afas –, malheureusement insuffisantes, doivent fonder l’information sur l’éducation. Elles sont seules à même de limiter les excès du populisme scientifique dont la Covid-19 a montré qu’il détruit en temps de crise des années d’effort pour lutter contre les conséquences de l’ignorance et de l’obscurantisme.

Patrice Debré
Président de l'Afas