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BARBE BLEUE : LE POUVOIR ÉMANCIPATEUR DES RÉÉCRITURES 

On vous le résume rapidement : Barbe Bleue est un homme riche et dont la laideur révulse les femmes. Il parvient cependant à trouver une épouse et lui confie un jour les clés de ses appartements, lui interdisant formellement l'entrée de son cabinet en son absence. La jeune femme désobéit et y découvre les cadavres des sept épouses précédentes. Ses frères viendront la sauver de Barbe Bleue avant qu'il ne la tue. 

Selon Geneviève Fraisse, chaque adaptation entretient un lien de corrélation avec le mouvement d’émancipation des femmes. Si certaines versions ont parfois été plus violentes encore que celle de Perrault (Anatole France en 1909), elles sont à d’autres occasions, réécrites au profit d’un discours féministe comme celle de Mélie Boltz Nasr, écrite en 2020, à qui j'ai posé quelques questions.

Dans Re : Contes - Une réponse, sur les neufs textes de l'autrice franco-libanaise, huit sont des réécritures. Celle de Barbe Bleue interpelle immédiatement : les rôles de genre sont inversés. Barbe Bleue est ici Barbara Blume, une cheffe d'entreprise qui accueille dans son luxueux appartement des ministres et patrons du CAC40. Elle exerce une emprise sur son compagnon Karim, par ailleurs transfuge de classe. Une emprise qui mène ce dernier à trahir son propre frère pour satisfaire Barbara, et ainsi ne pas renoncer aux privilèges économiques qu'elle lui octroie. Mélie Boltz Nasr voit dans l'inversion des genres l'occasion de mettre en lumière la violence entretenue par les deux protagonistes. Une violence invisibilisée par la structure du conte traditionnel, qui reproduit le schéma d'une femme soumise, passive, victime, et tend à le normaliser aux yeux des lecteurices.

Mais si le récit de Barbe Bleue porte en lui une symbolique patriarcale et violente, pourquoi le réécrire, quand on peut en imaginer un nouveau, plus inclusif et représentatif des enjeux contemporains ? Mélie Boltz Nasr voyait dans cette démarche la possibilité de donner aux personnages féminins qui marquent notre imaginaire collectif une autre consistance. Alors, quand on demande à l’écrivaine ce qui a motivé ses réécritures pour son ouvrage, la réponse lui vient spontanément : 

« La colère [...] J’avais accumulé tellement de colère, d’agacement de mon enfance. [...] Ça me saoule que les personnages présentés comme féminins soient toujours passifs. [...] Raiponce se fait chier dans une tour pendant des années, et l’autre, certes il se fait griffer par des ronces, mais c’est lui qu’on valorise [...]. Donc je pense que c’était globalement la colère. La colère et une sorte d’impertinence [...]. »

Une colère et une frustration auxquelles nous sommes nombreux.ses à faire face. Perrault, Andersen, les Frères Grimm : ces noms portent en eux les fondements d’une imagination souvent partagée, les traces d’un passé dans lequel nous n'étions ni en âge ni en mesure d’interroger les problématiques d’une fiction. Pour ma part, ces histoires ont baigné mon enfance, et structuré l’idée que j’avais d’une relation, d’un partenaire (« une » n’étant pas suggérée comme une possibilité dans les contes en question). Il est primordial, aujourd’hui, d’écrire de nouveaux récits où l’inclusivité et la visibilisation d’autres personnalités et d’autres schémas familiaux devient une priorité. Pour bâtir un nouvel imaginaire commun, un nouveau socle. Mais que faire des contes existants ? La réécriture m’a semblé, lors de mes recherches, et lors de mon entretien avec Mélie Boltz Nasr, une réponse justement colérique, délicieusement impertinente. Une réponse adaptée aux morales désuètes que les contes et leurs créateurs souhaitaient inculquer comme des vérités inaliénables. La réécriture porte en elle un pouvoir militant, et la possibilité d’un impact sur l’une des visions les plus intimes que l’on puisse porter sur le monde : nos imaginaires, incarnations de nos idéaux.
 

Paola Serafin