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L'Ernestine, la lettre d'Ernest !
- 24 janvier 2021 -
L'ÉDITO D'ERNEST 
La faille Bacri
 
Nous avons tous une faille Bacri. Cette semaine Jean-Pierre Bacri, acteur et scénariste emblématique du cinéma français des trente dernières années s'en est allé. L'émotion a été à la hauteur du personnage. Du personnage, de l'acteur, de l'auteur, certainement. Mais pas seulement. Ici, nous dirions même qu'au-delà de toutes ces raisons logiques, réelles et méritées, il y en a une autre bien plus difficile à voir au premier abord, mais qui en fait est LA raison principale de notre impression d'avoir perdu un ami, un oncle, un camarade de réflexion.
Bacri apparaissait comme un bougon. Du moins dans les rôles dans lesquels il excellait. Râleurs français que nous sommes, cela nous touchait peut-être. Mais de bougonnerie, il ne s'agissait pas vraiment. C'était plutôt une forme de pessimisme joyeux. "La vie ce n'est pas Dysneland" avait-il déclaré dans un entretien. Mais ce n'était pas cela non plus qui nous parlait chez lui.
Chez l'homme Bacri, dans ses interventions, dans ses prises de paroles, mais aussi dans les dialogues ciselés de ses films, dans les rôles qu'il a interprétés, il y avait aussi et surtout une intranquillité réconfortante, la beauté du doute, la beauté de la faille,  l’humour envers les autres et envers soi. Cet humour comme capacité d'autodérision qui est LA déclaration de la supériorité des hommes et des femmes sur ce qui leur arrive, comme disait l'autre. "Ma gueule fait la gueule, c'est ainsi", s'amusait d'ailleurs l'acteur. Il acceptait de boiter, de douter pour conquérir. 
Bacri, malgré lui, était le reflet et le miroir de nos failles, de nos doutes, de nos peurs, de nos joies et de nos peines dans ce qu'il avait d'humain et dans le regard non pas désabusé mais réaliste (au sens de Clément Rosset; c'est-à-dire que le réel est tel qu'il est et qu'il nous appartient de le rendre plus beau, plus joyeux, pas de s'en lamenter) qu'il portait sur le monde.
Plus largement, si cette disparition nous touche plus aujourd'hui qu'elle n'aurait pu nous toucher à un autre moment c'est aussi, peut-être, parce qu'ensemble nous sommes tous dans une forme de Saudade. Ce si joli mot portugais qui désigne un sentiment complexe au sein duquel s'entremêlent la mélancolie, la nostalgie, et l'espoir. Au démarrage de cette pandémie, nous rêvions au monde d'après, maintenant nous regrettons le monde d'avant.

L'intranquillité, la faille Bacri est devenue l'apanage de tous. Nous sommes tous des intranquilles. Nous pourrions le regretter, nous dire que décidément les failles et les intranquillités nous ennuient et nous mettent en danger. Ce serait une interprétation possible.



Ce matin, nous avons toutefois envie d'en proposer une autre. Et si dans ce monde de l'hyper contrôle où l'économisme est roi, où les toutes les précautions sont bonnes et où finalement la loi du plus fort prédomine, nous profitions de cet instant intranquille et de notre faille Bacri pour nous repenser. Pour se dire que nous préférons la masculinité fragile d'un Bacri à celle virile de Rambo, que nous nous aimons savoir qu'il y a des failles, des moments incontrôlés et incontrôlables qui sont effrayants mais que nous les surmonterons et que nous en tirerons du positif. Pour se dire aussi que l’intranquillité est la source future de notre solidité. Prenons, par exemple, le fil à plomb outil par essence intranquille car en mouvement, mais qui à la suite de sa ronde revient à la perpendiculaire solide, avant de repartir dans un mouvement nouveau. En somme, soyons "ivres de nos faiblesses" n'ayons pas peur - individuellement et collectivement - de ce vertige et de cet horizon flou et incertain qui nous étreint actuellement.
"
Le monde, ce tas de fumier de forces instinctives, qui brille malgré tout au soleil en tons pailletés d'or et de clair-obscur", écrit Fernando Pessoa dans son célèbre livre de l'intranquillité. Comme pour nous dire à quel point, il nous faut habiter, tel Bacri notre intranquillité et nos failles.
Ainsi, seulement nous grandirons. Ainsi, seulement, en épousant nos failles et nos incertitudes nous pourrons construire. Certainement que ce viatique mâtiné d'humour nous aidera à faire face. Individuellement et collectivement. Intranquilles ensemble.



Bon dimanche intranquille, donc joyeux !

PS :
Peut-être l'avez-vous lu ici ou là.
David Medioni, fondateur d'Ernest, publie cette semaine un livre "Être en train. Récits sur les rails".
Réflexion sur la place du train dans nos vies, et dans notre société, mais aussi sur les joyeuses multitudes humaines, le livre est en librairie depuis le 21 janvier.

Vous pouvez en commander en exclusivité. Il reste 10 exemplaires ici. Il vous sera livré avec une dédicace. Ou le réserver et le demander avec insistance à votre libraire, et l'offrir à vos amis !

"L'AMUSEMENT EST UNE PART FONDAMENTALE DE LA LECTURE ET DE L’ÉCRITURE"

Il y a trois semaines déjà, nous vous disions tout le bien que nous pensions du "Stradivarius de Goebbels" le premier roman de Yoann Iacono. Cette semaine, l'auteur nous a accordé son premier entretien. Virevoltant ! Un auteur est né.

C'est par là

SILENCE DES PÈRES, JOIE DES LECTEURS
Encore une découverte Ernest. Encore un premier roman qui fera date. C'est un roman exquis qui mêle réflexion intime et réflexion sociétale. Un journaliste part sur une enquête qui l'emmène loin. Très loin. Un très beau livre de Martin Gouesse. Entre Izzo et Manchette. A ne rater sous aucun prétexte.

On vous en dit plus par là.

 
LE POÈME

Dans le fronton d’un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique
Juxtaposé leurs rêves blancs ;

Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus ;

Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d’eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs ;

Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l’amour s’éternise
Un soir de mai se sont posés.

Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit ;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l’oiseau fuit.

En se quittant, chaque parcelle
S’en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.

Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs,
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.

Les ramiers de nouveau roucoulent
Au cœur de deux jeunes amants,
Et les perles en dents se moulent
Pour l’écrin des rires charmants.

De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent sœurs.

Docile à l’appel d’un arôme,
D’un rayon ou d’une couleur,
L’atome vole vers l’atome
Comme l’abeille vers la fleur.

L’on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Prés de la fontaine au flot clair,

Des baisers et des frissons d’ailes
Sur les dômes aux boules d’or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s’aiment encor.

L’amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît,
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.

Dans la nacre où le rire brille,
La perle revoit sa blancheur ;
Sur une peau de jeune fille,
Le marbre ému sent sa fraîcheur.

Le ramier trouve une voix douce,
Echo de son gémissement,
Toute résistance s’émousse,
Et l’inconnu devient l’amant.

Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier ?

 
"Affinités secrètes"
Théophile Gautier
LE DESSINATEUR SANS DESSIN

Ce mois-ci, Thomas Mourier (rédacteur en chef de Bubble) nous parle d'un livre émouvant et sensible qui réinvente le rapport entre littérature et BD. Superbe.

C'est ici

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Bonnes lectures et à la semaine prochaine !
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