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Hebdo n° 42/2021
8 novembre 2021
SOMMAIRE
 
INFOS : Au terme d’une décision sévère et peu convaincante, l’Autorité de la concurrence sanctionne la filiale réunionnaise du sucrier Téréos pour une pratique de verrouillage sur le marché de l’approvisionnement de la mélasse de canne à sucre à destination des distilleries de La Réunion

INFOS OUVRAGE : Le mémento pratique concurrence-consommation 2022 vient de paraître

 

INFOS : Au terme d’une décision sévère et peu convaincante, l’Autorité de la concurrence sanctionne la filiale réunionnaise du sucrier Téréos pour une pratique de verrouillage sur le marché de l’approvisionnement de la mélasse de canne à sucre à destination des distilleries de La Réunion

 

Le 2 novembre 2021, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision n° 21-D-25, à la faveur de laquelle elle sanctionne sévèrement et sans vraiment convaincre Tereos Océan Indien, une filiale du groupe Tereos, pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché de l’approvisionnement en mélasse produite à partir de canne à sucre de La Réunion à destination notamment des distilleries locales de rhum traditionnel en verrouillant les possibilités de sortie de ces dernières du contrat d’approvisionnement et en les empêchant de renégocier les tarifs de cet intrant.

La mélasse est ce sirop tiré, à côté du sucre, de la canne à sucre et principalement valorisée dans la production d’alcools, en particulier de rhum, et accessoirement par la production de levures ou l’alimentation animale.

La décision de l’Autorité fait suite à une saisine de la société Réunionnaise du Rhum, qui possède une des trois distilleries de La Réunion, la distillerie de Savanna.


Si Tereos Océan Indien possède les deux seules sucreries de La Réunion et est à ce titre le seul fournisseur de mélasse produite à partir de canne à sucre locale, cet intrant est principalement utilisée pour produire du rhum dans les trois distilleries réunionnaises, lesquelles fabriquent presque exclusivement du rhum à base de mélasse, rhum dit « traditionnel » ou « de sucrerie », qui représente environ 99,5 % du rhum consommé à La Réunion, du fait d’un régime fiscal dérogatoire visant à préserver la filière « canne – sucre – rhum » locale. Par suite, les trois distilleries réunionnaises sont aussi le principal débouché pour la mélasse de Tereos Océan Indien, puisque, prises ensemble, elles représentent certaines années, jusqu’à 90 % des achat de mélasse de ce dernier. De sorte que la situation concurrentielle sur ce marché s’apparente, selon l’aveu même de l’Autorité, à celle d’un « monopole bilatéral » (c’est-à-dire une situation où deux cocontractants se trouvent mutuellement en situation de monopole) (pt. 157). Bref, on se trouve là en présence de deux partenaires — deux sucreries et trois distilleries — obligés. Sans intrant, les trois distilleries ne peuvent pas produire de rhum « traditionnel » et perdraient ainsi le bénéfice de la fiscalité dérogatoire. Sans débouché, les deux sucreries ne peuvent écouler le coproduit du sucre qu’est la mélasse… ou du moins ne pourraient pas l’écouler dans les mêmes proportions et dans des conditions tarifaires aussi avantageuses, puisqu’aussi bien les prix de la mélasse n’est pas le même suivant l’utilisation qui en est faite. Pour autant, l’Autorité refuse de reconnaître la puissance d’achat compensatrice des distilleries, agissant pourtant de conserve pour deux d’entre elles, laquelle serait de nature à remettre en cause toute position dominante des sucreries en l’espèce.


Dans ces conditions, et en présence de deux partenaires obligés, l’analyse des clauses — pour partie réciproques — des contrats d’approvisionnement liant Tereos Océan Indien aux trois distilleries n’est pas chose aisée.

Qu’à cela ne tienne, l’Autorité de la concurrence, qui a préalablement identifié un marché de l’approvisionnement de la mélasse produite à partir de canne à sucre cultivée à La Réunion vendue à destination des distilleries locales (pts. 141-142), ne craint pas de considérer que Tereos Océan Indien se trouve en position dominante sur ce marché, estimant que le monopole de fait qu’elle détient apparaît peu contestable, dès lors que la construction d’une nouvelle sucrerie sur l’île apparaît peu probable, dans la mesure où la production sucrière est une activité structurellement déficitaire à La Réunion (pt. 148). L’Autorité va jusqu’à considérer que les distilleries ne disposent pas d’une puissance d’achat compensatrice suffisante pour priver Tereos Océan Indien de sa position dominante sur le marché de la mélasse de La Réunion vendue aux distilleries (pt. 164), et ce, quand bien même celui-ci ne serait pas, contractuellement, en mesure d’augmenter unilatéralement ses prix, dès lors qu’il n’est pas exclu que les prix aient déjà été fixés à un niveau supra-concurrentiel du fait de sa position dominante (pt. 166).


Il était d’abord reproché à Tereos Océan Indien et aux Sucreries d’avoir abusé de leur position dominante envers la saisissante en lui appliquant des prix de vente discriminatoires, très supérieurs à ceux qu’elles pratiquent à l’égard d’une autre distillerie réunionnaise, Isautier.

À cet égard, si l’Autorité a considéré que la différenciation tarifaire soulevée par la saisissante était avérée, dès lors que DSAV et Isautier, placées dans une situation équivalente, ont subi un traitement différencié, elle a conclu que cette différenciation, dans les circonstances particulières de l’espèce, n’était pas constitutive d’un abus de d’exploitation via une discrimination de second niveau, c’est-à-dire sans que l’entreprise qui la met en œuvre soit directement partie prenante sur le marché affecté (pt. 184), dans la mesure où il n’était pas établi qu’elle créait un désavantage dans la concurrence. En effet, l’Autorité a considéré qu’un certain nombre d’éléments indiquaient que la position concurrentielle de DSAV n’était pas affectée par la différenciation tarifaire (pt. 256). L’Autorité a pris en compte notamment le fait que cette distillerie bénéficiait de marges suffisantes pour pouvoir animer la concurrence (pt. 251), et que le groupe auquel elle appartient possède la marque de rhum de La Réunion la plus renommée, le Rhum Charrette, lequel représente plus de 85 % des ventes de rhum traditionnel sur le marché local (pt. 236).

En revanche, l’Autorité a accueilli le grief n° 2 notifié par les services d’instruction, estimant à son tour que Tereos Océan Indien avait abusé de sa position dominante en prévoyant, dans ses contrats d’approvisionnement avec deux des distilleries dont DSAV, des clauses restrictives ayant pour effet de verrouiller les possibilités de sortie du contrat par les distilleries et, dès lors, d’empêcher la renégociation des tarifs prévus dans ce contrat.

La première de ces clauses concerne une indemnité financière de 5 millions d’euros pesant sur la partie qui voudrait dénoncer le contrat, ce alors même que cette dénonciation n’est possible que tous les cinq ans, avec un préavis de trois ans. Le montant de cette indemnité, excessive, tant en termes de conditions d’application que de proportion, est apparu à même de décourager les distilleries de mettre fin au contrat (pt. 278), donnant à l’engagement contractuel des distilleries un caractère quasi perpétuel (pt. 279). Observant que la clause est réciproque, qu’elle s’impose également à Tereos Océan Indien, et qu’elle vise à garantir aux distilleries leur approvisionnement en mélasse sur le long terme, l’Autorité estime que Tereos Océan Indien ne justifie pas en quoi la recherche d’un tel objectif justifie que l’obligation en question pèse aussi sur les distilleries (pt. 286). À l’évidence, les sucreries cherchent à s’assurer que leurs débouchés ne disparaîtront pas… Étrangement, alors que l’Autorité retient elle-même que l’entrée d’un nouvel opérateur paraît peu probable, dans la mesure où la production sucrière est une activité structurellement déficitaire à La Réunion, elle conclut, à propos du grief n° 2, que ce verrouillage des possibilités de sortie des distilleries conduit à assurer que Tereos Océan Indien demeure la seule source d’approvisionnement de tout acheteur potentiel de mélasse présent à La Réunion (pt. 292).

Du reste, au stade de l’évaluation de l’importance du dommage causé à l’économie, l’Autorité relève que plusieurs facteurs viennent atténuer le dommage causé à l’économie. Premièrement, si les clauses du contrat incriminées ont également pu limiter l’entrée d’un nouvel opérateur sur le marché de la mélasse, le dossier ne comprend aucun élément factuel en ce sens. En effet, les perspectives d’entrée d’un producteur concurrent de mélasse apparaissent limitées, l’activité sucrière, principal débouché des achats de canne à sucre, étant peu rentable. Deuxièmement, il peut être relevé que, compte tenu de la position dominante qu’occupent les sucreries mais aussi de leur faible rentabilité globale, les marges de négociation des distilleries sont en pratique relativement limitées. Troisièmement, la production de rhum traditionnel pour le marché réunionnais étant une activité très rentable, les clauses limitant la revente de mélasse à des tiers ont vraisemblablement eu peu d’impact sur la situation concurrentielle ou les revenus des distilleries, ces dernières étant vraisemblablement peu enclines à se revendre la mélasse entre elles plutôt qu’utiliser cette même mélasse pour produire du rhum traditionnel. Quatrièmement, les dispositions actuelles du contrat n’ont pas empêché les distilleries de conserver un poids très important sur le marché réunionnais du rhum traditionnel. Enfin, s’agissant des activités des distilleries à l’exportation de rhum traditionnel, il est constaté que le prix de la mélasse acquitté par DSAV et DRM pour ces destinations a été inférieur au prix de la mélasse sur le marché mondial, à tout le moins depuis 2015, et que DSAV comme DRM bénéficient pour ces destinations de tarifs très inférieurs à ceux dont elles s’acquittent pour la mélasse destinée à la fabrication de rhum traditionnel à destination du marché local (pt. 342). Et l’Autorité de conclure que le dommage causé à l’économie par les pratiques est limité (pt. 343).

Dès lors, on pourra trouver particulièrement sévère le montant de la sanction pécuniaire fixé à [1 000 000-1 500 000] euros, même si, l’Autorité ayant statué selon la procédure simplifiée, l’amende finalement infligée à Tereos Océan Indien et à ses deux filiales est réduite au plafond de la procédure simplifiée, à savoir 750 000 euros.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.



INFOS OUVRAGE : Le mémento pratique concurrence-consommation 2022 vient de paraître

 





Je vous signale la parution du mémento pratique Concurrence-consommation 2022, dont la partie « Ententes et abus de domination » a été rédigée, sous la houlette de Dominique Loyez-Bouez, en collaboration avec CMS Francis Lefebvre Avocats.

Il est à jour de la transposition de la directive européenne ECN+ dans le droit français par un décret du 10 mai 2021 et une ordonnance du 26 mai 2021, mais aussi de la loi DDADUE du 3 décembre 2020, ainsi que des nouvelles lignes directrices de l’Autorité de la concurrence en matière de concentrations économiques. Il est également à jour, s’agissant des pratiques restrictives de concurrence, de la loi Asap du 7 décembre 2020.

Vous trouverez une brève présentation de l'ouvrage sur le site web des éditions Francis Lefebvre.

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