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LASTESIS, RITA SEGATO ET LES VIOLENCES DE GENRE

La semaine dernière, Censored publiait une interview de Noémie Grunenwald, autrice du livre Sur les bouts de la langue - Traduire en féministe/s, témoignant de l’importance que représentent les traductions pour les luttes féministes contemporaines. Aujourd'hui, nous vous présentons l'une de ces autrices peu traduites, et dont la réflexion peine à faire son chemin en Europe : Rita Segato. Anthropologue, activiste et professeure spécialisée dans l’analyse des thématiques liées aux violences de genre, l’écrivaine est pourtant considérée comme pionnière de la réflexion latino-américaine mêlant féminismes et colonialisme. 

photo : Victoria Valdivia Trigo
prise lors du rassemblement avec Lastesis le 20 octobre 2021 place de la République

Rita Segato naît le 14 août 1951 à Buenos Aires, en Argentine. Professeure, chercheuse et militante, les violences de genre représentent son domaine de spécialité, plus précisément dans les communautés afro-américaines et indiennes. Ses écrits, en plus d’avoir eu une influence considérable dans l’évolution du droit international, structurent en grande partie la pensée du féminisme-décolonial en Amérique du Sud. Et le domaine de la recherche universitaire est loin d’être le seul à lui accorder du crédit : vous avez sûrement vu passer sur nos réseaux des actualités avec LasTesis. Nous avons eu l’immense chance de collaborer avec le collectif chilien sur la création d’un fanzine. Dans ce même but, nous étions place de la République mercredi 20 octobre pour assister à une de leur performance, qui a fait le tour du monde : Un violador en tu camino (Un violeur sur ton chemin). En quelques mots, il s’agit d’une chorégraphie très simple, accompagnée de paroles chantées en espagnol, issues de textes de Rita Segato ! Les membres du collectif se mettent en ligne, et la foule assistant à la manifestation est invitée à les rejoindre. Vous pourrez trouver un extrait de la performance sur l’Instagram de Censored. Pour y avoir assisté, c’est un moment incroyablement percutant, fort, d’une grande sororité. Notamment quand des centaines de personnes pointent les spectateurices en face d’elles, en prononçant ces mots : « el violador eres tu », « le violeur, c’est toi ». Car oui, et nous y reviendrons après : Adèle Haenel le formulait auprès de Médiapart il y a quelques mois, « les monstres, ça n'existe pas ». Les violeurs, ce sont nos pères, nos frères, nos oncles.

Alors pourquoi la pensée de Rita Segato est-elle tant révolutionnaire, au point d’être reprise comme symbole de lutte dans les rues du monde entier ? D'abord parce qu’elle dénonce les violences de genre comme systémiques : ancrées, permises dans et et par le système. Un système entretenu par ce qu’elle nomme « l’ennemi commun » : le patriarcat. Déjà, elle considère le genre « caractéristique essentielle » à toute vie sociale, régissant les relations interpersonnelles, politiques, économiques. Elle désigne l’ordre patriarcal comme la structure des violences faites aux femmes, dont l’ensemble de la population est victime, hommes inclus : par l’impératif à la masculinité qui le caractérise, le patriarcat les enferme dans la violence, les appelant à exercer leur pouvoir sur le corps des femmes comme preuve de leur puissance et respectabilité aux yeux de leurs pairs.

« Je suis parvenue à cette conclusion après avoir étudié le fonctionnement de gangs au Salvador, en Colombie ou au Mexique. Comment sont recrutés ces enfants qui se satisfont de mourir avant d'avoir atteint 25 ans ? A travers l'obéissance à cette injonction à la masculinité. C'est elle qui fournit la chair à canon. Je crois que beaucoup d'hommes essaient de sortir de ce système, et c'est aussi grâce au mouvement féministe que certains y parviennent. »
Rita Segato

Rita Segato appelle les hommes cis à se désolidariser de cet impératif sociétal. Au-delà d’inclure les hommes dans la lutte féministe, elle les considère inhérents à celle-ci, nécessaires à la déconstruction de l’ordre établi, puisque principaux acteurs. 

Pour mieux comprendre cette pensée, nous nous sommes tournées vers son livre La guerra contra las mujeres. Il relate les féminicides de Ciudad Juarez, ville du Mexique située à la frontière américaine, où plus de 1440 femmes ont été torturées, violées et tuées entre 1993 et 2013, sans qu’aucune intervention n’ait été entreprise de la part des autorités du pays. Au vu de la situation économique et politique de la région (précarité extrême, narcotrafic, guerre de gangs…), Ciudad Juarez tisse le portrait parfait de ce que Rita Segato désigne comme une « guerre actuelle ». Le corps des femmes n’y est plus un butin, un trophée témoignant d’une victoire quelconque, mais le lieu même du conflit : le territoire à conquérir et à détruire pour les hommes détenteurs d’un hyperpouvoir, et le témoin de leur souveraineté politique auprès des autres hommes. La violence exercée sur le corps des femmes qu’ils exhibent après les avoir violées et tuées prend une dimension spectaculaire : c’est une mise en scène du contrôle qu’ils exercent sur autrui, appelant à la contagiosité de cette violence.  

Rita Segato évoque ensuite quelque chose qui a retenu notre attention: « l’inexistence des crimes sexuels ». Dans un contexte comme celui de Ciudad Juarez, le « crime sexuel » n’existe pas. Explication : il n’y a que des crimes de pouvoir, de domination, de punition. Des crimes commis en vue de dominer les femmes pour leur genre, et non pour motifs sexuels. C’est ainsi que l’écrivaine introduit le terme fémigénocide dans sa réflexion et dans sa lutte.

« Nous avons besoin d’une catégorie qui puisse être portée au niveau juridique de la juridiction internationale des droits humains, qui définisse un type de crime d’un autre ordre, où la femme meurt non pas à cause de la dynamique des relations interpersonnelles, mais meurt à cause du genre (gender), c’est-à-dire que la victime n’avait pas de relations personnelles avec ses tortionnaires, ils ne la connaissent pas et nous n’avons pas non plus une relation simple entre un meurtrier et une victime. Au contraire, il y a un groupe et un chef qui font un grand nombre de victimes. C’est pour cette catégorie-là que je propose de réserver la catégorie de fémigénocide. »

Segato, Rita Laura – Un dictionnaire décolonial

Rita Segato nomme les violences subies par les femmes, de Ciudad Juarez ou d’ailleurs, leur « donne une consistance juridique ». Pour permettre aux femmes victimes ou proches de victimes d’obtenir justice, « au nom de la répression des crimes contre l’humanité ». Un combat durement mené qui a porté ses fruits en 2009, lorsque la Cour Internationale des Droits de l’Homme (CIDH) a reconnu coupable les autorités mexicaines pour la perpétuation des crimes de Ciudad Juarez. Une décision historique. 

En tant que militant.e.s, nous connaissons tous.tes ce slogan : « le privé est politique ». Là aussi, Rita Segato émet une pensée à contre-courant : pour la chercheuse, il faut faire l’inverse. Débureaucratiser la politique, et non y introduire un espace domestique, d’ores et déjà régi par l’ordre patriarcal. Humaniser la politique, la reconstruire au moyen de normes issues des communautés féministes, c’est offrir la possibilité d’en faire un lieu accessible et adapté aux problématiques identifiées comme privées. 

Tout cela interroge. Comment une réflexion si poussée, pionnière du féminisme sur tout un continent, a-t-elle pu être à ce point ignorée en Europe ? C’est frustrant, incompréhensible. L'une des réponses : l’absence de traduction, en grande partie. Seulement deux textes de Rita Segato sont accessibles en français aujourd’hui.  

Alors oui, la traduction est politique. Oui, l’accessibilité par la langue est primordiale. « Le langage construit la pensée » : vous avez sûrement déjà entendu cette phrase ? Rita Segato en est un exemple concret. 
 

Par Paola Serafin

LA VOLONTÉ DE CHANGER - LES HOMMES, LA MASCULINITÉ ET L'AMOUR

Un nouveau texte traduit et attendu de l'autrice bell hooks, publié aux éditions Divergences. La volonté de changer est un des premiers ouvrages féministes à poser clairement la question de la masculinité. En abordant les préoccupations les plus courantes des hommes, de la peur de l’intimité au malheur amoureux, en passant par l’injonction au travail, à la virilité et à la performance sexuelle, bell hooks donne un aperçu saisissant de ce que pourrait être une masculinité libérée, donc féministe.
Disponible en librairies à partir du 29 octobre. 

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DE LA VIOLENCE COLONIALE DANS L'ESPACE PUBLIC, PAR FRANÇOISE VERGÈS ET SEUMBOY VRAINOM :€

C'est la première publication de la toute nouvelle maison d'édition, Shed. Le livre revient sur les débats et les luttes menées à travers le monde autour de statues, célébrant esclavagistes et colonialistes, « au pied desquelles le pouvoir dépose des gerbes de fleurs. » Accompagné d’une riche sélection d’images d’archives et ponctué par les interventions visuelles de l’artiste Seumboy Vrainom :€, Françoise Vergès livre ici un texte incisif qui propose une nouvelle manière d’aborder la ville. Commander ici.
LE FESTIVAL LES CRÉATIVES À GENÈVE, LAUSANNE ET BÂLE

Le festival suisse Les Créatives vient d'annoncer sa programmation et comme chaque année, elle vaut vraiment le détour. Au programme : échange avec Maggie Nelson autour de l’amour par la journaliste Pauline Verduzier, lectures performées du recueil Lettres aux jeunes poétesses, table-ronde sur les transidentités, adaptatio théâtrale d'un texte de Chloé Delaume et concerts d’Arlo Parks, Yseult, Yndi ou encore Bonnie Banane. On vous encourage à aller jeter un oeil à la programmation entière : ici.
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RAYONS GAMMA

Le premier album de P.R2B, Rayons Gamma, vient de sortir : on aime ses magnifiques textes travaillés et poétiques, moitié parl,é moitié chanté, mêlant douceur et révolte, le tout en français. 
Emma Beko - sadguitar_v777.wav
MEYY, Joanna - Do It
Martha Da'ro - Let Me
Smerz - Remember


 
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