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Odyssée Argentique

Renoncer ou mourir 🏔️🥾

📍 Martigny (Suisse)
📅 62 jours depuis le départ
🥾 1 279 kilomètres depuis Tours
📓 217 pages de notes consignées dans mon cahier
📸 197 photographies capturées
📖 Contes d'un voyageur (1824) de Washington Irving en lecture du moment
🔗 Plus de détails sur l'Odyssée Argentique
Renoncer ou mourir. Ce titre racoleur à l'apparence du dernier James Bond n'a rien d'une aventure d'espionnage anglais. Il n'est ni question de déjouer une organisation terroriste internationale, ni de séduire tel un mâle alpha la première venue. Il est question de dessiner de nouvelles perspectives, de prendre du recul sur les dernières journées, et plus particulièrement sur les passages encore enneigés que mes pas ont peu fièrement foulés.
Vendredi 2. Je me réveille au cœur du désert de Platé. Un plateau calcaire dont le sol ressemble à une éponge géante, grisâtre, trouée par le temps et les mouvements d'anciens glaciers et océans. La veille, j'avais planté ma tente entre les lapiaz - une formation géologique de surface créée par le ruissellement des eaux, à l'origine d'un parcours rocheux difforme, fissuré, spongieux,  spectaculaire, dangereux. Avec un coucher de soleil qui illuminait tendrement la vallée de Passy et une vue sans précédent sur le massif du Mont-Blanc, jamais je n'aurais imaginé m'embarquer le lendemain dans une traversée somme toute risquée.

Le soleil se lève timidement, le ciel rayonne. Je plis mon camp et me dirige vers le col de la Portette, à 2 354 mètres. La montée est rude, 300 mètres de D+ sur un chemin glissant et gras des récentes précipitations. Mais dépourvu de neige puisque la face que j'escalade est orientée sud. Arrivé au col, je découvre un désert de Platé complètement différent de celui que je viens d'abandonner. Les lapiaz disparaissent sous un épais manteau de neige. Les chemins deviennent inexistants, noyés sous un océan blanc. Seules de rares traces d'aventuriers des cimes persistent, quand elles n'ont pas été effacées par les pluies. En face, à l'est de Platé, la chaîne des Fiz s'élève gracieusement vers le ciel. Grandiose.
Je vise le passage du Dérochoir, à 2 220 mètres d'altitude, et à 1,70 kilomètres du col de la Portette. La neige recouvre toute la vallée certes, mais je suis équipé de crampons et de bâtons. Que pourrait-il bien m'arriver ? Je ne prends même pas le temps de capturer une quelconque photographie et me lance dans cette traversée. Parce que je suis un éternel feignant, je préfère un passage en balcon, évitant ainsi de descendre dans le creux du désert pour remonter au Dérochoir. Aucune trace n'est apparente, les aventuriers des cimes auxquels je faisais allusion ne sont probablement pas passés par là. Mais une fois encore, que pourrait-il bien m'arriver ?

Mes premiers pas sont francs. Je prends un malin plaisir à progresser sur ce manteau neigeux qui s'apparente finalement plutôt à un tapis verglacé. Je pousse sévèrement sur mes crampons pour fixer mes appuis dans le sol, j'use de mes bâtons avec parcimonie pour ne pas perdre l'équilibre. Par instants, le terrain est tellement pentu que je me prends pour un dahu.

Le vent se lève et souffle sur mon visage suant. Le ciel demeure d'un bleu éclatant, mais une ribambelle de cumulus vient tacheter sa pureté. Le disque solaire, projeté haut dans les airs, reflète ses rayons contre le blanc immaculé de la neige sur laquelle mes pieds reposent. Je m'arrête, je souffle, j'écoute un silence immobile qui n'a de beauté que sa musique inaudible. Puis je reprends, doucement, et toujours suant.
Je n'ai croisé âme qui vive depuis la veille. Étonnamment, les oiseaux ne chantent pas ce matin et les bouquetins que j'observais hier ont disparu. À mi-chemin, quand je ralentis pour m'offrir ce constat, je comprends rapidement que mon crampon gauche ne s'est pas correctement enfoncé dans la glace. C'est la chute. Tout s'affaisse, je perds en altitude, la gravité n'a plus de sens. Mon corps et mon sac-à-dos se retrouvent à terre. Mon esprit ne parvient pas à réaliser ce qu'il se passe.

La pente est rude, naturellement je glisse. Un mètre. Deux mètres. Trois mètres. Huit mètres peut-être. En l'espace de maigres secondes, mon esprit rattrape mon corps. J'ai le temps d'apercevoir les roches qui m'attendent plus bas, à vingt mètres je suggère. Fracture ouverte, trauma crânien, je glisse sur la neige froide qui rentre dans mon short, je prends de la vitesse, je dois agir avant de penser au pire. Par un réflexe qui me surprend autant que cette chute, j'use de toute la force de mon épaule droite pour planter mon bâton dans le sol. Je regarde la pente qui dévale sous mes fesses, je continue de glisser mais je ralentis. Mon bâton est profondément enfoncé, mais il s'est plié à quatre-vingt dix degrés. Quand je me retourne pour analyser la situation, je vois mon bras tendu, accroché à ce fin morceau d'aluminium qui menace de lâcher à tout moment. Je profite de cette pause pour creuser, à l'aide de mes crampons, une marche qui me permet de me remettre sur pieds.

Je me relève et observe mon bâton, l'air las. Je n'ai pas vraiment peur, un léger sourire fend même mon visage. Il doit me rester une demie heure avant d'atteindre le passage du Dérochoir. Je range mon bâton cassé, ce sauveur, et poursuis ma progression hors des sentiers battus. Je prends le temps et redouble de vigilance.
A midi, je trouve aux abords des Ayères des Pierrières un replat proche d'un abreuvoir, idéal emplacement pour casser la croûte. Je m'installe dans l'herbe fleuries de teintes jaunes, violettes et bleues et guette le Mont Blanc. Je tranche mon saucisson, avale une poignée de cacahuètes, et songe que j'aurais pu y rester. Que j'aurais pu laisser mon crâne s'exploser contre la roche, faire couler un sang chaud et innocent sur une neige si froide et si blanche. Je n'ai pas eu franchement peur, même si cette brève expérience fut une belle frayeur.

Alors je revois mes plans. Je ne suis pas l'expert de la montagne dont certains m'ont qualifié avec humour, je ne suis pas le plus téméraire des aventuriers, je transporte un sac-à-dos variant de quinze à vingt kilogrammes, j'ai perdu un bâton, et je risque à nouveau de croiser de la neige et moults névés au-delà de 2 000 mètres. La semaine dernière, j'exprimais mon désir de gravir le Buet (3 096 mètres). Renoncer ou mourir. Il y a quelques jours, je m'interrogeais quant à la possibilité d'emprunter le col des Ottans (2 502 mètres) ou le Pas au Taureau (2 555 mètres). Renoncer ou mourir. À l'issue d'une courte et sage réflexion, j'ai préféré renoncer. Puisque renoncer n'est pas perdre, et parce que vivre est la plus belle des victoires.
En fin de semaine, je me suis permis un bivouac enneigé au Lac d'Anterne, j'ai pris le temps d'arpenter les sentiers qui sinuent le long de la vallée de Fer à Cheval, je me suis octroyé le plaisir d'une nuit au refuge de la Vogealle, et j'ai fini par traverser quelques cols sous la pluie et l'orage menaçant.

Je suis désormais en Suisse, dans le très riche canton du Valais. Mes prochaines étapes se situent au-delà de 2 000 mètres d'altitude, peut-être y apercevrais-je le Cervin, célèbre figure du Toblerone. Les prévisions météorologiques quant à elles demeurent instables, à l'image de la dernière nuit où j'ai essuyé la colère d'un ciel noir, dont le puissant tonerrre aux sonorités amplifiées sur les hauts plateaux et profondes vallées s'écoute avec méfiance. Difficile vie qu'est celle de l'itinérance. Reste maintenant à danser, non pas pour cette pluie infinie, mais pour ce soleil qui disparaît avec le temps, et qui sombre péniblement dans l'oubli.
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