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Souvent je me demande ce qu’il nous resterait à voir si toutes les femmes nues qui peuplent les musées quittaient leurs tableaux, lasses d’être des belles choses figées exploitées par le regard masculin, pour aller vivre leur meilleure vie loin des cadres dorés et des moulures vieillissantes.

Car si on y regarde de plus près, au cœur de nombreuses formes de misogynie et de sexisme, on retrouve l’idée que la femme est un objet et non un sujet. Un objet dont la seule ambition est de combler les désirs d’un autre, le plus souvent masculin, et chez qui l’agentivité n’existe pas.

La représentation des femmes a longtemps été le fait des hommes, même au sein des mouvements artistiques qui se voulaient les plus révolutionnaires et avant-garde, il y a toujours eu une incapacité à rendre aux femmes leur pouvoir de représentation.

Pour que cela arrive, il faudrait changer le système dans lequel ces images sont produites, contester et renverser la structure dominante qui a permis d’établir l’hégémonie du regard masculin. Utopique ? À l’heure actuelle sûrement. Nos corps, nos sexualités, nos identités , et nos comportements ont non seulement toujours été scrutés et évalués à travers ce prisme, mais les représentations que nous en avons ont été largement définies par le male gaze.

L’art plastique, comme toutes les autres formes de création artistique, a permis de nous (les femmes et personnes minorisées) figer à tout jamais dans le rôle d’éternelle égérie au service du génie créatif masculin. Muse et/ou femme de l’ombre tu seras. Prisonnières d’images créées par des hommes, qui nous influencent encore aujourd’hui jusque dans les sphères les plus intimes de nos vies - quand on y pense, rien que pour une chose aussi triviale que la drague, on nous a appris a être des objets de convoitise, alors qu’on apprend aux garçons à nous attraper dans leurs filets comme si l’absence de consentement était sexy. 

Il est nécessaire de toujours se rappeler que cette narration ne sert qu’au patriarcat, d’où l’importance d’imposer dans les espaces dédiés à la culture de l’art créé par des femmes et des personnes minorisées, d’en consommer, de le financer, de le visibiliser, de l’archiver, de le restaurer pour nous libérer et nous réapproprier nos images.

Ceux qui ont excellé dans l’objectification et la sexualisation des corps de femmes se sont bien entendu les surréalistes. En même temps, que pouvions nous attendre d’un mouvement largement influencé par le Freudisme?

Né dans le sillage du dadaïsme après la Grande Guerre qui laisse derrière elle son lot de traumatismes, une grande envie de fronderie et une soif de liberté ardente , le mouvement surréaliste est fondé en 1924 par André Breton accompagné d’amis proches et d’admirateurs (il faut toujours un leader dans un boy’s club), à l’ambition de mettre l’amour au centre de sa révolution.  

Dans le Manifeste du Surréalisme ils définissent leur démarche comme « un automatisme psychique pure » grâce auquel on peut exprimer nos pensées sans filtres et sans autocensure. Ils clament également la libération de l’Éros, qui pour eux, est une forme subversive, chez les surréalistes pas de tabou on parle de sexualité (hétéro car Breton était quand même bien homophobe) et de fantasmes érotiques de façon à peine voilée, c’est donc tout naturellement que la femme s’impose comme une figure centrale dans leur production artistique. Elle représente l’amour fou, et provoque l’exaltation de l’artiste.

Naviguant entre une vision romantique et révolutionnaire de la femme, ils vont littéralement les transformer en objet (image 1: Le violon d'Ingres de Man Ray , 1924). Les réifier, les morceler, leur retirer leurs visages, les mécaniser, les nier, tout en proclamant leur liberté. Leur contestation à l’égard du système a clairement ses limites et les surréalistes ne parviennent pas (y aspirent-ils vraiment?) à définir une image de la femme en dehors des désirs et des préoccupations masculines . Pire encore, ils semblent y trouver une certaine forme de réconfort et finalement s’inscrivent dans la même lignée que les artistes précédents en pérennisant cette image de la femme objet et de la muse.

Les surréalistes réinvestissent le duo artiste/muse, ils ne proposent pas une femme indépendante de l’homme, mais une moitié subordonnée qui agirait comme une source d’inspiration au quotidien. Ou dans leur version plus romantique, une entité unique formée par un duo homme/femme complémentaire. En gros ce sont un peu des vampires qui sont là pour inhaler tout ce qui fait de nous des êtres magiques.  En s’appropriant le language amoureux pendant des siècles, les hommes ont fait de l’amour un lieu de pouvoir dans lequel se produit au quotidien la danse macabre de la domination masculine. L’absolutisme et la passion ça sert à qui in fine?

Beaucoup de femmes artistes ont été attirées par le mouvement et ses  ambitions révolutionnaires affranchies de conventions traditionnelles telles que le mariage, la maternité et la famille de manière générale c’était donc pour elles une possibilité d’échapper à leurs déterminismes biologiques. Certaines ont même été plutôt bien accueillies, mais ont rapidement compris qu’elles ne parviendraient jamais à s’y faire une place au delà de « femme de » ou de « muse de ». Pendant longtemps certaines figures majeures comme Dorothea Tanning ou Dora Maar vont être éclipsées par les hommes qui partageront leurs vies.

La contribution d’artistes comme Leonor Fini, Leonora Carrington, ou Claude Cahun au mouvement est immense. Iels seront nombreuxses à repenser  le surréalisme, à y apporter de nouvelles formes de création, à y replacer la femme en tant que sujet actif, et à questionner le rôle des genres. Iels seront tout aussi nombreuxses à le quitter conscient.es de ses limites quant à l’inclusion réelle des femmes au mouvement.

Breton déclarait que « dans le surréalisme la femme aura été aimée et célébrée comme la grande promesse, celle qui subsiste après avoir été tenue. », mais au regard des œuvres lubriques, voire violentes de Hans Bellmer (image 2: La poupée, 1936) , qui ligote et estropie des poupées représentant des femmes, de leur obsession pour la figure de la femme-enfant et de la femme-fatale, de la déshumanisation des femmes chez Magritte qui les transforme en objets affublés de seins et de pubis  (image 3:la philosophie de la chambre -1962), des femmes sans visages, de la perfection que les mannequins en plastique incarnent pour Breton et sa bande (image 4: Dalí durant l'exposition Surréaliste de 1938), de la femme portative de Man Ray, sorte de poupée gonflable à emmener partout avec soi, j’en retire la sensation que cette mise sur un piédestal était avant tout une façon de les enfermer dans un rôle qui ne servaient que leurs intérêts.

Les sacraliser pour mieux les soumettre ? Craignaient -ils les femmes ? Leur puissance ? En regardant certaines de leurs œuvres on a vraiment cette sensation de mise à mort, d’acharnement, et d’une haine pour les femmes.

Les surréalistes rêvent les femmes, ils ne les voient pas. Fait parfaitement exemplifié par l’œuvre de René Magritte de  1929 « Je ne vois pas la (femme) cachée dans la forêt » (image 5). En remplaçant le mot « femme » par une image de celle-ci, l’artiste confirme que ce mot est principalement défini par son image. Son corps nu fait office de nom, elle est innommable. 

Tout n’est évidemment pas à jeter chez les surréalistes hommes (#notallsurrealists), il est même intéressant de voir que malgré leur volonté de s’opposer à une société conservatrice et de changer le monde qu’ils ne sont ni parvenus à être des alliés convenables pour leur contemporaines, ni à transcender les normes genrées et la misogynie structurelle.

L’art est un lieu de pouvoir, nos représentations sont politiques, emparons-nous des nôtres.

Pour toute question n'hésitez à me contacter sur lasuperbenewsletter@gmail.com
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