Science et société (toujours)
« Un fléau terrible et sans précédent, venu du fond de l’Asie, s’était abattu sur l’Europe […] Toutefois, chose étrange, jamais les hommes ne s’étaient crus aussi sages, aussi sûrs de posséder la vérité. Jamais ils n’avaient eu pareille confiance en l’infaillibilité de leurs jugements, de leurs théories scientifiques, de leurs principes moraux […] Tous étaient en proie à l’angoisse et hors d’état de se comprendre les uns les autres. Chacun cependant croyait être seul à posséder la vérité et se désolait en considérant ses semblables. » Phrases étonnantes, tant elles décrivent bien notre situation actuelle. Elles ont pourtant été écrites il y a 150 ans. Elles sont tirées de
Crime et Châtiment de Dostoïevski, elles décrivent ce que, dans un affreux cauchemar, voit et vit le héros, Raskolnikov.
Que c’est bien observé ! La certitude rassure. Mais elle est l’ennemie. L’ennemie de la raison, l’ennemie de la connaissance. N’est-ce pas toujours aussi vrai ? N’y a-t-il pas en France, comme certains le disent, 67 millions d’épidémiologistes convaincus de comprendre exactement ce qui se passe et de savoir exactement ce qu’il convient de faire ?
Qu’est le doute devenu ? Le doute a une apparence, la fragilité, il a une réalité, il est la pierre d’angle de la pensée, la fondation sur laquelle se construit le savoir scientifique. Rien ne serait plus essentiel, aussi paradoxal que cela soit, pour réhabiliter la science dans l’esprit des Français, que de réhabiliter le doute, la croyance dans les vertus du doute.
Les scientifiques le savent bien sûr, et ils le pratiquent quotidiennement, et il en résulte entre eux mille désaccords et disputes. C’est dans l’ordre des choses. Il faut qu’il en soit ainsi. Mais, quand ces désaccords et disputes s’étalent sur la place publique – sur la place publique médiatique désormais –, il en va tout autrement car le public, lui, ne comprend pas toujours cela aussi bien.
Entre doute et certitudes, il faut choisir. Un tel choix est difficile pour tout un chacun. C’est un effort de tous les instants.
Choix d’autant plus difficile qu’il faut bien décider, agir, prendre des mesures, décider une politique, c’est-à-dire renoncer transitoirement au doute, s’appuyer, faute de certitudes, au moins sur les connaissances acquises, aussi fragmentaires soient-elles.
Observation, hypothèse, vérification, tentative de réfutation, nouvelle observation et nouvelle hypothèse éventuelles, etc., ainsi progresse la connaissance. C’est par ce processus que nous commençons à connaître le Sars-CoV-2, ses effets, ses caprices, ses modes d’action, nos réactions individuelles et collectives à sa présence, par ce processus que plusieurs candidats-vaccins ont atteint d’ores et déjà la phase finale d’essai (voir le
point fait à ce sujet par Patrice Debré).
On aimerait que le grand public, le Français moyen, le simple citoyen, ainsi que tous ceux qui lui parlent ou parlent en son nom, comprennent mieux ce que sont la science et la pensée scientifique, qu’ils assimilent l’importance essentielle du doute, qu’ils acceptent d’affronter l’ignorance.
L’épidémie nous révèle à nous-mêmes. Sachons en profiter. Notre méconnaissance collective de la science est encore grande, trop grande. En la circonstance, elle éclate au grand jour. Sachons y remédier.
Participons, plus que jamais, à la défense et à l’illustration du doute, et par là, à l’amélioration des connaissances et à l’avancement des sciences, mission que s’est donné l’Afas.
L’Afas s’est adaptée. Confinement et reconfinement nous ont montré des voies nouvelles d’action, de nouveaux moyens d’expression. Nos activités se poursuivent, nos conférences continuent à se tenir, à distance bien sûr principalement, en visio (soit sur invitation, soit en replay) ou en «présentiel» avec effectif réduit (voir l'agenda dans ce numéro d’
Afas Infos).
La difficulté est créatrice. Ces visioconférences ont des atouts. Elles sont plus faciles à organiser, peuvent être dupliquées à loisir. Elles ont favorisé de nouveaux partenariats. Nous nous développons en province et, c’est en bonne voie, à l’étranger.
Bon courage à tous en ces temps incertains !
Denis Monod-Broca
Secrétaire général de l'Afas