Copy
L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
Voir cet e-mail dans votre navigateur
Hebdo n° 44/2020
30 novembre 2020
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : Précisant les règles de droit international privé applicables aux actions en responsabilité civile pour les infractions au droit de la concurrence, la Cour de justice de l’Union dit pour droit qu’une action en responsabilité fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante relève de la matière délictuelle au sens du règlement Bruxelles I bis et, partant, que le juge compétent est celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué

JURISPRUDENCE UE : Rappelant que la responsabilité solidaire pour le paiement d’une amende n’est qu’une manifestation de la notion d’entreprise, la Cour de justice accueille le pourvoi de la Commission et annule en conséquence l’arrêt du Tribunal dans l’un des volets de l’affaire du cartel des stabilisants thermiques

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union étend aux festivals sa jurisprudence permissive autorisant les sociétés de gestion collective à imposer un barème de redevances calculé sur la base des recettes brutes tirées de la vente des billets d’entrée dans des discothèques et sur les recettes des émissions de télévision destinées au grand public


JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Insistant sur la nécessité de garantir l’effet utile de l’obligation de notification des aides, la Cour de justice de l’Union dit pour droit que le juge national est tenu d’ordonner à son bénéficiaire le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide, quand bien même ladite aide aurait ultérieurement été déclarée compatible avec le marché intérieur et le bénéficiaire serait une entreprise chargée de la gestion d’un SIEG

INFOS UE : La Commission sanctionne à hauteur de 60,5 millions d'euros les laboratoires Teva et Cephalon pour une pratique de pay-for-delay


INFOS : Prenant acte de la dernière jurisprudence de la Cour de justice de l’Union, l’Autorité écarte à son tour l’application des règles de concurrence aux réponses concertées aux appels d’offres par les sociétés d’un même groupe

ANNONCE WEBINAIRE : 8ème conférence « Contrôle international des concentrations »

— Webinaire #1 — Interview croisée avec Isabelle de Silva — Affaire Three/O2 (CJUE) : l'arrêt qui change tout ? — 2 décembre 2020 15:30 [Message de Mélanie Thill-Tayara et Laurent Flochel]

— Webinaire #2 — « Concentrations non horizontales : Vers un changement d’analyse ? » — 3 décembre 2020 15:30 [Message de Luís Campos, Mike Cowie et Clemens York]

— Webinaire #3 — Table ronde des juristes d'entreprise & Discussion de clôture — 4 décembre 2020 — 15:00

JURISPRUDENCE UE : Précisant les règles de droit international privé applicables aux actions en responsabilité civile pour les infractions au droit de la concurrence, la Cour de justice de l’Union dit pour droit qu’une action en responsabilité fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante relève de la matière délictuelle au sens du règlement Bruxelles I bis et, partant, que le juge compétent est celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué

 

Le 24 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union, réunie en grande chambre, a rendu un arrêt dans l’affaire C-59/19 (Wikingerhof GmbH & Co. KG contre Booking.com BV), à la faveur duquel elle a dit pour droit qu’une action en responsabilité, en ce qu’elle est fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012, dit « règlement Bruxelles I bis », concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et, partant, que le juge compétent au sens de cette disposition est celui du « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », à savoir le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué, bref le lieu où est installée la victime des pratiques dénoncées.

Au cas d’espèce, la société Wikingerhof GmbH & Co. KG, exploitant un hôtel situé dans le Land de Schleswig-Holstein, et qui avait conclu, dès 2009, un contrat avec Booking.com BV, société de droit néerlandais ayant son siège aux Pays-Bas, pour accéder à sa  plate-forme de réservations d’hébergement en ligne a contesté la modification des conditions générales introduite par Booking en 2015, estimant que, du fait de la position dominante de cette dernière, elle n’était pas en mesure de s’opposer à cette modification des CGV, alors même que certaines pratiques de Booking.com étaient inéquitables et donc contraires au droit de la concurrence.

Par la suite, Wikingerhof a introduit, devant le Tribunal régional de Kiel, une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com : i) d’apposer au prix indiqué par Wikingerhof, sans le consentement de cette dernière, la mention « prix plus avantageux » ou « prix réduit » sur la plate-forme de réservations d’hébergement, ii) de la priver de l’accès aux données de contact que ses partenaires contractuels fournissent sur cette plate-forme et iii) de faire dépendre le positionnement de l’hôtel qu’elle exploite, lorsque des demandes de recherches sont formulées, de l’octroi d’une commission excédant 15 %. Le Tribunal a décliné sa compétence territoriale et internationale, ce qui a été confirmé en appel par le Tribunal régional supérieur de Schleswig.

Wikingerhof a alors formé un pourvoi auprès du Bundesgerichtshof, lequel a donc interrogé la Cour à titre préjudiciel sur la question de savoir si l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 s’applique à une action visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre de la relation contractuelle liant le demandeur au défendeur et fondée sur une allégation d’abus de position dominante commis par ce dernier, en violation du droit de la concurrence.

Si le système du règlement n° 1215/2012 repose sur la règle générale de la compétence des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur, il confère également au demandeur la possibilité de se prévaloir de l’une des règles de compétence spéciale dérogeant à cette règle générale. Or, au cas d’espèce, Wikingerhof entendait se prévaloir de la règle de compétence spéciale propre à la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012. À l’inverse, si la demande formulée par Wikingerhof devait relever de la matière contractuelle et pouvait, partant, être introduite au lieu où l’obligation qui sert de base à cette demande a été ou doit être exécutée, la juridiction saisie ne serait pas compétente pour en connaître (pt. 24).

À cet égard, la Cour retient que, lorsqu’un demandeur se prévaut de l’une desdites règles, il est nécessaire pour la juridiction saisie de vérifier si les prétentions du demandeur sont, indépendamment de leur qualification en droit national, de nature contractuelle ou, au contraire, de nature délictuelle ou quasi délictuelle, au sens dudit règlement (pt. 30). Plus précisément, la juridiction saisie doit examiner l’obligation « contractuelle » ou « délictuelle ou quasi délictuelle » lui servant de cause à la demande formulée entre parties contractantes (pt. 31).
 
Ainsi, une action relève de la matière contractuelle, au sens de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012, si l’interprétation du contrat qui lie le défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché au premier par le second. Tel est notamment le cas d’une action dont le fondement repose sur les stipulations d’un contrat ou sur des règles de droit qui sont applicables en raison de ce contrat (pt. 32). En revanche, lorsque le demandeur invoque, dans sa requête, les règles de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, à savoir la violation d’une obligation imposée par la loi, et qu’il n’apparaît pas indispensable d’examiner le contenu du contrat conclu avec le défendeur pour apprécier le caractère licite ou illicite du comportement reproché à ce dernier, cette obligation s’imposant au défendeur indépendamment de ce contrat, la cause de l’action relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 (pt. 33).
 
En l’occurrence, Wikingerhof se prévaut, dans sa requête, d’une violation du droit de la concurrence allemand, qui prévoit une interdiction générale de commettre un abus de position dominante, indépendante de tout contrat ou autre engagement volontaire. Concrètement, elle estime qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de conclure le contrat en cause et de subir l’effet des modifications ultérieures des conditions générales de Booking.com en raison de la position de force détenue par cette dernière sur le marché pertinent, alors même que certaines pratiques de Booking.com sont inéquitables (pt. 34). Ainsi, la question de droit au cœur de l’affaire au principal est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante, au sens dudit droit de la concurrence. Or, pour déterminer le caractère licite ou illicite au regard de ce droit des pratiques reprochées à Booking.com, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties au principal, une telle interprétation étant tout au plus nécessaire afin d’établir la matérialité desdites pratiques (pt. 35).

Par suite, la Cour estime que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, l’action de Wikingerhof, en ce qu’elle est fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 (pt. 36). Elle ajoute que cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice poursuivis par ce règlement, puisque le juge compétent, celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué, est le plus apte à statuer sur la question principale du bien-fondé de cette allégation, et cela notamment en termes de collecte et d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (pt. 37).

Dès lors, un hôtel utilisant la plateforme Booking.com peut en principe attraire celle-ci devant une juridiction de l’État membre dans lequel cet hôtel est établi pour faire cesser un éventuel abus de position dominante, et ce, quand bien même le comportement dénoncé serait mis en œuvre dans le cadre d’une relation contractuelle.

Au-delà du cas d’espèce, les solutions dégagées par la Cour en matière de compétence judiciaire dans le présente arrêt pourraient, selon l’avocat général Saugmandsgaard Øe, qui a présenté des conclusions dans cette affaire, rayonner sur le domaine des conflits de lois. En effet, relevant que les règlements « Rome I » et « Rome II » constituent, en matière de conflits de lois, les pendants de l’article 7, point 1, et de l’article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis en matière de compétence judiciaire et cet ensemble réglementaire, il estime qu’ils devraient être interprétés, dans la mesure du possible, de manière cohérente.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE UE : Rappelant que la responsabilité solidaire pour le paiement d’une amende n’est qu’une manifestation de la notion d’entreprise, la Cour de justice accueille le pourvoi de la Commission et annule en conséquence l’arrêt du Tribunal dans l’un des volets de l’affaire du cartel des stabilisants thermiques

 

Le 25 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-823/18 (Commission/GEA Group AG).

Elle y accueille le pourvoi introduit par la Commission européenne contre l’arrêt rendu le 18 octobre 2018 par le Tribunal de l’Union dans l’affaire T-640/16 (GEA Group contre Commission) aux termes duquel il avait conclu à l’annulation de la décision de la Commission européenne adopté le 29 juin 2016.

À la faveur de cette dernière décision, la Commission européenne avait ré-adopté une décision de modification, datée du 11 novembre 2009, concernant le cartel des stabilisants thermiques, à la suite d’une première annulation par le Tribunal de l'Union européenne.

En 2009, la Commission avait infligé une amende de 173 millions € à dix producteurs de stabilisants thermiques pour avoir fixé les prix, partagé les clients, réparti les marchés et échangé des informations commerciales sensibles. Dans la décision de 2009, ACW, Chemson et GEA avaient été tenues solidairement responsables d’une partie de l’amende infligée. À la suite d'une erreur de calcul, l'amende infligée à ACW, une filiale de la requérante, avait dépassé le plafond fixé par la réglementation antitrust de l'UE, à savoir 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée. Pour corriger cette erreur, la Commission avait adopté une décision modificative en 2010, sans changer le montant total de l'amende infligée à Chemson (1 913 971 euros) et à GEA (3 346 200 euros). En juillet 2015, le Tribunal de l'Union européenne avait annulé la décision de modification de 2010 pour GEA après avoir constaté que celle-ci n'avait pas été en mesure de faire connaître son point de vue avant que la Commission a adopté la décision de modification. À la suite de cet arrêt, la Commission, qui estimait avoir donné à toutes les entreprises la possibilité de présenter leurs points de vue, avait réadopté la décision de 2010 sans modification aucune.

Pour bien comprendre la présente affaire, il est nécessaire de rappeler que la décision de 2009 a tenu GEA pour responsable au titre des infractions commises sur le marché du secteur ESBO/esters du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000. Sa responsabilité a été retenue pour l’intégralité de la période infractionnelle, pour les infractions commises, du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000, par sa filiale ACW et, du 13 mars 1997 au 17 mai 2000, par sa filiale CPA. Par ailleurs, ACW a été sanctionnée, d’une part, pour l’infraction durant l’intégralité de la période infractionnelle, c’est-à-dire du 11 septembre 1991 au 17 mai 2000, et, d’autre part, pour l’infraction commise par CPA du 30 septembre 1999 au 17 mai 2000, alors que les parts de cette dernière étaient détenues à 100 % par ACW. Enfin, CPA a été sanctionnée, d’une part, pour l’infraction commise du 13 mars 1997 au 17 mai 2000 et, d’autre part, pour l’infraction commise par ACW du 30 septembre 1995 au 30 septembre 1999, alors que les parts de cette dernière étaient détenues à 100 % par CPA.

Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal avait estimé que, ce faisant, la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement, sans aucune justification objective, en traitant de façon différente la situation de la GEA et celle de sa filiale CPA. Par ailleurs, le Tribunal avait considéré que l’article 2 de la décision attaquée, lequel fixait la date d’exigibilité des amendes au 10 mai 2010, était entaché d’un excès de pouvoir, dès lors que l’obligation de payer les amendes résultait uniquement de l’article 1er de la décision attaquée et que le délai d’exigibilité de ces amendes ne pouvait être déterminé qu’à compter de la date de réception de la notification de cette décision.

Sur ces deux points, le Tribunal est désavoué par la Cour.

À l’appui de son pourvoi, la Commission soulevait deux moyens.

Par son premier moyen, elle faisait valoir que le Tribunal n’avait pas correctement appliqué le principe d’égalité de traitement et qu’il avait méconnu la jurisprudence relative à la notion d’entreprise, à la responsabilité solidaire et aux conséquences d’une réduction d’amende accordée à une filiale.

À cet égard, la Cour commence par rappeler que la faculté dont dispose la Commission de condamner solidairement à une amende différentes personnes juridiques faisant partie d’une même entreprise responsable de l’infraction procède de l’application, dans un cas d’espèce, de la notion d’entreprise (pt. 65). Elle doit alors tenir compte non seulement de l’évolution des rapports de contrôle entre ces entités, mais également des changements intervenus dans la composition de l’entreprise. Celle-ci peut en effet prendre différentes configurations au cours de sa participation à une infraction, selon les différentes entités qui y entrent ou qui en sortent. Ces variations, qui sont susceptibles de se produire, notamment, lorsque, comme en l’espèce, l’infraction se prolonge sur une longue période, n’affectent pas le pouvoir de la Commission d’infliger solidairement une amende à plusieurs personnes juridiques appartenant à une même entreprise (pts. 66-67).

Détaillant la structure du groupe GEA, durant la période au cours de laquelle l’infraction a été commise (pt. 68), la Cour estime que la Commission était en droit de constater dans la décision de 2009 que, compte tenu des liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent les sociétés concernées, en exerçant une influence déterminante sur ses filiales, MG, devenue GEA, faisait partie, avec OCG et OCA, devenues respectivement ACW et CPA, d’une seule entreprise, au sens du droit de la concurrence de l’Union et que c’est cette seule et même entreprise qui, sous ses différentes configurations successives, a commis l’infraction en cause (pts. 69-70).

Par suite, estime la Cour, en établissant l’existence de deux entreprises au sens du droit de la concurrence de l’Union, le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant la notion d’« entreprise », au sens de l’article 81 CE (pt. 71). Et dans la mesure où la responsabilité solidaire n’est qu’une manifestation d’un effet de plein droit de la notion d’entreprise et que, en l’espèce, il y avait une seule et même entreprise, la Commission était en droit de déterminer, initialement dans la décision de 2009, et, ensuite, dans la décision de 2009, telle que modifiée par la décision litigieuse, les montants maximums de l’amende dont pouvaient être tenues pour conjointement et solidairement responsables GEA, ACW et CPA pour le paiement d’une seule amende en tant qu’entités faisant partie d’une seule et même entreprise à laquelle l’infraction en cause est imputable, étant rappelé que, dans une situation telle que celle en cause, la fixation de tels montants maximums ne reflète pas des périodes spécifiques de la participation des entités composant l’entreprise unique à l’infraction en cause (pt. 72). Dans ces conditions, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant que, en l’espèce, il y avait deux rapports de solidarité entre GEA, ACW et CPA, alors que celles-ci faisaient partie d’une seule et même entreprise, et deux amendes infligées pour deux périodes spécifiques reflétant la participation de ces trois sociétés à l’infraction en cause et a donc violé les règles de la détermination de la responsabilité solidaire telles qu’elles résultent de l’article 23, § 2, du règlement n° 1/2003 (pt. 73).

Quant à la question de savoir si la Commission pouvait laisser GEA assumer seule le montant de 1 432 229 euros, la Cour estime que cette circonstance est une conséquence purement automatique de la réduction appliquée à l’amende infligée à ACW au titre du plafond de l’amende (pt. 74). Or, au cas d’espèce, à la date de l’adoption de la décision de 2009, GEA ne constituait plus une entité économique avec ACW et CPA, de sorte que chacune avait le droit de se voir appliquer individuellement le plafond de 10 % du chiffre d’affaires (pts. 75-76). Dès lors, le fait que GEA reste seule responsable pour le montant de 1 432 229 euros résulte de la circonstance spécifique que, à la date de l’adoption de la décision de 2009, cette société ne constituait plus une seule entreprise avec ACW et CPA au sens de l’article 81 CE (pt. 80). Dans ces conditions, GEA ne saurait utilement soutenir qu’une violation du principe d’égalité de traitement a été commise à son détriment (pt. 81). Dès lors, l’article 2, deuxième alinéa, point 32, de la décision de 2009, telle que modifiée par la décision litigieuse, qui impose le montant d’amende de 1 432 229 euros à GEA, ne s’adresse pas à CPA non pas parce que ce point porterait sur une période infractionnelle spécifique pendant laquelle celle-ci n’a pas participé à l’infraction unique constatée par la Commission, ce qui n’est pas le cas, mais simplement parce que le montant d’amende dont CPA est redevable au titre de sa participation individuelle à cette infraction en raison de son appartenance à l’entreprise qui l’a commise est totalement couvert par les montants d’amende visés aux points 31.a) et 31.b) dudit article 2, deuxième alinéa (pt. 83).

Dès lors, estime la Cour, le Tribunal a commis une erreur de droit, en ce qu’il a tenu la Commission pour responsable d’une violation du principe d’égalité de traitement.

Par son second moyen, la Commission reprochait au Tribunal d’avoir considéré à tort que le délai de paiement d’une amende recommence à courir, pour toutes les entités juridiques d’une entreprise solidairement responsable, à compter de la notification d’une décision modificative réduisant l’amende pour une seule d’entre elles.

Sur ce point, la Cour, rappelant que les décisions de la Commission ont force exécutoire et que les amendes qu’elles comportent sont, en principe, exigibles à l’expiration du délai fixé dans ces décisions (pt. 103), considère, contrairement à ce que le Tribunal a jugé, que la décision de 2009, et non les décisions ultérieures modificatives, constitue le fondement juridique de l’amende infligée à GEA, CPA et ACW, dans la mesure où les modifications de l’article 2 de la décision de 2009, d’abord par la décision de 2010, puis par la décision litigieuse, ont porté uniquement sur le montant de l’amende infligée à ACW et sur la nouvelle détermination des rapports de solidarité externe entre GEA, CPA, et ACW, mais n’ont pas affecté la date d’exigibilité de l’amende telle que modifiée (pt. 110).

Et la Cour de justice d’accueillir également le second moyen du pourvoi, d’annuler par voie de conséquence l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue, le litige n’étant pas selon elle en état d’être jugé par la Cour.

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union étend aux festivals sa jurisprudence permissive autorisant les sociétés de gestion collective à imposer un barème de redevances calculé sur la base des recettes brutes tirées de la vente des billets d’entrée dans des discothèques et sur les recettes des émissions de télévision destinées au grand public

 

Le 25 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-372/19 (SABAM), laquelle fait suite à la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de l’entreprise d’Anvers à propos de la rémunération demandée aux festivals de musique par un organisme de gestion des droits d’auteur belge — la SABAM —, en situation de monopole de fait, pour l’utilisation du répertoire dont elle a la charge.

Dans les litiges au principal, deux organisateurs de festivals de musique contestaient la validité du tarif 211, appliqué par la SABAM qu’ils estiment inéquitable car ne correspondant pas à la valeur économique de la prestation fournie par la SABAM.

Estimant qu’il est impossible de calculer avec précision la valeur économique des droits d’auteur liés à l’exécution d’œuvres musicales dans le cadre de festivals de musique, la juridiction de renvoi cherchait à savoir, en premier lieu, si constitue un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, l’imposition par une société de gestion collective aux organisateurs d’événements musicaux d’un barème dans lequel les redevances dues au titre du droit d’auteur sont calculées sur la base d’un tarif appliqué aux recettes brutes tirées de la vente de billets d’entrée, sans que puissent être déduites de ces recettes la totalité des charges afférentes à l’organisation du festival qui ne présentent pas de rapport avec les œuvres musicales qui y sont exécutées.

En pratique, le mode de calcul retenu laissait craindre que les recettes tirées de la vente de billets ne présentent pas de rapport avec la valeur économique de la prestation fournie par la SABAM, cette dernière pouvant demander, pour l’utilisation des mêmes œuvres de son répertoire, une rémunération plus élevée lors d’événements dont le droit d’entrée est plus élevé (pt. 35). En outre, le niveau des recettes brutes de festivals tels que ceux en cause au principal résulterait des efforts des organisateurs pour faire de ces festivals une « expérience totale », de l’infrastructure proposée ou encore de la qualité des artistes-interprètes ou des exécutants. Or, ces éléments, dont la SABAM refuserait la déduction du montant des recettes brutes aux fins du calcul des redevances dues par les organisateurs de festivals, ne présenteraient là non plus pas de rapport avec la prestation économique fournie par celle-ci (pt. 36).

Sur ce point, la Cour de justice de l’Union ne se montre pas très sensible aux arguments ainsi avancés. Rappelant qu’elle a déjà admis le barème de redevances mis en oeuvre par une société de gestion collective calculé sur la base des recettes brutes tirées de la vente des billets d’entrée dans des discothèques (pt. 37) et pour des émissions de télévision destinées au grand public (pt. 38), la Cour estime qu’un barème de redevances d’une société de gestion collective fondé sur un pourcentage des recettes réalisées par un événement musical doit être considéré comme constituant une exploitation normale du droit d’auteur et présente, en principe, un rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie par cette société, lequel est transposable à un barème de redevances, tel que celui en cause au principal, calculé sur la base des recettes brutes tirées de la vente des billets d’entrée d’un festival, de sorte que l’imposition, par une société de gestion collective, d’un tel barème ne constitue pas, en elle-même, un comportement abusif, au sens de l’article 102 TFUE (pt. 39). En effet, en imposant un tel barème, la SABAM poursuit un but légitime au regard du droit de la concurrence, à savoir la sauvegarde des droits et des intérêts de ses adhérents à l’égard des utilisateurs de leurs œuvres musicales (pt. 40). En outre, les redevances issues d’un tel barème représentent la contrepartie due pour la communication au public de ces œuvres musicales. Or, cette contrepartie doit être analysée au regard de la valeur de cette utilisation dans les échanges économiques (pt. 41).

Quant aux investissements consentis par les organisateurs de festivals, susceptibles d’avoir une incidence sur les droits d’entrée et, partant, sur le niveau de la redevance exigée par la SABAM, la Cour estime que de tels investissements ne s’opposent pas, en tant que tels, au calcul des redevances dues à une société de gestion collective sur la base d’un tel barème (pt. 44), d’autant qu’il peut s’avérer particulièrement difficile de déterminer, de manière objective, les éléments spécifiques qui seraient sans lien avec les œuvres musicales exécutées, et, partant, avec la prestation de la société de gestion collective, ou encore de quantifier, de la même manière, la valeur économique de ceux-ci, ainsi que leur incidence sur les recettes tirées de la vente de billets pour les festivals en cause (pt. 45). Au demeurant, imposer une telle obligation aux sociétés de gestion collective serait susceptible d’entraîner une augmentation disproportionnée des frais encourus aux fins de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur (pt. 46). Partant, l’imposition par une société de gestion collective d’un barème dans lequel les redevances dues au titre du droit d’auteur sont calculées sur la base d’un tarif fondé sur les recettes brutes tirées de la vente de billets d’entrée, sans que puissent être déduites de ces recettes la totalité des charges afférentes à l’organisation de tels évènements, ne constitue pas, en elle-même, un comportement abusif, au sens de l’article 102 TFUE (pt. 47).

Seule concession opérée par la Cour, mais elle n’est pas nouvelle : l’imposition, par une société de gestion collective, d’un tel barème est susceptible de relever de l’interdiction visée à l’article 102 TFUE si le niveau de la redevance effectivement fixée en application de ce barème ne présente pas de rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, ce qu’il incombe au juge national de déterminer (pt. 49).

En second lieu, la juridiction de renvoi cherchait à savoir si constitue un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE, l’imposition par une société de gestion collective aux organisateurs d’événements musicaux de redevances fondées sur un barème dans lequel il est fait usage d’un système forfaitaire par tranches, tel que celui prévu par la règle 1/3‑2/3, afin de déterminer, parmi les œuvres exécutées, la part de celles-ci qui est tirée du répertoire de cette société de gestion.

Constatant, sur ce point, que le tarif 211 tient compte, dans une certaine mesure, de la quantité d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur réellement exécutées (pt. 51), mais que la règle 1/3‑2/3 ne tient compte que de manière très imprécise de la quantité d’œuvres musicales effectivement exécutées qui proviennent du répertoire de la SABAM, laissant à penser que la SABAM pourrait percevoir de manière quasi systématique des revenus très sensiblement supérieurs à ceux qui correspondent à une telle quantité (pt. 53) et que plusieurs éléments attestent de la possibilité, pour la SABAM, de recourir à une telle autre méthode (pt. 56), la Cour répond à la question posée que l’article 102 TFUE doit être interprété en ce sens que ne constitue pas un abus de position dominante, au sens de cet article, l’imposition, par une société de gestion collective disposant d’un monopole de fait dans un État membre, aux organisateurs d’événements musicaux, pour le droit de communication au public d’œuvres musicales, d’un barème dans lequel il est fait usage d’un système forfaitaire par tranches afin de déterminer, parmi les œuvres musicales exécutées, la part de celles-ci qui est tirée du répertoire de cette société de gestion, pour autant qu’il n’existe pas d’autre méthode permettant d’identifier et de quantifier de manière plus précise l’utilisation de ces œuvres et qui soit susceptible de réaliser le même but légitime, à savoir la protection des intérêts des auteurs, des compositeurs et des éditeurs de musique, sans pour autant entraîner une augmentation disproportionnée des frais encourus aux fins de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur ; c’est au juge national qu’il appartient de le vérifier, à la lumière du cas concret dont il est saisi et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris la disponibilité et la fiabilité des données fournies ainsi que des outils technologiques existants (pt. 60).

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Insistant sur la nécessité de garantir l’effet utile de l’obligation de notification des aides, la Cour de justice de l’Union dit pour droit que le juge national est tenu d’ordonner à son bénéficiaire le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide, quand bien même ladite aide aurait ultérieurement été déclarée compatible avec le marché intérieur et le bénéficiaire serait une entreprise chargée de la gestion d’un SIEG

 

Le 24 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-445/19 (Viasat Broadcasting UK Ltd contre TV2/Danmark A/S) à la suite d’une demande de décision préjudicielle introduite par la Cour d’appel de la région Est du Danemark à propos du financement du service public de radiodiffusion au Danemark au moyen de subventions publiques, question qui a déjà fait l’objet de plusieurs arrêts des juridictions de l’Union.

À cet égard, on se souvient que la Cour de justice de l’Union avait estimé, à la faveur de plusieurs arrêts, que les mesures de financement public en faveur de TV 2, la télévision publique danoise,  constituaient des aides compatibles avec le marché intérieur.

Il reste que les mesures en cause dans ces affaires — financements provenant de redevances ainsi que de recettes publicitaires versées par l’intermédiaire du Fonds TV2, contrôlé par les pouvoirs publics — n’avaient pas été notifiées à la Commission avant leur mise en œuvre, de sorte que se posait la question de savoir — c’est précisément l’objet du présent litige au principal — si, du fait de cette absence de notification, le bénéficiaire de cette aide formellement illégale était tenu d’acquitter des intérêts au Danemark pour la période courant jusqu’à l’autorisation de ladite aide par la Commission.

S’appuyant sur l’absence de notification de ces aides et de leur mise à exécution anticipée en violation de l’article 108, § 3, TFUE, Viasat, une société concurrente de TV2, a saisi la juridiction de renvoi d’une demande tendant au paiement par TV2 des intérêts au titre de la période d’illégalité des aides concernées, à savoir la période allant de leur mise à exécution en 1995 jusqu’au 20 avril 2011, date de l’adoption de la décision finale de la Commission constatant l’octroi d’aides illégales mais compatibles. Selon Viasat, en l’absence des aides illégales, TV2 aurait dû payer ces intérêts si elle avait emprunté le montant de ces aides sur le marché dans l’attente de l’adoption de la décision finale de la Commission.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 108, § 3, TFUE doit être interprété en ce sens que l’obligation, incombant aux juridictions nationales, de condamner le bénéficiaire d’une aide d’État mise à exécution en violation de cette disposition au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide s’applique également lorsque, par sa décision finale, la Commission conclut à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur, en vertu de l’article 106, § 2, TFUE.

À cet égard, la Cour rappelle, tout d’abord, que lorsque la Commission adopte une décision concluant à la compatibilité d’une aide illégale, si le juge national n’est pas tenu d’en ordonner la récupération, il lui revient toutefois, en application du droit de l’Union, d’ordonner à son bénéficiaire le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide (pt. 26). Cette obligation incombant au juge national résulte du fait que la mise à exécution d’une aide en violation de l’article 108, § 3, TFUE procure au bénéficiaire de celle-ci un avantage indu consistant, d’une part, dans le non-versement des intérêts qu’il aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de l’adoption de la décision finale de la Commission, et, d’autre part, dans l’amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la période d’illégalité de l’aide concernée (pt. 27).

S’agissant à présent de l’articulation entre l’article 108, § 3, TFUE et l’article 106, § 2, TFUE, la Cour précise que l’obligation d’ordonner à son bénéficiaire le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide s’applique à toute aide mise à exécution en violation de l’article 108, § 3, TFUE, y compris lorsque, dans sa décision finale, la Commission conclut à la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 106, § 2, TFUE (pt. 28). En effet, estime-t-elle, le pouvoir dont disposent les États membres en ce qui concerne la définition des services d’intérêt économique général doit, en tout état de cause, être exercé dans le respect du droit de l’Union (pt. 34). Or, la question de savoir si une mesure doit être qualifiée d’aide d’État intervient en amont de celle consistant à vérifier, le cas échéant, si une aide incompatible au sens de l’article 107 TFUE est néanmoins nécessaire à l’accomplissement de la mission impartie au bénéficiaire de la mesure en cause, au titre de l’article 106, § 2, TFUE, de sorte que la Commission doit, avant d’examiner éventuellement une mesure au regard de cette disposition, pouvoir contrôler si cette mesure constitue une aide d’État, ce qui requiert la notification préalable de la mesure projetée à cette institution de l’Union, conformément à l’article 108, § 3, première phrase, TFUE (pt. 35).

Par ailleurs, toute exception à la règle générale que constitue cette obligation de notification, qui s’impose aux États membres en vertu des traités et qui constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État, doit être expressément prévue (pt. 36). En outre, comme le contrôle opéré par la Commission sur le point de savoir si les mesures en cause sont nécessaires à l’accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général ne peut être effectué qu’après que ces mesure lui ont été notifiée, conformément à l’article 108, § 3, première phrase, TFUE, aux fins de lui permettre de contrôler si cette mesure constitue une aide d’État, l’accomplissement des missions d’une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général ne saurait, en tant que tel, justifier une dérogation à l’obligation de notification prévue à cette disposition (pt. 40).

Par conséquent, les aides d’État qui ne font pas l’objet d’une dérogation expresse à la règle générale que constitue l’obligation de notification préalable, prévue à l’article 108, § 3, première phrase, TFUE, restent soumises à cette obligation, y compris lorsque ces aides sont destinées à des entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général. Dès lors, les États membres ont l’obligation de ne pas mettre en œuvre de telles mesures aussi longtemps que la Commission n’a pas pris une décision finale concernant celles-ci (pt. 41). Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure de notification préalable. À défaut, l’aide est illégale en vertu de l’article 108, § 3, TFUE, de sorte que le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime ni dans la régularité de l’octroi de cette aide, ni, par voie de conséquence, dans celle de l’avantage qu’il tire du non-versement des intérêts dus au titre de la période d’illégalité de celle‑ci (pt. 42).

Il en résulte, selon elle, que, afin d’assurer l’effet utile de l’obligation de notification, prévue à cette disposition, ainsi qu’un examen approprié et complet des aides d’État par la Commission, les juridictions nationales sont tenues de tirer toutes les conséquences d’une violation de cette obligation et d’adopter les mesures propres à y remédier, ce qui inclut l’obligation, pour le bénéficiaire d’une aide illégale, de payer des intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide, même s'il est une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général, au sens de l’article 106, § 2, TFUE (pt. 43).

Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, que la Cour a décidé d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demandait, en substance, si l’article 108, § 3, TFUE devait être interprété en ce sens que l’obligation, incombant aux juridictions nationales, de condamner le bénéficiaire d’une aide d’État, mise à exécution en violation de cette disposition, au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide s’appliquait également aux aides que ce bénéficiaire a transférées à des entreprises qui lui sont liées et à celles qui lui ont été versées par une entreprise contrôlée par l’État.

Plus spécifiquement, elle souhaitait savoir si, étant donné que les mesures d’aide dont TV2 a bénéficié incluent, d’une part, les ressources tirées de la redevance qui lui ont été, au cours de la période allant de l’année 1997 à l’année 2002, versées, puis transférées aux stations régionales de cette dernière, et, d’autre part, les recettes publicitaires qui, en 1995 et en 1996, ont été transférées de TV2 Reklame A/S à TV2, par l’intermédiaire du Fonds TV2, les montants de ces ressources et de ces recettes doivent être compris dans le montant total des aides sur lequel lesdits intérêts doivent être calculés.

Sur ce point, rappelant que les juridictions de l’Union ont confirmé la validité de la décision de la Commission et jugé définitivement que les ressources tirées de la redevance versées à TV2, puis transférées à ses stations régionales, ainsi que les recettes publicitaires transférées à TV2 par l’intermédiaire du Fonds TV2, constituaient des aides d’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE (pt. 49), la Cour estime que les montants de ces ressources et de ces recettes, dont TV2 a bénéficié et qui font partie des aides mises à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, doivent également donner lieu au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de ces aides (pt. 50).

INFOS UE : La Commission sanctionne à hauteur de 60,5 millions d'euros les laboratoires Teva et Cephalon pour une pratique de pay-for-delay

 

Après le perindopril, le citalopram et le fentanyl, la Commission sanctionne une nouvelle pratique de pay-for-delay. Cette fois, elle concernant le modafinil, médicament utilisé pour le traitement de la somnolence diurne excessive liée en particulier à la narcolepsie et commercialisé sous la marque « Provigil ».

Le 26 novembre 2020, elle a annoncé qu’elle venait de sanctionner, près de dix ans après l’ouverture de la procédure formelle d’examen…, deux entreprises pharmaceutiques, Teva et Cephalon, à hauteur de 30 millions d’euros chacune pour s'être mises d'accord pour retarder l’entrée d’un générique du modafinil. Apparemment, le laboratoire censé commercialiser le générique est aussi durement sanctionné que le laboratoire commercialisant le médicament princeps, alors qu’en pareil cas, la Commission est habituellement plus tendre avec les génériqueurs. Il faudra attendre de lire la décision pour en savoir plus. Il est probable que l’amende élevée infligée à Teva trouve en partie sa source dans le fait que le laboratoire a déjà été sanctionné par la Commission pour des pratiques similaires, concernant le perindopril, un médicament cardiovasculaire. Or, la réitération d’un comportement infractionnel est considéré comme une circonstance aggravante en vertu du point 28 des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006, de nature à justifier une augmentation du montant de base de l’amende jusqu'à 100 % par infraction constatée…

Alors que les principaux brevets protégeant le modafinil avaient expiré en Europe dès 2005, que Cephalon ne détenait plus que des brevets secondaires relatifs à sa composition pharmaceutique, et que le lancement du générique du modafinil par Teva était imminent au Royaume-Uni, Cephalon a dans un premier temps intenté des actions en justice tirées de la violation de ses brevets secondaires sur le modafinil. En dépit des doutes quant à la solidité de ces brevets, Cephalon et Teva ont conclu, dans un second temps, un accord de règlement amiable en matière de brevets à la faveur duquel il était convenu que Teva n’entrerait pas  sur le marché avec une version moins chère du modafinil, en contrepartie de quoi cette dernière obtiendrait des paiements en espèces, mais également un ensemble d'accords commerciaux — un accord de distribution, l’acquisition par Cephalon d’une licence sur certains brevets de Teva sur le modafinil, l'achat de matières premières à Teva et l'octroi par Cephalon d'un accès à des données cliniques très précieuses pour Teva pour un autre médicament. En vertu de cet accord, Teva était autorisée à commercialiser sous licence son générique à partir d’octobre 2012. Toutefois, en raison de l’acquisition en octobre 2011 de Cephalon par Teva, cette dernière n’est jamais rentrée sur le marché.

Selon la Commission, Teva s'est engagée à rester en dehors des marchés du modafinil, non pas parce qu'elle était convaincue de la force des brevets de Cephalon, mais en raison de la valeur substantielle des contreparties transférées à Teva via les accords commerciaux accessoires. En tout état de cause, aucune de ces transactions n'aurait été conclue en l'absence d'accord de règlement amiable en matière de brevets, ou en tout cas pas aux conditions convenues par les entreprises.

S’agissant du calcul des amendes, comme les génériqueurs ne réalisent aucune vente du fait de l'accord restrictif, la méthode reposant sur la valeur des ventes réalisées en lien avec l’infraction n’est pas utilisable. La Commission a donc infligé à Teva un montant fixe d'amende — 30 millions € — légèrement inférieur à celui infligé à Cephalon — 30,5 millions €. L'infraction a duré, pour la quasi-totalité des États membres de l'UE , de décembre 2005 jusqu’à l’acquisition de Cephalon par Teva en octobre 2011.

INFOS : Prenant acte de la dernière jurisprudence de la Cour de justice de l’Union, l’Autorité écarte à son tour l’application des règles de concurrence aux réponses concertées aux appels d’offres par les sociétés d’un même groupe

 

Le 25 novembre 2020, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision de non-lieu à poursuivre la procédure sous le n° 20-D-19 à propos de pratiques mises en œuvre à l’occasion d’appels d’offres lancés par France AgriMer en vue de la fourniture de produits alimentaires à destination d’associations chargées de leur distribution auprès des personnes les plus démunies.

À la suite de la transmission d’un rapport d’enquête réalisé par la BIEC d’Île-de-France, Normandie, La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, l’Autorité a décidé de se saisir d’office desdites pratiques mises en œuvre par quatre sociétés appartenant au même groupe, le groupe Ovimpex, lesquelles avaient présenté comme distinctes des offres élaborées de façon concertée en réponse aux appels d’offres organisés par France AgriMer. Ainsi, interrogées par France AgriMer, ces sociétés avaient affirmé ne pas s’être concertées dans la réponse à ces appels d’offres.

Dans un premier temps, en application de la pratique décisionnelle de l’Autorité en matière d’appel d’offres, les services d’instruction ont notifié un grief d’entente aux quatre sociétés mises en cause, lesquelles ont ensuite sollicité le bénéfice de la procédure de transaction, avec établissement de procès-verbaux fixant le montant minimal et le montant maximal des sanctions pécuniaires envisagées.

Sauf que, par arrêt rendu le 17 mai 2018 dans l’affaire C-531/16 (Specializuotas transportas), sur demande de décision préjudicielle de la Cour suprême de Lituanie, la Cour de justice de l’Union, saisie pour la première fois de pratiques mises en œuvre par des entreprises liées entre elles ayant pour objet ou pour effet de fausser la procédure d'appel d'offres en présentant des offres séparées dont l’indépendance n’était qu’apparente, a répondu aux troisième à cinquième questions préjudicielles, à la faveur desquelles la juridiction de renvoi cherchait à savoir, en substance, si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’article 101 TFUE était applicable, que cet article ne s’applique pas lorsque les accords ou pratiques qu’il proscrit sont mis en œuvre par des entreprises formant une unité économique, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier au cas d’espèce (pt. 28). La Cour précisait encore qu’au cas où les sociétés concernées ne formeraient pas une unité économique, la société mère n’exerçant pas d’influence déterminante sur ses filiales, il y a lieu de relever que, en toute hypothèse, le principe d’égalité de traitement prévu à l’article 2 de la directive 2004/18 serait violé s’il était admis que les soumissionnaires liés puissent présenter des offres coordonnées ou concertées, à savoir non autonomes ni indépendantes, qui seraient susceptibles de leur procurer ainsi des avantages injustifiés au regard des autres soumissionnaires, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la présentation de telles offres constitue aussi un comportement contraire à l’article 101 TFUE (pt. 29). De sorte qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer et d’interpréter l’article 101 TFUE dans la présente affaire (pt. 30).

Dans un second temps, le Collège de l’Autorité, constatant que, compte tenu de la dimension nationale des marchés en cause et de la position des entreprises sur les marchés sur lesquels les pratiques ont été mises en œuvre, ces pratiques étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et, partant, qu’elles devaient être examinées non seulement au regard des dispositions du droit national mais également au regard du droit européen, et notamment de l’article 101 du TFUE (pts. 53-56), prend acte de cette jurisprudence de la Cour pour faire évoluer sa pratique décisionnelle relative à l’application de la prohibition des ententes aux soumissions concertées des sociétés filiales d’un même groupe à des appels d’offres (pt. 66).

Observant qu’au cas d’espèce, les trois filiales étaient détenues quasiment intégralement par la société Ovimpex, tête de groupe à l’époque des faits et, par suite, que ces quatre sociétés, société mère et filiales du groupe au moment des faits, constituaient une même unité économique au sens du droit de la concurrence, nonobstant la remise séparée des réponses aux appels d’offres organisés par France AgriMer, l’Autorité retient qu’en l’absence d’éléments permettant de caractériser l’autonomie des quatre sociétés mises en cause, il y a lieu de considérer que les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce ne sont pas applicables aux accords conclus entre ces sociétés dans le cadre de la soumission aux marchés publics organisés par France AgriMer (pts. 67-68).

Quant au sort des procès-verbaux de transaction, le collège considère que, compte tenu de l’évolution du droit positif applicable aux pratiques telles que celles de l’espèce, d’une part, les conditions pour le prononcé d’une sanction tel que l’envisageaient les procès-verbaux de transaction ne sont pas réunies et, d’autre part, il n’est pas utile de procéder à un renvoi à l’instruction — seule solution envisagée par le communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à la procédure de transaction lorsque le collège estime que les conditions pour le prononcé d’une sanction dans la fourchette indiquée dans le procès-verbal de transaction ne sont pas réunies ou que le ou les griefs ne sont pas fondés —, les conditions d’une interdiction au titre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce n’étant pas réunies.

Dans le communiqué accompagnant la présente décision, l'Autorité de la concurrence rappelle, à l’instar de la CJUE, que ce type de comportement est susceptible d’être appréhendé par le droit des marchés publics, dans la mesure où il peut induire en erreur l’acheteur public et fausser les résultats du processus de commande publique.

Webinaire #1

Interview croisée avec Isabelle de Silva
Affaire Three/O2 (CJUE) : l'arrêt qui change tout ?


2 décembre 2020 15:30 

 

Bonjour,

Les cabinets Dechert et CRA, en partenariat avec la revue Concurrences, ont le plaisir de vous inviter au premier webinaire de la 8ème conférence « Contrôle international des concentrations ».

Le webinaire, qui aura lieu le mercredi 2 décembre à partir de 15h30, débutera par une interview croisée avec la présidente de l'Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, que nous animerons.

Cette interview croisée sera suivie par un panel dédié à l'arrêt du Tribunal dans l'affaire Three/O2 et ses conséquences.

Gabriella Muscolo (Commissaire, Autorité italienne de concurrence - AGCM), Ian Forrester (Ancien Juge, Tribunal de l’Union européenne), Gabriel Lluch (Directeur juridique, Orange), Laurence Bary (Associée nationale, Dechert) et David Foster (Directeur, Frontier Economics) interviendront à cette occasion.

Vous trouverez le programme complet de la manifestation sur le site dédié.

Inscription libre et gratuite ICI.

Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le mercredi 2 décembre 2020 pour ce premier webinaire de la conférence « Contrôle international des concentrations ».

Meilleures salutations,
 
Mélanie Thill-Tayara | Associée, Dechert, Paris
Laurent Flochel | Vice-président, CRA, Paris

 


Webinaire #2

Concentrations non horizontales : Vers un changement d’analyse ?

3 décembre 2020 15:30 

 

Bonjour,

Les cabinets Dechert et Frontier Economics, en partenariat avec la revue Concurrences, ont le plaisir de vous inviter au deuxième webinaire de la 8ème conférence « Contrôle international des concentrations » :

« Concentrations non horizontales : Vers un changement d’analyse ? »
 
Le webinaire aura lieu le jeudi 3 décembre à 15h30 CET.

Joel Bamford (UK Competition and Markets Authority), Étienne Chantrel (Autorité de la concurrence), Jonathan Sage (IBM), Kelly Signs (US FTC) et Hans Zenger (DG COMP) interviendront à nos côtés à cette occasion.
 
Vous trouverez le programme complet de la manifestation sur le site dédié.

Inscription libre et gratuite ICI.

Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le jeudi 3 décembre 2020 pour ce deuxième webinaire de la conférence "Contrôle international des concentrations".

Meilleures salutations,
 
Luís Campos | Associate Director, Frontier Economics, Paris/Londres
Mike Cowie | Associé, Dechert, Philadelphie
Clemens York | Associé, Dechert, Bruxelles/Francfort-sur-le-Main

 


Webinaire #3

Table ronde des juristes d'entreprise
&
Discussion de clôture

4 décembre 2020 — 15:00
 

 

Bonjour,
 
Le cabinet Dechert, en partenariat avec la revue Concurrences, a le plaisir de vous inviter au troisième webinaire de la 8ème conférence « Contrôle international des concentrations ».

Le webinaire, qui aura lieu le vendredi 4 décembre à partir de 15h, débutera par une table ronde de juristes d’entreprises. Pascal Belmin (Airbus), Clara Ingen-Housz (Saint Gobain) et François Garnier (Ipsen) discuteront des défis actuels en matière de contrôle des concentrations (établissement de conditions de concurrence égales pour tous, définition du marché, opérations de concentration en dessous des seuils nationaux, considérations ne relevant pas du droit de la concurrence…).

Ce panel sera suivi d'une discussion de clôture sur l'impact du Covid-19 sur la politique de contrôle des concentrations et qui présentera quelques réflexions sur les 30 ans de contrôle des concentrations dans l’UE. Cecilio Madero (Ancien Directeur-général adjoint - concentrations, DG COMP) interviendra à cette occasion.

Vous trouverez le programme complet de la manifestation sur le site dédié.

Inscription libre et gratuite ICI.

Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux le vendredi 4 décembre 2020 pour ce troisième webinaire de la conférence « Contrôle international des concentrations ».

Meilleures salutations,

Mélanie Thill Tayara | Associée, Dechert, Paris
Alec Burnside | Associé, Dechert, Bruxelles

S'ABONNER                     ARCHIVES       
RECHERCHER            MENTIONS LÉGALES
Website
Email
LinkedIn
Twitter
 
Cet e-mail a été envoyé à <<Adresse e-mail>>

Notre adresse postale est :
L'actu-droit
83 rue Colmet Lepinay
Montreuil 93100
France

Add us to your address book