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Odyssée Argentique

Et le vent siffle toujours 🐮🇲🇪

📍 Kotor (Monténégro)
📅 188 jours depuis le départ
🥾 3 502 kilomètres depuis Tours
📓 406 pages de notes consignées dans mon cahier
📸 513 photographies capturées
📖 Les Raisins de la colère (1939) de John Steinbeck en lecture du moment
🔗 Plus de détails sur l'Odyssée Argentique
📮 Les autres extraits du journal de bord
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Mardi 9 novembre. Je viens de passer une nuit humide, sous les interminables larmes d'un ciel en pleur. Enfoui dans mon duvet, caché sous ma toile, j'écoutais dans l'obscurité les gouttes qui glissaient le long de la paroi. Parfois, les airs hurlaient, bousculant les nuages. La pluie cessait, le temps d'une brève accalmie, avant de reprendre, inépuisable. Je suis en terre monténégrine depuis samedi et clairement, la météo n'a rien d'un cadeau.

Ce matin, je traverse le petit hameau de Ledenice, fort semblable à ceux que j'ai déjà traversé dans les campagnes des Balkans. De vieilles maisons, à la pierre blanche et à la toiture orangée. Des ruines parfois, vestiges d'anciennes fermes. Les petites routes mal entretenues qui sinuent entre ces bâtisses sont juchées de véhicules, dont l'état laisse parfois à désirer. Entre deux 4x4, j'observe un amoncellement de déchets. Du tout venant. Une énième maison qui a fait l'objet d'un ménage de printemps, je suggère. En contrebas de la route fleurissent de grands jardins. Tous sont intelligemment utilisés. Le travail de la terre est un art qui se cultive dans ces pays. Malgré la saison tardive, j'observe encore des tomates, aussi joufflues qu'elles sont rouges. Il y a aussi des carottes, des choux, quelque salades et d'autres légumes que mes piètres connaissances en botanique ne parviennent pas à identifier. Tous prennent le soleil qui vient d'apparaître derrière l'épaisse couche nuageuse qui encombrait jusqu'alors la vallée. La photosynthèse s'opère, le potager de demain sera encore plus joli que celui d'aujourd'hui.

Et puis je m'arrête. J'ai soif et mes gourdes sont vides. J'aurais pu les remplir avec l'eau de la citerne que je trouvais un heure auparavant, mais j'ai préféré attendre rencontrer des locaux. J'aime le contact, j'aime parler aux gens, ça ne s'explique pas. Et quémander de l'eau demeure la meilleure manière d'engager une conversation.
Quatre hommes. Trois grisonnants, au regard usé, à la démarche franche. Le dernier bien plus jeune, à l'allure vive, habillé d'un sweat à capuche Nike tacheté de rouge. Et tous à l'allure bourrue du fermier monténégrin. Les quatre hommes s'affairent autour d'un arbre auquel est attaché un jeune veau. Je suis toujours à l'arrêt et suppose que ces braves fermiers pourront m'offrir de l'eau. Tout va trop vite. Je ne comprends pas vraiment ce qu'il va se passer. Soudainement, le premier des trois plus âgés se saisit d'une masse au manche long d'un bon mètre. Tout va trop vite. Il s'approche de la bête. Il lève au ciel sa masse avant de la laisser tomber sur le cou de l'animal. Le coup résonne terriblement et le veau hurle de douleur. Tout va très vite. Mes yeux roulent le long de cette scène ubuesque. Au sol, je remarque une peau immaculée d'un sang qui semble encore chaud. Contre l'un des véhicules garés-là, une panoplie de couteaux, véritable attirail de boucher. Les tâches rouges du sweat à capuche Nike proviennent probablement de la bête qui a été tuée il y a quelques minutes, et dont la peau gît au sol. Tout va trop vite et j'entends le vent siffler.
 
Le second des trois hommes âgés ne semble pas satisfait du premier coup de masse. Sans doute ce dernier était insuffisamment puissant pour mettre l'animal KO. Alors, d'un geste furtif, il s'empare de l'arme fatale et la scène se répète. Mais cette fois-ci, je croise le regard du veau. Je croise le regard de la peur. L'animal sait. Il sait qu'il va vivre son dernier instant. Que dans une seconde, il va s'éteindre et tomber dans un sommeil éternel. Son regard se remplit d'effroi, brille d'une crainte évidente. Ses yeux sortent de ses orbites, comme s'ils appelaient au secours, criaient à l'aide. Son corps tout entier remue tel un être aliéné. Ses mouvements sont semblables à ceux d'un taureau de rodéo. Il donne toute sa puissance à la mercie d'une libération qu'il n'obtiendra jamais. Ses yeux à nouveau croisent mon regard. Ils sont jaunis par l'anxiété, effrayants et effrayés à la fois. Je frissonne. Le veau s'agite encore plus et les quatre hommes haussent le ton. Il s'agit de bien viser pour éviter la souffrance. Même s'il se sait perdu d'avance, l'animal se débat, encore et toujours. La corde menace de rompre. Les hommes crient de plus en plus fort et soudainement, le silence se fait. La masse s'abat sèchement sur la nuque du veau. Il cesse de gémir, son regard disparaît dans l'ombre et son corps s'effondre sur le sol. Tout va trop vite et le vent siffle toujours.
 
Enfin, le troisième des derniers hommes âgés s'approche de la bête, couteau à la main. Il murmure quelque mot que je ne parviens à comprendre, se penche sur le cou du veau et d'un geste ferme et précis, enfonce la lame à travers sa gorge. Une hémoglobine flamboyante gicle en cascades. Le sang rouge se déverse sur la pelouse verte, au rythme d'un cœur qui lâche ses dernières pulsations. Le corps entre en convulsion, les quatre pattes de la bête dansent sur une piste qui n'existe pas. Il y a ce son, celui d'un clapotis. Comme un tuyau empli qui subirait par à-coups une excessive pression. Et il y a cette odeur, fétide, pestilentielle, qui rappelle la mort et qui se répand tout autour de nous. Le veau se vide de son sang et les quatre hommes me regardent. Je ne sais pas quoi dire, j'en oublie même ma soif. Ils me lancent un grand « OK » et nos yeux s'abandonnent sur la bête, absente de vie. Tout est allé trop vite, et le vent siffle toujours.
Je suis entré au Monténégro samedi dernier. Parce que je n'ai pas eu l'audace de photographier un jeune veau, vous comprendrez que les clichés qui accompagnent ce journal de bord illustrent les sentiers que j'arpente depuis la frontière. J'évolue depuis au cœur de ce que les géographes nomment la Bouche de Kotor – le fjord européen le plus méridionale mais dont l'histoire a plus à voir avec les mouvements tectoniques qu'avec les glaciers. Demain, je me dirigerai vers l'Albanie, que j'espère gagner d'ici une dizaine de jours.
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