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Hebdo n° 45/2020
7 décembre 2020
SOMMAIRE
 
INFOS : Publication au Journal officiel de la loi DDADUE et son article 37

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la Commission a démontré à suffisance l’existence d’un régime d’aides à propos de la pratique des autorités belges d’ajustement négatif des bénéfices des entreprises faisant partie d’un groupe multinational, l’avocate générale Kokott invite la Cour à annuler l’arrêt du Tribunal et à lui renvoyer l’affaire

JURISPRUDENCE : De quelques arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de distribution

JURISPRUDENCE : Dans le volet de l’affaire des commodités chimiques concernant les pratiques horizontales révélées par des demandes de clémence, la Cour d'appel de Paris, refusant enfin d’appliquer la jurisprudence Manpower, confirme pour l’essentiel, non sans avoir vérifié le bien fondé de la qualification d’infraction unique, complexe et continue à l’égard des sociétés Brenntag, les amendes infligées par l’Autorité

INFOS : L’Autorité sanctionne Dammann Frères pour avoir imposé, à ses distributeurs, les prix de vente de ses thès vendus en ligne, mais, appliquant la jurisprudence Coty, écarte le grief sanctionnant l’interdiction de la revente des produits contractuels sur des plateformes internet tierces


INFOS OUVRAGE : Publication de « Competition Inspections under EU Law — A Practitioner’s Guide » de Nathalie Jalabert-Doury chez Concurrences

INFOS : Publication au Journal officiel de la loi DDADUE et son article 37

 

La loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière a été publiée au Journal officiel daté du 4 décembre 2020. Les dispositions de la loi en matière de concurrence figurent à l’article 37.

En dehors des dispositions relatives à la transposition de la directive ECN+, qui devront faire l’objet d’une ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi et pour lesquelles un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de ladite ordonnance, l’ensemble des autres dispositions figurant à l’article 37 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 est entré en vigueur le 5 décembre 2020, soit le lendemain de leur publication au Journal officiel (en application de l’article 1er, alinéa 1er, du Code civil). À l'exception toutefois de la simplification de la procédure de clémence, par la suppression de l’avis de clémence, qui est soumise à l’adoption d’un décret en Conseil d'État qui viendra préciser les modalités d'organisation et d'application de cette procédure.

Sont donc entrés en vigueur le 5 décembre 2020 :

— la prohibition de pratiques visant à appliquer, dans certaines collectivités d’outre-mer, des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d'exclusivité d'importation de fait ;

— le renforcement de l’efficacité des OVS : un seul JLD sera compétent pour autoriser des OVS se déroulant simultanément sur plusieurs lieux du territoire national. De même, un seul officier de police judiciaire par site visité assistera aux opérations de visite et saisies, au lieu d’un OPJ par équipe d’enquêteurs aujourd’hui ;

— l’élargissement des décisions que le président, ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul ;

— la suppression de l’information préalable de l’Autorité de la concurrence de tout projet de révision des prix ou des tarifs réglementés ;

— l’élargissement de la procédure simplifiée et suppression du plafond de 750 000 € ;

— la disparition de l’exigence d’une dimension locale pour la mise en œuvre des micro-PAC par le ministre ;

— l'assouplissement du dispositif d’injonctions structurelles applicables dans certaines collectivités d’outre-mer, notamment par le remplacement de la condition tenant à l’existence d’une « atteinte à une concurrence effective » par de simple préoccupations de concurrence.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la Commission a démontré à suffisance l’existence d’un régime d’aides à propos de la pratique des autorités belges d’ajustement négatif des bénéfices des entreprises faisant partie d’un groupe multinational, l’avocate générale Kokott invite la Cour à annuler l’arrêt du Tribunal et à lui renvoyer l’affaire

 

Le 3 décembre 2020, l’avocate générale Juliane Kokott a présenté ses conclusions dans l’affaire Affaire C-337/19 (Commission européenne contre Royaume de Belgique et Magnetrol International).

Elle y invite la Cour de justice de l’Union à accueillir le pourvoi introduit par la Commission et, par suite, à annuler l’arrêt rendu le 14 février 2019 dans les affaires jointes T-131/16 (Belgique contre Commission européenne) et T-263/16 (Magnetrol International contre Commission européenne) par le Tribunal de l’Union sur la trentaine de recours introduits contre la décision de la Commission du 11 janvier 2016 traitant d’abord le système de l’exonération des bénéfices excédentaires mis en œuvre par la Belgique comme un régime d’aide d’État, puis considérant ce système de tax rulings comme une aide d’État incompatible au sens de l’article 107 TFUE et en ordonnant la récupération auprès de 55 bénéficiaires.

De 2004 à 2014, la Belgique a appliqué un système d’exonération aux bénéfices excédentaires des entités belges intégrées à des groupes multinationaux de sociétés. Ces entités pouvaient bénéficier d’une décision anticipée de la part des autorités fiscales belges, lorsqu’elles pouvaient faire valoir l’existence d’une situation nouvelle, telle qu’une réorganisation entraînant la relocalisation de l’entrepreneur central en Belgique, la création d’emplois ou des investissements. Dans ce cadre, étaient exonérés de l’impôt sur les sociétés les bénéfices considérés comme étant « excédentaires » en ce qu’ils dépassaient les bénéfices que des entités autonomes comparables auraient réalisés dans des circonstances similaires. Concrètement, il s’agissait, afin d’éviter ou de supprimer une double imposition, de prendre en compte les prix de transfert appliqués lorsqu’ils ne reflétaient pas les mécanismes de marché et le principe de pleine concurrence, en procédant à un « ajustement approprié » effectué au cas par cas. Toutefois, la Commission a considéré que les rémunérations versées en contrepartie de prestations entre deux entreprises liées n’étaient pas réévaluées en application du critère de pleine concurrence, comme le prévoit le code des impôts sur les revenus, mais que les autorités fiscales belges comparaient, indépendamment de telles prestations, le bénéfice d’une entreprise faisant partie d’un « groupe transfrontalier » avec le bénéfice hypothétique d’une entreprise non intégrée dans un groupe. À cette occasion, était évalué le bénéfice moyen hypothétique qu’aurait réalisé une entreprise autonome exerçant une activité comparable dans une situation comparable. Ce montant était ensuite déduit du bénéfice effectivement réalisé par l’entreprise belge appartenant à un groupe international. La différence constituait le bénéfice excédentaire exonéré qui pouvait être garanti au moyen d’une décision anticipée. Pour obtenir une décision anticipée, il suffisait que le bénéfice en soit sollicité et que les bénéfices soient liés à une situation nouvelle, telle qu’une réorganisation entraînant la relocalisation de l’entrepreneur central en Belgique, la création d’emplois ou des investissements. Les autorités belges faisaient même la promotion de la possibilité d’obtenir cette exonération des bénéfices excédentaires.

La Belgique et Magnetrol International ont introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne visant à l’annulation de la décision de la Commission. En substance, les requérantes soulevaient quatre points : i) l’ingérence dans les compétences exclusives belges en matière de fiscalité directe ; ii) la conclusion erronée relative à l’existence d’un régime d’aides en l’espèce ; iii) la qualification erronée des décisions anticipées relatives aux bénéfices excédentaires comme des d’aides d’État, compte tenu notamment de l’absence d’un avantage et de l’absence de sélectivité ; iv) la violation des principes de légalité et de protection de la confiance légitime, en ce que la récupération des prétendues aides.

Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal de l’Union européenne est parvenu au terme de l’examen de deux premiers points, et donc sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués, à la conclusion que la Commission avait considéré, de façon erronée, que le système belge relatif aux bénéfices excédentaires en cause constituait un régime d’aides. Il a en conséquence accueilli les moyens invoqués par le Royaume de Belgique et Magnetrol International, tirés de la violation de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 et, partant, a annulé dans son intégralité la décision attaquée.

La Commission a alors formé un pourvoi devant la Cour. De son côté, la Belgique a formé un pourvoi incident dans lequel elle fait grief au Tribunal d’avoir conclu à l’absence d’ingérence dans sa compétence fiscale, que l’avocate générale Kokott invite la Cour à déclarer irrecevable, en l’absence d’intérêt à agir à cet égard (pt. 123).

Le pourvoi formé par la Commission repose sur un moyen unique. Selon elle, le Tribunal a commis une erreur de droit dans le cadre de l’interprétation de la notion de régime d’aides visée à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 et a, en outre, dénaturé la décision litigieuse en ce que les conditions d’un régime d’aides n’ont, selon elle, pas été exposées.

Comme l’indique dès l’abord l’avocate générale Juliane Kokott dans des conclusions, la seule question qui se pose dans la présente affaire est celle de savoir si, et, dans l’affirmative, à quelles conditions, la Commission peut contester « en un seul bloc » un grand nombre de décisions anticipées en matière fiscale, en tant que régime d’aides. La grande importance pratique de cette question est illustrée par le fait que la présente procédure est une procédure pilote, 28 recours à l’encontre d’autres bénéficiaires des aides présumées étant suspendus devant le Tribunal (pt. 3).

Relève d’un « régime d’aides » toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition (pt. 55). Par conséquent, un régime d’aides visé à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 comporte trois conditions : premièrement, il doit s’agir d’un régime. Deuxièmement, les aides individuelles doivent être octroyées sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires. Enfin, troisièmement, les entreprises auxquelles les aides sont octroyées doivent être définies dans le régime d’une manière générale et abstraite. Ces conditions doivent être remplies de manière cumulative (pt. 57).

S’agissant de la première des trois conditions requises pour établir l’existence d’un régime d’aides, à savoir la présence d’un régime, la Commission estime que la notion de régime peut englober également une pratique administrative constante (pt. 62), ce qu’a confirmer le Tribunal tout en considérant que la Commission n’avait pas établi que cette ligne systématique de conduite constituait une pratique administrative constante (pt. 67).

S’agissant donc de la preuve de l’existence d’une pratique administrative constante, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas suffisamment prouvé l’existence d’une ligne systématique de conduite. Selon lui, la Commission n’avait précisé ni le choix de son échantillon ni les raisons pour lesquelles cet échantillon avait été considéré comme étant représentatif de l’ensemble des décisions anticipées. La Commission aurait présenté des exemples visant à illustrer l’ensemble des décisions anticipées en matière fiscale sans en justifier le choix et la représentativité (pt. 71).

Rappelant que si la Commission peut démontrer, même en présence de décisions anticipées en matière fiscale, l’existence d’une pratique administrative constante des autorités fiscales d’un État membre, elle doit cependant établir que les autorités fiscales procèdent de manière systématique (pt. 73), l’avocate générale Juliane Kokott relève que la Commission n’est pas tenue d’examiner séparément toutes les décisions contestées, mais qu’elle peut également se fonder sur un échantillon pour démontrer l’existence d’une pratique administrative constante. La Commission doit alors justifier que le choix de son échantillon est représentatif (pt. 79). Or, au cas d’espèce, l’avocate générale observe d’abord que la Commission a 22 des 66 décisions anticipées en matière fiscale en cause, de sorte que l’échantillon comprenait un tiers des décisions (pt. 86) qu’elle a sélectionné des décisions prises au cours de quatre années au début, au milieu et à la fin de la période de 2004 à 2014 et que ces 22 décisions de l’échantillon constituent l’ensemble des décisions adoptées au cours des années sélectionnées (pt. 89). De sorte que la Commission a établi dans la décision litigieuse que l’échantillon était globalement représentatif et, partant, suffisant pour démontrer l’existence d’une pratique administrative constante (pt. 90). Par suite, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant à tort que l’échantillon n’était pas suffisamment représentatif pour établir l’existence d’une pratique administrative constante (pt. 95).

S’agissant de la deuxième condition tenant à l’absence de « mesures d’application supplémentaires », l’avocate générale Juliane Kokott constate que l’erreur de droit commise par le Tribunal à propos de la première condition se répercute sur son examen de la second condition. Étant donné que le Tribunal a considéré que la pratique administrative constante des autorités fiscales belges n’avait pas été démontrée à suffisance de droit, il a en substance  examiné la condition liée à l’absence de mesures d’application qu’au regard de la loi concernant les ajustements de bénéfices au titre de l’article 185, paragraphe 2, sous b), du CIR 92 (pt. 100). Or, la perspective est tout autre lorsque l’on admet la pratique administrative constante des autorités fiscales belges. Ainsi, lorsque – comme en l’espèce – c’est une pratique administrative constante qui constitue le régime, il n’y a, en règle générale, pas de mesures d’application supplémentaires, car la pratique administrative constante consiste déjà en un ensemble de mesures d’octroi d’aides individuelles (pt. 103). Dès lors, la constatation du Tribunal selon laquelle des mesures d’application supplémentaires étaient nécessaires en l’espèce est erronée en droit. Par conséquent, estime l’avocate générale, la deuxième branche du moyen est également fondée (pt. 107).

Quant à la troisième condition relative à la définition générale et abstraite des bénéficiaires dans la disposition, l’avocate générale Juliane Kokott considère une nouvelle fois que le Tribunal a commis une erreur de droit. S’il a bien appliqué les critères adéquats pour examiner la définition générale et abstraite des bénéficiaires au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589, une telle définition étant générale et abstraite lorsque les bénéficiaires peuvent être déterminés uniquement sur le fondement de la disposition, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires (pt. 110), le Tribunal a méconnu le fait que la description précise du bénéficiaire fait elle‑même partie du régime d’aides (pt. 112).

En conclusion, l’avocate générale Juliane Kokott estime que le Tribunal a considéré à tort que les conditions prévues à l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589 n’étaient pas remplies en l’espèce. Au contraire, la Commission a établi à suffisance de droit dans la décision litigieuse que la pratique des autorités belges d’ajustement négatif des bénéfices des entreprises faisant partie d’un groupe multinational constitue un régime d’aides au sens de l’article 1er, sous d), du règlement 2015/1589. Le pourvoi est donc fondé (pt. 114).

À ce stade, estimant que le litige n’est pas en état d’être jugé, l’avocate générale Kokott propose de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le point de savoir si les décisions anticipées en matière fiscale concernant l’ajustement négatif des bénéfices constituent réellement des aides d’État et si la récupération des aides alléguées est contraire aux principes de légalité et de protection de la confiance légitime (pts. 116-117).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE : De quelques arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de distribution

 

Parmi les décisions rendues par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 novembre 2020 figure un intéressant arrêt concernant l’application d’un contrat de distribution exclusive.

Au cas d’espèce, un fabricant italien de trancheuses avait accordé à une société française l’exclusivité de la distribution de ses produits et des pièces détachées sur le territoire national pour une durée de quatre ans, tacitement renouvelable. L'article 7 du contrat d’exclusivité prévoyait que chacune des parties pouvait y mettre fin avec un préavis d'un an précédant la date de son renouvellement, en motivant sa décision par des causes réelles et sérieuses.

Le 21 mars 2011, alléguant de graves manquements de la part de son concessionnaire, le concédant lui a notifié le non-renouvellement du contrat à sa date anniversaire du 1er avril 2012. Le distributeur a contesté cette rupture en invoquant, notamment, l'absence de cause réelle et sérieuse ainsi que la violation de la clause d'exclusivité par la tête de réseau.

Les juges du fonds ont fait droit à sa demande, ce que l'arrêt attaqué (Lyon, 14 février 2019) a partiellement confirmé en condamnant le fabricant à verser à son concessionnaire, au titre de la violation de la clause d'exclusivité, jugée valable, la somme totale de 572 879 € pour les ventes opérées selon elle en violation de ladite clause, mais également à lui verser 1 200 000 € à titre de dommages-intérêts destinés à réparer son préjudice résultant du non-renouvellement du contrat de distribution sans cause réelle et sérieuse.

À l’appui de son pourvoi, la tête de réseau faisait d’abord valoir, à propos de l’examen préalable de la validité de la clause d’exclusivité au regard du droit de l’Union, que la Cour d’appel avait fait un mauvais usage de la charge de la preuve pour écarter la nullité de la clause litigieuse fondée sur le droit de l'Union européenne au motif qu'il ne serait pas démontré que la clause était susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres. Pour ce faire, la Cour d’appel a jugé que le fabricant ne démontrait pas que la clause d'exclusivité était « susceptible d'affecter les échanges entre états membres en empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence ».

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond, au visa des articles 101 TFUE, L. 420-1 du code de commerce et 1315 du code civil, qu’après avoir relevé que la clause d'exclusivité s'étendait à l'ensemble du territoire national et qu'il s'en déduisait une présomption d'affectation du commerce entre États membres, la Cour d’appel, qui a retenu que le concédant n’avait pas démontré que les pratiques ainsi instaurées entre les partenaires étaient susceptibles d'affecter les échanges entre États membres en empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence, a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés, dès lors qu’il appartenait, en présence d’une telle présomption d’affectation du commerce entre États membres, au concessionnaire de rapporter la preuve contraire résultant des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel la clause s’insérait.

La tête de réseau faisait encore grief à la Cour d’appel d’avoir omis de répondre au moyen selon lequel, en application du règlement d’exemption par catégorie des accords verticaux n° 330/2010 du 20 avril 2010, une clause d'exclusivité ne pouvait interdire à d'autres fournisseurs de commercialiser leurs produits par l'intermédiaire de leur site internet, y compris sur le territoire visé par l'exclusivité, si ces fournisseurs ne procédaient à aucune prospection active et individualisée des clients situés sur le territoire exclusif du distributeur. Constatant à cet égard que la Cour d’appel n’avait pas répondu aux conclusions du concédant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation estime qu’en statuant ainsi, elle a violé l’article 455 du code de procédure civile, qui impose la motivation des jugements.

Le concédant faisait enfin grief à la Cour d’appel d’avoir pris en compte, pour apprécier le caractère réel et sérieux de la cause du non-renouvellement  du contrat d’exclusivité, une vente intervenue plus d’un an après que le concédant avait décidé de ne pas procéder au renouvellement du contrat. Observant que, pour ce faire, la Cour d'appel aurait dû se placer à la date de la décision de non-renouvellement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère qu’en retenant ainsi une vente intervenue le 31 mars 2012, soit plus d'un an après la décision de non-renouvellement intervenue le 21 mars 2011, impropre à caractériser l'absence de cause réelle et sérieuse qu'elle devait apprécier à la date à laquelle cette décision a été prise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Au final, la Cour casse et annule partiellement l’arrêt attaqué et remet, sur ces seuls points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

 



Ce même 18 novembre 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un autre arrêt dans une affaire Puma/Lidl à propos de la vente des produits contractuels par un tiers au réseau de distribution sélective, à la faveur duquel elle casse et annule l'arrêt rendu le 9 janvier 2019 par la Chambre 5-4 de la Cour d'appel de Paris.

Elle lui reproche en premier lieu de n’avoir recherché, comme il lui était demandé, si les tracts constituant la campagne publicitaire incriminée ne présentaient pas les produits en cause sur des supports et dans un environnement portant atteinte à leur notoriété aux yeux du consommateur, peu important l'absence de confusion entre les différents produits faisant l'objet de la publicité litigieuse.

Elle lui reproche en deuxième lieu un défaut de motivation, en ce que la Cour d’appel n'a pas examiné le moyen pris de ce que les conditions de commercialisation n'étaient pas conformes à la nature alléguée des produits, laquelle pouvait requérir un conseil approprié.

En troisième lieu, elle lui reproche de s’être déterminée par des motifs impropres à exclure la concurrence parasitaire alléguée, en retenant que la campagne en cause, ponctuelle, portait sur deux cents trente deux articles et qu'il n'était pas établi que les produits auraient fonctionné comme des produits d'appel, pour en déduire que la société Lidl n'a pas utilisé la notoriété de la société Puma sans bourse délier et ne s'est donc pas placée dans son sillage.

JURISPRUDENCE : Dans le volet de l’affaire des commodités chimiques concernant les pratiques horizontales révélées par des demandes de clémence, la Cour d'appel de Paris, refusant enfin d’appliquer la jurisprudence Manpower, confirme pour l’essentiel, non sans avoir vérifié le bien fondé de la qualification d’infraction unique, complexe et continue à l’égard des sociétés Brenntag, les amendes infligées par l’Autorité

 

À la faveur d'un important arrêt, au demeurant solidement motivé, rendu le 3 décembre 2020 dans le volet du dossier des commodités chimiques concernant les pratiques horizontales révélées par des demandes de clémence, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris, statuant sur le fond de l’affaire, fait acte de résistance à l’encontre de la jurisprudence Manpower.

Cette jurisprudence, fondée sur un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 mars 2011, que dit-elle ? En substance, la Cour de cassation a considéré, dans l’affaire du travail temporaire, qu’en présence d’une entente horizontale, lorsque des entreprises mises en cause ont décidé de ne pas contester les griefs à elles notifiés, tandis qu’une ou plusieurs autres entreprises également mises en cause persistent à contester les griefs, le Conseil de la concurrence n’a à démontrer, à l’égard des entreprises contestant les griefs, que leur participation aux pratiques anticoncurrentielles en cause, le dispensant ainsi de démontrer l’existence d’une concertation à leur égard.

Depuis dix ans, l'Autorité fait application de cette jurisprudence « Manpower », reprenant la formule désormais classique inspirée de l’arrêt de la Cour : « La renonciation à contester les griefs suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause est établi à l'égard des parties qui ont fait ce choix procédural. Seule doit être discutée la question de la participation aux pratiques anticoncurrentielles des parties qui n'ont pas renoncé à contester les griefs ».

Sûre de son fait, l’Autorité soutient à nouveau dans la présente affaire que le choix procédural de non-contestation des griefs effectué par certaines sociétés est opposable aux sociétés Brenntag de sorte que la qualification d’entente unique, complexe et continue ne peut pas être contestée et que l’Autorité n’a, à l’égard des sociétés Brenntag, qu’à démontrer leur participation à une telle entente (pt. 169).

Las ! Cette fois, la Cour d’appel ne l’a pas entendu de cette oreille. Déjà, en 2017, la jurisprudence Manpower avait été remise en cause à la faveur d’une demande de transmission d'une QPC, que la Cour d’appel de Paris avait déclarée irrecevable pour n’avoir pas été déposée dans les délais. Le moyen de procédure utilisé — la QPC — n’est à l’évidence pas idoine : demander au Conseil constitutionnel d’opérer un contrôle sur la jurisprudence de la Cour de cassation n’est sans doute pas ce qu’a voulu le législateur en instaurant cette voie procédurale. Il est à tous égards préférable, en présence d’une jurisprudence contestable comme l’est assurément la jurisprudence Manpower, que les entreprises continuent d’alimenter la Cour d’appel en contestant ladite jurisprudence jusqu’à ce que celle-ci décide enfin de résister.

S’appuyant sur le principe de la présomption d’innocence, qui constitue un principe général du droit de l’Union (pt. 171), requiert que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie et s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (pt. 172), la Cour d’appel de Paris en tire la conclusion que la présomption d’innocence s’oppose à ce que les éléments retenus contre les sociétés ayant choisi de ne pas contester les griefs puissent à eux seuls établir la responsabilité d’une société qui ne relève pas de ce cadre procédural sans que cette dernière ait pu bénéficier des garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense (pt. 173). Les sociétés qui contestent les griefs doivent, par conséquent, être mises en mesure de se défendre sur la matérialité des faits qui leur sont reprochés, quand bien même ces faits sont ceux qui, en tout ou partie, servent de support aux griefs notifiés aux entreprises qui ont choisi de ne pas les contester, ainsi que sur leur qualification juridique, et quand bien même ces mêmes entreprises ont renoncé à contester cette qualification (pt. 173). Tous droits que l’Autorité de la concurrence leur dénie depuis plus de dix ans…

Joignant le geste à la parole, la Cour d’appel s’attache alors à vérifier le bien fondé de la qualification d’infraction unique, complexe et continue retenue par le Conseil à l’égard des sociétés Brenntag quand bien même les trois autres cartellistes ont renoncé à la contester en choisissant de recourir à la procédure de non-contestation des griefs (pt. 175).

Au cas d’espèce, la Cour constate d’abord l’existence d’accords et de concertations horizontales mis en œuvre dans chacune des quatre zones géographiques retenues (pts. 207-224). Elle observe ensuite l’existence de liens unissant ces différents accords et pratiques concertés, du fait de fortes similitudes entre eux découlant de l’identité des produits et des entreprises participantes, mais encore des modalités de leur mise en œuvre, du rôle majeur de la société Brenntag SA dans l’organisation et la mise en œuvre de ces ententes et de l’identité de la finalité des pratiques : répartition de clientèle  et coordination tarifaire avec un double objectif de stabilisation de parts de marché et d’amélioration des marges (pts. 226-232). La Cour de Paris déduit de ces constatations que ces pratiques, bien que mises en œuvre dans des zones géographiques distinctes, sont loin d’être isolées et indépendantes les unes des autres, mais présentent au contraire, des liens d’identité forte quant aux produits sur lesquels elles ont porté, quant aux entreprises qui y ont pris part, quant à la période au cours de laquelle elles ont été débuté et ont été mises en œuvre, quant à leur nature et leur objet, leur finalité et leurs modalités de mise en œuvre de sorte qu’il serait artificiel de les appréhender isolément (pt. 263). En outre, elle estime que le double objectif de stabilisation de parts de marché et d’amélioration des marges ne se borne pas à renvoyer à la nature anticoncurrentielle des pratiques, mais est suffisamment défini pour satisfaire aux exigences de la qualification d’infraction unique, complexe (pt. 265), les pratiques présentant en outre un caractère continu jusqu’au mois de juin 2005 (pt. 266).

L’existence d’une infraction unique, complexe et continue étant établie, la Cour d’appel de Paris s’attache ensuite à vérifier la participation de la société Brenntag SA à cette infraction. À cet égard, la Cour de Paris relève que la Brenntag a pris part à chacun des accords et pratiques concertées mises en œuvre dans les quatre zones géographiques identifiées par l’instruction, qu’elle en a pris l’initiative dans trois zones sur quatre et qu’elle a joué un rôle moteur dans la mise en œuvre des pratiques et que sa direction générale connaissait leur existence dans chacune des quatre zones (pts. 268-270). Par suite, la Cour d’appel estime que la société Brenntag SA avait connaissance des pratiques anticoncurrentielles identifiées entre elle-même et les trois autres cartellistes  sur les quatre zones géographiques identifiées et de leur finalité commune, de sorte qu’elle a effectivement participé à une entente complexe et continue de dimension multirégionale sur les commodités chimiques dont l’objet anticoncurrentiel unique a consisté en une répartition de clientèle et une coordination tarifaire (pt. 274).

C’est là le principal apport de cet arrêt important. En toute logique, il devrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation à l’initiative de l’Autorité de la concurrence, laquelle est si attachée à la facilité procédurale que lui avait offert sur un plateau la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Souhaitons que cette dernière saura faire évoluer une jurisprudence qui ne fait pas grand cas des droits de la défense, pourtant garantis par l’article 48, § 1, de la Charte des droits fondamentaux…
 
Pour le reste, la Cour d’appel de Paris commence par écarter une à une les demande d’annulation de l’entière procédure fondée sur l’atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense résultant de la mise en cause personnelle de leur avocat dans des termes calomnieux. On se souvient que, à la faveur d’un arrêt du 2 février 2017, la Cour d’appel de Paris avait annulé, avant de réouvrir les débats, la décision du Conseil sanctionnant les sociétés Brenntag au motif que les droits de la défense de ces sociétés n’avaient pas été respectés. Plus précisément, l’atteinte caractérisée en l’espèce consistait dans le fait que la défense des sociétés Brenntag n’avait pas pu s’exercer librement devant l’Autorité du fait du maintien dans le dossier communiqué aux parties, au ministre de l’économie et au Collège, d’accusations graves et infondées, énoncées par le représentant d’une des parties, sans que les rapporteurs se démarquent de ces accusations auxquelles ils ont manifesté qu’ils leur accordaient un certain crédit. Dans l’arrêt rendu le 3 décembre 2020, la Cour considère en substance que ces demandes d’annulation de l’entière procédure viennent heurter l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 2 février 2017, en ce qu’elles ne sont fondées sur aucun élément de fait qui n’était pas connu ni sur aucun moyen de droit qui n’aurait pas pu être soutenu lors la première audience (pt. 96).

Sur l’imputabilité des pratiques aux sociétés mères successives de la société Brenntag SA, la Cour d’appel de Paris confirme l’existence d’une présomption d’influence déterminante exercée par la société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, estimant que cette dernière n’est pas parvenue à renverser ladite présomption (pt. 322). Ainsi, elle n’est pas parvenue à apporter la preuve que la société holding n’assurait pas assurer l’unité de direction du groupe (pt. 311). Elle n’a versé aucun élément de nature à établir qu’elle ne disposait d’aucun moyen de contrôler l’activité de sa filiale (pt. 316). De même, elle n’est pas parvenue à démontrer que la détention de la société Brenntag SA était provisoire, à l’instar de celle opérée par Deutsche Bahn AG (pts. 318-319).

Sur la sanction, la Cour d’appel de Paris parvient peu ou prou, utilisant à l’occasion une autre méthode que le Conseil, aux mêmes sanctions que celui-ci.

S’agissant d’abord de la détermination de la valeur des ventes, la Cour écarte le bénéfice de l’immunité partielle prévue à l’article 22 du communiqué du 3 avril 2015 sur la procédure de clémence, sollicité par les sociétés Brenntag. Elle estime en effet que celles-ci n’étaient pas les premières à dénoncer les pratiques mises en œuvre dans d’autres zones du territoire national telles que le nord, la région Rhône-Alpes, et l’est de la France, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’exclure du montant de base servant d’assiette à la sanction la valeur des ventes réalisées dans les zones Nord, Bourgogne et Rhônes-Alpes (pt. 342).

La Cour considère en outre que, pour traduire une appréciation chiffrée de l’ampleur économique de l’infraction, il convient de tenir compte de la valeur des ventes de commodités chimiques réalisées par chacun des dépôts concernés par l’entente, sans qu’il y ait lieu de les limiter aux seules ventes des commodités chimiques dont il est établi qu’elles ont subi l’influence de l’entente ni à celles faites aux seuls clients dont il est établi qu’ils ont été concernés par l’entente (pt. 346), mais modulé en tenant compte de la valeur des ventes de commodités chimiques effectuées au cours du dernier exercice complet de leur participation à l’infraction, dans chacune des quatre zones retenues, ce qui conduit à une meilleure individualisation et proportionnalité de la sanction de l’infraction (pts. 347-348).

À ces valeurs des ventes pour chacune des quatre régions, la Cour de Paris applique, eu égard à la particulière gravité de l’infraction et au dommage significatif à l’économie, une proportion de 20% du montant de base (pt. 382), à laquelle elle applique des coefficients multiplicateurs pour chacune des quatre régions afin de tenir compte de la durée des pratiques dans chacune d’elles (pt. 386). Au terme de ces opérations, le montant de base pertinent s’élève en l’espèce à 47 429 136 euros (pt. 388).

S’agissant à présent de l’individualisation de la sanction, la Cour d’appel retient, d’une part, une majoration de 15 % du montant de base en raison du rôle particulier dans la conception et la mise en œuvre de l’entente qu’a joué la société Brenntag SA (pt. 397) et, d’autre part, une majoration de 15 % du montant de base au titre de l’appartenance à un groupe d’envergure mondiale (pt. 399). En revanche, elle lui dénie tout rôle moteur dans la cessation des pratiques (pt. 401).

Au final, le montant individualisé de la sanction, retenu au titre du grief n°1, est de 62 725 032 euros (pt. 433).

S’agissant de l’exonération partielle de la sanction au titre de la clémence, la Cour de Paris retient une exonération de 25 % (pt. 419), là où l’avis de clémence délivré aux sociétés Brenntag envisageait de fixer le taux d’exonération partielle de la sanction dans une fourchette allant de 25 à 35 %. Pour ce faire, la Cour relève que, s’il est incontestable que les sociétés Brenntag ont fourni des éléments essentiels pour établir les pratiques sanctionnées, leur demande de clémence souffrait toutefois d’insuffisances (pt. 414). En outre, elle note un manquement au devoir de coopération (pt. 418). Tant et si bien qu’elle fixe le taux d’exonération de la sanction au bas de la fourchette envisagée dans l’avis de clémence, c’est-à-dire à 25 %. En revanche, elle refuse d’étendre le bénéfice de la clémence au profit de la société Deutsche Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, dans la mesure où, à la date où la filiale a dénoncé les pratiques auprès de l’Autorité, la société mère ne la détenait plus et n’exerçait ainsi plus aucune influence déterminante permettant de considérer qu’elles constituaient toujours une entreprise unique avec son ancienne filiale la société Brenntag SA (pt. 428).

La société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, aux droit de laquelle vient la société Deutsche Bahn AG, ayant formé une entreprise unique avec la société Brenntag SA du 1er janvier 1998 au 1er janvier 2004, soit pendant 83,33% de la période infractionnelle, le montant de la sanction infligée à la société Deutsche Bah AG en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG doit correspondre à 83,33% de 62 725 032 euros, soit 52 268 769 euros arrondi (pt. 434). Quant à la société Brenntag SA, elle bénéficie d’une réduction au titre de la clémence de 25 %, de sorte que sa sanction s’élève à 47 043 774 euros arrondi (pt. 435). Dès lors, les sociétés Deutsche Bahn AG et Brenntag SA se voient imposer, à titre solidaire une sanction d’un montant de 47 043 774 euros, cependant que la société Deutsche Bahn AG doit seule s’acquitter d’une sanction d’un montant de 5 224 995 euros (pt. 436).

S’agissant du grief n° 2, la Cour procède de la même façon au calcul de la sanction. Toutefois, elle accorde aux sociétés Brenntag le bénéfice d’une exonération totale de sanction, au titre de la clémence, mais en refuse le bénéfice à la société Deutsch Bahn AG, venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, et ce pour les mêmes raisons que pour le grief n° 1, de sorte que la société Deutsche Bahn AG devra seule acquitter une sanction d’un montant de 50 916 euros (pt. 461).

INFOS : L’Autorité sanctionne Dammann Frères pour avoir imposé, à ses distributeurs, les prix de vente de ses thès vendus en ligne, mais, appliquant la jurisprudence Coty, écarte le grief sanctionnant l’interdiction de la revente des produits contractuels sur des plateformes internet tierces

 

Le 3 décembre 2020, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision n° 20-D-20 aux termes de laquelle elle sanctionne la société Dammann Frères pour avoir mis en œuvre, d’avril 2015 à juin 2017 (pt. 276), des pratiques visant à limiter la liberté tarifaire de ses distributeurs, en fixant directement ou indirectement le prix de vente aux consommateurs des produits de marque Dammann Frères, sur le marché de la vente en ligne de thés haut de gamme. Ce faisant, la mise en cause avait pour objectif, selon l’Autorité, d’aligner les prix de tous les sites de vente en ligne des distributeurs commercialisant ses produits sur ceux qu’elle-même pratiquait sur son propre site Internet. En outre, elle poursuivait l’objectif d’un alignement des prix pratiqués en boutiques et ceux observés en ligne (pt. 194).

Cinq mois après la transmission du rapport administratif de l’enquête conduite par la DIRECCTE de la région des Pays de la Loire, l’Autorité s’est donc saisie d’office de pratiques de prix imposés mises en oeuvre par la société Dammann Frères. Cette dernière a soutenu, sur le fondement de l’article D. 450-3 du code de commerce, que la procédure, fondée sur une décision de saisine d’office entachée d’illégalité, encourait la nullité, au motif qu’il s’était écoulé un délai de plus de deux mois entre la transmission du rapport administratif d’enquête et la décision de saisine d’office de l’Autorité. Celle-ci écarte le grief, à notre avis à juste titre, dans la mesure où le délai de deux mois dont dispose l’Autorité pour se saisir d’office à la suite de la réception des pièces de la procédure, n’est pas prescrit à peine de nullité, mais dans le seul but d’informer le ministre sur les suites qu’entend donner l’Autorité aux enquêtes de concurrence menées par le ministre. À défaut de saisine d’office dans les 65 jours, le ministre peut soit faire usage de son pouvoir de saisine directe de l’Autorité que lui reconnaît l’article L. 462-5 du code de commerce, soit, si l’on est en présence d’une pratique anticoncurrentielle locale, de mettre en œuvre son pouvoir d’injonction prévu à l’article L. 464-9 du code de commerce. Or, au cas d’espèce, il ne semble pas que l’on était en présence d’une PAC locale, puisqu’aussi bien l’Autorité retient que le droit de l’Union était applicable, dès lors que les pratiques en cause dans la présente affaire étaient susceptibles d’avoir affecté de manière sensible le commerce entre États membres (pt. 162). Même si l’on peut regretter que le non-respect d’un délai ne soit assorti d’aucune sanction, force est d’admettre que l’écoulement dudit délai ne saurait dessaisir l’Autorité et la rendre incompétente pour connaître des pratiques litigieuses, qui relèvent de l’article 101 TFUE et que le ministre n’a pas le pouvoir de traiter sur le fondement de l’article L. 464-9 du code de commerce (pt. 147).

Sur le fond, l’Autorité estime que la société Dammann Frères a diffusé à ses distributeurs des prix dits « conseillés », par le biais de ses catalogues annuels (pt. 197), qu’elle les a incités à respecter en s’appuyant, notamment, sur ses conditions générales de vente et sur les accords de distribution en ligne conclus avec certains distributeurs (pts. 199-209). Par ailleurs, l’Autorité considère que la société Dammann Frères est en outre intervenue auprès des distributeurs qui refusaient d’appliquer les prix qu’elle imposait (pts. 210-212) et a sanctionné ceux qui persistaient à ignorer ses incitations en supprimant ou réduisant le montant des remises qui leur étaient accordées, en retardant leurs livraisons, en supprimant leurs coordonnées de la liste de distributeurs présentée sur son site Internet ou encore en rompant de façon unilatérale ses relations commerciales avec eux (pts. 213-226). L’Autorité retient encore que les distributeurs ont adhéré à sa politique en signant des contrats proposés par Dammann Frères qui restreignaient leur liberté tarifaire (pt. 234), en appliquant les prix imposés par Dammann Frères (pt. 239) ou encore en dénonçant à Dammann Frères les prix pratiqués par leurs concurrents lorsqu’ils les jugeaient trop faibles (pts. 246-248).
 
À défaut de preuves directes de l’infraction, l’Autorité s’est fondée sur un faisceau d’indices graves, précis et concordants résultant de la réunion de pièces documentaires et de nature comportementale, pour démontrer l’existence d’une invitation anticoncurrentielle de Dammann Frères et d’un acquiescement de ses distributeurs quant aux prix pratiqués lors de la vente en ligne de ses produits (pt. 249).
 
Estimant que la pratique mise en œuvre par Dammann Frères et ses distributeurs révélait un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de restriction par objet (pt. 261), l’Autorité relève que la pratique ainsi mise en œuvre a eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence intra-marque entre les sites de vente en ligne des produits de marque Dammann Frères (pt. 263) et qu’elle constitue une restriction caractérisée au sens de l’article 4 du règlement n° 330/2010 (pt. 264).

En revanche, faisant application de la jurisprudence Coty de la Cour de justice de l’Union, l’Autorité écarte le grief n° 2 notifié par les services d’instruction concernant la pratique consistant à interdire la revente de ses produits sur des plateformes internet tierces. Sur ce point, l’Autorité relève d’emblée que cette pratique bénéficie d’une exemption au titre du règlement n° 330/2010 (pt. 297). En effet, dans la mesure où les éléments qui figurent au dossier ne permettent pas de dénombrer les clients de plateformes tierces au sein du groupe des acheteurs en ligne et où le fabricant n’interdisait pas à ses distributeurs de vendre par Internet et de se faire connaître par le biais de site internet tiers (publicité et utilisation des moteurs de recherche), l’accord en cause ne constitue pas une restriction de la clientèle des distributeurs, au sens de l’article 4, sous b), du règlement n° 330/2010 (pt. 298). Par ailleurs, les parts du marché des thés haut de gamme vendus en ligne, détenues par elle-même et par ses distributeurs, sont inférieures à 30 % (pt. 299).

Sur le calcul des sanctions, l’Autorité considère, au titre de la valeur des ventes, que les biens en relation avec l’infraction sont les thés haut de gamme vendus, directement ou indirectement, au consommateur final par le biais d’une boutique en ligne. L’assiette de la sanction prononcée est donc assise sur les valeurs des ventes au consommateur final des thés Dammann Frères réalisées directement par le fabricant grâce à sa boutique en ligne et réalisées indirectement, par ses distributeurs, via leurs propres boutiques en ligne (pt. 312), même si la part des ventes en ligne de ces derniers était de 6,5 % de l’ensemble des ventes au détail réalisées par ses distributeurs (pt. 316).

L’Autorité confirme dans la présente affaire la pratique inaugurée à la faveur de la décision n° 20-D-11 du 9 septembre 2020 « traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) », selon laquelle elle a décidé de biffer le montant en euros de l’assiette sur laquelle est assise la sanction pécuniaire retenue au titre des griefs n° 1, à savoir la valeur des ventes au consommateur final des thés Dammann Frères réalisées directement par le fabricant grâce à sa boutique en ligne et réalisées indirectement, par ses distributeurs, via leurs propres boutiques en ligne (pt. 321).

Cette fois-ci, l’Autorité raffine encore un peu plus en occultant au point 245 le montant de base de la sanction avant toute individualisation de celle-ci, tel qu’il résulte de l’application à la valeur des ventes retenue d’abord d’un pourcentage — ici 9 % — tenant compte à la fois de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie par les pratiques en cause, puis d’un coefficient multiplicateur — en l’occurrence 1,58 — tenant compte de la durée des pratiques, de deux ans et deux mois en l’espèce. Ainsi indique-t-elle que le montant de base de la sanction pécuniaire déterminé en proportion des ventes liées à la commercialisation des produits en relation avec l’infraction commise par la société en cause, d’une part, et de la durée des pratiques, d’autre part, est de [215 000 – 245 000] euros.

Délicate attention dira-t-on à destination des entreprises sanctionnées qui souhaitent vraisemblablement préserver ce qu’elles considèrent comme des secrets des affaires ! Il reste qu’il est fort aisé de reconstituer ces montants qu’on veut nous cacher, à la faveur d’une simple règle de trois, et ce, en opérant le calcul à rebours. À quoi bon instaurer une règle si on peut la contourner aussi aisément ?!? Sans doute eut-il été plus simple de nous dispenser de ce jeux de piste et d’indiquer d’emblée la valeur des ventes retenue comme assiette de la sanction prononcée à l’égard de mises en cause, ainsi que le montant de base de la sanction avant individualisation… On notera à cet égard que la Cour d’appel de Paris ne s’est pas amusée, dans son arrêt rendu le 3 décembre 2020 dans l’affaire des commodités chimques, à occulter ces informations essentielles pour une bonne appréciation du calcul des amendes…

En fin de compte, en l’absence de circonstances atténuantes ou aggravantes, l’Autorité se résout à infliger une sanction pécuniaire d’un montant de 226 000 euros à l’encontre de la société Dammann Frères. De surcroît, elle lui a enjoint de publier un résumé de la présente décision sur son site de vente en ligne ainsi que dans une édition électronique et papier du quotidien Le Monde.


Competition Inspections under EU Law — A Practitioner’s Guide

de Nathalie Jalabert-Doury

 




Après un premier volume dédié aux inspections effectuées par les autorités de concurrence françaises, Nathalie Jalabert-Doury, grande spécialiste de la matière, nous propose aujourd’hui un second volume tout entier consacré aux inspections de concurrence opérées en application du droit de l’Union. L’auteur présente dans cet ouvrage très didactique destiné aux praticiens, à tous les praticiens, une analyse minutieuse des différents régimes d'enquêtes antitrust relevant du règlement 1/2003. Sont également traitées les inspections fondées sur des mécanismes de coopération au sein du Réseau européen de concurrence. Les régimes d’inspections spécifiques au contrôle des concentrations et aux aides d’État sont même évoqués.

Vous trouverez sur le site web de l’éditeur une brève présentation de l’ouvrage, ainsi que l’avant-propos de Cecilio Madero Villarejo.

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