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Il est grand temps de rallumer les étoiles.
GUILLAUME APOLLINAIRE
numéro 4 • première année
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site : letincelle-journal.fr
n° 4 • Samedi 26 juin 2021

ÉDITORIAL

Problèmes d’accès

Être connecté, être mobile : ces deux impératifs modernes sont devenus quasi-indispensables à la vie quotidienne de tous. Dès lors, comment garantir à chacun un accès au réseau internet et la possibilité de se déplacer ?

Les élus locaux ont une responsabilité dans la définition des orientations prises pour ces aménagements stratégiques. Dans les zones rurales peu denses, le déploiement de la fibre a été entièrement cédé à un investisseur privé qui multiplie les manquements aux règles, le gaspillage des ressources et les malfaçons. Les collectivités locales ne devraient-elles pas assurer un rôle de régulation et corriger les déséquilibres dans l’accès au service engendrés par la privatisation ?

Une nouvelle association est née à Forcalquier, dont l’objectif est de promouvoir des modes de déplacements  économiques et durables. En favorisant la pratique quotidienne du vélo et en participant à la réflexion des collectivités sur le développement des pistes cyclables, ces bénévoles motivés ne démontrent-ils pas que l'aménagement du territoire est aussi l’affaire des citoyens ?

La rédaction

Jérôme Anconina, Raphaële Javary, Rémy Nouailletas, Mathieu Richard, et Clément Villaume

SUR LE TERRAIN

Les habitants du 04 payent la fibre au prix fort

par la rédaction
 
En 2010, l’État a fixé un objectif de 100 % de la population française desservie en internet très haut débit d’ici 2025. Dix ans plus tard, où en est le déploiement du réseau de fibre optique dans les Alpes-de-Haute-Provence ?
Une bobine de fibre optique.

Pour les territoires fortement urbanisés, l’aménagement des infrastructures numériques a été confié aux grands opérateurs privés : Orange, SFR, Bouygues et Free. Ils ont réalisé les investissements et sont devenus propriétaires des réseaux créés. Dans le 04, onze communes sont concernées, parmi lesquelles Manosque et Digne-les-Bains. Mais pour les territoires ruraux et les zones peu denses ou difficiles d’accès comme Forcalquier, Riez ou Annot, les opérateurs privés se sont montrés plus réticents, faute de rentabilité suffisante. Les collectivités locales ont donc créé fin 2012 un « syndicat mixte ouvert », le SMO PACA THD, qui a confié les travaux d’installation du réseau à l’entreprise Altitude Infrastructure, par contrat de délégation de service public. Le SMO est piloté par des élus régionaux et départementaux, parmi lesquels le président de la commission régionale à l’aménagement du territoire et des infrastructures numériques, David Géhant.

Gaspillage d’argent public et privatisation

Six ans après la création du SMO, fin 2018, malgré les 73,4 millions d’euros dépensés, Altitude Infrastructure n’avait installé que 2125 prises FTTH (fibre optique jusqu’au domicile) sur les 49 000 prévues. À ces retards dans l’aménagement du réseau promis, s’ajoute la perte de 500 000 euros d’argent public, détournés sur un compte en Suisse par un escroc qui s’est fait passer tour à tour pour la collectivité et pour la société de travaux de fibrage (lire l’article du Dauphiné).

En 2019, sentant venir le fiasco, le SMO décide de faire appel à un opérateur privé pour terminer le chantier. L’entreprise SFR fait alors l’acquisition du réseau en l’état pour 80 millions d’euros et s’engage à finir d’équiper l’ensemble des Alpes-de-Haute-Provence d’ici 2022, moyennant un investissement total de 230 millions d’euros. Une cession au privé justifiée par David Géhant en des termes plutôt vagues : « Le point de vue pratique du SMO a dysfonctionné, et il y avait une inquiétude au niveau des finances », déclare-t-il à La Provence le 28 décembre 2019.

Ce changement de stratégie a un coût. La rupture du contrat avec Altitude Infrastructure entraîne la signature d’un chèque de 27,6 millions d’euros de pénalités à l’ancien prestataire. Résultat des comptes : 21 millions d’euros d’argent public perdus ? Du côté du SMO, on préfère se focaliser sur les économies futures que représente l’interruption des investissements publics : « Ils [SFR] prennent tout à leur charge, c’est une vraie différence pour le contribuable, ça représente une économie de dizaines de millions d’euros », affirme David Géhant à La Provence. Question de point de vue : certes, le contribuable ne finance plus l’installation de la fibre, mais il est contraint de céder cette infrastructure stratégique pour le développement de son territoire à une grande entreprise multinationale.

Dans les faits, le contrat passé avec SFR s’accompagne d’une baisse des objectifs de déploiement de la fibre : « Ils ne viennent pas chez nous en disant qu’ils vont déployer de la fibre partout chez tout le monde, parce qu’ils savent bien que ce n’est rentable pour personne. La finalité, c’est qu’il y ait du très bon haut débit de qualité pour tous. Pour certains ce sera de la fibre, pour d’autres de la 4G mobile ou de la 4G fixe », résume Nathalie Ponce-Gassier dans le compte-rendu de la réunion au CD 04 du 21 juin 2019.

Une armoire de rue servant à redistribuer la fibre à chaque domicile.
Les besoins du territoire sacrifiés à l’exigence de rentabilité

L’infrastructure numérique des zones peu denses est ainsi devenue la propriété d’un grand groupe soumis aux fluctuations du marché et aux impératifs de rentabilité à court terme, dont l’actionnaire principal Patrick Drahi est un habitué de la réduction drastique des coûts : en 2017, il a mis en place un plan social jamais vu en France – 5000 départs volontaires sur 15 000 salariés (lire l’article du Monde ici). En 2021, il annonce vouloir encore se séparer de 1 700 salariés d’ici 2025. Des économies qui vont nécessairement influer sur la qualité de service de l’opérateur télécoms, mais aussi sur les conditions de travail des salariés.

Pour achever l’équipement du département, SFR fait largement appel à des sous-traitants. Dans une lettre à la préfète Violaine Démaret du 10 mai 2021, la CGT s’inquiète des conditions de travail des employés de ces entreprises, ainsi que de l’absence de volet social dans le contrat passé avec SFR, alors que l’opérateur se targue d’avoir une politique de « responsabilité sociale ». Le syndicat en appelle à un rôle régulateur des pouvoirs publics face à des mécanismes de marché qui ne favorisent pas naturellement des conditions décentes pour les techniciens. Le recours à des travailleurs étrangers, venus du Portugal ou du Brésil, inquiète en raison de la dégradation de leurs conditions de travail et de rémunération, mais aussi de l’absence de suivi technique et de maintenance une fois ces travailleurs partis. Une fuite de savoir-faire qui pourraient pourtant être conservés et entretenus par des travailleurs locaux : « Pourquoi les pouvoirs publics en charge des conditions de vie des citoyens ne se saisissent-ils pas de ces ficelles pour imposer des emplois locaux dans les contrats, délégation de service public, AMEL ou autres ? »

Des élus rapportent également de sérieux manquements administratifs de la part de l’entreprise. Bien souvent, ils ne sont pas mis au courant de l’arrivée des sous-traitants dans leurs communes. Travaux non déclarés, autorisations de travaux sur la voirie non demandées, « ces absences de déclaration ont pour conséquence directe le non paiement des redevances d’occupation du domaine public, ce qui est illégal ! » dénonce la CGT. 

Ces pratiques vont jusqu’à des malfaçons : dans le village d’Allons, SFR décide de faire passer la fibre par les poteaux téléphoniques vétustes au lieu d’utiliser les fourreaux souterrains et sécurisés préparés avant 2019. Plusieurs réunions avec les différents acteurs sont nécessaires pour revenir au plan initial. Le maire Christophe Iaccobbi, lui, ne décolère pas : « La commune a été informée par la société SFR qu’elle a acheté les installations actuelles et qu’à terme toutes ces installations seront mises hors service ! Que de gâchis d’argent public et que de non-sens technique ! »  (voir le site de la commune). Sans la vigilance et l’opiniâtreté de quelques élus communaux, les instances publiques auraient entièrement perdu la main sur la cohérence de l’aménagement du territoire.

Des emplacements sont loués par SFR aux différents opérateurs.

Des conséquences directes pour les usagers 

À la place d’une infrastructure publique qui pourrait bénéficier de l’aide de fonds nationaux et européens, il a été préféré un investissement privé qui demandera à être rentabilisé à plus ou moins longue échéance et qui se traduira par une ponction d’une partie de la richesse créée sur le territoire. Un financement public n’aurait pas été une perte puisqu’il aurait servi au développement du territoire bas-alpin. Désormais, le client qui souhaite être relié au réseau très haut débit doit payer une redevance à SFR quel que soit son opérateur, même si celle-ci est invisible sur la facture. De plus, avec la position de monopole de SFR sur le réseau fibré du département, il sera impossible pour les clients insatisfaits d’utiliser un opérateur concurrent. Le PDG de SFR, Alain Weill l’a clairement signifié au président du CD 04 : « À partir du moment où j'ai le réseau, tous ceux qui voudront venir dessus paieront, que ce soit les collectivités ou les particuliers »

Le maintien de fortes inégalités d’accès au réseau internet

Il est aujourd’hui crucial pour tous les habitants d’un territoire de disposer d’une connexion internet fiable et de qualité, que ce soit pour effectuer des démarches administratives obligatoires, accéder à la connaissance et à l’enseignement, pour le télétravail ou les usages récréatifs. Cette nécessité s’est encore accentuée avec les confinements sanitaires qui ont contraint beaucoup de citoyens à travailler à distance et à entretenir leurs relations sociales par écrans interposés. Sachant que la « fracture numérique » touche d’abord les ménages ruraux, qui souffrent déjà de la raréfaction des services publics et des déserts médicaux (lire le rapport du président d’UFC-Que choisir), l’abandon du réseau très haut débit à SFR était-il un choix véritablement stratégique pour donner à chaque habitant du 04 les mêmes chances ?

DANS L’ACTION • Forcalquier

L’association Mobiclou veut développer le vélo au quotidien

par Raphaële Javary

Pour se rendre au travail, aller prendre son car ou son train, accompagner les enfants à l’école, faire ses courses ou rejoindre ses amis, l’usage du vélo au quotidien connaît un succès exponentiel cette année. L’association Mobiclou, créée en mars 2021 par une vingtaine de bénévoles, veut accompagner et promouvoir la pratique du vélo, en organisant des actions de sensibilisation, des ateliers participatifs de réparation et des sorties collectives. Elle entend aussi intervenir dans la politique cyclable et la politique des mobilités partagées du territoire en menant une réflexion sur l’aménagement de pistes cyclables, de parkings à vélo, ou encore sur le covoiturage et l’autopartage.
Rencontre avec Mathieu, Danielle, Nicolas et Hélène, bien décidés à préparer la transition écologique en sortant de la dépendance au tout voiture.
Dans quel contexte l’association est-elle née ?
Mathieu : Depuis la pandémie de Covid-19, la pratique quotidienne du vélo est en plein essor, elle a augmenté de 27 % au niveau national par rapport à 2019, notamment comme alternative aux transports en commun. Il nous a semblé important de porter la voix du vélo au quotidien sur le territoire de la Haute-Provence, alors que les politiques publiques locales étaient centrées jusqu’ici plutôt sur la pratique du vélo de loisir et de tourisme. Mobiclou s’est rapidement rapprochée des acteurs locaux existants : les associations, comme Vélo Loisir Provence, les collectivités, comme le département des Alpes-de-Haute-Provence, le Parc naturel régional, porteur de l’initiative Luberon Labo Vélo, et la Communauté de Communes. La sécurité étant l’un des principaux freins au développement de la pratique du vélo, on veut encourager les décideurs politiques à améliorer les infrastructures cyclables, à accroître le nombre de pistes, et à aménager des parkings vélo sécurisés aux points stratégiques comme les gares et les arrêts de car.

Quelle est la vision de la mobilité que vous portez ? 
Danielle : On s’est réunis avec une conviction commune : il faut développer de façon véritablement quotidienne tous les modes de mobilité écologique, active ou partagée, qui peuvent remplacer la voiture personnelle. Il nous paraît fondamental aussi d’un point de vue économique et de santé, de développer la pratique du vélo pour les trajets courts, les déplacements en centre-ville ou d’un village à l’autre. Dans beaucoup de circonstances, on peut utiliser le vélo plutôt que la voiture, et c’est beaucoup plus économique. On se donne aussi pour mission d’aider les personnes hésitantes, ou qui ont peur, à franchir le pas grâce à des ateliers de « remise en selle » et d’autoréparation. On promeut la pratique du vélo à assistance électrique, car dans nos paysages vallonnés, cela change la vie : on peut se déplacer facilement, en fournissant quand même un effort physique, et c’est très motivant. Pour les courses et le transport des enfants, les usagers du vélo cargo à assistance électrique commencent à se multiplier. Dans tous les cas, l’idée est de faciliter l’accès au vélo pour tout le monde, y compris les personnes qui ont des difficultés de déplacement liées au handicap, à la maladie, ou à l’âge.

En quoi consistent les ateliers de réparation participatifs ?
Nicolas : Dans le cadre de l’opération nationale « Mai à Vélo », deux journées d’ateliers ont été organisées en mai, à Forcalquier et à Saint-Étienne-les-Orgues. On y propose de l’autoréparation accompagnée. Les personnes viennent avec leur matériel à entretenir ou à réparer, on commence par un diagnostic, ensuite on oriente soit vers une réparation, soit vers les services d’un professionnel local. On fait les choses ensemble : on partage nos compétences, et on explique à la personne la technique à suivre tout en réparant avec elle. S’il nous manque une connaissance, on lance un appel aux copains, on utilise les affiches de la Fédération des Usagers de la Bicyclette ou bien un tutoriel. Les réparations les plus courantes consistent à poser une rustine sur un pneu crevé, régler ou changer le câble et la gaine des freins, ou lubrifier le dérailleur et la chaîne. Dans ces ateliers, il y a aussi une dimension de création : on a démarré un projet de construction d’une remorque de charge et de mobilier attache-vélo. Maintenant, on cherche un local adapté pour stocker le matériel, les pièces de rechange et les outils. Ce sera un lieu de rendez-vous où l’on tiendra une permanence à horaires fixes. Mais attention, on ne remplace pas les professionnels, et puis on se fournit auprès d’eux en petites pièces. Tout ce qu’on fait pour développer la pratique du vélo ne peut que profiter au commerce local. 

Quels projets futurs pour Mobiclou ?
Hélène : En plus de la conception d’un prototype de remorque qui pourrait s’adapter à toutes sortes de vélo, on a envie d’organiser des vélo-parades, des sorties collectives à vélo pour prendre notre place sur les routes, dans un esprit sympathique et fédérateur. L’idée est de rendre ce moyen de déplacement extrêmement familier, qu’il s’installe dans le paysage de nos campagnes. Un projet qui m’est plus personnel sera de développer un réseau de conducteurs de vélos transportant des passagers à mobilité réduite. En attendant, pour faire connaître l’association, on sera présents au festival Cooksound en juillet, où l’on réalisera une sculpture collective éphémère en pièces de vélos pour sensibiliser avec humour. Une des pistes est aussi de faire en sorte que les femmes soient de plus en plus nombreuses à nous rejoindre, notamment pour l’aspect technique et autoréparation. Toutes sortes de personnes, des plus jeunes aux plus âgées peuvent, avec le bon accompagnement, trouver leur place parmi nous !

Contact : mobiclou@laposte.net
Facebook : https://www.facebook.com/mobiclouHauteProvence

LA PHOTO
Ferme des Bas Chalus, Forcalquier. Solal Fayet, 2021.
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