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Hebdo n° 35/2021
27 septembre 2021
SOMMAIRE
 
INFOS PPL EGALIM 2 : Le Sénat confirme en séance les modifications apportées à la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs par sa Commission des affaires économiques

JURISPRUDENCE UE : Reconnaissant la possibilité de sanctionner concurremment l'absence de notification et la réalisation anticipée d'une concentration, le Tribunal de l’Union confirme le gun jumping d’Altice lors de l’acquisition de PT Portugal, tout en réduisant légèrement l’amende

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Relevant que la fixation, par un tribunal arbitral exerçant des prérogatives de la puissance publique, d’un tarif d’électricité possiblement préférentiel, et par suite imputable à l’État grec, est susceptible d’emporter l’octroi d’un avantage, le Tribunal constate que la Commission, tenue de procéder à des appréciations économiques complexes, relatives, notamment, à la conformité dudit tarif aux conditions normales du marché, aurait dû éprouver des difficultés sérieuses la conduisant à ouvrir la procédure formelle d’examen


JURISPRUDENCE : La Cour de cassation rejette l’intégralité des pourvois dans l’affaire des échanges d’informations dans le secteur de la messagerie

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : La Commission informe la société américaine Illumina des mesures provisoires qu'elle entend adopter pour la contraindre à respecter son obligation de suspension pendant l’examen de l'acquisition de GRAIL

ANNONCE WEBINAIRES : 9ème Conférence « Bill Kovacic Antitrust Salon » — Via Zoom, 27-29 septembre 2021 [message de Nicolas Charbit et Achet-Billa Saleh]


ANNONCE COLLOQUE : « L'expert-comptable de justice et les préjudices de concurrence » — Marseille, 15 octobre 2021 [message de Muriel Chagny]

INFOS PPL EGALIM 2 : Le Sénat confirme en séance les modifications apportées à la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs par sa Commission des affaires économiques

 

Les 21 et 22 septembre 2021, le Sénat a examiné en séance publique, lors de la première lecture, le texte issu du travail de la Commission des affaires économiques, laquelle a adopté, le 15 septembre 2021, après l’avoir sensiblement modifiée, la proposition de loi du député Besson-Moreau visant à protéger la rémunération des agriculteurs, telle que votée en première lecture par l’Assemblée nationale.

Composée de 16 articles, la proposition de loi vise à redonner aux agriculteurs des marges de manœuvre dans la négociation des prix qui leur sont payés pour la vente de leurs produits, d’une part en prenant davantage en compte les coûts de production que les agriculteurs supportent et d’autre part en « sanctuarisant », lors des négociations commerciales avec la grande distribution, la part des matières premières agricoles qui composent les produits alimentaires.

En effet, si elle partage les objectifs du texte, la Commission des affaires économiques du Sénat doute que cette proposition de loi, telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale, permette de corriger les défauts de la loi Egalim et d’améliorer le revenu des agriculteurs, sinon à la marge.

En séance publique, le Sénat confirme donc les modifications apportées à la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs par sa Commission des affaires économiques.

Ce faisant, et comme on pouvait s’y attendre, le Sénat s’est attaché, lors de la  séance publique, à rejeter consciencieusement chacun des amendements — n° 94, n° 95, n° 93, n° 76, n° 77, n° 80 et n° 82 — déposés par le Gouvernement, qui n’avaient d’autre objectif que celui de revenir au texte adoptée par l’Assemblée nationale.

En revanche, le Sénat a adopté l’amendement n° 79 du Gouvernement qui précise les conditions d’entrée en vigueur des dispositions des articles 2, 2bis B et 2 bis D, de sorte que ces dispositions s’appliquent aux prochaines négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, tout en prévoyant les aménagements nécessaires pour garantir la sécurité juridique de l’ensemble des acteurs. Ainsi, dans un premier temps les conditions générales de vente devront être communiquées conformément aux dispositions du nouvel article L. 441-1-1 du code de commerce relatif à la transparence du prix d’achat de la matière première agricole. Les conventions conclues au terme de négociations menées sur la base de ces CGV seront soumises aux dispositions de l’article L. 443-8 nouveau et la non-discrimination tarifaire s’appliquera. À compter du 1er janvier 2022, toutes les conventions devront être conclues conformément aux nouvelles dispositions. Les négociations en cours sur la base d’anciennes CGV non conformes à l’article L. 441-1-1 du code de commerce devront donc être reprises sur la base de nouvelles CGV conformes. Enfin, afin d’accorder un temps nécessaire d’adaptation aux acteurs des négociations commerciales, l’amendement prévoit la date butoir du 1er janvier 2023 pour la mise en conformité des conventions en cours avec les dispositions de l’article L. 443-8 du code du commerce, lorsqu’elles entrent dans son champ d’application. De la même façon, l’amendement prévoit que l’article 2bis B relatif aux contrats de marques distributeurs s’applique à compter du 1er janvier 2022 et que les conventions en cours devront être mises en conformité avec l’article L. 441-7 modifié au plus tard le 1er janvier 2023.

Pour le reste, les sénateurs se sont contentés d’apporter quelques modifications au texte de la Commission des affaires économiques du Sénat.

Avant l’article 1er, les sénateurs ont adopté un amendement n° 23 qui fait obligation au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant l’opportunité de mener une réforme d’ampleur de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME). De même, après l’article 1er, un amendement n° 27 impose au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement dans un délai d’un an afin de s’assurer que les spécificités du modèle coopératif sont bien prises en compte et préservées.

À l’article 1er, les sénateurs ont adopté un amendement n° 102 qui précise que le  décret en Conseil d’État pourra fixer des seuils de chiffre d’affaires distincts pour les « petits » fournisseurs et les « petits » distributeurs, en deçà desquels l’obligation d’un contrat sous forme écrite ne s’impose pas.

Toujours à l’article 1er, le Sénat  a adopté un amendement n° 148 présenté par la rapporteure du texte, Anne-Catherine Loisier, qui vise raccourcit de un an à quatre mois le délai, à compter de la promulgation de la loi, à partir duquel un membre d’une interprofession qui n’aurait pas élaboré les indicateurs de référence peut saisir un institut technique agricole pour ce faire. Par ailleurs, un amendement n° 100 étend aux organisations interprofessionnelles du secteur du sucre la possibilité d’élaborer et de publier des indicateurs de référence.

La discussion en séance publique s’est alors portée sur l’examen de l’article 2 de la proposition de loi, celui-la même que la Commission des affaires économiques du Sénat a entièrement réécrit, estimant que le mécanisme de transparence prévu à l’article 2 de la proposition de loi tel qu’adopté par l’Assemblée nationale était excessivement complexe, et contenant, en l’état, les germes d’une potentielle aggravation de la guerre des prix.

Alors que dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale, l’article 2 offrait trois options au fournisseur, le texte de la Commission des affaires économiques du Sénat a, en substance, supprimé la première option, pour n’en conserver que deux, tout en réaffirmant la non-négociabilité de la part des matières premières agricoles :

— l’actuelle option n° 2, c’est-à-dire l’affichage de la part agrégée des matières premières agricoles dans le tarif du fournisseur, avec la possibilité de recourir à un tiers indépendant pour attester, à la demande du distributeur, de l’exactitude de ces informations. L’intervention de ce tiers est désormais mise à la charge du distributeur, compte tenu de l’effort de transparence mis en œuvre par le fournisseur. Le taux de 25 % est supprimé, de sorte que les fournisseurs, s’ils choisissent cette option, afficheront la part agrégée de l’ensemble des matières premières agricoles. Ce faisant, les fournisseurs ne seront plus tenus de dévoiler entièrement leurs marges aux distributeurs, afin d’éviter une accentuation du déséquilibre, source de déflation des prix depuis de nombreuses années. Par ailleurs, le périmètre du principe de non-discrimination a été étendu à l’ensemble des produits alimentaires (et non uniquement à ceux soumis à la transparence obligatoire prévue à l’article 2).

— Et une nouvelle option qui modifie substantiellement l’ancienne option n° 3 : désormais, et sous réserve que les CGV affichent une évolution de tarif par rapport à l’année précédente, le fournisseur devra mandater un tiers indépendant chargé d’attester la part de cette évolution de tarif qui est liée à la variation du prix des matières premières agricoles.

Par ailleurs, la Commission des affaires économiques du Sénat a cherché à renforcer l’effectivité de la construction du prix « en marche avant », en prévoyant que la clause de révision automatique des prix prévue dans la convention écrite entre le fournisseur et le distributeur intègre obligatoirement, quand le fournisseur est partie à un contrat écrit de vente avec un agriculteur, les indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture. Il intègre aussi directement au sein de cet article 2 l’obligation de « ligne à ligne », tout en circonscrivant son champ d’application aux produits alimentaires (et non à tous les produits de grande consommation).

Lors de la séance publique, les sénateurs ont précisé un certain nombre de points : ils ont adopté un amendement n° 156 de la rapporteure qui vient préciser les délais que doit respecter l’intervention du tiers indépendant, chargé d’attester, à la demande du distributeur, l’exactitude des informations indiquées par le fournisseur dans ses conditions générales de vente. Si le fournisseur choisit la première des deux options, il doit remettre sous dix jours au tiers indépendant les pièces justifiant la véracité des éléments affichés dans les CGV, et que le tiers indépendant doit attester l’exactitude des informations et transmettre l’attestation au distributeur sous deux semaines à compter de la réception desdites pièces transmises par le fournisseur.

Par ailleurs, le Sénat a adopté un amendement n° 157 de la rapporteure qui prévoit que le décret définissant les modalités d’application du présent article doit notamment définir la notion de tiers indépendant.

Le Sénat ajoute un article additionnel à l’article 2, l’article 2 bis AA en adoptant l’amendement n° 159 de la rapporteure. Il tire les conséquences de l’instauration à l’article 2 d’une clause de révision automatique des prix en fonction de l’évolution de celui des matières premières agricoles à propos de la possibilité de renégociation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce. Puisque la renégociation ne peut plus porter sur le coût des matières premières agricoles, puisqu’aussi bien les contrats amont (agriculteur-acheteur) et aval (fournisseur-distributeur) devront contenir obligatoirement une clause de révision automatique du prix, l’amendement prévoit, pour les produits alimentaires, une clause générale de renégociation activable en fonction de l’évolution du prix d’intrants comme le transport, l’énergie et les emballages.

Au surplus, le Sénat a adopté un amendement n° 151, encore présenté par la rapporteure, qui vient tirer les conséquences du fait que l’activation de la clause de révision — automatique — n’est pas au libre choix du fournisseur : une fois sollicité par le distributeur, le fabricant devra transmettre sous cinq jours au tiers indépendant les informations nécessaires, ledit tiers devant fournir l’attestation d’exactitude de la variation du coût de la matière première agricole dans un délai total de quinze jours.

Lors de la discussion en commission, le Sénat avait pris soin de renforcer le cadre des produits vendus sous marque de distributeur (MDD), notamment en s’assurant que les MDD participent, comme les marques nationales, à l’objectif d’une rémunération plus juste des agriculteurs, via l’instauration d’une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût des matières premières agricoles supporté par le fabricant, dans une logique d’extension de la construction du prix « en marche avant » à l’ensemble du secteur alimentaire. Par ailleurs, la Commission des affaires économiques du Sénat avait exigé du distributeur qu’il s’engage, dans le contrat, sur un volume prévisionnel de produits qu’il acquerra.

En séance publique, le Sénat a renforcé les obligations pesant sur le distributeur : l’amendement n° 152 de la rapporteure lui impose d’informe en amont son fabricant de produit alimentaire vendu sous MDD de tout écart à venir entre le volume prévisionnel mentionné dans le contrat qui les lie et le volume qu’il entend effectivement acquérir. S’il ne paraît pas opérationnel de prévoir que le contrat fixe un volume ferme de produits à fabriquer, il importe néanmoins que les fabricants disposent, le plus tôt possible, d’un certain nombre d’informations en cas d’écart entre le volume prévisionnel figurant dans le contrat et le volume que le distributeur leur acquerra effectivement. Par ailleurs, un autre amendement de la rapporteure, l’amendement n° 153 vient restreindre aux seuls coûts additionnels survenant au cours de l’exécution du contrat la clause de répartition des coûts que le distributeur et le fabricant de produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD) doivent inclure dans leur contrat. Enfin, le Sénat a adopté un amendement n° 154 de la rapporteure qui introduit un régime de sanctions au sein de l’article L. 441-7 du code de commerce qui fixe le régime juridique applicable aux produits alimentaires vendus sous marque de distributeur (MDD). Le non-respect des différentes dispositions de cet article (durée minimale, clause de révision automatique des prix, volume prévisionnel, clause de répartition des coûts, etc.) sera ainsi passible d’une amende administrative de 75 000 € pour une personne physique et de 375 000 € pour une personne morale, ce montant étant doublé en cas de récidive dans les deux ans.

On se souvient également qu’en adoptant l’amendement COM-145 de la rapporteure, la Commission des affaires économiques du Sénat était venue renforcer les pouvoirs du médiateur des relations commerciales agricoles, en lui confiant un rôle d’arbitre. Un amendement n° 37 adopté en séance, revient sur cette disposition, ses auteurs percevant là un mélange des rôles regrettable. À la place, le présent amendement instaure un comité de règlement des différends commerciaux agricoles, plus adapté, estiment ses auteurs, à ce rôle d’arbitre.

Au terme de ces deux séances publiques des 21 et 22 septembre 2021, le Sénat a adopté, la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

Compte tenu de l’engagement de la procédure accélérée sur ce texte, la proposition de loi ainsi amendée devrait, en toute logique, être soumise rapidement à une commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Rappelons qu’en cas d’échec, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, en reprenant soit le texte élaboré par la commission mixte paritaire, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.

JURISPRUDENCE UE : Reconnaissant la possibilité de sanctionner concurremment l'absence de notification et la réalisation anticipée d'une concentration, le Tribunal de l’Union confirme le gun jumping d’Altice lors de l’acquisition de PT Portugal, tout en réduisant légèrement l’amende

 

Le 22 septembre 2021, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire T-425/18 (Altice Europe contre Commission européenne).

On se souvient qu’aux termes d’une décision adoptée le 24 avril 2018, La Commission européenne avait infligé une amende de 124,5 millions d'euros à Altice Europe, basée aux Pays-Bas, pour avoir procédé à l'acquisition de l'opérateur portugais de télécommunications PT Portugal, d’une part, avant même la notification de l’opération à la Commission et, d’autre part, avant l’autorisation de la Commission.

Notifiée à la Commission en février 2015, l’opération avait été autorisée sous conditions par la Commission le 20 avril 2015, sous réserve de la cession des branches portugaises d'Altice à l'époque, à savoir ONI et Cabovisão. En fait, le contrat d’acquisition d’actions de la cible (Share Purchase Agreement ou SPA) conclu 3 mois plus tôt, prévoyait un ensemble de règles concernant la gestion des activités de PT Portugal entre la signature de cet accord et la clôture de l’opération suite à l’autorisation de la Commission.

Dans la décision attaquée, la Commission a considéré non seulement que certaines dispositions du SPA donnaient à Altice la possibilité d'exercer une influence déterminante sur la cible, à la faveur d’un droit de veto sur les décisions concernant l'activité ordinaire de cette dernière, mais en outre, qu’Altice avait effectivement exercé une influence déterminante sur certains aspects des activités de PT Portugal, par exemple en lui donnant des instructions sur la manière de mener une campagne de marketing et en demandant et recevant des informations commercialement sensibles sur l'entreprise en dehors de tout accord de confidentialité, et ce, dès avant la notification officielle de l’opération.

En fait, la Commission a infligé deux amendes de même montant — 62 250 000 euros — à Altice, la première pour violation de l’obligation de notification de l’opération posée à l’article 4, § 1, du règlement « concentrations » et la seconde pour non-respect de l’interdiction de réaliser la concentration avant sa notification à la Commission et avant son autorisation par cette dernière au titre de l’article 7, § 1, du même règlement.

Contestant d’une part l’existence d’un gun jumping et protestant d’autre part contre le caractère « redondants » des infractions retenues au titre des articles 4, § 1, et 7, § 1, du règlement « concentrations », Altice a introduit un recours tendant à l’annulation de cette décision.

Pour l’essentiel, le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours. Toutefois, exerçant sa compétence de pleine juridiction, il consent à réduire de 10 % le montant de l’amende retenu au titre de la violation de l'obligation de notification prévue par l’article 4, § 1, du règlement « concentrations », alors même qu’il a considéré d’emblée que le cumul de sanctions au titre de la violation des articles 4, § 1, et 7, § 1, n’est pas « redondant ». Il a ainsi retenu que la gravité de l’infraction, tenant à l’absence de notification préalablement à la mise en oeuvre de l’opération, était  atténuée par le fait que, avant la signature du SPA, Altice avait averti la Commission de l’opération qu’elle allait effectuer et que, immédiatement après ladite signature, elle avait adressé à la Commission une demande de désignation d’une équipe chargée de traiter son dossier. Par ailleurs, le Tribunal a tenu compte du fait qu’Altice avait transmis à la Commission un exemplaire du SPA dès 3 février 2015, soit 3 semaines avant la notification officielle de l’opération (pt. 367). Ce faisant, l’amende pour la violation de l’obligation de notification est ramenée à 56 025 000 euros, et l’amende totale à 118 275 000 euros.

Dès l’abord, le Tribunal de l’Union rejette l’exception d’illégalité soulevée par Altice, selon laquelle l’amende encourue en cas de non-respect de l’obligation de notification prévue à l’article 4, § 1, du règlement « concentration » et celle prévue en cas de violation de l’obligation de ne pas réaliser la concentration avant sa notification et son autorisation prévue à l’article 7, § 1, du même règlement serait redondant. Il rappelle en premier lieu que, si une violation de l’obligation de notification entraîne automatiquement une violation de l’obligation de ne pas réaliser la concentration avant son autorisation, l’inverse n’est pas vrai, dans la mesure où une entreprise peut fort bien respecter l’obligation de notification, puis violer l’obligation de ne pas réaliser la concentration avant son autorisation (pts. 54-55). Il en découle que les deux dispositions poursuivent des objectifs autonomes dans le cadre du système de « guichet unique » (pt. 56), à savoir, d’une part, obliger les entreprises à notifier la concentration en cause avant sa réalisation et, d’autre part, les empêcher de réaliser cette concentration avant que la Commission ne la déclare compatible avec le marché intérieur (pt. 60), la première prévoyant une obligation de faire, tandis que la seconde emporte une obligation de ne pas faire (pt. 57). En outre, priver la Commission de la possibilité d’établir une distinction, grâce aux amendes qu’elle inflige, entre la situation dans laquelle l’entreprise respecterait l’obligation de notification, mais violerait l’obligation de suspension, et celle dans laquelle cette entreprise violerait ces deux obligations ne permettrait pas d’atteindre l’objectif du règlement n° 139/2004 qui est d’assurer un contrôle efficace des concentrations qui ont une dimension communautaire, dans la mesure où la violation de l’obligation de notification ne pourrait jamais faire l’objet d’une sanction spécifique (pt. 63). Par suite, le Tribunal conclut que ces deux dispositions ne sont ni redondants ni ne violent ni le principe de proportionnalité ni l’interdiction de la double sanction (pt. 65).

Pour le reste, Altice contestait en substance la mise en œuvre d’un gun jumping.

À cet égard, elle faisait d’abord valoir que les arrangements antérieurs à la clôture de l’acquisition prévus dans l’accord d’acquisition étaient par nature accessoires et ne constituaient pas une réalisation anticipée de la concentration.

Sur quoi le Tribunal commence par rappeler qu’une concentration est réputée réalisée lorsqu’un changement durable du contrôle résulte de l’acquisition du contrôle direct ou indirect de l’ensemble ou de parties d’une ou de plusieurs autres entreprises, étant entendu que le contrôle découle de la possibilité, conférée par des droits, des contrats ou d’autres moyens, d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise (pt. 76). Bref, là où il y avait deux entreprises distinctes avant l’opération pour une activité économique donnée, il n’y en aura plus qu’une après cette opération (pt. 84). Dès lors, il s’attache à vérifier si le SPA n’a entraîné un changement durable du contrôle de PT Portugal que par le transfert de ses actions à la requérante, comme le soutient celle‑ci, ou s’il a entraîné un tel changement en raison de la possibilité qu’il aurait donnée à cette dernière d’exercer une influence déterminante sur PT Portugal avant que l’opération n’ait été autorisée par la Commission (pt. 77). À cet égard, la requérante faisait principalement valoir que les arrangements antérieurs à la clôture inclus dans l’accord relatif à l’opération n’auraient pas donné à la requérante un droit de veto sur certaines décisions de PT Portugal.

Rappelant qu’un tel accord entre le vendeur et l’acheteur, lequel détermine le comportement de l’entreprise cible, ne peut toutefois être raisonnablement justifié que s’il est strictement limité à ce qui est nécessaire pour que la valeur de l’entreprise cible soit maintenue et ne donne pas à l’acheteur la possibilité d’exercer une influence déterminante sur celle-ci, par exemple en affectant le cours normal de ses opérations commerciales ou sa politique commerciale, le Tribunal confirme sur ce point que certaines dispositions de l’article 6, § 1, sous b), du SPA ne se limitaient pas strictement à garantir le maintien de la valeur de la cible, mais permettait à la requérante d’exercer une influence déterminante sur PT Portugal. Il en va ainsi du droit de veto prévu sur la nomination, le licenciement ou les modifications des termes des contrats de tout directeur ou administrateur, bref de la direction de PT Portugal (pts. 110-113). Ainsi, le SPA a donné à la requérante la possibilité de codéterminer la structure de la direction de PT Portugal, alors que le pouvoir de participer aux décisions relatives à la structure de l’encadrement supérieur habilite généralement son titulaire à exercer une influence déterminante sur la politique commerciale d’une entreprise (pt. 114). De même, le Tribunal constate l’obligation de la cible d’obtenir de la requérante un consentement écrit sur un vaste champ de décisions relatives aux prix et aux contrats avec les clients (pt. 115) et notamment celles de mettre fin ou de modifier certains types de contrats que PT Portugal pourrait conclure avant la clôture de l’acquisition (pt. 116). Dès lors, estime le Tribunal, c’est à juste titre que la Commission a conclu que l’obligation pour le vendeur d’obtenir le consentement écrit de la requérante pour prendre part, mettre fin ou modifier une large variété de contrats a donné la possibilité à cette dernière de déterminer la politique commerciale de PT Portugal, possibilité allant au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger sa valeur (pt. 131), d’autant que la requérante n’apporte aucun élément susceptible de démontrer que le pouvoir de bloquer les nominations, résiliations ou modifications de contrat de n’importe quel directeur ou administrateur, celui de bloquer les décisions relatives aux politiques tarifaires de PT Portugal ainsi que les prix standard proposés aux clients et celui de prendre part, de mettre fin ou de modifier certains types de contrats étaient nécessaire pour assurer la préservation de la valeur de l’entreprise cédée ou éviter qu’il soit porté atteinte à son intégrité commerciale (pt. 130).

Pour le Tribunal, Altice était en mesure de comprendre que les clauses préparatoires prévues par l’article 6, § 1, sous b), du SPA constituaient une mise en œuvre de la concentration, en violation de l’article 4, § 1, et de l’article 7, § 1, du règlement n° 139/2004 (pt. 154). Il écarte ce faisant toute violation du principe de sécurité juridique, voire du principe de protection de la confiance légitime.

Altice faisait également valoir qu’en tout état de cause, elle n’avait en réalité exercé aucune influence déterminante sur PT Portugal avant la clôture de l’opération, réfutant du même coup les sept exemples retenus par la Commission pour établir que la requérante avait exercé une influence déterminante sur PT Portugal et avait mis en œuvre la concentration avant son autorisation.

Passant en revue les sept exemples d’influence déterminante sur la cible, le Tribunal parvient à la conclusion qu’Altice est effectivement intervenue dans le fonctionnement quotidien de PT Portugal dans six cas — i) campagne de promotion des services mobiles par postpaiement, ii) renouvellement de la distribution de la chaîne de sports Porto Canal, iii) sélection de fournisseurs de réseau d’accès radio, iv) contrat relatif à de la vidéo à la demande, v) rachat des actions d’un réseau national de télécommunications et vi) appel d’offres pour la fourniture de services et de solutions de sous-traitance, alors même selon le Tribunal que chacun de ces cas relève des activités normales d’une entreprise active dans le domaine de la fourniture de services télévisuels. En revanche, il estime qu’Altice était légitime à refuser d’autoriser l’intégration d’une nouvelle chaîne de télévision… destinée aux chiens, dans la mesure où ce contenu aurait pu avoir des effets négatifs sur l’image de PT Portugal et que l’intervention de la requérante était donc nécessaire pour préserver l’image, voire la valeur qui pouvait découler d’une telle image, de PT Portugal (pt. 205). Dès lors, c’est à juste titre que la Commission a conclu que la requérante avait effectivement exercé une influence déterminante sur PT Portugal avant l’adoption de la décision d’autorisation mais aussi, dans certains cas, avant la notification, en violation de l’article 4, § 1, et de l’article 7, § 1, du règlement n° 139/2004. Le Tribunal ajoute que, dès lors que la requérante prétend que son intervention était justifiée en raison du caractère inhabituel de ces opérations, elle aurait dû demander une dérogation à l’obligation de suspension, pour ces opérations, sur la base de l’article 7, § 3, du règlement n° 139/2004 (pts. 215-216).

Altice contestait encore que des informations sensibles aient été échangées entre elle et PT Portugal. À cet égard, le Tribunal retient que c’est à juste titre que la Commission a conclu que les échanges d’informations avaient contribué à démontrer que la requérante avait exercé une influence déterminante sur certains aspects de l’activité de PT Portugal, et ce avant même la notification de l’opération, de sorte qu’Altice a exercé son influence déterminante sur PT Portugal en violation tant de son obligation de notification au titre de l’article 4, § 1, du règlement « concentrations » que de son obligation de suspension au titre de l’article 7, § 1, dudit règlement (pt. 240).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

 

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Relevant que la fixation, par un tribunal arbitral exerçant des prérogatives de puissance publique, d’un tarif d’électricité possiblement préférentiel, et par suite imputable à l’État grec, est susceptible d’emporter l’octroi d’un avantage, le Tribunal constate que la Commission, tenue de procéder à des appréciations économiques complexes, relatives, notamment, à la conformité dudit tarif aux conditions normales du marché, aurait dû éprouver des difficultés sérieuses la conduisant à ouvrir la procédure formelle d’examen

 

 

Le 22 septembre 2021, le Tribunal de l’Union a rendu son arrêt dans les affaires jointes T-639/14 RENV, T-352/15 et T-740/17 (DEI contre Commission européenne).

Les présentes affaires relèvent de trois litiges connexes successifs qui soulèvent la question de savoir si le tarif de fourniture d’électricité que la requérante, DEI, un producteur et fournisseur d’électricité établi à Athènes et contrôlé par l’État grec, est obligé de facturer, en vertu d’une sentence arbitrale, à son plus gros client, un producteur d’aluminium, implique l’octroi d’une aide d’État. À la suite de l’expiration en 2006 d’un accord datant de 1960 accordant à ce dernier un tarif préférentiel, les deux parties sont convenues de confier le règlement de leur différend au tribunal arbitral instauré au sein de l’Autorité de régulation de l’énergie hellénique (RAE). Contestant le tarif fixé par le tribunal arbitral, DEI a formé un recours devant la Cour d’appel d’Athènes, qui l’a rejeté. Il s’est alors tourné vers la Commission, soutenant que le tribunal arbitral avaient octroyé à son principal client une aide d’État illégale, dans la mesure où le tarif en cause l’obligeait à fournir à cette dernière de l’électricité à un prix inférieur à ses coûts et donc au prix du marché.

Par lettre du 12 juin 2014, la Commission a conclu au classement de la plainte, au motif que le tarif en cause ne constituait pas une aide d’État, les critères d’imputabilité et d’avantage n’étant pas remplis, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, § 2, TFUE.

DEI a alors formé un premier recours devant le Tribunal de l’Union tendant à l’annulation de la décision de classement. Cette dernière a été retirée par la Commission et remplacée par une décision datée du 25 mars 2015 parvenant à la même conclusion, au motif que la soumission volontaire par la requérante de son différend avec l’intervenante à l’arbitrage correspondait au comportement d’un investisseur avisé en économie de marché et, partant, ne comportait pas d’avantage. À la suite de l’annulation par la Cour de justice de l’ordonnance du Tribunal constatant qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours initial et le renvoi subséquent de l’affaire devant le Tribunal, la Commission a adopté, 14 août 2017, une seconde décision, abrogeant et remplaçant tant la lettre litigieuse que la première décision attaquée et ce, en reprenant des motifs identiques. DEI a donc formé un second recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision du 14 août 2017.

Après avoir joint les trois affaires pendantes, le Tribunal accueille les trois recours introduits par DEI et annule tant la lettre litigieuse de 2014 que les deux décisions de 2015 et 2017.

Dans son arrêt, le Tribunal apporte des clarifications sur la qualification d’un plaignant comme « partie intéressée » ayant qualité pour agir contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections, en vertu du droit des aides d’État, à l’encontre d’une mesure étatique. Rappelant que la notion d’intéressé, au sens de l’article 108, § 2, TFUE, est d’interprétation large, le Tribunal précise que cette disposition n’excluait pas qu’une entreprise qui n’était pas une concurrente directe de la bénéficiaire de l’aide fût qualifiée de partie intéressée, pour autant qu’elle fit valoir que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de l’aide, et que, à cette fin, il suffisait qu’elle démontre, à suffisance de droit, que l’aide risquait d’avoir une incidence concrète sur sa situation (pt. 81). Or, observe le Tribunal, la seconde décision attaquée produit des effets juridiquement contraignants à l’égard de DEI, en ce qu’elle constate l’inexistence d’une aide, à la faveur de laquelle la Commission clôt la phase préliminaire d’examen, et comporte ce faisant des effets juridiques obligatoires également à l’égard d’une partie intéressée. Au cas d’espèce, le recours visent à faire valoir l’existence de doutes ou de difficultés sérieuses qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen. Peu importe donc que les personnes intéressées ne se trouvant pas dans une relation concurrentielle avec le prétendu bénéficiaire de l’aide en cause. Il suffit que des personnes fassent valoir que leurs intérêts pourraient être affectés par l’octroi de ladite aide. Tel est le cas en l’espèce, dès lors que, d’une part, selon la requérante, la sentence arbitrale fixant le tarif en cause l’oblige à accorder des aides illégales à l’intervenante tout en lui causant des pertes financières, et, d’autre part, en raison du classement de sa plainte par, notamment, la seconde décision attaquée, elle se voit privée de la possibilité de faire valoir ses observations à cet égard dans le cadre d’une procédure formelle d’examen (pt. 83). Et ce d’autant que le recours de la requérante est dirigé contre un acte qui lui fait grief en affectant sa position juridique et ses intérêts et que, dès lors, son annulation est susceptible de lui procurer un bénéfice, fût-il parce qu’elle est susceptible, en vertu de l’article 266 TFUE, d’amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen au sens de l’article 108, § 2, TFUE (pt. 88). Tant que le recours vise à obtenir la sauvegarde de l’exercice des droits procéduraux dont le requérant jouirait à la suite de l’ouverture d’une procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, § 2, TFUE, il n’est donc pas nécessaire d’examiner la question très controversée entre les parties de savoir si la requérante est susceptible d’être qualifiée d’entreprise concurrente de l’intervenante pour lui reconnaître la qualité pour agir au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, ce n’est que dans l’hypothèse où le requérant mettrait en cause le bien-fondé de la décision litigieuse en tant que telle, que le simple fait qu’il puisse être considéré comme « intéressé » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours et qu’il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier (pt. 96). Dès lors, le Tribunal conclut que le présent recours est recevable en ce qu’il tend à obtenir la sauvegarde des garanties procédurales de la requérante dont elle jouirait, en tant que partie intéressée, dans l’hypothèse de l’ouverture de la procédure formelle d’examen au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (pt. 101).

S’agissant de la question de fond de savoir si la Commission aurait dû rencontrer des doutes ou des difficultés sérieuses lors de son évaluation des plaintes déposées par DEI, le Tribunal rejette l’argument de la Commission selon lequel un investisseur privé avisé se trouvant dans la situation de DEI aurait opté pour l’arbitrage et aurait accepté la fixation du tarif applicable par un tribunal arbitral composé d’experts dont le pouvoir d’appréciation était limité par des paramètres comparables à ceux contenus dans le compromis d’arbitrage (pt. 138), de sorte que la fixation du tarif en cause par le tribunal arbitral ne pouvait avoir pour effet l’octroi d’un avantage à Mytilinaios (pt. 140).

À cet égard, le Tribunal confirme que le tribunal arbitral, statuant en vertu d’une procédure d’arbitrage prévue par la loi et fixant un tarif de l’électricité par une décision juridiquement contraignante, doit être qualifié d’organe exerçant un pouvoir relevant des prérogatives de la puissance publique, compte tenu de sa nature, du contexte dans lequel son activité s’inscrit, de son objectif, ainsi que des règles auxquelles il est soumis, selon lesquelles ses décisions sont susceptibles de recours devant les juridictions étatiques, sont investies de l’autorité de la chose jugée et valent titre exécutoire. Partant, le tribunal arbitral est susceptible d’être assimilé à une juridiction étatique ordinaire (pt. 159).

Cela étant, eu égard à la répartition des compétences entre les juridictions nationales et la Commission en matière de contrôle des aides d’État (pt. 146), les juridictions nationales sont elles-mêmes susceptibles de méconnaître les obligations leur incombant au titre de l’article 107, § 1, et de l’article 108, § 3, TFUE et, ce faisant, rendre possible ou perpétuer l’octroi d’une aide illégale, voire devenir l’instrument à cet effet (pt. 147), ce qui relève de la compétence de contrôle de la Commission (pt. 148). Ainsi, afin de pouvoir écarter tout doute ou difficulté sérieuse quant à la question de savoir si le tarif en cause, fixé par la sentence arbitrale, comportait un avantage au sens de l’article 107, § 1, TFUE, la Commission était tenue d’effectuer un contrôle sur la question de savoir si une mesure étatique non notifiée, telle que ce tarif, mais contestée par un plaignant, remplissait la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, § 1, TFUE, y compris le critère d’avantage (pt. 160). Ainsi, lorsque la Commission est appelée à examiner la question de savoir si certaines mesures peuvent être qualifiées d’aide d’État, en raison du fait que les autorités publiques n’auraient pas agi de la même manière qu’un vendeur privé, elle doit procéder à une appréciation économique complexe, relatives, notamment, à la conformité dudit tarif aux conditions normales du marché. À cet égard, le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation économique à celle de la Commission (pt. 163). Or, en limitant son analyse à la question de savoir si un opérateur privé se serait soumis à l’arbitrage accepté par DEI, la Commission a délégué ces appréciations complexes aux instances helléniques tout en méconnaissant son propre devoir de contrôle (pt. 186). En outre, ayant égard aux éléments d’information soumis par DEI au cours de la procédure administrative, la Commission aurait dû effectuer sa propre analyse de la question de savoir si la méthode de détermination des coûts de DEI, telle qu’appliquée par le tribunal arbitral, était tant appropriée que suffisamment plausible pour établir que le tarif en cause était conforme aux conditions normales du marché (pt. 187).

La Commission n’ayant pas satisfait, dans la seconde décision attaquée, aux exigences de contrôle lui incombant (pt. 189), le Tribunal constate qu’elle aurait dû éprouver des difficultés sérieuses ou avoir des doutes exigeant qu’elle ouvre la procédure formelle d’examen (pt. 191). Ainsi, le Tribunal accueille le recours dans l’affaire T-740/17 et annule la seconde décision attaquée (pt. 193).

La seconde décision attaquée étant ainsi déclarée nulle et non avenue, celle-ci n’est susceptible d’abroger et de remplacer ni la première décision attaquée ni la lettre litigieuse. Dès lors, le recours visant l’annulation de la première décision attaquée ne pouvait perdre son objet. Eu égard au contenu presque identique des première et seconde décisions attaquées, le Tribunal, pour les mêmes motifs, accueille le recours dans l’affaire T-352/15 et annule la première décision attaquée. Dans la mesure où celle-ci n’est plus de nature à abroger et à remplacer la lettre litigieuse, l’affaire T-639/14 RENV conserve également son objet (pts. 200-201).
 
Après avoir déclaré le recours dans cette dernière affaire recevable, le Tribunal constate que la lettre litigieuse, qui constitue une prise de position définitive des services de la Commission sur les plaintes de DEI en procédant à leur classement, est entachée d’une erreur de forme en ce que celle-ci aurait dû être adoptée par la Commission en tant qu’organe collégial et faire l’objet d’une décision formelle et non d’une simple lettre signé par un chef d’unité de la DG concurrence, raison pour laquelle la Commission avait elle-même abrogé et remplacé cette lettre (pt. 216). Le Tribunal confirme, en outre, que la Commission aurait dû éprouver des difficultés sérieuses ou des doutes quant à l’existence d’une aide d’État ou, à tout le moins, qu’elle n’était pas en droit d’écarter de tels doutes au motif que la sentence arbitrale n’était pas imputable à l’État grec (pt. 233). En effet, en rappelant que, par sa nature et par ses effets juridiques, la sentence arbitrale est comparable à des jugements d’une juridiction ordinaire hellénique, de sorte qu’elle doit être qualifiée d’acte de puissance publique, le Tribunal souligne que DEI a démontré à suffisance de droit cette imputabilité (pts. 230-231).
 
Le Tribunal, ayant accueilli le troisième recours, annule donc également la lettre litigieuse (pt. 235).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE : La Cour de cassation rejette l’intégralité des pourvois dans l’affaire des échanges d’informations dans le secteur de la messagerie

 

À la faveur d'un arrêt rendu le 22 septembre 2021 à propos de l’affaire des échanges d’informations dans le secteur de la messagerie, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette l’intégralité des nombreux pourvois — pas moins de neuf — introduits contre l’arrêt rendu le 19 juillet 2018 par la Cour d’appel de Paris dans cette même affaire.

On se souvient que, dans cet arrêt, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris avait confirmé pour l’essentiel la décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 aux termes de laquelle l’Autorité de la concurrence avait sanctionné 19 entreprises du secteur de la messagerie et de la messagerie express (pour la livraison de marchandises de moins de trois tonnes) représentant bon an mal an 52 à 87 % dudit secteur et un syndicat professionnel, à hauteur d’un montant total cumulé de plus de 670 millions d’euros, pour avoir mis en œuvre deux ententes.

À l’origine, les pratiques sanctionnées ont été portées à la connaissance du Conseil de la concurrence en octobre 2008 à la faveur d'une demande de clémence présentée par un opérateur allemand, le groupe Deutsche Bahn. D'autres éléments de preuve ont ensuite été réunis à l'occasion d'opérations de visites et saisies réalisées en septembre 2010. À la suite de ces OVS, la société Alloin Transports a, à son tour, présenté une demande de clémence de second rang.

En dépit des difficultés d'un secteur marqué par une rentabilité très faible, voire négative qui a conduit à de nombreuses faillites et restructurations, en particulier au cours de l’année 2008, qui a vu la disparition de 11 % des entreprises du secteur et de près de 30 % de ses effectifs salariés pendant la période de l’entente, l’Autorité avait retenu une proportion de la valeur servant d’assiette du montant des sanctions pécuniaires de 9 %. En revanche, elle avait largement tenu compte de la faible capacité contributive de six entreprises mises en cause, ainsi que de celle du syndicat professionnel, leur octroyant des réductions d'amendes allant de 78,6 % à 99,99 % ! Sans compter les réductions d'amendes dues à l'application du programme de clémence, ou au titre de la non-contestation des griefs.

La principale entente, qui s’est déroulée du mois de septembre 2004 au mois de septembre 2010, a consisté en des échanges d’informations précises, futures, stratégiques et individualisées sur les hausses tarifaires que les entreprises du secteur de la messagerie envisageaient de demander à leurs clients respectifs. En pratique, les entreprises de messagerie échangeaient des informations chaque année avant le début des négociations annuelles, puis faisaient le point durant les négociations. Pendant l’été et/ou l’automne de chaque année, les entreprises concernées s’échangeaient des informations par courriels, courriers et lors d’une ou plusieurs réunions au sein du syndicat professionnel. Les entreprises adoptaient ensuite un comportement sur le marché en cohérence avec les informations préalablement échangées, c'est-à-dire qu'elles annonçaient à leurs clients des augmentations de prix conformes à la hausse convenue entre elles. Par ailleurs, les entreprises surveillaient le résultat des négociations tarifaires et la mise en œuvre effective auprès des clients de ce qui avait été décidé en commun, même si, compte tenu de l’opacité des négociations et de leur multiplicité, il n’était pas aisé de mettre en œuvre un mécanisme formalisé de surveillance et de représailles. En outre, des informations ont été échangées de façon bilatérale entre entreprises en dehors du cadre du syndicat professionnel. Du fait de la transparence accrue, même si chaque entreprise devait gérer individuellement les discussions avec ses propres clients, elle bénéficiait d’une position de négociation bien plus favorable que celle qui aurait résulté d’une situation de concurrence non faussée.

La seconde entente, de moindre importance, du moins si l'on en juge par le montant des sanctions, s’est déroulée du mois de mai 2004 au mois de janvier 2006, et a porté sur la mise en œuvre commune d’une « surcharge gazole » destinée à répercuter auprès des clients la hausse de 41,6 % qu'a connu le prix du gazole entre janvier 2004 et octobre 2005. Constatant une infraction par objet, l'Autorité de la concurrence avait écarté le bénéfice d'une exemption individuelle au titre des dispositions figurant à l'article 101, § 3, TFUE ou à l’alinéa 2 du I de l’article L. 420-4 du code de commerce, et ce au motif que les quatre conditions posées à l'article 101, § 3, TFUE n'étaient pas remplies, ce qu’à confirmé la Cour d’appel dans son arrêt,. En revanche, l'Autorité a pris en compte, au stade de l'évaluation de la sanction, la concomitance de fortes hausses du prix du gazole avec les débats parlementaires et les interventions des pouvoirs publics en faveur d’une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport, estimant qu'elle avait pu créer une certaine confusion dans l’esprit des professionnels. En tout état de cause, l'Autorité a estimé que le dommage à l'économie avait été limitée. Pour toutes ces raisons, l’Autorité a décidé de s’écarter de la méthode décrite dans le communiqué du 16 mai 2011 relative à la détermination des sanctions pécuniaires pour lui préférer un mode de fixation forfaitaire, méthode que la Cour d’appel a validé.

Aux termes du présent arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation commence par écarter de nombreux moyens comme n’étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation (pt. 8).

Elle passe ensuite en revue les nombreux autres moyens restants.

Les requérants faisaient valoir l’irrégularité de la saisine d’office de l’Autorité, dont on sait que l’initiative revient, du fait de la séparation des pouvoirs d’instruction et de jugement, au seul rapporteur général, en vertu de l’article L. 462-5 III du code de commerce. En substance, elles soutenaient que la proposition du rapporteur général ne figurait pas au dossier et que la proposition de saisine d’office formulée à l’oral par un des rapporteurs généraux adjoints ne pouvait pallier à son absence. Elles avançaient encore que l'article R. 461-3, alinéa 5, du code de commerce qui figure dans la partie réglementaire du code de commerce qui suit sa partie législative distincte, n'a, en prévoyant la possibilité pour le rapporteur général de déléguer les attributions prévues au « présent titre », pu viser que les attributions figurant dans le titre VI de la partie réglementaire du code de commerce, de sorte qu'en se fondant sur cette disposition pour admettre que le rapporteur général avait pu déléguer à un rapporteur général adjoint le pouvoir qu'il tient de l'article L. 462-5 III du code de commerce, d'émettre une proposition permettant à l'Autorité à de pratiques anticoncurrentielles, la cour appel avait violé, par fausse application, l'article R. 461-3 alinéa 5 du code de commerce ;

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rappelant que l’Autorité ne peut se saisir d’office de pratiques anticoncurrentielles que si la proposition lui en est préalablement faite par le rapporteur général, approuvant la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’exige que la proposition adressée à l’Autorité de se saisir d’office prenne la forme d’un avis écrit, une recommandation orale, à condition qu’elle émane du rapporteur général, apparaissant suffisante, ni qu’une telle proposition soit communiquée aux parties (pt. 101), relève que l'article L. 461-4 du code de commerce prévoit la désignation d'adjoints au rapporteur général et que l'article R. 461-3 alinéa 5 de ce code constitue une disposition normative de niveau approprié pour conférer au rapporteur général la possibilité de déléguer à un rapporteur général adjoint tout ou partie de ses attributions, lui seraient-elles attribuées par la loi et retient encore que ce même article R. 461-3 alinéa 5, qui figure au titre VI du livre IV du code de commerce, prévoit que le rapporteur général « peut déléguer à un ou plusieurs rapporteurs généraux adjoints tout ou partie des attributions qu'il détient conformément au présent titre ». Elle en déduit que, l'article L. 462-5 du code de commerce, qui donne pouvoir au rapporteur général de proposer au collège de l'Autorité de se saisir d'office, figurant dans ce même titre VI, il résulte de l'article R. 461-3 alinéa 5 précité que le rapporteur général peut déléguer à un rapporteur général adjoint le pouvoir de proposer à l'Autorité de se saisir d’office (pt. 16). Du reste, conclut la Cour, l'article R. 461-3 alinéa 5 renvoyait nécessairement au titre VI de la partie législative du code de commerce, dès lors que le titre VI de la partie réglementaire du même code ne mentionne aucun pouvoir du rapporteur général susceptible d'être délégué, de sorte que la Cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de la séparation des pouvoirs dès lors que la délégation en cause n'était pas détachable de la procédure contestée, dont l'appréciation de la légalité appartient à l'autorité judiciaire, a statué à bon droit et a légalement justifié sa décision (pt. 18).

La société Geodis et la SNCF faisait valoir, aux termes de leur pourvoi, que l'intervention de l'Autorité devant la Cour d'appel constituait, eu égard à ses conditions, une violation du droit à un procès équitable, dans la mesure où l’Autorité avait disposé d'un délai de sept mois pour déposer ses observations en réponse, là où les demandeur au recours devaient, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, déposer l'exposé de leurs moyens au greffe de la Cour dans les deux mois qui suivent la notification de la décision attaquée.

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, relevant que la différence de délais concrètement observée était en rapport avec le nombre de parties demanderesses et la volumétrie de leurs moyens, estime que la Cour d’appel de Paris a fait l'exacte application du principe de l'égalité des armes (pt. 22).

La société XPO remettait en cause, aux termes de son pourvoi, la délimitation du marché pertinent, estimant qu’en tant qu’entreprise n’offrant que des services de transport par palette, ses prestations de service n’étaient pas comparables aux entreprises de messageries n’offrant pas des services de transport par palette. Elle reprochait à la Cour d’appel de Paris de n’avoir pas censuré l’Autorité de la concurrence pour avoir retenu que le critère déterminant de la délimitation du secteur de la messagerie de colis ne consiste pas dans le mode de conditionnement des colis (présence/absence de palettes), mais bien dans le poids total des colis transportés (inférieur à trois tonnes), pour décider que la société XPO, quoique n'offrant que des services de transport palettisé, n'en est pas moins dans une situation de concurrence avec les autres entreprises du secteur de la messagerie.

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se contente de relever, à la suite de la Cour d’appel, que, si la société XPO n'offre que des services de transport par palettes, nombre d'entreprises de messagerie proposent des transports par palettes dans le cadre de leur offre de messagerie, de sorte qu’il existe une pluralité d'opérateurs, exerçant la même activité que celle dans laquelle la société XPO indiquait s'être spécialisée, dont la Cour d’appel de Paris a pu déduire que cette société était en concurrence avec ceux-ci (pts. 26-27).

La société Geodis et la SNCF faisait encore grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu qu’elles avaient participé à une entente sur le marché français de la messagerie et de la messagerie express, qui visait à la mise en place d'une concertation sur les hausses tarifaires annuelles, en dépit de l'absence de participation de Geodis à la pratique concertée reprochée pour les campagnes 2009-2010. Celle-ci faisait valoir que la personne censée la représenter à ces réunions n’était autre qu’une ancien salarié de la société Geodis, qui avait pris sa retraite au mois de mars 2009.

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se contente de relever que le fait que la personne en question, ancien salarié de la société Geodis, ait pris sa retraite au mois de mars 2009 ne permet pas d'exclure qu'il la représentait encore, après cette date, lors des réunions du conseil de métiers, observant à cet égard qu’elle figurait en qualité de représentant de la société Geodis sur les comptes rendus de ces réunions, quelle avait conservé, après son départ à la retraite, son adresse de messagerie électronique Geodis et que que la société Geodis n'a pas nommé, après son départ à la retraite, de nouveau représentant au conseil de métiers, tout en continuant à régler ses cotisations à la fédération TLF, et que cette absence de nomination d'un nouveau représentant de la société Geodis à compter du mois de mars 2009 pouvait aisément s'expliquer si cette personne avait continué de représenter l'entreprise après son départ à la retraite (pt. 30)… Dès lors, c’est sans méconnaître la présomption d'innocence, eu égard au faisceau d'indices retenu pour déterminer en quelle qualité ladite personne avait participé aux réunions litigieuses et à l'analyse des pièces qu'elle a effectuée que la Cour d'appel a estimé que la société Geodis était, s'agissant des campagnes tarifaires 2009/2010 et 2010/2011, représentée par cette dernière aux réunions en cause et qu'avaient eu lieu, au cours de celles-ci ou au cours d'échanges bilatéraux, des échanges d'information prohibés portant notamment sur des éléments dont elle était à l'origine et qui ne pouvaient avoir été communiqués que par son représentant, justifiant ainsi légalement sa décision (pt. 32).

Répondant encore à un moyen soulevé par les sociétés XPO et XPO Logistics Europe sur la date de fin des pratiques, la Chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré que la date de fin des pratiques ne correspondait pas à la date de la dernière réunion à laquelle a participé une entreprise, mais coïncidait avec la fin du cycle annuel de négociations, à l'issue duquel elle a cessé d'exploiter les informations obtenues lors de cette dernière réunion, ajoutant que c'est à tort que la société XPO soutenait, dans ses écritures d'appel, qu'il revenait à l'Autorité d'établir les effets de la pratique, cependant que celle-ci avait été qualifiée de pratique anticoncurrentielle par objet (pts. 35-36).

De même, réagissant à un moyen soulevé par la société Geodis et la SNCF concernant le rejet par la Cour d’appel de Paris d’un moyen tiré de l'absence d'imputabilité du grief n° 2 à la SNCF faute d'influence déterminante sur sa filiale Geodis pendant la période concernée par les pratiques, la Chambre commerciale de la Cour de cassation estime que la Cour d’appel de Paris, constatant que l'imputabilité des pratiques à la SNCF en sa qualité de société mère de la société Geodis, était fondée, non seulement sur la détention de 100 % du capital de cette dernière, mais aussi sur l'existence de liens organisationnels et de gouvernance entre la mère et sa fille, avait, par cette appréciation globale légalement justifié sa décision (pt. 40).

Mais l’ensemble des requérantes contestait surtout le mode de calcul des sanction infligées par l’Autorité de la concurrence et validé sur ce point par la Cour d’appel de Paris. S'agissant en premier lieu de la détermination du montant de base des sanctions, l'Autorité avait retenu, afin de déterminer le montant de base de l’amende, la valeur des ventes de tous les biens ou les services réalisés sur le marché affecté, et non pas seulement les ventes dont les prix ont été influencés par l’entente. Plus précisément, elle avait retenu, au titre de la valeur des ventes, le chiffre d’affaires lié aux prestations de messagerie et de messagerie express domestique sur le territoire français, dont elle a déduit le chiffre d’affaires réalisé lorsque les entreprises ont agi exclusivement comme sous-traitant d’un autre transporteur, le chiffre d’affaires réalisé lors de prestations intragroupe et le chiffre d’affaires réalisé lors de prestations internationales. Par leurs moyens, les requérantes invoquaient des erreurs de calcul lors de la détermination de la valeur de leurs ventes : absence de prise en compte des activités de sous-traitance et prise en compte indue de prestations étrangères aux activités de messagerie et de messagerie express, mais aussi d’activités internationales et intragroupe.

Les requérantes reprochaient encore à la Cour d’appel d’avoir validé le choix fait par l’Autorité, tant dans sa pratique décisionnelle que dans son communiqué sanctions, de ne pas prendre en compte le critère de la seule affectation des ventes par l’infraction, pour couvrir toutes les produits ou services « en relation avec l’infraction », considérant que c’est à juste titre que l’Autorité avait constaté que l’ensemble des prestations de messagerie classique et express réalisées sur le marché français étaient en relation avec le grief n° 2.

Sur la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie, les requérantes faisaient également grief à la Cour de Paris d’avoir confirmé la proportion de 9 % de la valeur retenue comme assiette du montant des sanctions pécuniaires au titre de la pratique d’échanges d’informations et, ce faisant, d’avoir approuvé pour l’essentiel l’analyse conduite par l’Autorité en ce qui concerne la gravité des faits, d’autant que l’Autorité avait déjà admis que le dommage à l’économie avait été limité.

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré que, dès l'instant où une catégorie de produits ou services est « en relation avec l'infraction », la valeur des ventes de cette catégorie de produits ou de services doit être prise en compte et qu'ainsi c'est la qualification de l'infraction, effectuée au regard de son objet ou de ses effets, qui permet de déterminer les catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction, cependant qu'il n'est fait aucune référence à une nécessaire affectation des ventes de ces catégories de produits ou services par l'infraction pour pouvoir prendre en compte leur valeur (pt. 50). Elle approuve également la Cour d’appel de Paris d’avoir retenu que l'Autorité a pu décider que l'ensemble des prestations de messagerie classique et express réalisées sur le marché français étaient en relation avec le grief n° 2, dès lors que les informations échangées concernaient un aspect de la politique tarifaire générale qu'entendaient suivre les entreprises participantes, soit le taux de hausse qu'elles souhaitaient obtenir, sans distinction selon la nature des services ou selon les caractéristiques des clients (pt. 51). Ensuite, elle fait sienne la constatation selon laquelle la prise en compte, comme assiette des sanctions, de la valeur de l'ensemble des ventes des produits et services en relation avec l'infraction n'est pas contraire au principe de proportionnalité des peines, dès lors que sont appliqués à la valeur retenue un coefficient fixé en fonction de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie ainsi qu'un coefficient traduisant la durée de l'infraction et de la participation individuelle de chaque entreprise à l'entente et que le montant de base ainsi obtenu peut encore faire l'objet d'une individualisation en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes propres à chaque entreprise, et d'ajustement finaux pour tenir compte de ses éventuelles difficultés (pt. 53). Partant, conclut-elle, la Cour d'appel, qui a fait l’exacte interprétation des termes du communiqué et de leur portée visant à prendre en considération l'ampleur économique de l'infraction, a, sans établir une présomption irréfragable, ni méconnu la présomption d'innocence, et abstraction faite des motifs surabondants relatifs aux charges des services d'enquête de l'Autorité et à l'effet dissuasif des sanctions, ainsi que de ceux, également surabondants et relatifs à la particularité de certains contrats ou clients, légalement justifié sa décision (pt. 54).

Par ailleurs, certaines entreprises contestait la mise en oeuvre par l’Autorité de la réduction d’amende au titre d’entreprise mono-produit. S’agissant de la société Kuehne+Nagel, la Cour avait relevé que l’« entreprise », au sens du droit de la concurrence, avait été successivement constituée, du 30 septembre 2004 au 30 juin 2007, de l’entité formée par la société Alloin Transport et sa société mère Alloin Holding, du 1er juillet 2007 au 5 janvier 2009, par l’entité formée de la société Transport Alloin, devenue Kuehne+Nagel, et de sa société mère Alloin Holding et, du 6 janvier 2009 au 29 septembre 2010, de la société Kuehne+Nagel et de ses sociétés mère Alloin Holding et grand-mère Kuehne+Nagel International. Or, constate à son tour la Chambre commerciale de la Cour de cassation, les requérantes n’ont pas établi que ces entités, ou l’une d’entre elles, avait le caractère d’entreprise mono-produit (pt. 58).

Répondant encore à un moyen soulevé par les sociétés Overland, Kuehne Nagel Road et Kuehne+Kuehne Nagel International à propos du plafond de sanction de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rappelant que, lorsque les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en considération pour le calcul du plafond légal est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante, sans que soit exigé que l'entreprise sanctionnée ait été, au moment des pratiques anticoncurrentielles, filiale de l'entreprise consolidante ou combinante, seul important le fait que ses comptes ont été consolidés ou combinés au titre de l'exercice au cours duquel a été réalisé le chiffre d'affaires retenu pour le calcul du plafond légal, estime que c'est à bon droit, cependant que la règle légale en cause fixe seulement un plafond de sanction, dont le respect a été vérifié, que l'arrêt attaqué en a déduit que rien ne s'opposait à ce que ce plafond ait été calculé par référence au chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe du groupe Kuehne +Nagel, y compris pour la partie de la sanction correspondant à la participation à la pratique antérieurement au 6 janvier 2009, date d'acquisition par ce groupe du groupe Alloin, auteur de la pratique. Il suffit, à cet égard, que la proportionnalité de la sanction ait été vérifiée concrètement par la Cour d'appel au terme d'une méthode de fixation appliquant, à la valeur de l'ensemble des ventes des produits et services en relation avec l'infraction, un coefficient fixé en fonction de la gravité des faits et du dommage causé à l'économie ainsi qu'un coefficient traduisant la durée de l'infraction et de la participation individuelle de chaque entreprise à l'entente et individualisant la sanction en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes propres à chaque entreprise et d'ajustement finaux en cas d'éventuelles difficultés de celle-ci (pt. 62).

Pour le reste, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, répondant à un moyen soulevé par les sociétés DHL express (France), DHL holding France et Deutsche Post, approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré que, bien que ne constituant pas une entente entre concurrents ayant pour objet de fixer directement en commun leurs prix futurs, les échanges d'informations en cause tendaient à la hausse de prix futurs et contribuaient ainsi indirectement à leur fixation à un niveau supra concurrentiel, de sorte que la Cour d'appel, qui ne s'est pas contredite, a pu retenir que constituent des infractions particulièrement graves et sévèrement réprimées les ententes horizontales tendant à la fixation des prix futurs (pt. 67).
 
On se souvient que le demandeur de clémence de rang 1 n'avait pas obtenu l'immunité totale, mais avait écopé de 3 millions d'euros d'amende pour n'avoir pas respecté ses obligations de coopération totale avec l'Autorité. Quoique les demandeurs de clémence — les sociétés Deutsche Bahn AG et ses filiales pendant l’instruction — étaient censées avoir interrompu leur participation aux activités illégales présumées en 2008, il apparaît qu'elles avaient de nouveau pris part à l’infraction suspectée en participant, le 16 septembre 2010, à une réunion du Conseil de Métiers, sans en informer les services d’instruction de l’Autorité. Les sociétés Deutsche Bahn et Schenker France, demanderesse à la clémence, reprochaient à l’Autorité d’avoir retenu avec l’approbation de la Cour d’appel que, s’il ne saurait leur être reproché d’avoir continué de participer aux réunions du Conseil de Métiers, puisque l’avis de clémence ne le leur interdisait pas, en revanche, les requérantes avaient manqué à la première condition de l’avis de clémence, en ne l’informant pas de sa participation à la réunion du 16 septembre 2010 et de la teneur des échanges potentiellement prohibés qui s’y sont déroulés et qu’il importe peu à cet égard que ce comportement ait résulté d’une négligence ou d’une volonté de se soustraire auxdits engagements. Au final, la Cour avait estimé que le fait que l’amende finalement infligée corresponde à seulement 4,37 % de la sanction qui aurait pu être appliquée aux requérantes au titre de leurs agissements anticoncurrentiels suffisait à en démontrer le caractère proportionné. La Chambre commerciale de la Cour de cassation estime quant à elle, qu’en l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision (pt. 74). Et que la Cour d'appel, qui a contrôlé la proportionnalité entre le manquement constaté et la sanction prononcée et qui a pris à juste titre en considération l'objectif de dissuasion ressortissant à l'obligation légale de réduire le montant de l'exonération associée à la procédure de clémence lorsqu'un manquement, serait-il de simple négligence, est constaté de la part d'une entreprise ayant obtenu le bénéfice conditionnel de la clémence, peu important l'importance des conséquences, au cas d'espèce, de ce manquement, a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision (pt. 79).

 

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : La Commission informe la société américaine Illumina des mesures provisoires qu'elle entend adopter pour la contraindre à respecter son obligation de suspension pendant l’examen de l'acquisition de GRAIL

 

Le ton monte entre la Commission européenne et Illumina à propos du projet d'acquisition de Grail.

La Commission menace à présent de joindre les actes à la parole. Elle a adressé, ce jour, 20 septembre 2021, une communication des griefs à Illumina et à GRAIL, les informant des mesures provisoires qu'elle entend adopter à la suite de la présumée violation, par les entreprises, de l'obligation de suspension prévue par le règlement de l'UE sur les concentrations.

On se souvient que la société américaine Illumina avait confirmé publiquement le 18 août 2021 qu’elle envisageait de procéder à l'acquisition de GRAIL, alors même que la Commission s’était déclarée compétente pour examiner l’opération de concentration en acceptant, à la faveur d’une décision du 19 avril 2021 (non encore publiée), la demande de renvoi du 9 mars 2021 au titre de l’article 22, § 1, du règlement CE sur les concentrations formulée par l’Autorité de la concurrence. Il s’agit là en effet de la première opération de concentration en-dessous des seuils de notification a être examinée par la Commission sur le fondement du règlement concentration de 2004 et donc de la « clause hollandaise » introduite à l’article 22 dudit règlement depuis le revirement dans la mise en oeuvre de cette disposition annoncée le 11 septembre 2020 par la vice-présidente exécutif de la Commission, chargée de la politique de la concurrence, Margrethe Vestager. Rappelons également qu’un recours contre cette décision a été introduit devant le Tribunal de l’Union.


Visiblement convaincue que la décision d'Illumina de procéder à l'acquisition de GRAIL, alors que son enquête approfondie sur l'opération envisagée est toujours en cours, constitue une violation de l’« obligation de suspension » en vertu de l'article 7 du règlement sur les concentrations, la Commission, qui insiste sur le fait que c'est la première fois que des entreprises mettent en œuvre ouvertement leur opération alors qu’elle mène une enquête approfondie, et qu’elle est ainsi conduite à adopter des mesures provisoires à la suite de la réalisation précoce inédite d'une concentration soumise à son examen, entend à tout le moins maintenir GRAIL comme une entité distincte d’Illumina. Ces mesures provisoires visent, en outre, à remédier à un certain nombre de manquements sérieux, indique par ailleurs la Commission.

GRAIL et Illumina ont désormais la possibilité de répondre par écrit et oralement à la communication des griefs de la Commission, avant qu’elle ne rendent les mesures provisoires envisagées contraignantes.

En toutes occurrences, la Commission indique qu’elle se réserve la possibilité de poursuivre les entreprises pour gun jumping.


Le bras de fer continu...

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission.

 

Bonjour,
 
Concurrences organisera la 9ème édition de la conférence « Bill Kovacic Antitrust Salon » en ligne par le biais d'une série de 3 webinaires entre le 27 et le 29 septembre.
 
La conférence sera composée de trois panels :
 
— « New Antitrust Leadership & Legislative Agenda for Mergers: Will Congress Step Up? », lundi 27 septembre 2021 19h00 - 21h00 CEST

— « The Future of Antitrust Jurisprudence: What the Courts Could Say About the New Trends », mardi 28 septembre 2021 19h00 - 20h30 CEST

— « U.S. Antitrust & Trade Relations in the World: Towards a New Global Network or Bilateral Agreements? », mercredi 29 septembre 2021 19h00 - 20h30 CEST
 
Parmi les intervenants figurent notamment : David Cicilline (U.S. House of Representatives), Douglas Ginsburg (U.S. Court of Appeals for the District of Columbia Circuit), Frédéric Jenny (OCDE, ESSEC), Amy Klobuchar (U.S Senate), William Kovacic (The George Washington University Law School), Diana Moss (American Antitrust Institute), Noah Joshua Phillips (U.S. Federal Trade Commission), Randal C. Picker (University of Chicago), Richard Powers (U.S. Department of Justice Antitrust Division),...
 
Inscription libre et gratuite ICI.
 
Pour toute question, merci de contacter par E-MAIL.
 
Nous espérons vous accueillir nombreux à cette conférence.
 
Bien cordialement,
 
Nicolas Charbit — Achet-Billa Saleh
Directeur — Responsable événements
Concurrences

L'expert-comptable de justice et les préjudices de concurrence

Marseille, 15 octobre 2021

 

Bonjour à tous,

La Compagnie Nationale des Experts de Justice (« CNECJ ») tiendra son congrès annuel le 15 octobre prochain à Marseille, sur le thème « L’expert-comptable de justice et les préjudices de concurrence ».

La première Table ronde présentera les spécificités du droit de la concurrence en matière de réparation des préjudices, et bénéficiera d’une présentation du thème par Madame le Professeur Muriel Chagny, relayée par les interventions de MM. Dominique Ponsot (conseiller, Cour de cassation), Olivier Peronnet (Président CNECJ), Patrick Lesbros (Président de la Chambre spécialisée en Droit de la concurrence au Tribunal de commerce de Marseille), et Michel Jockey (Avocat).

La deuxième Table ronde sera consacrée au lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice allégué. Elle sera ouverte par Monsieur le Professeur Nicolas Rontchevsky et bénéficiera des interventions de MM. Pierre Calloch (Président de Chambre à la Cour d’appel d’Aix en Provence), Bruno Cressard (Avocat), Vincent Vigneau (Conseiller, Cour de cassation) et Mathieu Amice (Expert de justice).

La troisième Table ronde sera centrée sur les préjudices de concurrence et l’approche quantum par une analyse dynamique de la jurisprudence. Madame Marie-Laure Dallery (Présidente de la Chambre 5-4 de la Cour d’appel de Paris) ouvrira la séance avec la participation de Mme le Professeur Clémence Mouly-Guillemaud (Faculté de Droit Montpellier, Centre du Droit de l’Entreprise) et de MM. François Point (Conseiller, Cour administrative d’appel de Marseille), Thierry Borel (Expert de justice) et Yves Schmidt (Avocat).

La quatrième Table ronde traitera de l’Expert de justice et l’Expert de partie. Elle réunit MM. Pierre Loeper et Jean-Marc Dauphin (Experts de justice), Patrick de Fontbressin et Antoine Chatain (Avocats), et bénéficiera également de la participation de M. le Professeur Didier Porracchia et de M. Pierre Calloch.

Le programme est consultable et téléchargeable ICI.

Bien cordialement

Muriel Chagny

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