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Hebdo n° 3/2021
25 janvier 2021
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : Prenant en compte la spécificité du droit de la concurrence tenant à la complexité des analyses, la Cour de justice dit pour droit que les règles de l’Union s’opposent à l’interprétation stricte de la loi roumaine, selon laquelle la décision d’ouverture d’une enquête par l’autorité nationale de concurrence, visant une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union, est le dernier acte interruptif du délai de prescription, en ce qu’une telle interprétation présente un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions

JURISPRUDENCE UE : Confirmant l’obligation de la Commission de rembourser à l’entreprise condamnée à tort, outre le montant de l’amende indûment versée, des intérêts moratoires, la Cour de justice de l’Union accueille le pourvoi incident de l’entreprise à propos du point de départ de la majoration des intérêts moratoires accordée au titre de la capitalisation de ces derniers

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : L’avocat général Pitruzzella invite la Cour de justice à rejeter les pourvois sollicitant l’annulation des arrêts du Tribunal confirmant le caractère sélectif du régime espagnol de déduction des prises de participation dans des sociétés étrangères

JURISPRUDENCE : Constatant l’annulation de la décision de l’Autorité polynésienne de la concurrence condamnant les sociétés du groupe Wane par le seul effet de l’arrêt de censure prononcé par la Cour de cassation le 4 juin 2020 pour cause de suspicion légitime, la Cour d’appel de Paris déclare sans objet le recours au fond formé contre cette décision

INFOS : Appel à candidature au poste de président de l'Autorité polynésienne de la concurrence [à pourvoir au 15 juillet 2021]

INFOS : Stanislas Martin, renouvelé dans ses fonctions de rapporteur général de l’Autorité pour un second mandat de quatre ans

 

JURISPRUDENCE UE : Prenant en compte la spécificité du droit de la concurrence tenant à la complexité des analyses, la Cour de justice dit pour droit que les règles de l’Union s’opposent à l’interprétation stricte de la loi roumaine, selon laquelle la décision d’ouverture d’une enquête par l’autorité nationale de concurrence, visant une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union, est le dernier acte interruptif du délai de prescription, en ce qu’une telle interprétation présente un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions

 

Le 21 janvier 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-308/19 (Consiliul Concurenţei contre Whiteland Import Export SRL) qui fait suite à la demande de décision préjudicielle présentée par la Haute Cour de cassation et de justice roumaine.
 
La présente affaire pose la question de savoir si une règlementation nationale comme la règlementation roumaine interprétée en ce sens que le dernier acte interrompant la prescription du droit pour l’autorité nationale de concurrence d’imposer des sanctions est l’acte formel d’ouverture de l’enquête relative à la pratique anticoncurrentielle, sans que les actes postérieurs accomplis aux fins de cette enquête ne relèvent des actes interruptifs de la prescription, peut voir son application écartée par la juridiction nationale en ce qu’elle serait contraire aux principes de coopération loyale et d’effectivité de la mise en œuvre du droit européen des ententes.

Au cas d’espèce, une entreprise sanctionnée par le Conseil de la concurrence roumain pour sa participation à une entente a formé un recours devant la Cour d’appel de Bucarest faisant valoir que le pouvoir du Conseil de la concurrence d’imposer quelque sanction administrative que ce soit pour violation des règles du droit de la concurrence était prescrit puisque le délai de prescription quinquénal prévu à l’article 61, paragraphe 1, sous b), de la loi n° 21/1996 sur la concurrence avait déjà expiré. Retenant une interprétation stricte de la loi n° 21/1996 sur la concurrence, la Cour d’appel a jugé que la décision d’ouvrir l’enquête constituait le dernier acte du Conseil de la concurrence susceptible d’interrompre le délai de prescription et en a conclu que ce délai avait expiré le 7 septembre 2014, c’est‑à‑dire à une date antérieure à la fois aux délibérations du Conseil de la concurrence en la matière (qui datent du 9 décembre 2014) et à l’adoption de la décision n° 13 du 14 avril 2015. Par suite, elle a fait droit au recours formé par Whiteland et a dès lors annulé la décision n° 13 du 14 avril 2015 en ce qui concerne cette dernière.

Le Conseil de la concurrence a alors introduit un recours contre l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour de renvoi, demandant que la Cour de justice soit saisie à titre préjudiciel afin qu’il soit précisé si les dispositions du droit de l’Union (c’est‑à‑dire l’article 4, § 3, TUE et l’article 101 TFUE lus conjointement avec l’article 25, § 3, du règlement n° 1/2003) s’opposent à ce que des dispositions de droit interne soient interprétées en ce sens que l’acte formel d’ouverture de la procédure d’enquête à propos d’une pratique anticoncurrentielle représente le dernier acte susceptible d’interrompre la prescription et que, par voie de conséquence, les actes postérieurs accomplis par l’autorité de concurrence aux fins de l’enquête ne relèvent pas de la notion d’acte interruptif du délai de prescription, même si ces dispositions sont de nature à empêcher l’autorité de concurrence d’appliquer de façon effective l’article 101 TFUE.

La Haute Cour de cassation et de justice roumaine fait droit à cette requête,  décide en conséquence de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux  questions préjudicielles : L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 101 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens :

1)      qu’ils imposent aux autorités judiciaires des États membres de donner aux règles nationales régissant la prescription du droit du Conseil de la concurrence d’infliger des sanctions administratives une interprétation conforme à la réglementation figurant à l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, et

2)      qu’ils s’opposent à ce que les règles de droit national soient interprétées en ce sens que l’on entend par acte interrompant la prescription uniquement l’acte formel d’ouverture de la procédure d’enquête sur une pratique anticoncurrentielle, sans que les actions ultérieures menées aux fins de la poursuite de cette pratique entrent dans la même catégorie des actes interrompant la prescription ?
 
Sur la première question, par laquelle la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que les juridictions nationales sont tenues d’appliquer l’article 25, § 3, du règlement n° 1/2003 à la prescription des pouvoirs d’une autorité nationale de concurrence en matière d’imposition de sanctions pour les infractions au droit de la concurrence de l’Union, la Cour répond, à l’instar de l’avocat général pitruzzella, que, dès lors que le libellé de cet article fait exclusivement référence au pouvoir conféré à la Commission en vertu des articles 23 et 24 du règlement n° 1/2003, et que ces derniers articles ne régissent que les pouvoirs dont dispose cette institution en matière de sanctions, il ne résulte pas du contexte dans lequel s’insère l’article 25, § 3, dudit règlement que cette disposition serait applicable aux autorités nationales de concurrence (pt. 36). Ainsi, l’article 25, § 3, du règlement n° 1/2003 ne prévoit pas de règles de prescription relatives aux pouvoirs des autorités nationales de concurrence en matière d’imposition de sanctions (pt. 39). Il n’est donc pas applicable à la présente affaire, qui concerne les règles de prescription applicables à une autorité nationale de concurrence investie du pouvoir d’imposer des sanctions en cas d’infraction, notamment, aux règles du droit de la concurrence de l’Union (pt. 40).

Par suite, la Cour répond que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens que les juridictions nationales ne sont pas tenues d’appliquer l’article 25, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 à la prescription des pouvoirs d’une autorité nationale de concurrence en matière d’imposition de sanctions pour les infractions au droit de la concurrence de l’Union (pt. 41).

Sur la seconde question, par laquelle la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, § 3, TUE et l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, selon laquelle la décision d’ouverture d’une enquête, adoptée par l’autorité nationale de concurrence, visant une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union est le dernier acte de cette autorité qui puisse avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription relatif à son pouvoir d’infliger des sanctions et exclut qu’un acte ultérieur de poursuite ou d’enquête puisse interrompre ce délai, la Cour rappelle immédiatement qu’en l’absence de réglementation contraignante du droit de l’Union en la matière, il appartient aux États membres d’établir et d’appliquer les règles nationales de prescription en matière d’imposition de sanctions par les autorités nationales de concurrence, y compris les modalités de suspension et/ou d’interruption (pt. 45). Toutefois, cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union et, en particulier, du principe d’effectivité : les États membres ne peuvent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit de l’Union et, spécifiquement, dans le domaine du droit de la concurrence, ils doivent veiller à ce que les règles qu’ils établissent ou appliquent ne portent pas atteinte à l’application effective des articles 101 et 102 TFUE (pt. 46). Du reste, en vertu de l’article 4, § 3, TUE, les États membres sont tenus de ne pas porter préjudice par leur législation nationale à l’application pleine et uniforme du droit de l’Union et de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (pt. 47). Il leur faut donc fixer des délais de prescription « raisonnables » (pt. 48), conçues de manière à établir un équilibre entre, d’une part, les objectifs de garantir la sécurité juridique et d’assurer le traitement des affaires dans un délai raisonnable en tant que principes généraux du droit de l’Union et, d’autre part, la mise en œuvre effective et efficace des articles 101 et 102 TFUE, afin de respecter l’intérêt public visant à éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit faussé par des accords ou des pratiques nuisibles à la concurrence (pt. 49).

Afin de déterminer si un régime national de prescription établit un tel équilibre, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments de ce régime (pt. 50), mais également les spécificités des affaires relevant du droit de la concurrence et, plus particulièrement, de la circonstance que ces affaires nécessitent, en principe, la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe (pt. 51), de sorte qu’une réglementation nationale fixant la date à partir de laquelle le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les modalités de suspension ou d’interruption de celui-ci doit être adaptée aux spécificités du droit de la concurrence et aux objectifs de la mise en œuvre des règles de ce droit par les personnes concernées, afin de ne pas nuire à la pleine effectivité des règles du droit de la concurrence de l’Union (pt. 52). Partant, un régime national de prescription qui, pour des raisons inhérentes à celui-ci, fait obstacle de manière systémique à l’infliction de sanctions effectives et dissuasives pour des infractions au droit de la concurrence de l’Union est de nature à rendre l’application des règles de ce droit pratiquement impossible ou excessivement difficile (pt. 53).

Au cas d’espèce, la Cour de justice de l’Union relève que l’interprétation stricte de la réglementation nationale, telle qu’elle est retenue par une partie de la jurisprudence nationale, et notamment par la Cour d’appel de Bucarest dans le cadre de la procédure au principal, celle-là même qui interdit de manière absolue l’interruption du délai de prescription par des actes adoptés ultérieurement à la décision d’ouverture d’une enquête, apparaît susceptible de compromettre la mise en œuvre effective par les autorités nationales de concurrence des règles du droit de la concurrence de l’Union, en ce que cette interprétation pourrait présenter un risque systémique d’impunité des faits constitutifs d’infractions à ce droit (pt. 56), ce qu’il incombe à la juridiction nationale, à la lumière du principe d’effectivité, de vérifier (pt. 57). Si tel s’avérait être le cas, la juridiction de renvoi devrait alors, sans attendre que la réglementation nationale en cause soit modifiée par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel, donner plein effet aux obligations visées à l’article 4, § 3, TUE, en interprétant cette réglementation dans toute la mesure du possible à la lumière du droit de l’Union et, en particulier, des règles de ce droit en matière de concurrence, bref en en adoptant une interprétation souple, ou en laissant, au besoin, ladite réglementation inappliquée (pt. 58), étant rappelé que la question de savoir si une disposition nationale, dans la mesure où elle serait contraire au droit de l’Union, doit être laissée inappliquée ne se pose que si aucune interprétation conforme de cette disposition ne s’avère possible (pt. 63), sans conduire à une interprétation contra legem du droit national (pt. 62).

En l’occurrence, la Cour estime qu’une telle interprétation plus souple de la loi roumaine paraît possible, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier en dernier ressort (pt. 64).

En définitive, la Cour répond à la seconde question que l’article 4, § 3, TUE et l’article 101 TFUE, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par les juridictions nationales compétentes, selon laquelle la décision d’ouverture d’une enquête, adoptée par l’autorité nationale de concurrence, visant une infraction aux règles du droit de la concurrence de l’Union est le dernier acte de cette autorité qui puisse avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription relatif à son pouvoir d’infliger des sanctions et exclut qu’un acte ultérieur de poursuite ou d’enquête puisse interrompre ce délai, lorsqu’il s’avère, au regard de l’ensemble des éléments du régime de prescription en cause, qu’une telle exclusion présente un risque systémique d’impunité des faits constitutifs de telles infractions, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

JURISPRUDENCE UE : Confirmant l’obligation de la Commission de rembourser à l’entreprise condamnée à tort, outre le montant de l’amende indûment versée, des intérêts moratoires, la Cour de justice de l’Union accueille le pourvoi incident de l’entreprise à propos du point de départ de la majoration des intérêts moratoires accordée au titre de la capitalisation de ces derniers

 


Le 20 janvier 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-301/19 (Printeos, SA contre Commission européenne).

Elle y rejette le pourvoi introduit par la Commission européenne par lequel cette dernière demandait l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union rendu le 12 février 2019 dans l’affaire T-201/17 (Printeos, SA contre Commission européenne), à la faveur duquel le Tribunal de l’Union avait retenu la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne au titre des agissements de la Commission à la suite de l’annulation par le Tribunal d’une décision de sanction adoptée par la Commission.

En revanche, la Cour de justice de l’Union fait droit au pourvoi incident introduit par Printéos à propos du point de départ de la majoration des intérêts moratoires accordée au titre de la capitalisation de ces intérêts moratoires.

Au cas d’espèce, la Commission avait condamné la requérante par décision du 10 décembre 2014 à une amende de près de 5 millions d’euros pour sa participation à un cartel. Par arrêt du 13 décembre 2016 devenu définitif, le Tribunal, constatant que la Commission avait violé son obligation de motivation, a annulé la décision de 2014.

Entre-temps, la requérante avait payé à titre provisoire l’amende qui lui avait été infligée par la Commission. À la suite de l’annulation de sa décision, la Commission n’avait procédé qu’au remboursement de l’amende, sans y intégrer aucun intérêt. Pour justifier son attitude, la Commission a expliqué que les amendes faisant l’objet d’un encaissement à titre provisoire étaient investies dans un fonds et qu’en cas d’annulation d’une amende, elle remboursait cette amende, majorée d’un rendement garanti sur la base de la performance de l’indice de référence. Toutefois, la performance ayant, en l’occurence, été négative, seul le principal devait être remboursé.

L’entreprise indûment sanctionnée a donc introduit un nouveau recours devant le Tribunal aux termes duquel elle réclamait l’octroi d’une indemnité équivalente au montant des intérêts moratoires que la Commission aurait dû lui verser, en exécution de l’arrêt du Tribunal, lors du remboursement du montant principal de l’amende qu’elle avait indûment payé en exécution de la décision de 2014, annulé par ledit arrêt.

Dans son arrêt du 12 février 2019, le Tribunal a donc condamné l’Union européenne, représentée par la Commission européenne, à réparer le dommage subi par la requérante, du fait de l’absence de versement à cette société d’une somme de 184 592,95 euros qui lui était due au titre d’intérêts moratoires, encourus pendant la période allant du 9 mars 2015 au 1er février 2017, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, en exécution de l’arrêt du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission (T‑95/15). En outre, le Tribunal a décidé que cette indemnité serait majorée d’intérêts moratoires, à compter du prononcé du présent arrêt et jusqu’à complet paiement, cette fois au taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour ses opérations principales de refinancement, majoré de 3,5 points de pourcentage.

Commençons pour l’examen du pourvoi principal de la Commission. À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque cinq moyens.

Par son premier moyen, la Commission reprochait au Tribunal a commis une erreur de droit et violé ses droits de la défense en autorisant Printeos à modifier l’objet du litige. En substance, alors que Printeos demandait la condamnation de la Commission à lui payer une somme qualifiée par elle d’« intérêts compensatoires », le Tribunal que Printeos avait requalifié cette somme comme représentant des « intérêts moratoires ». Ce faisant, la Commission soutenait que le Tribunal avait altéré l’objet et la substance de la demande de la requérante et, partant, avait statué ultra petita.

Sur quoi, la Cour, relevant d’emblée que le Tribunal avait bien respecté l’obligation d’examiner les différents chefs de conclusions et moyens présentés par la partie requérante, tels que formulés dans ses écrits, sans en altérer ni l’objet ni la substance (pt. 51), constate que si le Tribunal a donné aux intérêts demandés par Printeos une qualification différente de celle utilisée par celle-ci, il n’a fait qu’appliquer la qualification juridique qui lui apparaissait appropriée aux faits allégués par Printeos, conformément au principe iura novit curia (pt. 54). Rappelant la distinction entre intérêts compensatoires et intérêts moratoires (pts. 55-56), la Cour estime que, dans la mesure où le Tribunal a estimé que les faits allégués par Printeos dans son recours justifiaient la condamnation de la Commission à verser à cette société le montant réclamé par cette dernière au titre d’intérêts moratoires, au sens de la jurisprudence, c’est sans violer le principe ne ultra petita qu’il a pu requalifier la demande tendant au paiement de ce montant comme visant le paiement d’intérêts moratoires (pt. 57). De fait, le juge ne saurait être tenu par des considérations juridiques erronées, fussent-elles invoquées par les parties (pt. 58). En définitive, la Cour considère que le Tribunal s’est exclusivement fondé sur les faits allégués par Printeos pour allouer à celle–ci le montant exact qu’elle réclamait par son recours. Ce faisant, il n’a ni consenti à une modification interdite de l’objet du litige en cours d’instance ni violé les droits de la défense de la Commission (pt. 59).

Par ses deuxième et troisième moyens, la Commission faisait valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que, dans les circonstances de l’espèce, l’article 266, premier alinéa, TFUE imposait à la Commission une obligation, absolue et inconditionnelle, de payer des intérêts moratoires.

Rappelant qu’il ressort de sa jurisprudence que, lorsque des sommes ont été perçues en violation du droit de l’Union, il découle de ce droit une obligation de les restituer avec des intérêts (pt. 66) et que, en cas d’annulation, par le juge de l’Union, d’un acte ayant impliqué le versement d’une somme à l’Union, le versement d’intérêts moratoires constitue une mesure d’exécution de l’arrêt d’annulation, au sens de l’article 266, premier alinéa, TFUE, en ce qu’il vise à indemniser forfaitairement la privation de jouissance d’une créance et à inciter le débiteur à exécuter, dans les plus brefs délais, l’arrêt d’annulation (pt. 68), la Cour en déduit que le Tribunal, en imposant à la Commission le paiement d’intérêts moratoires, n’a commis aucune erreur de droit (pt. 69). Quant à l’argument de la Commission selon lequel l’article 90, § 2, du règlement délégué n° 1268/2012, qui lui impose d’investir les montants encaissés à titre provisoire dans des actifs financiers, et qui l’oblige, en cas d’annulation ou de réduction de l’amende ou la sanction en cause à rembourser, au-delà des montants indûment perçus, les intérêts ainsi produits, la Cour indique qu’il ne découle aucunement de cette disposition que, lorsque la Commission est tenue de rembourser le montant d’une amende encaissée à titre provisoire, elle est, en toute hypothèse, dispensée de l’obligation d’assortir ce montant d’intérêts moratoires (pt. 73). Certes, si les « intérêts produits » que la Commission est tenue de verser à l’intéressé en même temps que le remboursement du capital indûment payé par celui–ci sont égaux ou supérieurs aux intérêts moratoires dus pour ce capital, la Commission n’a pas à verser à l’intéressé, en plus des intérêts produits, des intérêts moratoires (pt. 74). En revanche, si les intérêts produits sont d’un montant inférieur à celui des intérêts moratoires dus, voire lorsqu’il n’y pas d’intérêts produits, le rendement du capital investi ayant été négatif, la Commission est tenue de verser à l’intéressé la différence entre le montant des « intérêts produits », au sens de l’article 90, § 4, du règlement délégué n° 1268/2012, et celui des intérêts moratoires dus pour la période allant de la date du paiement de la somme en question à la date de son remboursement (pt. 76) et, au cas d’espèce, en l’absence de tout produit d’intérêts, de l’intégralité des intérêts de « moratoires » (pt. 77). À cet égard, la Cour rappelle utilement les objectifs poursuivis par le droit de l’Union en imposant le paiement d’intérêts moratoire dès la date du paiement à titre provisoire de l’amende : inciter la Commission « à exécuter, dans les plus brefs délais, l’arrêt d’annulation » (pt. 84), et ce, afin de fournir à l’entreprise ayant payé cette amende une indemnisation forfaitaire pour la privation de la jouissance de ses fonds pendant la période allant de la date du paiement provisoire de ladite amende à la date du remboursement de celle-ci (pt. 85), mais aussi, plus largement, inciter l’institution concernée à faire preuve d’une attention particulière lors de l’adoption de telles décisions, qui peuvent impliquer, pour un particulier, l’obligation de verser immédiatement des sommes considérables (pt. 86).

Par son quatrième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le refus de payer des intérêts sur le montant de l’amende infligée à Printeos constituait une violation suffisamment caractérisée de l’article 266 TFUE, ayant causé à Printeos un préjudice certain et quantifiable qu’elle était tenue de réparer. Sur quoi, la Cour, rappelant que, lorsqu’une institution de l’Union ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de ce droit, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (pt. 103), estime que, à la suite de l’annulation de la décision de 2014, la Commission était tenue de rembourser à Printeos le montant de l’amende payée à titre provisoire, assorti d’intérêts moratoires, et ne disposait d’aucune marge d’appréciation quant à l’opportunité de verser de tels intérêts (pt. 104). Dès lors, considérant que, dans la mesure où la Commission a omis de verser de tels intérêts à Printeos, il est évident que cette dernière a subi un préjudice égal au montant des intérêts non perçus, la Cour estime que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a condamné la Commission au versement de ce montant (pt. 105).

Passons à présent à l’examen par la Cour du pourvoi incident de Printeos.

À la faveur de celui-ci, Printeos contestait le point de départ retenu par le Tribunal de la majoration des intérêts moratoires accordée au titre de la capitalisation de ces mêmes intérêts moratoires. Là où elle demandait le versement des intérêts sur le montant principal réclamé à partir du 31 mars 2017, date de l’introduction de son recours, après l’annulation de la décision de la Commission sur le fond, le Tribunal avait retenu comme point de départ de ladite majoration, la date du prononcé de son arrêt accordant des intérêts moratoires.

Sur quoi, relevant que le Tribunal n’avait fourni aucune motivation pour le rejet de la demande de Printeos (pt. 120), la Cour rappelle d’une part que la Commission était tenue d’assortir d’intérêts moratoires le remboursement du montant de l’amende payée à titre provisoire par Printeos (pt. 122) et que Printeos avait clairement demandé à la Commission non seulement le remboursement du montant de l’amende qu’elle avait payé à titre provisoire, mais aussi le paiement d’intérêts sur ce montant, à partir de la date du paiement dudit montant jusqu’à la date du remboursement de celui-ci (pt. 123). Par suite, elle estime que les circonstances particulières de la présente affaire justifiaient la capitalisation des intérêts réclamés par Printeos par son recours devant le Tribunal. En effet, à défaut d’une telle capitalisation, Printeos ne serait aucunement indemnisée pour la privation de jouissance, pendant la période allant de la date de l’introduction de son recours à la date du prononcé de l’arrêt attaqué, du montant des intérêts qu’elle était en droit, conformément à l’article 266 TFUE, de percevoir en même temps que le remboursement du montant de l’amende qu’elle avait payé à titre provisoire à la Commission (pt. 124). Il s’ensuit que, en rejetant le deuxième chef de conclusions de Printeos, pour la période à partir du 31 mars 2017, le Tribunal a commis une erreur de droit (pt. 125). Partant, la Cour fait droit au pourvoi incident et annule le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué.

Estimant, après cette annulation partielle, qu’il est en état d’être jugé, la Cour décide de statuer elle-même définitivement sur le litige et fait droit au deuxième chef de conclusions du recours de Printeos, en allouant à cette dernière des intérêts moratoires sur le montant de 184 592,95 euros à compter du 31 mars 2017 jusqu’à la date du complet paiement par la Commission, au taux de refinancement de la BCE, majoré de 3,5 points de pourcentage.

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : L’avocat général Pitruzzella invite la Cour de justice à rejeter les pourvois sollicitant l’annulation des arrêts du Tribunal confirmant le caractère sélectif du régime espagnol de déduction des prises de participation dans des sociétés étrangères

 

Le 21 janvier 2021, l’avocat général Giovanni Pitruzzella a présenté une série de six conclusions dans l’affaire C-50/19 (Sigma Alimentos Exterior, SL contre Commission), dans les affaires jointes C-51/19 et C-64/19 (World Duty Free Group, SA contre Commission et Royaume d’Espagne contre World Duty Free Group, SA et Commission), dans l’affaire C-52/19 (Banco Santander, SA contre Commission), dans les affaires jointes C-53/19 et C-65/19 (Banco Santander e.a contre Commission et Royaume d’Espagne contre Banco Santander e.a) et dans les affaires C-54/19 (Axa Mediterranean Holding/Commission) et C-55/19 (Prosegur Compañía de Seguridad/Commission).

Les pourvois en cause font partie d’une série de huit affaires parallèles ayant pour objet l’annulation des arrêts adoptés le 15 novembre 2018 respectivement dans les affaires T-239/11 (Sigma Alimentos Exterior/Commission), T-219/10 RENV (World Duty Free Group/Commission), T-227/10 (Banco Santander/Commission), T-399/11 RENV (Banco Santander et Santusa/Commission), T-405/11 (Axa Mediterranean/Commission) et T-406/11 (Prosegur Compañía de Seguridad/Commission), et par lesquels le Tribunal a rejeté les recours formés par des sociétés espagnoles contre la décision du 12 janvier 2011 ou contre la décision du 28 octobre 2009 de la Commission relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères appliqué par l’Espagne.

On se souvient que, par arrêt rendu le 21 décembre 2016 dans les affaires jointes C-20/15 et C-21/15 (Commission européenne contre World Duty Free Group e.a.), la Cour de justice de l'Union était venue confirmer l’approche — disons extensive — de la condition de sélectivité retenue par la Commission dans une décision du 12 janvier 2011, aux termes de laquelle elle avait considéré que le régime fiscal espagnol permettant l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères était incompatible avec le marché intérieur, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union et avait ordonné au Royaume d’Espagne de procéder à la récupération des aides accordées. À la faveur d’une décision rendue le 28 octobre 2009, la Commission avait déjà déclaré incompatible avec le marché intérieur une mesure identique mais concernant des prises de participations dans des entreprises établies au sein de l’Union.

Ce faisant, la Cour avait censuré les deux arrêts rendus le 7 novembre 2014 par le Tribunal dans les affaires T-219/10 (Autogrill España contre Commission européenne) et T-399/11 (Banco Santander et Santusa Holding contre Commission européenne), par lesquels il avait annulé les deux décisions de la Commission, estimant que cette dernière n’avaient pas établi le caractère sélectif du régime espagnol en cause.

Toutefois, constatant que l'affaire n'était pas en état d'être jugée, la Cour de justice avait renvoyé au Tribunal les deux affaires pour qu'il statue à nouveau.

Pour mémoire, dans ses arrêts, la Cour avait jugé que, lors de l’application de la condition de la sélectivité — une des quatre conditions cumulative qui doit être satisfaite afin de pouvoir qualifier une mesure d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE —, le Tribunal avait commis une erreur de droit en annulant les décisions litigieuses de la Commission au motif que la mesure litigieuse ne visait aucune catégorie particulière d’entreprises ou de productions, que son application était indépendante de la nature de l’activité des entreprises et qu’elle était accessible, a priori ou potentiellement, à toutes les entreprises désireuses de prendre des participations d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères et détenant ces participations de manière ininterrompue pendant au moins un an, laquelle mesure devait être regardée non pas comme une mesure sélective, mais comme une mesure générale.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour avait rappelé que le paramètre pertinent pour établir la sélectivité de la mesure en cause consistait à vérifier si celle-ci introduit entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal général concerné, dans une situation factuelle et juridique comparable une différenciation non justifiée par la nature et l’économie de ce régime. S’agissant d’une mesure nationale conférant un avantage fiscal de portée générale, telle que la mesure litigieuse, cette condition est remplie lorsque la Commission parvient à démontrer que cette mesure déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs, alors que les opérateurs qui bénéficient de l’avantage fiscal et ceux qui en sont exclus se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime fiscal de cet État membre, dans une situation factuelle et juridique comparable. Or, avait alors relevé la Cour, la Commission s’était fondée, dans les décisions litigieuses, aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure litigieuse, sur l’inégalité de traitement entre les entreprises résidentes que comportait cette mesure. En effet, en application de celle-ci, seules les entreprises résidentes qui acquerraient des participations d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères pouvaient, sous certaines conditions, bénéficier de l’avantage fiscal en cause, alors que les entreprises résidentes effectuant une telle prise de participation dans des entreprises imposables en Espagne ne pouvaient, en dépit du fait qu'elles se trouvaient dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun espagnol, obtenir cet avantage. Il en découlait au final qu’une condition d’application ou d’obtention d’une aide fiscale pouvait fonder le caractère sélectif de cette aide, si cette condition conduisait à opérer une différenciation entre des entreprises se trouvant pourtant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable, et si, partant, elle révélait une discrimination à l’égard des entreprises qui en sont exclues.

Dans les arrêts rendus le 15 novembre 2018, le Tribunal, faisant application de la méthode en trois étapes — i) identification du régime fiscal commun ou normal applicable dans l’État membre concerné, ii) vérification que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun et iii) absence de justification de la différenciation entre des entreprises résultant de la nature ou de l’économie du système dans lequel la mesure fiscale s’inscrit —, a conclu que la mesure en cause était sélective, alors même que l’avantage qu’elle prévoit était accessible à toutes les entreprises redevables de l’impôt sur les sociétés en Espagne. En substance, observe le Tribunal, la mesure litigieuse, en permettant l’amortissement de la survaleur pour des prises de participations dans des sociétés non résidentes sans qu’il y ait de regroupement d’entreprises, applique à ces opérations un traitement différent de celui qui s’applique aux prises de participations dans des sociétés résidentes, alors que ces deux types d’opérations se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime normal, dans des situations juridiques et factuelles comparables. Ainsi, c’est à bon droit que la Commission a constaté, dans le cadre de la deuxième étape de la méthode mentionnée par la Cour que la mesure litigieuse dérogeait au régime normal.

Par leur pourvoi, les requérantes demandent donc l’annulation des arrêts du Tribunal du 15 novembre 2018 mais également celle de la décision contestée de la Commission dans la mesure où elle déclare que la mesure litigieuse constitue une aide d’État.

En raison de la similitude des moyens soulevés dans l’ensemble des pourvois, l’avocat général Pitruzzella concentre l’essentiel de ses conclusions dans les affaires jointes C-51/19 et C-64/19 (World Duty Free Group, SA contre Commission et Royaume d’Espagne contre World Duty Free Group, SA et Commission).

Après avoir rappelé la méthode d’analyse de la sélectivité des mesures fiscales (pts. 11-21), l’avocat général Pitruzzella s’interroge dès l’abord sur les critères sur la base desquels ce système de référence doit être déterminé : à son sens, l’opération doit reposer sur des critères objectifs (pt. 41), c’est à l’État membre concerné de définir, par l’exercice de ses compétences exclusives en matière de fiscalité directe, le système de référence (pt. 42) et les règles identifiées comme faisant partie du système de référence doivent former un ensemble cohérent (pt. 43). En outre, selon lui, la détermination du système de référence doit nécessairement partir de l’analyse de la mesure litigieuse et, plus particulièrement, des différenciations entre entreprises que cette mesure introduit en application des critères qu’elle définit (pt. 46).

Il examine les différentes branche des moyens uniques soulevés dans les deux pourvois en cause dans ces affaires jointes.

S’agissant en premier lieu de l’erreur alléguée dans la détermination du système de référence, l’avocat général estime d’abord que le Tribunal n’a pas dénaturé la décision contestée ni opéré de substitution des motifs de cette décision. Il s’agit davantage d’une différence de terminologie entre la décision contestée et l’arrêt attaqué qui ne correspond pas à l’identification de deux systèmes de référence matériellement différents (pt. 55). Au-delà de la différence de terminologie utilisée, le système de référence retenu par le Tribunal ne diffère pas, estime-t-il, de celui indiqué par la Commission (pt. 58).

S’agissant du deuxième grief selon lequel le Tribunal aurait substitué sa propre motivation à celle de la décision contestée en excluant que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence à part entière, l’avocat général estime que la prétendue substitution des motifs que le Tribunal aurait opérée résulte d’une lecture erronée des motifs qui ont conduit la Commission à exclure que la mesure litigieuse puisse constituer le système de référence pertinent à prendre en compte aux fins de l’analyse de la sélectivité (pt. 65).

Quant à l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise dans son raisonnement « de substitution » pour exclure que la mesure litigieuse puisse constituer un système de référence autonome, l’avocat général Pitruzzella observe que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ce n’est pas en raison du caractère « particulier » de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse que le Tribunal a exclu que cette mesure puisse constituer un système de référence à part entière. En effet, le Tribunal parvient à cette conclusion en tenant compte du fait que ladite mesure constituait « une exception à la règle générale selon laquelle seuls les regroupements d’entreprises peuvent conduire à l’amortissement de la survaleur », visant à remédier aux effets défavorables induits par l’application de cette règle, ainsi que de la constatation que cette mesure ne faisait pas de l’opération de prise de participations un nouveau critère général qui organiserait le traitement fiscal de la survaleur, mais réservait le bénéfice de l’amortissement de la survaleur aux seules prises de participations dans des sociétés non résidentes. Ce n’est donc pas le caractère « limité » de l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse que le Tribunal a, en définitive, jugé déterminant, contrairement à ce que soutiennent les requérants (pt. 81).

Les requérants font encore valoir que le système de référence utilisé par le Tribunal est défini arbitrairement, car on ne sait pas très bien quel critère a été utilisé pour identifier le cadre cohérent dans lequel s’insérerait la mesure litigieuse. Sur ce point, l’avocat général estime que le Tribunal a suffisamment motivé le raisonnement qui l’a conduit en l’espèce à retenir, au titre du système de référence, les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur aux fins de la détermination de l’impôt sur les sociétés, et à confirmer, sur ce point, l’analyse au fond contenue dans la décision contestée (pt. 85).

Surtout, les requérants soutiennent que le Tribunal a identifié de manière erronée et injustifiée, dans le système de référence qu’il a défini, ce qui constitue la règle et ce qui constitue l’exception. Sur ce point aussi l’avocat général Pitruzzella invite la Cour a rejeté le grief. Il relève à cet égard que le Tribunal a confirmé l’analyse contenue dans la décision contestée, selon laquelle, en vertu de la législation fiscale espagnole, seul un regroupement d’entreprises permet normalement de procéder à l’amortissement de la survaleur, y compris en cas de survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes. Pour le Tribunal, ce n’est donc pas le non‑amortissement de la survaleur financière qui constitue la règle générale à laquelle la mesure litigieuse déroge, mais le principe selon lequel l’amortissement n’est normalement possible que dans le cas d’un regroupement d’entreprises, principe que le Tribunal déduit des dispositions relatives au traitement fiscal de la survaleur aux fins de l’impôt sur les sociétés, qu’il s’agisse des dispositions concernant l’amortissement de la survaleur en cas d’acquisition d’entreprise ou de celles relatives à l’amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes avec fusion subséquente. Dans ce contexte, l’argument avancé selon lequel, en droit espagnol, la règle est l’amortissement de la survaleur, et le non‑amortissement de la survaleur financière résultant de la prise de participations dans des sociétés résidentes sans fusion subséquente serait plutôt l’exception, est dénué de pertinence, puisqu’il ne permet pas d’infirmer la prémisse sur laquelle se fonde le Tribunal, à savoir qu’en droit espagnol, l’amortissement de la survaleur est normalement subordonné à l’existence d’un regroupement d’entreprises (pt. 87).

Les requérants font encore valoir que le Tribunal a commis une erreur dans la détermination de l’objectif au regard duquel est effectué l’examen de comparabilité. Ils contestent les motifs par lesquels le Tribunal a identifié l’objectif du système de référence et comparé, à la lumière de cet objectif, la situation des entreprises bénéficiaires de l’avantage institué par la mesure litigieuse et de celles qui en sont exclues. À cet égard, ils soutiennent que le Tribunal a opéré une substitution des motifs de la décision contestée en ce qui concerne l’identification de l’objectif du système de référence. Ainsi, l’objectif consistant à « assurer une certaine cohérence entre le traitement fiscal de la survaleur et son traitement comptable », ne trouverait aucun écho dans la décision contestée ni dans les observations que le Royaume d’Espagne a présentées au cours de la procédure administrative. Si l’avocat général estime que le grief doit être accueilli, dans la mesure où, nulle part dans la décision contestée, la Commission ne mentionne le maintien d’une certaine cohérence entre le traitement fiscal et le traitement comptable de la survaleur en tant qu’objectif du système de référence qu’elle a identifié, il ajoute immédiatement que le grief doit être rejeté, puisqu’aussi bien le dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit (pt. 100).

À cet égard, il rappelle que, selon la jurisprudence, l’examen de comparabilité à effectuer dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être réalisé au regard de l’objectif du système de référence et non de celui de la mesure litigieuse (pt. 101). Or, relevant que la mesure litigieuse est une mesure corrective qui sert à remédier aux effets défavorables du traitement fiscal de la survaleur en général, en vertu duquel l’amortissement n’est autorisé qu’en cas de regroupements d’entreprises (ou en cas de contrôle et de présentation de comptes consolidés) et qu’elle tend donc, de par sa nature même, à réserver un traitement favorable à une certaine catégorie d’entreprises, en l’occurrence à celles qui réalisent un certain type d’investissements, qui, dans le cas contraire, seraient pénalisées par l’application du régime normal, l’avocat général Pitruzzella considère que les différenciations introduites par des mesures de ce type doivent, en principe, s’apprécier non seulement au regard de la véracité des éléments de fait sur lesquels elles reposent, mais aussi au regard de leur proportionnalité ainsi que de leur capacité à atteindre l’objectif poursuivi et donc, dans le cadre de la troisième étape de l’analyse de la sélectivité, qui vise à vérifier si la différence de traitement introduite par une mesure dérogatoire a priori sélective est justifiée par la nature ou la structure du système fiscal dans lequel elle s’insère. Un tel contrôle serait, au contraire, systématiquement exclu s’il suffisait, dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité, d’invoquer, en tant qu’objectif du système de référence au regard duquel est à effectuer l’examen de comparabilité des situations faisant l’objet de différenciations, l’objectif général de neutralité fiscale dans lequel s’inscrit l’objectif spécifique de l’intervention corrective mise en œuvre par la mesure en cause (pt. 105). L’objectif poursuivi par le régime fiscal de la survaleur dans le cadre de l’impôt sur les sociétés espagnol « n’est pas de permettre aux entreprises de bénéficier de l’avantage fiscal que constitue l’amortissement de la survaleur lorsqu’elles rencontrent des difficultés les empêchant de procéder à un regroupement d’entreprises ». C’est plutôt la mesure litigieuse qui vise à le faire. Accueillir le grief des requérants reviendrait donc, selon lui, à admettre, en contradiction avec la jurisprudence la plus récente en matière de sélectivité, que l’examen de comparabilité dans le cadre de la deuxième étape de l’analyse de la sélectivité doit être effectué au regard de l’objectif de la mesure litigieuse et non de celui du système de référence, et cela indépendamment du fait que cet objectif n’ait pas été explicitement identifié dans la décision contestée et même si l’on doit considérer que celui‑ci réside dans la neutralité fiscale (pt. 106).

JURISPRUDENCE : Constatant l’annulation de la décision de l’Autorité polynésienne de la concurrence condamnant les sociétés du groupe Wane par le seul effet de l’arrêt de censure prononcé par la Cour de cassation le 4 juin 2020 pour cause de suspicion légitime, la Cour d’appel de Paris déclare sans objet le recours au fond formé contre cette décision

 

Nouvel épisode dans la saga polynésienne, le 7e de la série, si l’on compte bien, et peut-être pas la dernière…

On se souvient que le 4 juin 2020, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation avait, à la faveur d’un arrêt fort important, dont les enseignements avaient vocation à s’appliquer bien au-delà du cas d’espèce, cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'ordonnance du 1er mars 2019 du premier président de Cour d’appel de Paris qui, on s’en souvient, avait déclaré irrecevable la demande introduite par le groupe Wane sollicitant le renvoi d’une affaire pour cause de suspicion légitime à l’encontre de l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) dans sa composition de l’époque, et ce, au motif qu’aucun texte applicable aux procédures devant l’APC ne prévoyait expressément une procédure spécifique de récusation ou de demande de renvoi pour cause de suspicion légitime.

À la suite de cet  arrêt, on s’était posé la question du sort de la décision sur le fond dans la présente affaire, celle-là même qui, du fait de la réponse — aujourd’hui annulée — du premier président de la Cour d’appel de Paris, avait finalement pu être adoptée par l’APC le 22 août 2019, dont on rappelle qu’elle a sanctionné différentes sociétés du groupe Wane principalement pour une pratique de tarifs excessifs sur le marché de l'approvisionnement en boissons des commerces organisés sous enseignes.

Du fait du lien logique aussi bien que chronologique existant entre l’ordonnance litigieuse du 1er mars 2019 et la décision au fond du 22 août 2019, on s’était interrogé sur le point de savoir si l’arrêt de la Cour de cassation, en ce qu’il remettait la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’ordonnance annulée, c’est-à-dire au 1er mars 2019, n’entraînait pas dans son sillage l'annulation par voie de conséquence de la décision de condamnation litigieuse de l'APC du 22 août 2019.

À la faveur d’un arrêt rendu le 21 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris, saisie du recours introduit par les sociétés du groupe Wane contre la décision de l’APC du 22 août 2019 les condamnant, répond clairement à la question : elle y constate l’annulation par voie de conséquence de la décision de l’APC des suites de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2020 et dit sans objet le recours au fond formé contre cette décision.

Au terme d’un raisonnement implacable, la Cour de Paris rappelle qu’en application de l’article 625 du code de procédure civile, la cassation totale de l’ordonnance du délégué du premier président du 1er mars 2019 qui avait déclaré irrecevable la requête des sociétés du groupe Wane tendant au renvoi de l’affaire pour cause de suspicion légitime à l’encontre de l’APC, a replacé les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cette décision du 1er mars 2019, c’est à dire en l’état de leur requête du 1er février 2019 (pt. 22). Cette cassation, ajoute-t-elle, a entraîné, par voie de conséquence, l’annulation de la décision n° 2019-PAC-01 du 22 août 2019 adoptée par l’APC postérieurement à cette requête et à l’ordonnance cassée, la décision de l’APC s’y rattachant par un lien de dépendance nécessaire, peu important que par cette ordonnance, le délégué du premier président ne se soit pas prononcé sur le bien fondé de la requête (pt. 23). Par suite, conclut-elle à ce stade, la décision attaquée par le présent recours a donc été annulée par le seul effet de la cassation précitée, sans que la Cour n’ait à la prononcer. Il s’en déduit que ce recours est devenu sans objet (pt. 24).

Au cours de la présente procédure, l’Autorité polynésienne de la concurrence a fait valoir que la Cour d’appel de Paris demeurait, en tout état de cause, saisie du recours formé contre la décision au fond de l’APC, du fait, notamment que, à la suite du renvoi de l’affaire à l’autorité de concurrence métropolitaine ordonné pour cause de suspicion légitime, cette dernière s’était finalement déclarée incompétence pour connaître de pratiques mises en œuvre en Polynésie française.

Sur ce point, la Cour de Paris rappelle à l’Autorité polynésienne de la concurrence qu’il convient ici de procéder par ordre. Elle observe d’abord que le délégué du premier président, statuant sur renvoi, a accueilli la requête en suspicion légitime et désigné l’ADLC aux fins de statuer sur la procédure suivie devant l’APC, et qu’en exécution de cette décision, la saisine et l’entière procédure (actes d’instruction, notification des griefs et rapport) ont été transmises à l’ADLC ainsi désignée (pt. 25). Elle ajoute que la circonstance que l’ADLC a, par la décision n° 20-D-18 du 18 novembre 2020, estimé que les pratiques dénoncées n’entraient pas dans le champ de ses compétences et clôturé la procédure qu’elle avait ouverte n’est pas de nature à remettre en cause l’annulation, intervenue par voie de conséquence, de la décision de l’APC. Dès lors, conclut-elle, il appartiendra à la Cour, saisie du recours annoncé contre cette décision d’incompétence, d’apprécier, si elle devait juger le recours fondé, la nécessité d’exercer son pouvoir d’évocation pour statuer sur la procédure.

Commençons donc par juger le recours annoncé contre la décision d’incompétence prise par l’autorité de concurrence métropolitaine et là, pour le cas où ladite incompétence devrait être confirmée, voyons, à ce stade seulement, s’il convient pour la Cour de Paris d’exercer son pouvoir d’évocation, lequel, du fait de l’annulation « mécanique » de la décision au fond de l’APC et de la caducité du recours contre cette dernière décision, ne pourrait être mis en œuvre, en tout état de cause, que pour statuer sur la procédure n° 16/0009F, c’est-à-dire la procédure sur le fond ouverte à la suite de la saisine initiale de l’APC en date du 28 avril 2016 et dénonçant les pratiques du groupe Wane…

INFOS : Appel à candidature au poste de président de l'Autorité polynésienne de la concurrence [à pourvoir au 15 juillet 2021]

 

À la suite de la démission d’office du précédent président de l'Autorité polynésienne de la concurrence, le gouvernement de la Polynésie française a entrepris de le remplacer.

Pour ce faire, le ministre de l’économie de la Polynésie française a rendu public un appel à candidature au poste de président, lequel est à pourvoir au 15 juillet 2021.

Les personnes intéressées ont jusqu'au 15 février 2021 pour présenter leur candidature.

INFOS : Stanislas Martin, renouvelé dans ses fonctions de rapporteur général de l’Autorité pour un second mandat de quatre ans

 

Par arrêté du ministre de l’économie du 7 janvier  2021 paru au JORF n° 0015 du 17 janvier 2021,, administrateur général, rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, est reconduit dans cette fonction, à compter du 6 mars 2021, pour une durée de quatre ans.

Rappelons qu’en application de l’article R. 461-3 du code de commerce, le rapporteur général ainsi que les rapporteurs généraux adjoints sont nommés pour quatre ans et qu’ils peuvent être renouvelés une fois dans leurs fonctions.

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