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Hebdo n° 15/2021
19 avril 2021
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union confirme que l’application de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale ne viole ni le principe de sécurité juridique, ni celui de légalité des peines, ni celui de la présomption d’innocence

JURISPRUDENCE UE : S’appuyant sur le concept d’unité économique, l’avocat général Pitruzzella propose d’étendre la responsabilité de la société mère, auteure de pratiques anticoncurrentielles, à sa fille, avec laquelle elle constitue une unité économique, afin de permettre aux victimes de dommages concurrentiels d’agir directement contre la filiale

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Confirmant pour la première fois la légalité de mesures d’aide individuelles adoptées pour apporter une réponse aux conséquences de la pandémie de Covid-19, le Tribunal de l’Union rejette les recours de Ryanair contre les décisions de la Commission déclarant compatibles des aides accordées par le Danemark et par la Suède à la compagnie Scandinavian Airlines (SAS)

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la garantie accordée par la Finlande à la compagnie Finnair était nécessaire pour remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise due à la pandémie de Covid-19, le Tribunal de l’Union rejette le recours de Ryanair contre la décision de la Commission déclarant compatible cette mesure d’aide individuelle

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant qu’au regard des difficultés sérieuses rencontrées, la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen, le Tribunal de l’Union annule la décision par laquelle la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime lituanien d’aide aux producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union la décision de la Commission concernant les régimes d’aides en faveur d’associations caritatives pour des missions d’assistance sociale basée dans le Land de Basse-Saxe


JURISPRUDENCE : Intermarché obtient en référé la protection de ses secrets d’affaires dans une procédure engagée par le ministre de l’économie sur des pratiques restrictives de concurrence

JURISPRUDENCE : De quelques arrêts parus cette semaine sur Légifrance

INFOS : Aux termes d’un avis rendu à la demande du Médiateur du cinéma, l’Autorité livre le mode d’emploi pour l’élaboration d’un accord entre distributeurs sur un calendrier régulé de sorties des films lors de la réouverture prochaine des salles de cinéma


INFOS OUVRAGES : « Competition Law, Climate Change & Environmental Sustainability » sous la direction de Simon Holmes, Dirk Middelschulte et  Martijn Snoep vient de paraître chez Concurrences

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union confirme que l’application de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale ne viole ni le principe de sécurité juridique, ni celui de légalité des peines, ni celui de la présomption d’innocence

 

Le 15 avril 2021, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-694/19 (Italmobiliare e.a. contre Commission européenne).

Aux termes du présent arrêt, la Cour rejette dans son intégralité le pourvoi introduit par Italmobiliare, société faitière d’un groupe et par six autres requérantes appartenant à ce groupe. Elles demandaient l’annulation de l’arrêt rendu le 11 juillet 2019 dans l’affaire T-523/15 (Italmobiliare e.a.contre Commission européenne) par lequel le Tribunal de l’Union a rejeté leur recours contre la décision du 24 juin 2015 à la faveur de laquelle la Commission avait infligé à huit fabricants et à deux distributeurs de barquettes de conditionnement alimentaire destinées à la vente au détail des amendes d’un montant de 115 865 000 € pour avoir mis en œuvre de cinq ententes de fixation de prix et de répartition de marchés distinctes, en Europe du Nord-Ouest («ENO»), en Europe centrale et orientale («ECO»), en Europe du Sud-Ouest («ESO»), en France et en Italie. L’un des cartellistes, qui avait dénoncé les ententes, a bénéficié d’une immunité d’amende.

Par leur pourvoi, les requérantes contestaient principalement l’application confirmée par le Tribunal de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante de la société mère sur les six filiales du sous-groupe Sirap-Gema. Elles faisaient valoir, en particulier, qu’une telle application de la présomption viole les principes de sécurité juridique, de légalité des peines et de la présomption d’innocence visés à l’article 6, § 2, et à l’article 7 de la CEDH et aux articles 48 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

À cet égard, la Cour rappelle que le fait que la société mère d’un groupe, qui exerce une influence déterminante sur ses filiales, puisse être déclarée responsable solidairement des infractions au droit de la concurrence de l’Union commises par ces dernières ne constitue nullement une violation du principe de responsabilité personnelle, mais constitue, au contraire, une expression de ce principe. En effet, dans de telles circonstances, tant la responsabilité de la société mère que celle de sa filiale reposent sur le fait que ces sociétés faisaient toutes deux partie de l’entité économique qui a commis ces infractions, de telle sorte que la société mère est, de ce fait, censée avoir commis elle-même l’infraction aux règles de concurrence de l’Union (pt. 56). Par suite, la Cour estime que que présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante n’est pas contraire au principe de la personnalité des peines ni à celui de la présomption d’innocence (pt. 59).

Par ailleurs, les requérantes se plaignaient d’une interprétation et application erronées par le Tribunal de la communication sur la coopération. Elles lui reprochaient de n’avoir pas exposé les raisons pour lesquelles il a estimé qu’elles ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier d’une immunité d’amendes, estimant par ailleurs que l’entreprise qui s’est vue accorder l’immunité n’aurait pas dû en bénéficier, dans la mesure où elle n’avait pas mis fin à sa participation à l’entente sans délai après le dépôt de sa demande. Ce faisant, les requérantes soutenaient que, si Linpac n’avait pas bénéficié de l’immunité d’amendes, elles auraient pu elles-mêmes en bénéficier.

Sur quoi, la Cour rappelle que, quand bien même Linpac ne pourrait bénéficier de l’immunité d’amendes, notamment au motif qu’elle ne remplissait pas la condition prévue au point 12, sous b), de la communication sur la coopération, elle ne cesserait pas pour autant d’être la première entreprise à avoir fourni des renseignements et des éléments de preuve à la Commission, au sens de l’article 8 de la communication sur la coopération. De sorte que les requérantes ne sauraient prétendre à cette qualité et, par voie de conséquence, ne pouvaient obtenir l’immunité d’amendes (pt. 79).

Pour le reste, la Cour confirme le calcul de l’amende opéré par la Commission sous le contrôle du Tribunal.

JURISPRUDENCE UE : S’appuyant sur le concept d’unité économique, l’avocat général Pitruzzella propose d’étendre la responsabilité de la société mère, auteure de pratiques anticoncurrentielles, à sa fille, avec laquelle elle constitue une unité économique, afin de permettre aux victimes de dommages concurrentiels d’agir directement contre la filiale

 

Le 15 avril 2021, l’avocat général Giovanni Pitruzzella a rendu ses conclusions dans l’affaire C-882/19 (Sumal, S.L.), laquelle fait suite à une demande de décision préjudicielle présentée par la Cour d’appel de Barcelone.

Les présentes conclusions — qui devraient faire un peu de bruit — s’inscrivent indubitablement dans le mouvement visant à faciliter l'obtention de dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles. En substance, pour l’avocat général Pitruzzella, la victime d’un dommage concurrentiel doit pouvoir demander à la filiale établie dans son État membre réparation dudit dommage que lui a causé le comportement de la mère, seule sanctionnée par la Commission, pour peu que la filiale et la mère aient agi sur le marché comme une entreprise unique et que la filiale ait contribué à la réalisation de l’objectif et à la matérialisation des effets du comportement anticoncurrentiel.

La présente affaire s’inscrit donc dans le cadre d’une action privée en réparation d’un dommage concurrentiel, action en follow-on qui fait suite à une décision de la Commission, en l’occurrence celle adoptée le 19 juillet 2016 à la faveur de laquelle cette dernière avait infligé une amende record de 2,93 milliards d’euros aux principaux constructeurs européens de camions, dont Daimler AG, pour s’être entendus pendant 14 ans sur les prix de vente des camions ainsi que sur la possibilité de répercuter sur les acheteurs les coûts de mise en conformité avec les règles plus strictes en matière d’émissions.

À la suite de cette décision, la société espagnole Sumal SL a demandé aux juridictions espagnoles de condamner la filiale espagnole de Daimler AG, Mercedes Benz Trucks España SL (MBTE), à lui payer la somme de 22 204,35 euros à titre de dommages et intérêts. Déboutée par le Tribunal de commerce de Barcelone, Sumal a alors interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Ce faisant, l’Audiencia Provincial de Barcelona demande, en substance, à la Cour de justice si la théorie de l’unité économique autorise une extension de la responsabilité de la société mère à la filiale, et partant une responsabilité « descendante » et, si oui, selon quelles modalités et à quelles conditions. Subsidiairement, la Cour d’appel de Barcelone interrogeait la Cour sur la conformité au droit européen des règles de concurrence espagnoles, qui n’envisagent pas une telle responsabilité « descendante ».

Sur la notion d’entreprise en droit de la concurrence de l’Union et sur la « théorie de l’unité économique »

Dans ses conclusions présentées ce jour, qui porte sur les trois premières questions de la Cour de renvoi, l’avocat général Pitruzzella suggère à la Cour d’adopter une interprétation extensive de la théorie de l’unité économique — utilisée jusqu’à présent pour imputer à la société mère le comportement anticoncurrentiel de sa filiale dans ce qu’il convient désormais d’appeler une « responsabilité ascendante » — afin de reconnaître la possible responsabilité de la filiale aux fins de la réparation des dommages causés par le comportement anticoncurrentiel de sa mère, dans ce qu’il conviendrait de qualifier de « responsabilité descendante ».

Sur le fondement de la responsabilité « ascendante » de la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de la filiale

Pour ce faire, l’avocat général rappelle dans le détail la genèse de la théorie de l’unité économique, vieille de cinquante ans. À cet égard, il estime que le fondement de la responsabilité « ascendante » de la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de la filiale repose dans la jurisprudence de la Cour sur deux facteurs différents. Le premier est celui de l’influence déterminante que la société mère exerce sur la filiale, dont le corollaire est le défaut d’autonomie de comportement sur le marché de cette dernière, laquelle se borne essentiellement à suivre les directives qui lui sont imparties en amont (pt. 34). Le second est celui de l’existence d’une unité économique formée par la société mère et sa filiale, c’est‑à‑dire une entreprise unique, aux fins de l’application des règles de la concurrence (pt. 35). La distinction est importante dans la mesure où la seule constatation de l’influence déterminante de la mère exerce sur sa fille ne peut fonder que la responsabilité de la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de sa filiale, bref la responsabilité « ascendante ». En revanche, elle ne permet pas, en soi, de reconnaître une responsabilité « descendante » de la filiale, dans la mesure où celle-ci n’exerce, par définition, aucune influence déterminante sur sa mère (pt. 37).

Il en va différemment si le fondement de la responsabilité conjointe de la société mère et de la filiale réside dans l’unité économique qui agit comme une seule entreprise sur le marché. Pour l’avocat général Pitruzzella, il n’y a alors aucune raison logique d’exclure que l’attribution de responsabilité peut s’opérer non seulement de manière ascendante, comme cela s’est produit jusqu’ici dans les cas tranchés par la Cour, mais aussi de manière descendante. Si la responsabilité conjointe se fonde sur l’unité d’action sur le marché, toutes les parties qui composent cette unité pourront, en présence de certaines conditions, être appelées à répondre du comportement anticoncurrentiel de l’une d’entre-elles (pt. 38). Il faudra néanmoins respecter, prévient-il, le principe de la responsabilité personnelle, et son corollaire selon lequel l’infliction d’une sanction et le constat d’une responsabilité supposent l’existence d’une faute (pt. 39). Sous cette réserve, il invite la Cour à se fonder sur la notion d’unité économique (pt. 40).

Du reste, l’avocat général établit un lien fort entre l’influence déterminante de la mère sur la fille, qui n’est pas une « influence spécifique » liée au comportement illicite de la filiale (pt. 43), mais qui s’inscrit dans une « relation générale » qui existe entre celles‑ci en tant qu’entités juridiques composant une entreprise unitaire au sens du droit de la concurrence. Ainsi, la question décisive est celle de savoir « si la société mère exerce une influence suffisante pour orienter le comportement de la filiale dans une mesure telle que les deux doivent être considérées comme une unité sur le plan économique (pt. 44). Il s’ensuit que le fondement de la responsabilité de la société mère pour le comportement anticoncurrentiel de la filiale réside dans le caractère unitaire de l’action économique de ces entités, c’est‑à‑dire dans l’existence d’une seule unité économique (pt. 45).

De la théorie de l’unité économique à la responsabilité « descendante » de la filiale pour le comportement anticoncurrentiel de la société mère

Ce faisant, loin de constituer deux fondements alternatifs de la responsabilité de la société mère, l’unité d’action de plusieurs entreprises sur le marché et l’influence déterminante de la société mère deviennent deux passages logiquement nécessaires dans le processus d’attribution de la responsabilité d’un comportement anticoncurrentiel (pt. 48). Dès lors, estime-t-il, l’influence déterminante est une condition nécessaire pour qu’il existe une unité économique, c’est-à-dire une entreprise unique au sens fonctionnel. Ainsi, on commence par constater l’influence déterminante de la mère sur les filiales, puis on établit l’existence d’une unité économique (pt. 49). Ces deux étapes sont suivies d’une troisième : l’attribution des obligations relatives au respect des règles de la concurrence, et de la responsabilité pour les avoir fautivement enfreintes, à l’entreprise unique dont l’existence a été ainsi établie et qui est composée de plusieurs entités juridiques distinctes (pt. 50). Enfin, la dernière étape consiste en l’attribution concrète de la responsabilité pour l’infraction commise par l’entreprise à chacune des entités qui la composent, lesquelles, en ce qu’elles sont dotées de la personnalité morale, peuvent faire l’objet d’une imputation de cette responsabilité et en supporter les conséquences en termes financiers (pt. 51).

Les conditions pour la reconnaissance de la responsabilité solidaire de la filiale pour le comportement anticoncurrentiel de la société mère
 
L’avocat général Pitruzzella s’attache ensuite à définir les conditions dans lesquelles la responsabilité solidaire de la filiale pour le comportement anticoncurrentiel de la mère peut être reconnue. À cet égard, il retient que, pour imputer aux filiales le comportement anticoncurrentiel de la mère (ou plutôt d’imputer ce comportement à l’unité économique dont elles font partie et de déclarer leur responsabilité conjointe pour ledit comportement), il est nécessaire que ces filiales aient pris part à l’activité économique de l’entreprise dirigée par la société mère qui a matériellement commis l’infraction (pt. 56). En d’autres termes, dans le cas de la responsabilité descendante, où c’est la société mère qui commet l’infraction, le caractère unitaire de l’activité économique résultera — outre de l’influence déterminante exercée par la première — du fait que l’activité de la filiale est, d’une manière ou d’une autre, nécessaire à la réalisation du comportement anticoncurrentiel (par exemple parce que la filiale vend les biens objet de l’entente) (pt. 57). À l’inverse, si une filiale, même en cas de détention de la totalité ou de la quasi-totalité de son capital par la société mère, exerce une activité échappant au domaine économique dans lequel la société qui la détient a adopté des comportements anticoncurrentiels, on se situera en dehors de la notion « fonctionnelle » d’entreprise, avec la conséquence qu’il ne pourra y avoir de responsabilité conjointe de la première pour les comportements anticoncurrentiels de la seconde (pt. 58). Ainsi, aux fins de la reconnaissance d’une responsabilité descendante, il est déterminant que la filiale opère dans le même secteur dans lequel la société mère a mis en œuvre le comportement anticoncurrentiel et que, par son comportement sur le marché, elle ait rendu possible la concrétisation des effets de l’infraction (pt. 59).

Extension de l’interprétation proposée au domaine de la mise en œuvre privée du droit de la concurrence

L’avocat général Pitruzzella s’attache en dernier lieu à démontrer que l’interprétation proposée s’applique aussi bien au public enforcement qu’au private enforcement. Rappelant que la Cour a déjà reconnu que la notion fonctionnelle d’entreprise est la même dans le cadre de la mise en œuvre du droit de la concurrence par les autorités publiques et dans le cadre d’actions en dommage et intérêts (pt. 63), il estime qu’une fois établies les limites de l’unité économique qui, en vertu du droit de la concurrence, constitue l’entreprise responsable de l’infraction, les parties concernées pourront donc choisir vers quelle entité juridique appartenant à ladite unité elles pourront se tourner pour exercer leur action en dommages et intérêts (pt. 66).

Par ailleurs, plaide-t-il, reconnaitre la responsabilité « descendante » de la filiale dans la mise en œuvre privée du droit de la concurrence contribuerait à renforcer l’efficacité de la politique de répression des pratiques anticoncurrentielles et entraînerait l’augmentation de l’effet dissuasif à l’égard des violations du droit de la concurrence (pt. 67). Au surplus, le fait d’accorder à la victime la faculté d’agir à l’encontre de la filiale établie dans son État membre éviterait, à tout le moins, les difficultés pratiques liées à la notification à l’étranger de l’acte introductif d’instance et à l’exécution de l’éventuel arrêt de condamnation et, partant, permettrait d’augmenter les chances de satisfaire ses demandes de réparation (pt. 68).

Sur le respect de l’article 16, § 1, du règlement 1/2003 dans le cadre des actions en réparation de type « follow-on »

Pour le reste, l’avocat général Pitruzzella invite la Cour à écarter l’objection selon laquelle reconnaître, au stade de la réparation du dommage concurrentiel, la responsabilité de la filiale conduirait à se fonder sur une notion d’entreprise différente de celle adoptée par la Commission dans sa décision de 2016, qui n’a imputé l’infraction qu’à la société mère. Il estime à cet égard que le juge national peut, sans se heurter à l’interdiction faite à l’article 16, § 1, du règlement 1/2003, identifier comme responsable des préjudices causés par une infraction aux règles de l’Union en matière de concurrence une entité juridique qui n’est pas directement visée par la décision par laquelle la Commission a constaté et sanctionné ladite infraction, à la condition toutefois que soient satisfaits les critères pour considérer l’entité juridique en question responsable conjointement et solidairement avec la personne ou les personnes destinataires de ladite décision (pt. 74).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Confirmant pour la première fois la légalité de mesures d’aide individuelles adoptées pour apporter une réponse aux conséquences de la pandémie de Covid-19, le Tribunal de l’Union rejette les recours de Ryanair contre les décisions de la Commission déclarant compatibles des aides accordées par le Danemark et par la Suède à la compagnie Scandinavian Airlines (SAS)

 

Après avoir validé les régimes d’aides accordées par la France et par la Suède aux seules compagnies aériennes titulaires d’une licence nationale par deux arrêts rendus le 17 février 2021, le Tribunal de l’Union européenne confirme pour la première fois, à la faveur de deux arrêts rendus le 14 avril 2021 dans les affaires T-378/20 et T‑379/20, la légalité de mesures d’aide individuelles adoptées en vue d’apporter une réponse aux conséquences de la pandémie de Covid-19 au regard de l’article 107, § 2, sous b), TFUE. Aux cas d’espèce, il s’agit de deux mesures d’aide distinctes accordées par le Danemark et par la Suède en faveur de la société Scandinavian Airlines (SAS AB), consistant chacune en une garantie sur une ligne de crédit renouvelable d’un montant maximal de 1,5 milliard de couronnes suédoises, et visant à indemniser partiellement SAS pour les dommages résultant de l’annulation ou de la reprogrammation de ses vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

Ces mesures d’aide individuelles, dûment notifiées à la Commission, ont été déclarés compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, § 2, sous b), TFUE par celle-ci respectivement par décisions du 15 avril 2020 concernant l’aide d’État SA.56795 mise en œuvre par le Danemark et du 24 avril 2020 concernant l’aide d’État SA.57061 mise en œuvre par la Suède.

Sur quoi Ryanair, compagnie aérienne low cost sous licence irlandaise, et qui n’a pu bénéficier des deux aides, a introduit un recours tendant à l’annulation des deux décisions de la Commission.

Au soutien de ses deux recours, Ryanair invoquait respectivement cinq moyens.

Par son premier moyen rédigé en termes identiques dans les deux affaires, la requérante dénonçait la violation, par la Commission, de l’exigence selon laquelle les aides accordées au titre de l’article 107, § 2, sous b), TFUE ne sont pas destinées à remédier aux dommages subis par une seule victime.

Observant que SAS n’est pas la seule entreprise, ni la seule compagnie aérienne, à être affectée par l’évènement extraordinaire en cause (aff. T-378/20, pt. 20), le Tribunal considère cependant que les États membres, ne sont pas tenus d’accorder des aides destinées à remédier aux dommages causés par un évènement extraordinaire au sens de l’article 107, § 2, sous b), TFUE (aff. T-378/20, pt. 21). Il en découle qu’une aide peut remédier à certains dommages causés par un évènement extraordinaire, sans que les États membres qui l’octroient ne soient tenus de remédier à l’intégralité des dommages causés par cet évènement extraordinaire et donc d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages (aff. T-378/20, pts. 22-24).
Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la Commission a commis une erreur de droit du seul fait que la mesure en cause ne bénéficiait pas à l’ensemble des victimes des dommages causés par la pandémie de COVID-19 (aff. T-378/20, pt. 25).

Par son deuxième moyen, tiré de ce que la Commission a considéré, à tort, que la mesure en cause était proportionnée au regard des dommages causés à SAS par la pandémie de COVID-19, Ryanair soutenait qu’elle aurait autorisé une possible surcompensation du dommage subi par SAS.

Aux termes des deux arrêts, le Tribunal rejette ce moyen. Il constate d’abord l’aide visait à indemniser la « perte de valeur ajoutée », qui consiste en la différence entre les revenus de la période allant de mars 2019 à février 2020 et ceux de la période allant de mars 2020 à février 2021, à laquelle ont été soustraits, d’une part, les coûts variables évités et, d’autre part, la marge bénéficiaire se rapportant à la perte de revenu. Le montant du dommage a été provisoirement évalué en tenant compte d’une baisse du trafic aérien comprise entre 50 et 60 % pour la période allant de mars 2020 à février 2021 par rapport à la période allant de mars 2019 à février 2020 et correspondrait à un montant compris entre 5 et 15 milliards de SEK (aff. T-378/20, pt. 31), de sorte que la Commission a pu considérer que, même dans l’hypothèse où le montant de l’aide résultant de la mesure en cause correspondrait au montant garanti, à savoir 1,5 milliard de SEK, ce montant resterait inférieur au dommage subi par SAS. Elle a par ailleurs précisé que les deux États membres s’étaient engagés à effectuer une évaluation ex post du dommage effectivement subi par SAS au plus tard le 30 juin 2021 et à demander le remboursement de l’aide perçue pour autant que celle-ci excèderait ledit dommage, compte tenu de l’ensemble des aides susceptibles d’être accordées à SAS du fait de la pandémie de COVID-19, y compris par des autorités étrangères, dont les autorités norvégiennes (aff. T-378/20, pt. 32). Ce faisant, le Tribunal considère que, eu égard aux circonstances de l’espèce caractérisées par l’évènement extraordinaire, au sens de l’article 107, § 2, sous b), TFUE, que constitue la pandémie de COVID‑19, à son caractère évolutif et au caractère nécessairement prospectif de la quantification du dommage causé et du montant de l’aide finalement octroyée, la Commission a présenté avec suffisamment de précision, dans la décision attaquée, une méthode de calcul visant à l’évaluation du dommage subi par SAS (aff. T-378/20, pt. 36).

Dans l’affaire suédoise, Ryanair soutenait que le régime d’aide, qui prévoyait une garantie bancaire en faveur de SAS ne pouvant pas dépasser 1,5 milliard de SEK, contenait une mesure subsidiaire au regard dudit régime, laquelle mesure ayant pour objectif de remédier à une perturbation grave de l’économie au sens de l’article 107, § 3, sous b), TFUE, n’aurait pas pour objectif de remédier aux dommages causés par un évènement extraordinaire au sens de l’article 107, § 2, sous b), TFUE. Sur quoi le Tribunal rejette l’argument  au motif que le traité FUE ne s’oppose pas à une application concomitante de l’article 107, § 2, sous b), et de l’article 107, § 3, sous b), TFUE, pour autant que les conditions de chacune de ces deux dispositions soient réunies. Il en va notamment ainsi lorsque les faits et les circonstances donnant lieu à une perturbation grave de l’économie résultent d’un évènement extraordinaire (aff. T-379/20, pt. 34). Il s’ensuit que la Commission ne saurait être regardée comme ayant commis une erreur de droit du seul fait que le régime d’aide suédois et la mesure en cause ont été déclarés compatibles avec le marché intérieur sur la base, respectivement, de l’article 107, § 3, sous b), et de l’article 107, § 2, sous b), TFUE (aff. T-379/20, pt. 35).

Par son troisième moyen, Ryanair soutenait que la Commission aurait violé le principe de non-discrimination ainsi que la libre prestation de services et la liberté d’établissement, au motif que la mesure en cause offrirait des conditions plus favorables réservées aux entreprises établies au Danemark et en Suède.

S’agissant plus particulièrement de la violation du principe de non-discrimination, le Tribunal relève qu’une aide individuelle, telle que celle en cause, ne bénéficie, par définition, qu’à une seule entreprise, à l’exclusion de toutes les autres entreprises, y compris celles se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire de cette aide. Ainsi, de par sa nature, une telle aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est pourtant inhérente au caractère individuel de ladite mesure. Or, soutenir, comme le fait la requérante, que l’aide individuelle en cause est contraire au principe de non-discrimination revient, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle du seul fait de son caractère intrinsèquement exclusif et par là discriminatoire, alors même que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des aides individuelles, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 107 TFUE soient remplies (aff. T-378/20, pt. 65).

Observant que l’ensemble des compagnies aériennes opérant au Danemark et en Suède ont été affectées par les restrictions relatives à la pandémie de COVID-19 et qu’elles ont, par voie de conséquence, toutes subi, à l’instar de SAS, un dommage résultant de l’annulation ou de la reprogrammation de leurs vols à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Tribunal précise toutefois qu’à supposer que la différence de traitement instituée par la mesure en cause, en ce qu’elle ne bénéficie qu’à SAS, puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre, et ce, au regard de l’article 107, § 2, sous b), TFUE, qui constitue la base juridique de la décision attaquée.(aff. T-378/20, pts. 67-68).

À cet égard, le Tribunal constate en premier lieu que l’indemnisation d’un dommage résultant de l’annulation ou de la reprogrammation des vols d’une compagnie aérienne à la suite de l’instauration de restrictions en matière de déplacement dans le contexte de la pandémie de COVID-19 permet de remédier aux dommages causés par cette pandémie, laquelle constitue un évènement extraordinaire au sens de l’article 107, § 2, sous b), TFUE (aff. T-378/20, pt. 69). Il estime, en second lieu, et en dépit du fait que la compagnie bénéficiaire de l’aide dispose de parts de marché inférieures à 40 % (aff. T-378/20, pt. 70), que la différence de traitement en faveur de SAS est appropriée aux fins d’atteindre l’objectif desdites mesures et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (aff. T-378/20, pt. 74), dès lors que SAS, du fait de ses parts de marché plus importantes, a été davantage affectée par les restrictions relatives à la pandémie de COVID-19 que les autres compagnies aériennes présentes au Danemark. Ainsi SAS possédait la plus grande part de marché au Danemark, à hauteur de 34 %, et que cette part de marché était significativement plus élevée que celles de son plus proche concurrent et de la requérante, qui ne possédaient qu’une part de marché, respectivement, de 18 % et de 9 %, de sorte que SAS est, en proportion, significativement plus touchée par ces restrictions que ne l’est la requérante, qui ne réalisait qu’une partie minime de son activité à destination du Danemark et depuis cet État (aff. T-378/20, pts. 72-73).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la garantie accordée par la Finlande à la compagnie Finnair était nécessaire pour remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise due à la pandémie de Covid-19, le Tribunal de l’Union rejette le recours de Ryanair contre la décision de la Commission déclarant compatible cette mesure d’aide individuelle

 

Par arrêt du même jour rendu dans l’affaire T-388/20, le Tribunal valide également la mesure d’aide individuelle  adoptée par la Finlande pour soutenir sa compagnie aérienne nationale, Finnair, pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19.

La mesure en cause vise à aider Finnair à obtenir, auprès d’un fonds de pension, un prêt de 600 millions d’euros destiné à couvrir ses besoins en fonds de roulement. La garantie de l’État couvre 90 % du prêt et est limitée à une durée maximale de trois ans. Les 10 % restants du prêt sont couverts par une banque commerciale aux conditions du marché. Ladite garantie a vocation à n’être déclenchée que dans l’hypothèse d’une défaillance de Finnair à l’égard du fonds de pension. Elle est fondée, non sur l’article 107, § 2, sous b), TFUE comme dans les affaires danoise et suédoise, mais sur l’article 107, § 3, sous b), TFUE, tel qu’interprété par l’Encadrement temporaire du 19 mars 2020 « des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 ».

À la faveur d’une décision du 18 mai 2020, la Commission a qualifié la garantie accordée à Finnair d’aide d’État compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, § 3, sous b), TFUE.

Ryanair avait là encore introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission.

Au soutien de son troisième recours, Ryanair invoquait respectivement quatre moyens.

Par son premier moyen, tiré de la violation de l’article 107, § 3, sous b), TFUE, la requérante faisait valoir que la mesure individuelle en faveur de Finnair n’était pas appropriée pour remédier à une perturbation grave de l’économie finlandaise et reprochait à la Commission de n’avoir pas mis en balance les effets bénéfiques de l’aide avec ses effets défavorables sur les conditions des échanges et le maintien d’une concurrence non faussée.

À cet égard, le Tribunal fait sienne la constatation de la Commission qu’une éventuelle défaillance de Finnair aurait eu de graves conséquences pour l’économie finlandaise, de sorte que la garantie de l’État, en ce qu’elle vise à maintenir les activités de Finnair et à éviter que son éventuelle faillite perturbe davantage l’économie finlandaise, est appropriée pour contribuer à remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise causée par la pandémie de Covid-19 (pt. 56). Ainsi, relève le Tribunal, la Commission a tenu compte de l’importance de Finnair pour le transport de passagers (67 % des passagers transportés vers, depuis et au sein de la Finlande) (pt. 45), mais aussi dans le fret aérien en Finlande, où il est le principal opérateur (pt. 47). Elle a également relevé que Finnair est un employeur direct et indirect important en Finlande, avec compte 6 800 employés, ses achats auprès des fournisseurs, pour la plupart finlandais, s’élevant à 1,9 milliard d’euros en 2019 (pts. 49-50), ainsi qu’un acteur important dans la recherche en Finlande. Finnair est en outre la seizième société la plus importante en Finlande au titre de sa contribution au produit intérieur brut (PIB) de ce pays, avec une valeur ajoutée s’élevant à 600 millions d’euros (pt. 53). Force est de constater, conclut le Tribunal sur ce point que, quand bien même la somme de 600 millions d’euros que représente la valeur ajoutée de Finnair ne constitue qu’une partie du PIB finlandais et les 6 800 employés de Finnair ne sont qu’une fraction du nombre d’actifs employés en Finlande, il n’existait vraisemblablement pas d’alternative viable à la contribution de Finnair aux besoins de l’économie et de la connectivité de la Finlande (pt. 60).

Quant à la prétendue obligation pesant sur la Commission d’effectuer une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs, le Tribunal estime que, pour autant que les conditions posées par l’article 107, § 3, sous b), TFUE soient remplies, à savoir, en l’espèce, que l’État membre concerné soit bel et bien face à une perturbation grave de son économie et que les mesures d’aide adoptées pour remédier à cette perturbation soient, d’une part, nécessaires à cette fin et, d’autre part, appropriées et proportionnées, lesdites mesures sont présumées être adoptées dans l’intérêt de l’Union, de sorte qu’il n’est pas requis par cette disposition que la Commission procède à une mise en balance des effets bénéfiques de l’aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur le maintien d’une concurrence non faussée, au contraire de ce qui est prescrit par l’article 107, § 3, sous c), TFUE. En d’autres termes, une telle mise en balance n’aurait pas de raison d’être dans le cadre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, son résultat étant présumé positif. Qu’un État membre parvienne à remédier à une perturbation grave de son économie ne peut en effet que bénéficier à l’Union en général et au marché intérieur en particulier (pt. 66).

Par son deuxième moyen, Ryanair soutenait que la Commission aurait violé le principe de non-discrimination ainsi que la libre prestation de services et la liberté d’établissement, au motif que la décision attaquée traiterait la situation comparable de compagnies aériennes desservant des liaisons à destination et en provenance de Finlande de manière différente, en avantageant Finnair sans aucune justification objective.

Sur quoi le Tribunal rappelle, à l’instar des deux autres arrêts du jour rendus dans les affaires danoise et suédoise, à propos de la violation du principe d’égalité de traitement, qu’une aide individuelle, telle que celle en cause, ne bénéficie, par définition, qu’à une seule entreprise, à l’exclusion de toutes les autres entreprises, y compris celles se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire de cette aide. Ainsi, de par sa nature, une telle aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est pourtant inhérente au caractère individuel de ladite mesure. Or, soutenir, comme le fait la requérante, que l’aide individuelle en cause est contraire au principe de non-discrimination revient, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle du seul fait de son caractère intrinsèquement exclusif et par là discriminatoire, alors même que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des aides individuelles, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 107 TFUE soient remplies (pt. 81).

En outre, à supposer que la différence de traitement instituée par la garantie accordée à Finnair puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre (pt. 82).

Selon le Tribunal, les modalités d’octroi de la garantie accordée à Finnair sont de nature à atteindre l’objectif envisagé, l’existence d’une perturbation grave de l’économie finlandaise du fait de la pandémie de Covid-19 et les effets négatifs majeurs de cette dernière sur le marché finlandais du transport aérien ayant été établis à suffisance de droit (pt. 84). La mesure d’aide est, en outre, nécessaire (pt. 87). Enfin, compte tenu de l’importance de Finnair pour l’économie finlandaise, l’octroi de la garantie de l’État uniquement à Finnair ne dépassait pas les limites de ce qui était approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la République de Finlande et n’était, par conséquent, pas disproportionné (pt. 91).

Quant aux griefs tirés de la violation de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le Tribunal constate que, s’il est vrai que la mesure en cause porte sur une aide individuelle qui ne bénéficie qu’à Finnair, la requérante n’établit pas en quoi ce caractère exclusif est de nature à la dissuader d’effectuer des prestations de services depuis la Finlande et à destination de la Finlande ou d’exercer sa liberté d’établissement dans cet État membre. Elle reste notamment en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que l’aide individuelle en cause produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, § 1, TFUE, mais qui sont néanmoins nécessaires et proportionnés pour remédier à la perturbation grave de l’économie finlandaise causée par la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences de l’article 107, § 3, sous b), TFUE.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant qu’au regard des difficultés sérieuses rencontrées, la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen, le Tribunal de l’Union annule la décision par laquelle la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre du régime lituanien d’aide aux producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable

 

Le 14 avril 2021, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-300/19 (Achema AB et Lifosa AB contre Commission européenne), à la faveur duquel il annule la décision de la Commission du 8 janvier 2019 concernant un régime d’aide mis en œuvre par la République de Lituanie au bénéfice des producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable (SER), aux termes de laquelle la Commission avait décidé, sans jugée utile d’ouvrir au préalable la procédure formelle d’examen, de ne pas soulever d’objections à l’encontre de ce régime, tout en regrettant que la République de Lituanie ait déjà mis en œuvre le régime d’aide SER, en violation de l’article 108, § 3, TFUE.

Des industriels lituaniens ont introduit un recours contre cette décision, à l’appui duquel, les requérantes avancent un moyen unique, tiré d’une violation de leurs droits procéduraux au motif que la Commission aurait dû nourrir des doutes quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec le droit de l’Union européenne et ouvrir, en conséquence, la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

Au terme de son analyse, le Tribunal accueille le moyen unique. Il estime en effet que la plupart des indices invoqués par les requérantes, pris conjointement, font apparaître des difficultés sérieuses rencontrées par la Commission lors de l’examen du régime d’aide SER et, partant, sont révélateurs de doutes que la Commission aurait dû éprouver quant à la compatibilité du régime d’aide SER avec le marché intérieur. Ces indices se rapportent, premièrement, à la durée particulièrement longue de la procédure administrative, qu’elle soit calculée à partir du dépôt de la plainte de 2016 jusqu’à l’adoption de la décision attaquée (supérieure à trois années) ou qu’elle soit limitée à la seule phase de prénotification (de 2 ans et 5 mois) (pts. 54 à 86), deuxièmement, aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée, à savoir le nombre d’échanges entre les services de la Commission, les plaignantes et les autorités lituaniennes ainsi que la teneur de ces échanges (pts. 92 à 112), troisièmement, à l’examen incomplet et insuffisant du cadre juridique national pertinent (pts. 116 à 135), quatrièmement, à l’examen incomplet et insuffisant des mesures de soutien aux producteurs SER, notamment en ce qui concerne les éventuelles aides à l’investissement (pts. 138 à 148), cinquièmement, à l’examen incohérent, incomplet et insuffisant des exemptions au prélèvement SIPE (pts. 151 à 178) et, sixièmement, à l’examen insuffisant et incomplet de la compatibilité du mode de financement du régime d’aide SER avec les articles 30 ou 110 TFUE (pts. 209 à 236).

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union la décision de la Commission concernant les régimes d’aides en faveur d’associations caritatives pour des missions d’assistance sociale basée dans le Land de Basse-Saxe

 

Le 14 avril 2021, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-69/18 (Verband Deutscher Alten und Behindertenhilfe et CarePool Hannover contre Commission européenne).

Il y rejette le recours introduit par des établissements résidentiels d’assistance et de soins ambulatoires et stationnaires aux personnes dépendantes visant l’annulation de la décision de la Commission du 23 novembre 2017, concernant les régimes d’aides d’État mis à exécution par l’Allemagne en faveur d’associations caritatives pour des missions d’assistance sociale basée dans le Land de Basse-Saxe

Aux termes de la décision attaquée, et après avoir examiné les modifications législatives survenues depuis 1956, la Commission européenne a conclu, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE, que, la mesure en cause n’avait pas été modifiée dans sa substance depuis lors et que, pour autant qu’elle constituait une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle devait être qualifiée d’aide existante, au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement 2015/1589. Par ailleurs et en tout état de cause, la Commission a pris acte, dans la décision attaquée, de l’engagement des autorités allemandes de s’assurer, pour le futur, de la compatibilité du soutien financier en cause avec la décision SIEG de 2012. Ainsi, la Commission a rejeté les plaintes dans la mesure où elles visaient le soutien financier en cause.

Dans leurs plaintes, les requérantes ont fait valoir qu’elles étaient en concurrence avec les associations caritatives en ce qui concerne notamment des services de soins aux personnes dépendantes. Selon les requérantes, ces associations caritatives bénéficient d’un soutien financier, ce qui leur permettrait de mieux rémunérer leur personnel que les entreprises privées ou de proposer leurs prestations à des tarifs moins élevés que ceux de ces entreprises. Par conséquent, les entreprises privées seraient désavantagées en ce qui concerne le recrutement du personnel. Par ailleurs, lors de négociations avec les caisses d’assurance dépendance et les organismes d’aide sociale, les tarifs proposés par les entreprises privées seraient refusés, car ils seraient considérés comme étant trop élevés par rapport aux tarifs demandés par le secteur caritatif. Cela contraindrait les entreprises privées à proposer leurs prestations à des prix qui ne permettent pas de couvrir correctement leurs coûts de revient.

À l’appui de leur recours, les requérantes avancent trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de leurs droits procéduraux découlant de l’article 108, § 2, TFUE, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE et, le troisième, d’une violation des articles 107 et suivants TFUE.

S’agissant en premier lieu de la violation des droits procéduraux que les requérantes tirent de l’article 108, § 2, TFUE en ce que, à l’issue du traitement des plaintes, la Commission a refusé d’ouvrir la procédure formelle d’examen en ce qui concerne les missions d’assistance sociale, le Tribunal constate que l’ensemble des indices examinés, appréciés globalement, n’attestent pas de l’existence de telles difficultés sérieuses (pt. 127). Ainsi, la durée de la procédure préliminaire de 29 mois ne démontre pas que la Commission ait fait face à des difficultés sérieuses dans le cadre de son appréciation de cette mesure comme constituant une aide existante (pt. 106). De même, la motivation de la décision attaquée ne démontre pas que la Commission se soit livrée à un examen superficiel, insuffisant ou encore incomplet de la mesure litigieuse ou qu’elle ait rencontré des difficultés sérieuses dans le cadre de son appréciation de cette mesure comme constituant une aide existante. Au surplus, les requérantes restent en défaut de démontrer que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas utilement traité un argument figurant dans leurs plaintes, autre que ceux secondaires, dépourvus de signification ou hors de propos (pt. 119). Enfin, l’attitude de la Commission et, plus particulièrement, ses contacts avec les autorités allemandes, contestés par les requérantes ne sauraient être interprétés comme constituant un indice de l’existence de difficultés sérieuses nécessitant l’ouverture de la procédure prévue à l’article 108, § 2, TFUE (pt. 126).

S’agissant du grief par lequel les requérantes contestent la constatation de la Commission selon laquelle le soutien financier constituait une aide existante, au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement 2015/1589, le Tribunal relève que le soutien financier en cause a été mis à exécution avant l’entrée en vigueur du traité CEE et que la Commission pouvait considérer que cette mesure, pour autant qu’elle constituait une aide, constituait une aide existante au sens de l’article 1er, sous b), i), du règlement 2015/1589 (pt. 177). En outre, le Tribunal relève que la mesure en cause n’a pas fait l’objet d’une modification substantielle depuis son instauration en 1956 (pt. 203).

JURISPRUDENCE : Intermarché obtient en référé la protection de ses secrets d’affaires dans une procédure engagée par le ministre de l’économie sur des pratiques restrictives de concurrence

 

Le 8 avril 2021, la chambre 2-1 de la Cour d'appel de Paris, statuant en référé, a rendu un intéressant arrêt au terme duquel elle infirme une ordonnance du 19 mars 2021 rendue en référé par le Tribunal de commerce de Paris en marge d'une affaire opposant le ministre de l'économie et la société ITM à propos de pratiques consistant dans l'obtention d'avantages sans contrepartie, ou en tout cas manifestement disproportionnés au regard de la valeur des contreparties consenties, en violation de l'article L. 442-6 du code de commerce.

Sur le fond de l’affaire, le ministre a assigné le 19 février 2021 la société ITM Alimentaire international (ITM AI) en vue, notamment, de sa condamnation in solidum avec ITM Belgique et avec la société AgeCore, centrale de référencement commune avec cinq autres distributeurs européens, au paiement d'une amende civile de 150 750 000 euros.

Seul petit problème, ITM AI s’est aperçu que de nombreuses pièces communiquées par le ministre au soutien de son assignation contenaient en l'état des informations confidentielles vis-à-vis d'AgeCore relevant du secret des affaires au sens de l'article L. 151-1 du code de commerce. Bref, ITM ne voulait pas qu’un certain nombre d’information qu’elle juge confidentielles se retrouvent en possession de ses concurrents via la centrale de référencement commune AgeCore.

Par ordonnance de référé rendue le 19 mars 2021, le juge des référés du tribunal de commerce, estimant que la prise en compte des arguments des parties l'aurait amené à s'engager sur le débat au fond, a dit n'y avoir lieu à référé et a invité la société ITM AI lors de sa défense au fond à solliciter la mise en place d'un cercle de confidentialité, au visa des dispositions de l'article R. 153-3 du code de commerce.

La société ITM Alimentaire International a donc interjeté appel de cette ordonnance.  

À la faveur du présent arrêt, la Chambre 2-1 de la Cour d'appel de Paris fait en grande partie droit à ses demandes. Elle considère d’abord que les informations en question relèvent du secret des affaires au sens de l'article L. 151-1 du code de commerce et que leur divulgation par le biais de l'assignation délivrée à la société AgeCore et des pièces produites à son soutien constitue en conséquence une atteinte imminente au secret des affaires qu'il convient de prévenir sur le fondement de l'article L. 152-4 du même code.

Et si les pouvoirs d’enquête interdisent à la société ITM AI d'opposer au ministre et aux enquêteurs le secret des affaires pour refuser de leur communiquer les éléments demandé, en revanche, ils ne permettent pas au ministre de transmettre sans aucune contrainte à d'autres parties à la procédure qu'il engage, des secrets qui sont opposables entre ces parties, d’autant qu'une telle divulgation donnant connaissance des conditions pratiquées par cette société avec tel ou tel fournisseur nommément désigné faciliterait les ententes ce qui n'est pas le but recherché par ces dispositions protectrices.

La Cour déduit de là que la protection du secret des affaires dans le respect des droits de la défense impose de ne remettre à la société AgeCore qu'une version expurgée de l'ensemble des données confidentielles tant en ce qui concerne l'assignation que les pièces produites à son appui.

Reste que le ministre, dans sa grande clairvoyance, n’a pas jugé bon d’attendre la présente décision et qu’il a d’ores et déjà envoyé par lettre recommandée l’assignation et les pièces litigieuses à la société AgeCore. Mais comme la société AgeCore s’est engagée à ne pas prendre connaissance de l'assignation dans sa version intégrale pendant le cours de la présente procédure, la Cour invite le ministre à remettre à la société AgeCore une copie expurgée des données confidentielles de l'assignation, telle que proposée par la société ITM AI, sans les pièces arguées de confidentialité ou avec les pièces aménagées selon les demandes de la société ITM AI.

En tout état de cause, le présent arrêt fera l’objet dans les prochains jours dans ces colonnes d’un commentaire circonstancié du professeur Muriel Chagny.

En attendant, je vous renvoie à la lecture d’un article sur le contexte de cette affaire intitulé « Secret des affaires : Intermarché remporte une bataille face à Bercy », qui vient de paraître sous la plume de Manuel Alaver sur le site web du magazine Capital.

JURISPRUDENCE : De quelques arrêts parus cette semaine sur Légifrance

 

Le 13 avril 2021, Légifrance a mis en ligne quatre arrêts rendus le 31 mars 2021 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation portant sur des questions de concurrence.

Dans l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 19-14.094, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler l’exclusivité reconnue par l’article D. 442-3 du code de commerce à la Cour d’appel de Paris pour connaître des appels formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées dans les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, et ce, quand bien même ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire.

 



Dans l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 19-14.877 à la suite d’une action privée en réparation d’un dommage concurrentiel, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient que le point de départ de la prescription est la date de la décision de la Commission européenne à la faveur de laquelle celle-ci a sanctionné le fournisseur principal de la victime pour sa participation au cartel des producteurs de phosphates destinés à l'alimentation animale, et non la date à laquelle la Commission a ouvert la procédure, dans la mesure où l'ouverture d'une procédure par la Commission européenne ne pouvait révéler que la seule existence d'une entente secrète entre les producteurs de phosphates, mais non l'identité des membres de cette entente, ses modalités de fonctionnement, ainsi que sa dimension géographique et temporelle. Ces constatations suffisent à considérer que la victime avait rapporté la preuve qu'elle n'avait pas pu avoir connaissance de son dommage avant la date de la décision de sanction de la Commission, et ce, sans inverser la charge de la preuve.

S’agissant de la démonstration d’un préjudice en lien avec la faute concurrentielle, la Cour retient que le lien de causalité est suffisamment établi par la victime dès lors qu’elle a démontré que les parties sont, à plusieurs reprises, convenues d'augmenter les prix à son égard, et ce, quand bien même le surprix n'aurait pas été établi par la victime au titre de chacune des années du cartel, dans la mesure où son existence résulte de la pratique elle-même et des indices versés aux débats par la victime, démontrant à tout le moins la décision des membres du cartel d'augmenter les prix à son égard de 10 % certaines années.

Enfin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir ordonné une expertise portant sur l'étendue du préjudice.

 



Dans l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 19-16.139, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que, pour qu’il y ait rupture brutale, même partiellement, d’une relation commerciale établie, encore faut-il qu’il existe une relation commerciale entre les opérateurs. Le fait que l'article R. 4127-215 du code de la santé publique dispose que la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce semble impliquer l’absence de relation commerciale entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur de matériel dentaire, de sorte que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n'a pas vocation à s’appliquer à ce type de relation professionnelle.
 



Toujours à propos de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient, à la faveur de l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 19-14.547, qu’est impropre à caractériser une modification substantielle d’une relation commerciale, de nature à constituer une rupture brutale d’une relation commerciale établie, le fait pour des coopératives agricoles actives dans le secteur viticole d’imposer à leur fournisseur de bouteilles en verre un changement de cocontractant, celles-ci souhaitant regrouper leurs achats au sein d'une société d'union d'achats et de services de sociétés coopératives agricoles.

INFOS : Aux termes d’un avis rendu à la demande du Médiateur du cinéma, l’Autorité livre le mode d’emploi pour l’élaboration d’un accord entre distributeurs sur un calendrier régulé de sorties des films lors de la réouverture prochaine des salles de cinéma

 

Quand l’Autorité de la concurrence prépare le déconfinement !

Saisie par le Médiateur du cinéma, elle a rendu le 16 avril 2021 un avis n° 21-A-03 portant sur les modalités de sortie des films en salle, singulièrement pour éviter le « grand embouteillage » à la réouverture des salles, du fait que la sortie de nombre de films a dû être reportée en raison de des périodes d’accès réduit ou de fermeture desdites salles, en 2020 et 2021, liées à la crise sanitaire de la Covid-19. Ainsi, le phénomène d’encombrement des écrans, déjà quasi-structurel en temps normal, sera accru, dans des proportions inédites, lors de la réouverture des salles de cinéma au moment du prochain déconfinement.

Plus précisément, la demande d’avis porte sur « la possibilité d’une concertation entre les distributeurs de films, limitée dans le temps, circonscrite à la reprise de l’activité de diffusion des films en salle, visant à l’élaboration d’un calendrier régulé de sorties de leurs films entre les distributeurs jusqu’au retour à un niveau de sorties antérieur à la crise sanitaire et justifié par l’intérêt général que sont la protection de la diversité de l’offre cinématographique, la plus large diffusion des œuvres ainsi que la pluralité des acteurs du secteur dans l’intérêt du public » et sur la possibilité, pour une telle concertation, de bénéficier de l’exemption prévue aux articles 101, paragraphe 3, du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.

Faisant le constat de l’insuffisance des mécanismes actuels pour faire face à la situation d’encombrement exceptionnel des écrans, l’Autorité, qui indique n’avoir été saisie à ce jour d’aucun projet ou de modèle précis d’accord en cours de négociation au sein de la filière cinématographique, ce qui laisse de nombreuses incertitudes subsister sur certains paramètres essentiels d’un tel accord, comme la qualité des parties, sa durée, les modalités d’élaboration du calendrier de sortie envisagé et le contenu précis de l’accord, estime néanmoins qu’un tel accord pourrait, sous certaines conditions, se voir accorder le bénéfice de l’exemption individuelle prévue au paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE et au 2 ° du I de l’article L. 420-4 du code de commerce.

En effet, il ne fait guère de doute qu’en l’espèce, la concertation envisagée, en ce qu’elle associerait des entreprises de distribution de films aux fins d’élaborer un calendrier de sortie des films, traduit un concours de volontés entre des entreprises juridiquement distinctes et économiquement indépendantes, prenant la forme d’un accord, et est ainsi susceptible d’être qualifiée d’entente au sens du droit de la concurrence (pt. 67).

En outre, compte tenu du fait que l’accord, sur lequel porte la demande d’avis du Médiateur, serait susceptible de porter sur un grand nombre de films, qu’ils soient ou non français, et au regard du nombre très conséquent de films devant être sortis en salles en France lors de la réouverture des cinémas en 2021, il n’est pas exclu que cet accord soit susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre États membres, ce qui rendrait applicable au cas d’espèce le droit européen de la concurrence (pt. 74).

Dès lors, il n’est pas exclu qu’un accord entre distributeurs portant sur la date de sortie des films en salle puisse être considéré comme comportant une restriction de concurrence par objet ou par effet, soit parce qu’il pourrait être assimilé, compte tenu de son objet, à une entente destinée à une répartition de marché dans le temps, soit parce qu’il pourrait avoir pour effet d’affecter la concurrence réelle, en supprimant l’un des paramètres sur lequel les distributeurs se font concurrence, ou la concurrence potentielle, en pouvant rendre plus difficile, pour certains distributeurs ne participant pas à l’accord, notamment d’éventuels nouveaux entrants, la diffusion de leurs films en salle (pt. 84).

Le projet de concertation soumis pour avis à l’Autorité par le Médiateur serait donc un accord de type horizontal entre concurrents directs, de sorte que l’octroi d’une exemption par catégorie de l’accord envisagé paraît, en l’espèce, exclu (pt. 89). Dès lors, pour que les initiateurs de tels accords se voient accorder une exemption individuelle, il leur appartiendrait de démontrer que l’accord remplit les conditions exigées par l’article 101, § 3, du TFUE (pt. 98). En pratique, il conviendrait d’abord d’apporter des éléments permettant de vérifier notamment la contribution de l’accord au progrès économique, le lien entre l’accord et l’impact de celui-ci sur le progrès économique ainsi que la probabilité et l’importance dudit impact (pt. 103). Par ailleurs, les distributeurs devraient s’attacher à démontrer que l’effet net de l’accord serait au moins neutre du point de vue des exploitations de salles de cinéma et que l’accord ne serait pas préjudiciable aux spectateurs. Par exemple, en ce qu’un tel accord permettrait aux spectateurs d’accéder à une offre diversifiée et à tous types de films, malgré des contraintes probables en termes de rotation des films, de limitation des horaires de séances et de jauge sanitaire lors de la réouverture des salles de cinéma (pt. 105). Devrait aussi être démontrée l’absence de moyen économiquement réalisable et moins restrictif permettant de réaliser les gains d’efficacité visés par l’accord ainsi que le caractère raisonnablement nécessaire des restrictions de concurrence découlant de l’accord pour atteindre ces gains d’efficacité. À ce titre, elles devraient notamment établir concrètement l’insuffisance, pour faire face à l’amplification de l’encombrement des écrans des salles de cinéma du fait de la crise sanitaire de la Covid-19, des options alternatives à une concertation entre distributeurs portant sur un calendrier de sortie des films en salle (pt. 105). Enfin, les parties à l’accord devraient, par conséquent, clarifier le contenu et la portée de l’accord afin de démontrer que la concurrence serait préservée pour une partie substantielle de l’activité de distribution des films, et que les acteurs intervenant dans ce processus continueraient d’être en concurrence sur de nombreux paramètres non inclus dans l’accord. À cet égard, les distributeurs pourraient s’attacher à démontrer que la concertation porterait uniquement sur la date de sortie des films en salle et que, le cas échéant, la concurrence entre eux pourrait subsister sur tous les autres paramètres, tels que le nombre d’établissements dans lesquels les films seraient diffusés, le nombre de copies des films, les horaires des séances, la durée d’exposition des films ainsi que les négociations commerciales avec les exploitants de salles de cinéma portant tant sur le choix des films que sur les paramètres économiques des contrats. Les éléments recueillis sur ce point, au stade de l’instruction de l’avis, sont encore relativement imprécis et devraient donc être complétés à l’appui d’une éventuelle demande d’exemption (pt. 109). De manière générale, il appartiendrait en outre aux distributeurs de démontrer le caractère à la fois exceptionnel et temporaire de l’accord envisagé (pt. 110).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.


Competition Law, Climate Change & Environmental Sustainability

sous la direction de Simon Holmes, Dirk Middelschulte et  Martijn Snoep

 



Vient de paraître chez Concurrences un ouvrage intitulé « Competition Law, Climate Change & Environmental Sustainability », avec un avant-propos de Frans Timmermans, le vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du Green Deal européen.

Sous la direction de Simon Holmes (UK Competition Appeal Tribunal), Dirk Middelschulte (Unilever), and Martijn Snoep (Netherlands Authority for Consumers and Markets), l’ouvrage explore le rôle que le droit et la politique de la concurrence dans l'Union peuvent et devraient jouer pour contribuer à la réalisation des objectifs de sauvegarde du climat. Il rassemble les contributions d’universitaires, des responsables des autorités de concurrence néerlandaise, française et grecque, mais aussi celles d’économistes, d’avocats et de représentants de l'industrie ou de la société civile.

L'ouvrage identifie les défis de l'intégration des considérations environnementales dans l'analyse de la concurrence présentée par le cadre existant, que ce soit à travers la coopération des entreprises, les pratiques des entreprises dominantes ou la prise en compte des gains d'efficacité en matière de durabilité dans les évaluations des opérations de concentration. Des exemples pratiques dans divers secteurs sont également fournis, ainsi que les points de vue des autorités de différentes juridictions, pour illustrer comment la politique de la concurrence peut faciliter une économie durable.

Vous trouverez sur le site web de l’éditeur une brève présentation de l’ouvrage, ainsi que l’avant-propos de Frans Timmermans, l’introduction de Suzanne Kingston SC, la liste des contributeurs et la table des matières.

L’ouvrage sera officiellement présenté lors d'un webinaire de lancement qui aura lieu le lundi 19 avril à 16h30 CEST, pour lequel l'inscription est disponible ICI.

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