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Bonjour à tous nos abonnés,

Après 8 semaines d'entretiens et des dizaines de questions posées sur l'avenir des médias dans un monde post-COVID, nous avons décidé - à La Média'Tech - de terminer en beauté. Qui de mieux que celle qui anime depuis maintenant 6 ans l'Instant M sur France Inter, Sonia Devillers, pour nous éclairer davantage. Dans cet entretien, la journaliste brasse large et tire en quelques sortes un premier bilan d'une crise qui ne fait que commencer dans les médias. La chute de la pub à la télé qui terrorise en haut lieu, la réussite à tous les niveaux sur le numérique pour Mediapart et Le Monde sans oublier la défiance, désormais au cœur de la consommation de l'info.

Il ne vous reste donc plus qu'une seule chose à faire : plongez dans cet entretien tête baissée et attendre d'ici quelques semaines le retour de La Média'Tech pour une quatrième saison. Merci pour votre fidélité et à très vite.  

 

BIO EXPRESS

1975 : Naissance aux Lilas
1997 : Stage à CAPA, participation au documentaire « Mitterrand Mythologies », ARTE
1998 : Master 2 en philosophie à Paris I-Sorbonne
1999-2010 : Stage au service « Culture » du Figaro, puis journaliste au service « Médias-Publicité » du Figaro Economie.
2005-2010 : Chroniqueuse dans l’émission « Service Public » d’Isabelle Giordano sur France Inter.
2010-2013 : Productrice du « Grand Bain », 9-10H de l’été, puis sous forme hebdomadaire le samedi, sur France Inter
Depuis 2014 : Productrice de « L’Instant M », du lundi au vendredi à 9h40, sur France Inter.
Depuis 2018 : En charge de « L’Édito M », l’édito média de la matinale de France Inter, à 8h50.

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Un mot pour définir votre confinement sur le plan professionnel ?

Lave-vaisselle. J’avais deux ados non-stop à la maison et j’étais moi-même en télétravail, j’ai donc passé 3 mois à remplir et vider le lave-vaisselle. Par ailleurs, je faisais des chroniques et des interviews depuis chez moi. Radio France m’avait installé ce qu’on appelle un « Codec » : un genre de mini-studio portatif qui permet d’avoir un super son. C’est ce qu’utilisent nos reporters sur le terrain. Pour avoir un maximum la paix pendant les directs, je me barricadais dans la cuisine. Résultat, je répondais aux relances de Léa Salamé ou de Bruno Duvic face à… mon lave-vaisselle ! Inutile de vous dire que je ne peux plus le voir en peinture, mais Radio France avait imposé un quota très stricte de personnes autorisées à pénétrer dans la Maison de la Radio. On est nombreux à ne pas avoir pu y accéder pendant des semaines...

Si l’on se recentre sur les formats, la radio a fait preuve de sa souplesse pendant le confinement, avez-vous été surprise par cette réactivité ? 

Non, nous avons l’habitude à la radio de changer le conducteur jusqu’au dernier moment, de rajouter une virgule, une archive ou une brève à la dernière minute… Cela surprend souvent les gens de télé que je reçois et qui mesurent combien leurs émissions à eux sont lourdes à fabriquer. La radio est un média extraordinairement souple et chaud. Une voix, un micro : j’aime ce côté « brut », simple et tellement vivant, qu’on peut mettre en place en une fraction de seconde. Mais attention, notre marque de fabrique, à France Inter, est aussi de proposer des programmes très produits, très habillés, bien plus sophistiqués que dans les radios privées. C’est l’alternance de ces deux univers sonores qui fait la richesse et la puissance de notre antenne, à la fois chaude et haut de gamme. 

Les écoutes de podcasts sont montées en flèche et des formats spécifiques au coronavirus ont pullulé, notamment dans la presse anglo-saxonne. Le podcast est-il encore plus souple, encore plus vif que la radio linéaire ?

Le podcast offre la possibilité de casser les temporalités et les formats. Plus de contrainte de grille, c’est ça la révolution. À la radio, quand vous avez quelque chose à raconter, il faut que ça fasse une bonne chronique hebdomadaire, ou bien une émission d’une heure le week-end ou en quotidienne toute la saison. Pas d’autre choix. Le podcast, au contraire, permet de créer des formats adaptés à un type de récit, de public, ou d’actualité sur la longueur et à la fréquence que vous voulez. Seulement voilà, tout ça perd aussi la saveur, l'adrénaline et la puissance du direct. Ce lien incroyable que vous nouez avec le public car nous vivons un même instant présent, nous en studio, à la maison ou dans la voiture… Y a-t-il plus vif que cela ? 

Quel média français a réussi à se démarquer pendant cette période selon vous ?

Dans l’ensemble, tous les médias ont fait preuve d’une impressionnante réactivité, mais je citerais deux médias dont on voit bien qu’il faut tirer des leçons en terme de modèle, au-delà du contenu : Le Monde et Mediapart

Le Monde a écrasé toute la concurrence en presse écrite grâce à une rédaction très nombreuse et très aguerrie. Le journal a combiné un Live sur le web 20 heures sur 24, du grand reportage sur le terrain, du local et de l’international, des interviews et des analyses pointues nourries par du datajournalisme, tout en faisant travailler nombre d’excellents photographes et en accueillant des tribunes recherchées dans ses pages « Débats ». Bref, un contenu archi-complet, à la fois chaud et froid. Quel journal français dispose aujourd’hui d’effectifs suffisants pour produire autant et dans tant de registres à la fois ? Aucun. C’est une leçon pour tous les capitaines d’industrie qui achètent de la presse écrite et s’empressent de tailler dans les équipes. Le Monde offre tant à lire que les lecteurs sont prêts à payer. Les abonnements numériques grimpent en flèche. On est loin des chiffres mirobolants du New York Times, mais c’est un début de renversement de modèle économique qui induit une moindre dépendance au papier, donc une moindre dépendance à la publicité. L’avenir du journal n’en demeure pas moins incertain. Il reste dépendant de 3 milliardaires qui ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente.

En revanche, ce renversement économique, l’idée de ne vivre que de son contenu et jamais de la publicité, Mediapart l’a opéré dès sa fondation. Bien sûr, le site d’info n’a jamais cherché à être un média généraliste. Il a choisi ses axes et ses chevaux de bataille. Mais force est d’admettre qu’étant parfaitement rentable, Mediapart a fait grossir sa rédaction et a varié ses formats, investissant désormais dans l’image et le son. Les champs couverts sont de plus en plus nombreux. Le site a sorti plein de scoops pendant la crise sanitaire. La création de la fondation qui garantira sa stricte indépendance à l’avenir va servir de patron à d’autres médias français. On aime ou on n’aime pas Mediapart, mais le modèle est imparable et prouve sa solidité en cette effroyable période de down économique qui a fait chuter tous les investissements publicitaires. 

Le média qui, au contraire, a vu cette période précipiter sa chute, ou sa baisse de rentabilité ?

L’exemple de la télévision est frappant. C’est la fin du modèle audience = recette. On a assisté à des cartons d’audience impressionnants : les talks comme Quotidien ou C à Vous, les films de l’après-midi, « Koh Lanta » ou les premières semaines sur BFM TV représentaient des chiffres de dingues. Il y aussi eu une renaissance du « vieux réflexe TF1 » sur l’info où les téléspectateurs ont repris l'habitude de regarder la « grande messe du 20h » sur la Une. Même si France 2 faisait des scores incroyables avec des rediffusions de Nagui en access, le JT de 20H de TF1 dont les programmes sous-performaient pourtant à 19H, a tout écrasé. Idem à 13H.

Paradoxalement face à ces records, les écrans publicitaires se sont intégralement vidés. Les chaînes privées sont dans une merde noire. La dépendance à la publicité place le média télé dans une grande fragilité. Le problème, ce n’est pas les programmes, ils sont consommés sur toutes sortes d’écrans et de canaux numériques. Le vrai problème : c’est l’argent. D’où viendra l’argent à l’avenir ? Comment monétiser les contenus ? Sur le Web, Google et Facebook confisquent la quasi totalité de la pub. Reste les plateformes sur abonnement. Les networks et studios américains basculent l’un après l’autre. Mais, à terme, il n’y aura pas de place pour tout le monde. La mutation est passionnante à observer. Aujourd’hui, ce sont des enfants de la télé qui dirigent les chaînes françaises et les boîtes de production. Ces enfants de la télé savent faire de la télé. Ils savent faire de l’audience. Mais quid du futur financement de ce qu’ils fabriquent ? Ils avancent dans l’inconnu.  


Quelles sont les premières leçons que peuvent tirer les médias de cette crise sans précédent ? 

Outre l’enjeu économique, il y a une urgence : la confiance. Pendant longtemps, on pouvait miser sur l’équation suivante, audience = confiance, ou au moins adhésion. Au fil des années, l’équation s’est inversée : on peut massivement consommer un média sans y adhérer. Voire même : plus un média est consommé, moins on lui fait confiance. Audience = défiance. C’est très nouveau. Et il va falloir répondre à cela. Je prends un exemple symptomatique pour illustrer le changement de perception : la crise dite des « gilets jaunes ». Plus le public a regardé BFM, plus il a critiqué BFM. 

Les médias font donc face à deux sources de remise en question : d’un côté, une partie de la population qui critique frontalement ce qu’on lui donne à lire, écouter ou regarder. De l’autre, une partie de la population qui hait les médias sans jamais les lires, les écouter ou les regarder. Bien souvent, cette haine est vouée aux « élites », les médias sont englobés dedans. La critique et la haine des médias désignent deux vindictes différentes, mais elles se télescopent et se nourrissent l’une l’autre. Comment recréer du lien et de la confiance ? En multipliant les directs avec le professeur Raoult depuis son bureau ? Histoire de montrer aux uns qu’on ne les a pas abandonnés et aux autres que toutes les questions sont bonnes à poser ? Au risque d’alimenter de nouvelles haines et de nouvelles critiques ? Au risque de rompre plus de liens qu’on en recrée ? Pour les patrons de rédaction, c’est la quadrature du cercle. 


Si vous étiez rédactrice en chef et que vous deviez engager un jeune journaliste dans ce contexte, quel type de profil vous taperait dans l’oeil ? 

Je vais être un peu désagréable, mais je fais partie de la dernière génération qui n’a pas fait d’école de journalisme et j’en suis très contente. Je trouve que l’uniformisation des profils qui sortent des écoles est une catastrophe. Et ce n’est pas la faute des étudiants ou des écoles, c’est surtout celle des médias qui n’ont été chercher que des recrues à la sortie des écoles. Quelle imbécilité ! Je reconnais que d’un point de vue technique (savoir faire du son, de la vidéo, de la photo, du numérique…), les écoles sont très utiles. Mais cela crée des profils assez fades et assez creux. Il est difficile de trouver des gens un peu différents, plus politiques, plus convaincus, désireux d’aller chercher du sens, de soulever des questions profondes, de produire quelque chose de dense… Et tant pis si ce n’est pas propre techniquement, cela peut s’apprendre sur le tas.
 

Propos recueillis par Harold Grand. 

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C'était la Média'Tech summer #8

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Avec la participation des élèves de la 94ème et 95ème promotion de l'ESJ Lille.

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