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Dans l’imaginaire des sociétés occidentales, la figure qui personnifie le thème de la maternité est bien entendu celle que beaucoup s’apprêtent à célébrer dans quelques heures : la Vierge Marie. Malgré les Vénus, les idoles et les autres divinités préhistoriques qui ont, à une époque, incarné et sacralisé l’image de la mère, c’est bien l’iconographie chrétienne qui a créé, avec beaucoup de succès, l’idéal maternel par excellence (image 1: Il Soferrato - 1639). 


En faisant de la mère une figure votive qui fait don de la vie et qui la nourrit également, ainsi que la personnification même de l’abnégation, de l’amour, et du sacrifice, la société patriarcale parvient à enfermer la femme dans un rôle qui lui est désormais dévolu. 

On porte encore aujourd’hui la charge de ces images de pureté maternelle. Lorsqu’on se brise sous le poids des injonctions liées à la maternité, c’est inconsciemment à la Vierge Marie qu’on veut ressembler. C’est cette plénitude qu’on recherche, ce lien presque mystique entre une mère et son enfant qu’on veut atteindre, on veut toucher au sacré car tout a été mis en place pour nous y encourager et nous y soumettre. Ça y est, on nous a essentialisées. On est foutues. La nature est bien faite au pays du patriarcat. 

Pendant des siècles toutes les expériences liées à la maternité vont être mises en images par des hommes. Pour deux raisons très simples, d’une part les femmes jusqu’au 19e siècle ont très peu accès aux métiers de peintre ou de sculptrice, et d’autres part car l’iconographie est un domaine clé pour contrôler et dominer les corps des femmes et leurs sexualités. Même si le patriarcat fantasme la Eve du jardin d’Eden, au quotidien ce sont les nouvelles Eve (vierges Marie) qui ont sa bénédiction. 


On évite de représenter des Madones enceinte car on ne voudrait pas encourager le spectateur à penser au péché originel, les vierges parturientes ont le baby bump discret voir effacé sous des couches épaisses de draperies lourdes et modestes. 


En plus de toutes les raisons pragmatiques pour lesquelles la grossesse et l’accouchement sont très peu présents en art jusqu’au 20e siècle, comme les taux élevés de mortalité en couche qui transformaient des portraits heureux de femmes enceintes en portraits funestes, je pense que le male gaze a soustrait ces expériences propres aux femmes au regard de la société car ils se sentaient menacés par leurs puissances, embarrassés par leur animalité, et puis certains artistes ne trouvaient sûrement pas ça très beau comparé au corps d’une nymphette.

À la peau qui s’étire, se craque, s’affaisse, se déchire, aux douleurs, au sang, aux doutes, aux tourments, à la dépression, aux tétons gercés, aux larmes, on préfère montrer la tendresse maternelle qui deviendra d’ailleurs un thème de prédilection dans les portraits féminins. 

Une façon pour les femmes dépeintes de montrer à quel point elles sont vertueuses et proches de la Vierge Marie, et pour les hommes de maintenir les femmes dans l’idéal patriarcal d’une maternité fondée sur un amour inné, inconditionnel, et permanent. L’art nous rappelle que l’identité des femmes se construit à travers leur rôle de mère, et certaines artistes comme Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) vont également contribuer à nourrir cette rhétorique de la mère dévouée corps et âme à sa progéniture au travers de série d’autoportraits d’elle et de sa fille (image 2: 1786).

Au 19e siècle on commence à naturaliser le rôle de la mère et à parler d’instinct maternel, on glorifie cet attachement, cette proximité entre mère et enfant, et on retrouve de plus en plus ces effusions d’affection dans l’art.

Ce qui est également intéressant à noter, c’est que dans l’iconographie de la mère, cette dernière est systématiquement présentée comme la pourvoyeuse de soins. Elles portent presque constamment leurs enfants, les nourrissent, les bercent, les embrassent, les veillent parfois au bord de l’exténuation, mais même cela est valorisé (image 3: "Hortense allaitant Paul" de Paul Cezanne -1872). Le sacrifice et le don de soi sont encouragés et célébrés. La non-présence du père dans cette image d’Épinal est lourde de sens, on nous rappelle que l’arrivée d’un enfant est l’affaire des femmes. 

Il y a bien entendu des représentations de pères dans l’histoire de l’art, Dieu le père étant probablement la plus connue, mais qui ont visiblement moins imprégné notre culture, ce qui est évidemment assez ironique car la majorité des artistes étaient des hommes. L’art a toujours reflété ces situations d’asymétrie entre les femmes et les hommes, mais a également participé à les creuser.

Le cas des femmes racisées est également intéressant et assez révélateur de cette mystification de la maternité. Ces femmes sont encore plus essentialisées que les autres, les hommes occidentaux fantasment leurs liens à la nature, les présentent comme des déesses nues et primitives accomplissant leur ultime fonction : donner et nourrir la vie.  Cumuler le fait d’être une femme et d’être racisée est évidemment une double peine et un terreau encore plus fertile pour les discriminations. Le regard du colon en fait des êtres pures et naïfs , il les enferme et les réduit au rang d’ objets d’où l’importance de décoloniser l’art mais également nos esprits.


Je pense notamment à Gauguin (lire mon post Instagram sur le sujet ici) qui durant ses années dans le Pacifique a peint à plusieurs reprises des scènes de mère/enfants (souvent d’allaitement) et dont les compositions rappellent les scènes religieuses traditionnelles européennes (image 4: Maternite I -1899). 

Il faudra attendre des peintres comme Mary Cassatt (1844-1926) et Berthe Morisot (1841-1895) pour commencer à apercevoir des représentations plus nuancées de la maternité (image 5: "Le berceau" de Berthe Morisot -1872). Les femmes artistes vont complètement réinvestir ce sujet, visibiliser leurs vécus et leurs expériences pour briser cet imaginaire fantasmé dans lequel on nous a plonger depuis des siècles. Elles vont nous donner à voir l’ambivalence des sentiments maternels, elles vont s’interroger sur la condition des mères et leur rôle politique, sur l’impact de la maternité sur leurs vies, leur identité, leur carrière, penser la maternité en termes de domination et de domestication des femmes, challenger les normes genrées, on verra même l’émergence d’un discours anti-reproductif dans les années 70. 

Alors que les artistes masculins s’obstinent à représenter la maternité de manière allégorique et romantique, des artistes comme Paula Modersohn-Becker, Alice Neel, Louise Bourgeois, Judith Chicago, Mary Kelly (et son travail important sur le post-partum ), Valie EXPORT, ou Kirsten Justesen (image 6: "Circumstances" - 1973) vont créer un nouvel espace pour déconstruire les mythes autour de la maternité mais également visibiliser de façon plus réaliste une expérience qui a été en partie effacée consciemment par la société et dont on subit encore les répercussions aujourd’hui. Il n’y a pas de mal à trouver ces peintures sublimes et émouvantes, il y a bien entendu beaucoup d’amour et de tendresse dans la maternité, mais il est important de connaître leur genèse pour arrêter de nourrir le mythe de la mère parfaite qui fait encore beaucoup de dégâts sur la santé mentale et physique des mères. 
 

Ces représentations ne sont que le fruit de l’essentialisation des femmes, procédé utilisé pour nous instrumentaliser et non pour nous célébrer. Devenir mère est un long processus qui n’a rien d’inné. L’art est une manière de faire des mondes, de bouger les lignes en donnant à voir d’autre choses, de visibiliser des vécus. Sortir du point de vue masculin unique n’est pas la seule étape, il faut aussi déconstruire notre propre regard. C’est ce que je nous souhaite à toutes et tous pour 2021. 

 

Je vous souhaite une année différente, plus apaisée, moins anxiogène. Une année avec de l’espoir, du sens, de la solidarité, et de l’amour pour vous même.

Eva

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