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Bonjour à tous nos abonnés,

Un chiffre pour commencer : 4h17. C’est la durée moyenne passée quotidiennement devant la télévision entre mi-mars et mi-mai, soit 1h de plus qu'à la même période l’année précédente, d'après Médiamétrie. Pendant la crise, nous avons tous été perfusés à la télévision, trop peut-être, attentifs aux journaux, version numérique pour beaucoup, agrippés à nos smartphones à la moindre alerte. 

Audiences en hausse, abonnements qui explosent, qu'est-ce que cela dit de la santé économique des médias ? Quel avenir pour les titres, déjà en difficultés, heurtés à nouveau par la crise ? Pour l’avant dernière de cette saison estivale de la Médiatech, on vous emmène derrière l’écran. 

Pour ce grand entretien, Julia Cagé, professeure d’Economie à Sciences Po Paris et spécialiste de l’économie des médias revient sur cette période exceptionnelle avec un certain recul pour expliquer ce que la crise a provoqué, ce qu’elle a accentué et révélé. Avec un constat, encourageant : les gens sont de nouveau prêts à payer pour de l’information. Bonne lecture et merci de nous lire. 
 

BIO EXPRESS

2005 : Après 3 années passées au Lycée Thiers de Marseille, entrée à l'Ecole Normale Supérieure
2014 : Soutenance de sa thèse de doctorat à l'Université d'Harvard et retour en France comme Professeure à Sciences Po Paris
2015 : Publication de
Sauver les médias (Le Seuil, La République des Idées)
2017 : Publication de
L'information à tout prix (avec Nicolas Hervé & Marie-Luce Viaud, Éditions de l'INA)
2018 : Publication de
Le prix de la démocratie (Fayard)

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Est-ce que les médias se sont bien adaptés à la crise du Covid ? 

D’un point de vue éditorial, il y a du positif. Non seulement les gens ont consommé plus d’information, mais en plus le nombre d’abonnements a augmenté. Beaucoup de titres se sont bien maintenus en kiosque. Les gens sont de nouveaux prêts à payer pour avoir accès à de l’information, c’est extrêmement frappant. Cela montre que les médias ont su répondre à un certain nombre d’attentes. En revanche, ils souffrent d’une problématique qui a explosé pendant la crise : la dépendance aux revenus publicitaires, qui s’effritent d’année en année. Leur disparition totale pendant le confinement a amplifié le phénomène. Résultat, on se retrouve avec des médias comme Paris-Normandie ou Le Parisien en situation financière catastrophique. Mais une sortie de ce système nécessite une réflexion globale et ne pourra se faire sans l’augmentation du prix des abonnements numériques.

Augmenter le prix des abonnements numériques est-il vraiment faisable quand Internet est majoritairement associé à la gratuité dans les esprits ?

Il y a eu plusieurs erreurs au début avec Internet. La première erreur a été de croire qu’on allait gagner de l’argent avec la pub et qu’on pouvait rendre tous les articles gratuits. Ce qui a conduit à quoi ? Une deuxième erreur d’un point de vue éditorial : aller le plus vite possible, tout mettre en ligne sans valeur ajoutée. Dans « L’information à tout prix », on montre que les deux tiers des contenus en ligne correspondent à du copié-collé de l’AFP. Cette dérive a été comprise par des médias comme le New York Times, Le Monde, ou le Guardian. Ils ont fait le pari de la qualité sur la quantité, en produisant du contenu à forte valeur ajoutée pour convaincre les gens de s’abonner. On tend vers ça, mais c’est encore difficile à intégrer pour toute une génération qui est née avec de l’information gratuite. C’est comme si vous aviez pris l’habitude qu’on vous donne un croissant gratuitement tous les matins en arrivant à l’école. Le jour le croissant devient payant, ça ne passe pas.

Un modèle économique sans publicité, est-ce réaliste ?

Des médias qui fonctionnent sans publicité, ça existe. Prenez Mediapart. Aux États-Unis, alors que la publicité représentait entre 80% et 90% du total des revenus des médias il y a 20 ans, le New York Times est tombé en dessous des 40%. Il réalise toute sa croissance de chiffre d’affaires grâce au numérique, et il s’en sort mieux qu’un certain nombre de ses concurrents. Il est donc possible de changer la donne. Il faut réussir à passer le choc et éviter de laisser des médias sur le carreau. C’est pour cela que la proposition d’Aurore Bergé, qui militait pour un crédit d’impôt sur les dépenses de communication, est une erreur. C’est comme si on soignait seulement le poumon d’un malade atteint d’un cancer métastasé. Il faut soigner le reste du corps. La proposition que j’ai trouvée la plus intelligente, c‘est le crédit d’impôt sur les abonnements. Autant passer la crise sans mettre la pub sous perfusion, puisque l’idée c’est justement de s’en passer. 

L’audience de BFM n’a jamais été aussi forte que pendant la crise, or une partie de la rédaction s’est mise en grève pour protester contre des suppressions de postes. C’est le modèle économique de BFM qui est problématique ?

Ce plan de départ, qui intervient pendant le confinement et la crise sanitaire, c’est une mauvaise excuse pour faire passer un plan social. La situation est différente pour L’Équipe : la disparition de l’actualité sportive a été un vrai problème. Mais en ce qui concerne BFM, c’est un opportunisme hallucinant parce que le groupe gagnait de l’argent. Le ralentissement des recettes publicitaires les a inquiétés. C’est vraiment une bonne chose que les journalistes se soient mis en grève, mais ce qui m’attriste c’est qu’il n’y ait pas de mobilisation citoyenne. À BFM, si un tiers de la rédaction part, la qualité va en souffrir. Et les téléspectateurs vont se plaindre. Alors qu’il faudrait agir en amont, en tant que citoyen. Quand je croise des Insoumis, je leur dis : « Les ennemis ne sont pas les journalistes, mais les actionnaires. » Ils me répondent : « Non, ce sont les journalistes qui nous pourrissent. » Non ! Ils ne vous pourrissent pas, ils font leur métier. Attaquez vous aux actionnaires ! Il n’y a personne qui prend la défense des journalistes aujourd’hui. Comment on fait pour qu’il y ait une mobilisation citoyenne, et qu’on ne laisse pas à un milliardaire faire ce qu’il veut avec les médias ?

En plein milieu de la crise sanitaire, Patrick Drahi a annoncé la création d’un fond de dotation pour Libération. Comment analysez-vous ce changement en pleine crise sanitaire ? 

Le fonds de dotation, c’est ce que je défends depuis longtemps. C’est-à-dire l’idée que les médias doivent être détenus par des associations ou des fondations à but non lucratif. Mais avec une gouvernance démocratique, de salariés, de lecteurs. Et là dessus vous avez Drahi qui annonce un fonds de dotation sans même prévenir ses journalistes, donc l’idée de gouvernance démocratique est très très loin pour lui… Et en plus il veut en faire une opération énorme de défiscalisation de la dette. Donc en fait, il est en train de tuer l’idée. Et c’est ça qui est triste, car la bonne idée c’est le non lucratif. Mais cela ne suffit pas, il faut que ça aille avec le reste. Drahi il le fait quand ? En plein confinement, alors qu’il n’y a pas d’urgence. Libération c’est une marque qui porte au niveau intellectuel. On peut assez facilement mobiliser, on fait venir des artistes, on fait un évènement, on proteste… Là on ne peut rien faire car tout le monde était chez soi. Ça va passer comme une lettre à la poste. Ils n’ont plus aucune autonomie financière, aucune autonomie de gouvernance. Et c’est la cata. À Libé, c’est Drahi et Altice médias qui possèdent la marque. Il n’y aura même pas la possibilité pour les journalistes de refaire Libé.

En plus de la problématique de la publicité, la crise a aussi accentué le problème de la diffusion en France avec les difficultés de Presstalis, le principal distributeur de la presse en France. 

Presstalis, c’est une bonne idée qui a mal vieilli. Ce n’est plus adapté à aujourd’hui. Si on fait une réforme à Presstalis, les kiosquiers sont pris en otage, la presse n’est plus distribuée, or personne ne veut ça. Le problème aujourd’hui, c’est la casse sociale. C’est là où je diverge avec Éric Fottorino. Lui il voit le problème avec son oeil de directeur de médias, mais le problème c’est qu’il y avait déjà 700 personnes sur le carreau avant le Covid, alors ce sera encore pire à la rentrée. Problématique : est-ce qu’on va réussir à créer une messagerie efficace ? Dans une ville comme Metz, il n’y avait que 7 exemplaires de Libé par exemple. Le numérique permet de pallier un peu le problème, mais vous vous coupez d’un public qui est le plus à même de payer. C’est un système de coopérative unique en France. Au Japon, il y a deux titres avec des grosses diffusions, ils ont chacun le monopole de leur distribution. La beauté de la loi Bichet et de Presstalis, c’était que si demain vous créez un nouveau média, vous pouviez le distribuer en kiosque au prix de quelqu'un qui diffuse un million alors que vous en diffusez cent. C’était bien pensé, sauf que cette beauté du pluralisme ne s’est pas adaptée à la réalité d'aujourd'hui. En France on est très dépendant du kiosque contrairement aux États-Unis, qui fonctionnent par abonnement et où la problématique de la diffusion est différente.

Sur quoi avez-vous envie d’alerter un jeune journaliste qui va bientôt entrer dans la vie professionnelle ? 

Il faut continuer à être optimiste quand on voit des groupes comme So Press ou encore Éric Fottorino. Il faut être attentif, il faut faire un travail de fond pour renouer le lien de confiance entre lecteur et journaliste et se battre main dans la main. C’est pour ça que j’ai pris la tête en janvier de la présidence de la société des lecteurs du Monde, parce que je pense qu’on peut faire bien plus du point de vue de l’indépendance, de l’actionnariat, des lecteurs, des journalistes. C’est comme ça qu’on arrivera à résoudre la deuxième crise qui, elle, est structurelle : la crise de la confiance. Là on ne l’a pas du tout résolue. Les étudiants en journalisme n’ont pas conscience des aspects économiques ou juridiques. On vous apprend à être un bon journaliste, mais pas à entreprendre, où à être critique sur ce qui se passe. La grosse responsabilité vient des actionnaires, et une plus petite vient des journalistes très haut placés. Il faut réussir à mettre les lecteurs au même niveau que les journalistes et ces derniers doivent reconnaître qu’ils peuvent avoir besoin des lecteurs comme garants de leur indépendance. C’est mieux d’avoir un média avec 60 000 Français qui donnent un euro plutôt qu’une seule personne qui donne 60 000 euros. Si on a besoin d’argent, il faut aller le chercher auprès du grand public. C’est le seul mode d'actionnariat sain. 
 

Propos recueillis par Auriane Guerithault et Cécile Lemoine

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