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LA LETTRE
ET LA PHOTO

Février 2022
 - USA
 


Je vous écris de l'aéroport de Newark, qui se situe dans le New-Jersey, d'où je m'apprête à décoller. Je viens de passer mon sixième séjour à Rutland, le deuxième que je consacre à la production d'une série d'images qui devrait prendre la forme d'un livre l'année prochaine. J'ai vécu ce mois de février comme coupé du monde. Comme si la réalité que je documente à Rutland m'avait fait oublier toutes les autres. Un sentiment de gratitude m'enserre. Il cohabite avec un relatif état de satisfaction. J'ai la sensation d'avoir fait de mon mieux. Et pour une fois, je me sens armée contre les éventuelles attaques de Monsieur Auto-Sabotage et les mécanismes destructifs qui m'amènent à comparer mon travail à ceux de mes mentors, et à conclure que jamais je ne réussirai à produire un travail qui me satisfasse et que la meilleure des choses à faire serait d'abandonner. Well, comme ma très chère amie Elissa aime à le dire, la seule réponse que cette petite voix autodestructrice mérite est : « Shut the fuck off ». Pour l'heure, je crois qu'elle a reçu le message.

 

Pour rappel aux nouveaux inscrits à cette newsletter, en 2017, j'ai passé 6 mois en tant que volontaire dans une maison de transition américaine qui accueille à leur sortie de prison des personnes souffrant d'addictions. Inspirée par les histoires de vie de mes colocataires et le contexte de la crise des opioïdes, j'ai alors décidé de travailler sur un projet de film documentaire, en parallèle d'un projet photographique long-terme. Pour des raisons diverses, j'ai mis le projet de film de côté et pris la décision de me consacrer entièrement à mon projet photographique. Après une première session de prise de vue en juin 2019 dans le cadre d'une résidence artistique organisée par la 77ART Gallery et grâce au soutien de l'Institut Français et de la région Pays de la Loire, je me suis mise au travail. Pour être honnête, je ne regrette pas ces deux « années empêchées » par le covid. Elles m'ont permis de mûrir, d'étudier et de m'outiller.

 

En arrivant dans le Vermont le mois dernier, je n'étais plus vraiment la même. Tout était semblable et différent à la fois. Je n'avais plus la même distance qu'auparavant. Rien ne semblait plus appartenir à un autre monde que le mien. Je faisais partie du monde que j'allais documenter. Cette sensation m'a déstabilisée car j'ai eu peur que cela altère mon travail, donc mon regard. Il n'en a rien été, au contraire. J'ai élargi mes horizons et rencontré de nouvelles organisations. Même si mon projet n'a rien d'une enquête, il m'a semblé important de tenir compte de diverses perspectives et de comprendre comment la situation avait évolué depuis deux ans. Très concrètement, le pourcentage des overdoses de drogue ayant entraîné la mort a augmenté de 35% aux États-Unis entre avril 2020 et avril 2021. Dans le Vermont, l'augmentation est de 85%. La ruralité du Vermont et le relatif désœuvrement de la ville de Rutland (qui décline économiquement de façon constante depuis le début des années 2000) ont probablement rendu l'isolement dû à la pandémie de Covid19 insupportable pour des personnes et familles déjà largement fragilisées. Aussi, la présence de plus en plus fréquente de fentanyl dans une grande partie des drogues accroît les risques de surdoses mortelles des consommateurs (Le fentanyl est un opioïde 50 fois plus puissant que la morphine. Il est normalement prescrit aux personnes en fin de vie. Désormais, les fabricants de drogues le mélangent à leur production, probablement pour accroître la dépendance des clients).

 

Si la situation est tragique, la réaction communautaire à ce traumatisme collectif ne l'est pas. En effet, si j'ai décidé de documenter l'épidémie des opioïdes au sein de cette petite communauté, c'est parce que je me sens inspirée par la combativité de certains de ses habitants. À travers eux, qu'ils soient professionnels ou volontaires, j'entrevois la réalité d'un pays qui a laissé tombé son peuple et j'observe ces morceaux d'humanité réduits en friche. Je prends appui sur cette armée de combattants et me demande : "Comment peuvent-ils garder la foi alors que la situation ne cesse de se détériorer ?"  Certains vous répondront qu'ils font de leur mieux et qu'au bout du compte, ils ne sont responsables ni de la réussite, ni de l'échec des personnes qu'ils sont amenés à accompagner. En effet, le taux de réussite suite à l'arrêt de prise d'opioïdes ou d'opiacés est de 20% après un an, 15% après deux ans, 10% après trois. "Il faut vraiment le vouloir" ai-je souvent entendu de la part des concernés. La meilleure des armes est donc la prévention. En attendant, la crise des opioïdes est corrélée à la problématique du sans-abrisme qui est hautement problématique dans le Vermont. Cette dernière est elle-même corrélée aux problèmes de santé mentale.

Cet hiver, l'État du Vermont a logé 2800 personnes dans des hôtels. Souvent, les personnes qui bénéficient de cette aide ont des problèmes de santé mentale ou d'addiction, ou les deux. Sans la présence d'équipes dédiées à ces accueils spécifiques, la situation tourne souvent au cauchemar. Grâce à l'une de ces équipes, j'ai pu rencontrer certains de ces résidents temporaires. Le manque de logements abordables dans le Vermont est tel, que c'est certainement en tente, qu'ils et elles passeront les saisons prochaines, avant le retour de ce vigoureux hiver.
 


J'espère retourner dans le Vermont à l'automne pour poursuivre et terminer ma série photographique. D'ici là, les actions que l'on mène avec L'œil parlant et un nouveau projet personnel risquent de m'accaparer. Je reste bien évidemment disponible pour des commandes, car il faut bien les financer ces projets personnels ;-)

Ci-dessus, le portrait de l'artiste et activiste Diariata N'Diaye que j'ai réalisé en janvier dernier pour le magazine de l'Humanité.

À BIENTÔT

**** Au plaisir de vous lire ****
de vous entendre
ou de vous voir.


Adeline




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Photographe, je suis basée à Nantes,
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adeline praud . auteure photographe · rue Haute Roche · Nantes 44000 · France

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