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Hebdo n° 18/2021
10 mai 2021
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la Commission n’a démontré à suffisance l’absence d’imputabilité à l’État de deux mesures de soutien à l’opérateur postal danois, le Tribunal considère qu’elle ne pouvait pas, en présence de difficultés sérieuses, s’abstenir d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE et annule en conséquence partiellement la décision approuvant la compensation accordée par le Danemark à Post Danmark pour son obligation de service universel

JURISPRUDENCE UE : Soutenant l’existence d’un effet direct de l'article 101, § 1, TFUE et de l'article 53, § 1, de l'accord sur l'EEE au profit des juridictions nationales, l’avocat général Bobek considère que les victimes du cartel du fret aérien peuvent se prévaloir de la violation de ces dispositions devant une juridiction nationale pour obtenir réparation, même pour la période pendant laquelle les articles 104 et 105 TUE étaient encore applicables

JURISPRUDENCE : Fustigeant la lenteur de l’Autorité de la concurrence dans l’instruction de cette affaire, la Cour d’appel de Paris rejette néanmoins le recours contre la décision sanctionnant une pratique de devis de complaisance sur le marché du déménagement des militaires au départ de La Réunion

INFOS UE : La Commission rend publique sa proposition de règlement sur les subventions étrangères génératrices de distorsions au sein du marché unique

INFOS : L’Autorité sanctionne une nouvelle pratique d’obstruction, en dépit de la déclaration d’inconstitutionnalité du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, mais sous couvert de la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2021


EN BREF : La Commission publie les 90 contributions reçues sur le Digital Markets Act (DMA)

EN BREF : Premiers indices des améliorations que la Commission entend apporter aux règles relatives aux accords horizontaux de R&D et de spécialisation


ANNONCE WEBINAIRE : 2ème conférence « International Mergers » - du 17 au 20 mai 2021 [Message de Nicolas Charbit et Achet-Billa Saleh]

ANNONCE WEBINAIRE : « L'évaluation judiciaire des préjudices économiques » — 23 juin 2021, 09:00-13:00 [Message de Jean-François Laborde]

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la Commission n’a démontré à suffisance l’absence d’imputabilité à l’État de deux mesures de soutien à l’opérateur postal danois, le Tribunal considère qu’elle ne pouvait pas, en présence de difficultés sérieuses, s’abstenir d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE et annule en conséquence partiellement la décision approuvant la compensation accordée par le Danemark à Post Danmark pour son obligation de service universel

 

Le 5 mai 2021, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt dans l’affaire d’aide d’État T-561/18 (ITD et Danske Fragtmænd contre Commission européenne).

Il y annule partiellement la décision du 28 mai 2018 aux termes de laquelle la Commission a conclu que la compensation accordée par le Danemark à Post Danmark pour s'acquitter de sa mission de service public entre 2017 et 2019 était conforme aux règles de l'UE en matière d'aides d’État, dans la mesure où cette compensation ne serait pas supérieure au coût net de la mission de service public, de sorte qu'il n'y aurait pas de surcompensation.

Le tribunal reproche à la Commission d’avoir considéré, au terme de la phase d’examen préliminaire, que ne constituaient pas des aides d’État, d’une part, l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) instituée par la décision administrative n° 1306/90 et par le règlement administratif F 6742/90, pris par l’administration fiscale danoise, et, d’autre part, l’augmentation de capital d’un milliard de couronnes danoises (DKK) réalisée par PostNord AB, au profit de Post Danmark A/S, le 23 février 2017.

Post Danmark, filiale à 100 % du groupe PostNord, lui-même détenu par la Suède (60 %) et le Danemark (40 %) est l’opérateur historique postal au Danemark. l'obligation de service universel lui a été imposée depuis son instauration en 1995. Le marché des services postaux au Danemark est libéralisé depuis 2011. La tendance générale à la numérisation et des conditions propres au Danemark ont entraîné une baisse rapide du volume du courrier (- 73 % depuis 2001), catégorie de service postal presque exclusivement assurée par Post Danmark dans le cadre de l'obligation de service universel.

Dans ce contexte, les autorités danoises ont décidé d'octroyer une compensation à Post Danmark pour s'acquitter de sa mission de service public qui consiste à fournir des services postaux de base dans tout le pays à des prix abordables et selon certaines exigences minimales de qualité (c'est-à-dire son obligation de service universel) sur la période 2017-2019.

Une association professionnelle regroupant des opérateurs danois de transport routier de marchandises et des services logistiques, ainsi qu’une société danoise de transport routier de marchandises et de distribution de colis ont introduit un recours contre la décision de la Commission.

À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent un moyen unique, tiré de ce que la Commission a omis d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE, en dépit des difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation de la compensation en cause et des autres mesures dénoncées dans la plainte de l'Association pour le transport routier de marchandises au Danemark (ITD), par ailleurs requérante dans la présente affaire.

Le Tribunal commence par observer que ni la durée de l’examen préliminaire ni les circonstances entourant le déroulement de la phase d’examen préliminaire ne sont pas, en elles-mêmes, révélatrices de difficultés sérieuses qui obligeaient la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE (pt. 79). S’attachant ensuite à établir si le contenu même de la décision attaquée était de nature à fournir des indices de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen, le Tribunal observe que les requérantes ne sont parvenues à identifier aucune difficulté sérieuse lorsque la Commission a considéré, dans la décision attaquée, que la compensation en cause était compatible avec le marché intérieur (pt. 186). Il en va ainsi en particulier des critiques relatives à l’élaboration du scénario contrefactuel (pt. 130). Il en va de même du calcul du coût net nécessaire à l’exécution de l’obligation de service universel, selon la méthode du coût net évité (CNE). À cet égard, estime le Tribunal, aucun des éléments avancés par les requérantes ne permet de considérer que l’absence de prise en compte, par les autorités danoises, de l’amélioration de l’image de marque du fait de l’obligation de service universel dans le calcul du coût net évité aurait dû faire naître des doutes du chef de la Commission dans l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur de la compensation en cause (pt. 149). Le Tribunal parvient à la même conclusion concernant l’absence de déduction spécifique, dans le calcul du coût net évité d’un bénéfice immatériel lié à l’ubiquité, qui n’est autre que l’effet d’acquisition et de fidélisation de consommateurs, qui sont plus enclins à faire appel au prestataire du service universel qu’à ses concurrents, dans la mesure où ils savent que, du fait de l’obligation de service universel, ce prestataire fournit des services sur tout le territoire. Là non plus, rien n’indique que l’absence de prise en compte de l’ubiquité aurait dû mettre la Commission face à des difficultés sérieuses quant à la compatibilité de la compensation en cause avec le marché intérieur (pt. 159).

Les requérantes faisaient encore valoir que que la garantie en cause, en vertu de laquelle l’État danois s’est engagé à payer les indemnités de licenciement des anciens fonctionnaires de Post Danmark, en cas de faillite de cette dernière, ne peut être considérée comme ayant été octroyée au moment de son adoption, en 2002 et, partant, ne saurait constituer une aide existante au sens de l’article 17 du règlement 2015/1589. De fait, la Commission avait considéré que, si la garantie en cause pouvait constituer une aide d’État, c’est seulement en ce sens qu’elle pouvait être porteuse d’un avantage, bien que très indirect, en ce qu’elle avait permis à Post Danmark, au moment de sa transformation en société à responsabilité limitée, en 2002, de conserver une partie de son personnel. Toutefois, à supposer même que la garantie en cause fût constitutive d’une aide d’État, cette dernière aurait été octroyée en 2002, dès lors qu’elle ne concernait que les employés ayant renoncé à leur statut de fonctionnaire à cette date. Ainsi, la garantie en cause aurait été octroyée plus de dix ans avant que la Commission ne soit informée de cette mesure, par la plainte d’ITD, et constituerait, par voie de conséquence, une aide existante.

À cet égard, le Tribunal estime que la Commission pouvait, sans qu’il en résulte l’existence de difficultés sérieuses, fixer la date d’octroi de la garantie en cause et, en conséquence, le point de départ du délai de prescription à l’égard de toute aide éventuellement accordée au moyen de cette garantie, à la date de son adoption, soit le 6 juin 2002 (pt. 210). Examinant alors l’impact concret de la garantie en question sur la situation de son bénéficiaire par rapport à celle de ses concurrents, le Tribunal relève qu’il n’apparaît pas qu’une telle garantie améliore la situation de Post Danmark, dès lors qu’elle n’est susceptible d’être mise en œuvre que dans l’hypothèse où cette entreprise aurait cessé d’exister. En d’autres termes, tant que Post Danmark est solvable, il lui incombe de payer les indemnités particulières pour le licenciement de ses anciens fonctionnaires (pt. 216). En outre, observe-t-il, cette garantie n’est pas susceptible de bénéficier au personnel recruté après cette date, de sorte qu’il ne peut davantage être considéré que ladite garantie renforce l’attractivité de Post Danmark auprès de potentiels nouveaux salariés (pt. 217).

En revanche, sur la conclusion de la Commission selon laquelle l’exonération de TVA au profit de Post Danmark n’était pas imputable à l’État, le Tribunal, rappelant qu’une pratique administrative nationale instituant une exonération fiscale doit être imputée à l’Union lorsqu’elle ne fait que reprendre une obligation claire et précise prévue dans une directive, tandis qu’elle doit être considérée comme étant imputable à l’État, au sens de l’article 107, § 1, TFUE, si celui-ci l’a adoptée en faisant usage, dans la transposition d’une directive, d’une marge d’appréciation qui lui est propre (pt. 245), parvient à la conclusion que la Commission n’a pas conduit un examen complet et suffisant de la question de savoir si l’augmentation de la demande dont a pu indirectement bénéficier Post Danmark, par l’application de la pratique administrative en cause, était imputable à l’État danois (pt. 270). À cet égard, le Tribunal relève que, conformément à l’article 132, § 1, sous a), de la directive TVA, une société de vente par correspondance ne doit pas payer à Post Danmark la TVA sur la prestation de transport d’un bien à destination de son client final, lorsque cette prestation relève de l’OSU. En revanche, lorsque la même prestation est ensuite facturée par la société de vente par correspondance à son client final, elle n’entre plus dans le champ de l’exonération prévue dans cette disposition, de sorte que le client final est bien redevable de la TVA sur les frais de port qu’il paie à cette société. Il en déduit que l’exonération de TVA permise par la pratique administrative en cause pour les prestations de transport de biens effectuées par Post Danmark, mais facturées par les sociétés de vente par correspondance à leurs clients finals, ne peut être regardée comme découlant directement de l’article 132, § 1, sous a), de la directive TVA (pts. 258-259). Par ailleurs, le Tribunal observe qu’il ne peut être inféré de l’article 79, premier alinéa, sous c), de la directive TVA que les États membres doivent considérer que les frais de transport facturés par une société de vente par correspondance à son client final constituent, en toute hypothèse, un remboursement de frais exposés par cette société au nom et pour le compte de ce dernier et devant, dès lors, être exclu de la base d’imposition de la TVA (pt. 263).

Dans ces conditions, il ne saurait être exclu que, en permettant d’assimiler, par la pratique administrative en cause, les frais de transport facturés par les sociétés de vente par correspondance à leurs clients finals, à des remboursements de sommes acquittées par ces sociétés au nom et pour le compte de ces derniers, l’administration fiscale danoise ne se soit pas contentée de reprendre une exigence claire et précise imposée par le droit de l’Union, mais qu’elle ait plutôt exercé sa marge d’appréciation dans le cadre de la transposition d’une directive. Pareille circonstance tendrait à établir l’imputabilité de cette mesure à l’État danois, et non à l’Union. Or, en l’absence de la pratique administrative en cause, les sociétés de vente par correspondance auraient été tenues d’appliquer la TVA aux frais de transport facturés à leurs clients finals, quel que soit l’opérateur chargé d’effectuer un tel transport. Dès lors, en pareille hypothèse, les sociétés de vente par correspondance n’auraient pas été incitées à solliciter les services de Post Danmark, de sorte que cette dernière n’aurait pas été susceptible de bénéficier d’une augmentation de sa demande (pts. 266-267). Par suite, la Commission ne pouvait pas exclure l’existence de difficultés sérieuses en ce qui concerne la question de l’imputabilité à l’État danois des effets de la pratique administrative en cause sur la demande au profit de Post Danmark. Ce faisant, la Commission a omis d’examiner les liens entre cette pratique et la règle prévue à l’article 79, premier alinéa, sous c), de la directive TVA, sur le fondement de laquelle elle reposait. De même, la Commission a omis de tenir compte de l’abrogation de ladite pratique par l’administration fiscale danoise au motif qu’elle ne trouvait pas sa source dans le droit de l’Union, alors même qu’une telle abrogation avait été mentionnée dans la plainte d’ITD (pt. 268).

Estimant que c’est à juste titre que les requérantes font valoir que la Commission n’a pas conduit un examen complet et suffisant de la question de savoir si l’augmentation de la demande dont a pu indirectement bénéficier Post Danmark, par l’application de la pratique administrative en cause, était imputable à l’État danois, le Tribunal accueille le recours dans la mesure où il est dirigé contre la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE, conclu que la pratique administrative en cause n’était pas imputable à l’État danois et, dès lors, qu’une telle pratique ne constituait pas une aide d’État (pts. 270-271).

Le Tribunal de l’Union accueille également le recours dans la mesure où il est dirigé contre la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, § 2, TFUE, conclu que l’augmentation de capital du 23 février 2017 ne constituait pas une aide d’État en ce qu’elle n’était pas imputable aux États danois et suédois et n’emportait pas l’existence d’un avantage (pt. 376).

Dans sa décision, la Commission a relevé que la structure capitalistique de PostNord et le mode de désignation de son conseil d’administration montraient que les États danois et suédois auraient pu être en mesure d’exercer sur cette société une influence dominante. Ensuite, la Commission a considéré que ces éléments ne permettaient pas d’établir que ces États avaient un contrôle effectif sur PostNord au moment de l’augmentation de capital du 23 février 2017, ni que les pouvoirs publics auraient été, d’une manière ou d’une autre, impliqués dans l’adoption de cette mesure (pt. 336).

Rappelant que, dans le cas d’une entreprise sur laquelle un État membre est susceptible d’exercer une influence dominante, la Commission doit examiner, sur la base d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants, que l’implication de l’État dans une mesure prise par cette entreprise est concrète ou que l’absence d’une telle implication est improbable eu égard aux circonstances et au contexte de l’espèce, le Tribunal considère que la Commission ne pouvait se limiter à constater qu’elle n’était pas en mesure de présumer l’imputabilité à l’État de l’augmentation de capital du 23 février 2017. La Commission était tenue d’établir concrètement, sur la base d’indices qu’elle était susceptible de rassembler en fonction des informations dont elle pouvait disposer, s’il était ou non probable que l’augmentation de capital du 23 février 2017 fût imputable aux États danois et suédois (pts. 339-340). Par suite, en se limitant à constater la nature d’entreprise publique de PostNord, la Commission a procédé à une analyse insuffisante de l’implication de l’État dans l’adoption de la mesure litigieuse. Une telle approche revient, en effet, à exclure l’imputabilité de l’augmentation de capital du 23 février 2017 à l’État au seul motif que PostNord était constituée sous la forme d’une société commerciale, en violation du principe dégagé par la Cour (pt. 341).

La Commission avait par ailleurs retenu que l’augmentation de capital du 23 février 2017 ne constituait pas une aide d’État, du fait de l’absence d’avantage procuré par une telle mesure en ce que celle-ci respectait le critère de l’investisseur privé en économie de marché. Mais encore faut-il, pour écarter, au stade de la phase d’examen préliminaire, la qualification d’aide d’État à l’égard d’un investissement public visant à assurer la survie d’une société filiale, au motif que celui-ci correspond au comportement d’un investisseur privé rationnel, que la Commission soit en mesure d’établir la supériorité d’un tel investissement sur toute mesure alternative, telle que la mise en faillite de ladite filiale. Pour ce faire, la Commission doit procéder à un examen scrupuleux, sur la base des éléments fiables en sa possession, des avantages et des désavantages, d’une part, de l’option consistant à mettre en faillite la société filiale et, d’autre part, de l’option consistant à procéder à un investissement public aux fins d’assurer la survie de l’entreprise, en examinant notamment, dans ce dernier cas, les perspectives de rentabilité que peut escompter l’investisseur public (pt. 366). Or, relève le Tribunal, en l’espèce, même si la Commission a considéré que le coût de l’augmentation de capital du 23 février 2017 aurait été, pour PostNord, inférieur à celui de la faillite de Post Danmark, il ressort de la décision attaquée qu’elle s’est, en réalité, exclusivement fondée sur les conséquences négatives d’une procédure de faillite concernant Post Danmark, sans exclure qu’une telle procédure pût, malgré tout, être plus avantageuse qu’une augmentation de capital qui, par exemple, n’aurait offert aucune perspective de rentabilité, même à long terme (pt. 367).

Dans ces conditions, le Tribunal estime que la Commission n’a pas effectué un examen complet et suffisant qui l’a conduite à établir la supériorité de la mesure d’augmentation de capital du 23 février 2017 sur la mise en faillite de Post Danmark. La solution retenue par la Commission dans la décision attaquée revient à admettre que tout apport en capital réalisé par une société à capitaux publics, au profit de sa filiale faisant face à un risque soudain de faillite, répond, par principe, au critère de l’investisseur privé en économie de marché (pts. 374-375).

JURISPRUDENCE UE : Soutenant l’existence d’un effet direct de l'article 101, § 1, TFUE et de l'article 53, § 1, de l'accord sur l'EEE au profit des juridictions nationales, l’avocat général Bobek considère que les victimes du cartel du fret aérien peuvent se prévaloir de la violation de ces dispositions devant une juridiction nationale pour obtenir réparation, même pour la période pendant laquelle les articles 104 et 105 TUE étaient encore applicables

 


Le 6 mai 2021, l’avocat général Michal Bobek a rendu ses conclusions dans l’affaire C-819/19 (Stichting Cartel Compensation e.a.), à la suite de la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal d’Amsterdam.

La présente affaire s’inscrit dans les suites de la décision de la Commission du 17 mars 2017 aux termes de laquelle cette dernière a réadopté une précédente décision annulée par le Tribunal de l’Union en raison d'un vice de procédure, et, ce faisant, sanctionné le cartel du fret aérien en infligeant à onze transporteurs des amendes pour un montant total de 776 465 000 EUR.

Les requérantes, deux sociétés créées spécifiquement afin de recouvrer les créances qu’elles ont acquises à titre de dommages‑intérêts auprès de victimes d’infractions au droit de la concurrence, préalablement constatées par les autorité de concurrence, ont engagé une action privée en réparation contre les transporteurs de fret aérien sanctionnés par la Commission devant le Tribunal d’Amsterdam. Mais comme elles demandent à la juridiction de renvoi de constater l’existence d’infractions commises au cours de la période allant de l’année 1999 à l’année 2006, C’est-à-dire antérieurement au 1er mai 2004 (pour les liaisons UE-pays tiers), au 19 mai 2005 (pour liaisons avec des pays tiers parties contractantes à l’EEE mais non membres de l’Union), et au 1er juin 2002 pour les liaisons UE-Suisse, périodes pendant lesquelles les autorités (administratives) des États membres étaient responsables de la mise en œuvre des principes (désormais) contenus à l’article 101 TFUE, par application du « régime transitoire » défini aux articles 104 et 105 TFUE, les requérantes fondent leurs demandes sur l’effet direct de l’article 101 TFUE pour établir la compétence de la juridiction nationale, pour les périodes litigieuses, indépendamment de la mise en œuvre administrative du droit de la concurrence.

la juridiction de renvoi, qui, s’estimant compétente pour appliquer l’article 101, § 1, TFUE et l’article 53, § 1, de l’accord EEE aux comportements en cause et pour les périodes litigieuses, nourrit cependant quelques doutes quant à sa compétence au regard notamment de l’arrêt rendu par les juridictions du Royaume‑Uni dans l’affaire La Gaitana Farms SA e.a./British Airways Plc, a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le juge national est-il compétent, dans un litige opposant des parties lésées (en l’espèce, les expéditeurs, à savoir ceux qui achètent des services de fret aérien) à des compagnies aériennes, pour appliquer pleinement l’article 101 TFUE, ou du moins l’article 53 [de l’accord EEE] – soit en raison de l’effet direct de l’article 101 TFUE, ou du moins de l’article 53 [de l’accord EEE], soit en vertu de (l’effet immédiat de) l’article 6 du règlement n° 1/2003 – aux accords/pratiques concertées des compagnies aériennes en ce qui concerne des services de fret sur des vols ayant été effectués, d’une part, avant le 1er mai 2004 sur des liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’[Union] et des aéroports situés en dehors de l’EEE et, d’autre part, avant le 19 mai 2005 sur des liaisons entre l’Islande, le Liechtenstein ou la Norvège et des aéroports situés en dehors de l’EEE, ainsi que sur des vols ayant été effectués avant le 1er juin 2002 entre des aéroports situés à l’intérieur de l’[Union] et la Suisse, et ce également au cours de la période durant laquelle le régime transitoire prévu aux articles 104 et 105 TFUE était en vigueur, ou bien le régime transitoire s’y oppose‑t‑il ? »

En substance, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les juridictions nationales peuvent appliquer l’interdiction énoncée à l’article 101, § 1, TFUE lorsque les pratiques anticoncurrentielles en cause ont eu lieu, pour l’essentiel, durant la période d’application du « régime transitoire ».

Les transporteurs de fret aérien sanctionnés soutiennent  quant à eux que les juridictions nationales n’étaient pas compétentes pour appliquer l’article 101, § 1, TFUE et ce pour deux raisons. D’une part, le Conseil, agissant sur le fondement de l’article 103 TFUE, a limité le champ d’application ratione materiae de l’article 101 TFUE. Dès lors, le secteur du transport aérien n’a pas été pleinement soumis aux « principes » contenus dans cette disposition avant la date d’application du règlement n° 1/2003. D’autre part, en vertu du « régime transitoire », seule une autorité nationale de concurrence, et, dans certains cas, la Commission, pouvait prendre position sur la compatibilité d’un accord anticoncurrentiel avec l’article 101 TFUE. Compte tenu de ces limitations de l’article 101, § 1, TFUE, le principe d’homogénéité exige de limiter l’effet direct de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE de la même manière (pt. 39).

À la faveur des présentes conclusions, l’avocat général Bobek s’attache à écarter une à une les objections des transporteurs de fret aérien.

En premier lieu, sur l’incidence du « régime transitoire » sur l’article 101 TFUE, l’avocat général Bobek constate que les articles 104 et 105 TFUE n’emporte pas « mise sur pause » de la compétence des juridictions nationales : aucune de ces deux dispositions ne limite l’application de l’article 101 TFUE à l’égard des juridictions nationales. Les articles 104 et 105 TFUE se limitent à prévoir les modalités de l’application administrative de l’article 101 TFUE pendant la période allant jusqu’à ce que le Conseil décide de prendre des mesures en vertu de l’article 103 TFUE (pt. 44). Ainsi, même lorsque les règles de « mise en œuvre » requises ne sont pas encore en place, le « principe de base », tel qu’énoncé dans la disposition du traité, est appliqué, si tant est qu’il est directement applicable, de manière autonome par toutes les autorités nationales compétentes, y compris notamment les juridictions nationales appelées à les appliquer dans les affaires dont elles sont saisies (pt. 48).

Se pose en deuxième lieu la question de l’effet direct de l’article 101, § 1, TFUE. Pour qu’il y ait effet direct d’une disposition du traité, il suffit que la disposition en cause soit suffisamment claire, précise et inconditionnelle (pt. 55). À cet égard, l’article 101, § 1, TFUE emporte une interdiction sans équivoque, établissant une obligation juridique claire et exécutoire : « Tu ne concluras point d’entente ». Cette consigne n’est assortie d’aucune condition : tout accord de ce type entre entreprises est « incompatible avec le marché intérieur ». C’est ce droit directement applicable, que les particuliers tirent directement du traité, qu’ils peuvent invoquer pour faire valoir leur demande et que les juridictions nationales doivent sauvegarder (pt. 55). Et le fait que la Commission ait été chargée de décider de l’applicabilité de l’article 101, § 3, TFUE ne constitue pas un problème pour la force exécutoire des droits fondamentaux visés à l’article 101, § 1, TFUE (pt. 59).

En somme, l’article 101, § 1, TFUE et ses prédécesseurs étaient directement applicables dès l’entrée en vigueur du traité CEE. Ils sont restés d’effet direct pendant toute cette période afin que les particuliers puissent faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales compétentes (pt. 68).

Quant à la prétendue limitation du champ d’application matériel de l’article 101, § 1, TFUE, soutenue par les transporteurs de fret aérien, selon lesquels ce n’est qu’à partir du 1er mai 2004, date d’application du règlement 1/2003, que les règles du droit de la concurrence de l’Union seraient devenues applicables au secteur du transport aérien, l’avocat général Bobek écarte l’objection. Il estime que le champ d’application des principes contenus dans l’article 101 TFUE était, par défaut, destiné à couvrir l’ensemble des secteurs économiques, le Conseil décidant s’il y a lieu de s’écarter de cet état de fait pour certains d’entre eux (pt. 73). Ainsi, le traité part du point de vue de la pleine application des règles de concurrence à l’ensemble des secteurs de l’économie : il énonce un champ d’application ratione materiae généralement illimité de l’article 101 TFUE dans l’intérêt de la réalisation d’un marché unique opérationnel, sous la seule réserve de la possibilité, « le cas échéant », de l’exclusion sectorielle spécifique prévue à l’article 103, § 2, sous c), TFUE (pt. 75). Or, aucune disposition du droit de l’Union n’emporte une exclusion sectorielle pour le transport aérien (pts. 76-78).

Dès lors, l’absence de toute règle spécifique dans le droit national régissant l’application juridictionnelle de l’article 101 TFUE ne saurait empêcher le Rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) d’appliquer l’article 101, paragraphe 1, TFUE au secteur des transports aériens, lorsque cette disposition est invoquée devant lui en vue d’obtenir un jugement déclaratoire et des dommages‑intérêts en raison du comportement anticoncurrentiel des défenderesses sur des liaisons UE‑pays tiers antérieurement au 1er mai 2004 (pt. 79).

Par ailleurs, estime l’avocat général Bobek, la même conclusion vaut pour l’article 53 de l’accord EEE. Comme l’article 101 TFUE, ses dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises, de sorte qu’elles ont un effet direct dans les États membres. Par ailleurs, en vertu du principe d’homogénéité, les dispositions de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité doivent être interprétées de manière uniforme, ce qui est le cas en l’espèce (pts. 84-85). En outre, il n’existe pas non plus, selon lui, de restrictions au champ d’application ratione materiae de l’article 53, § 1, de l’accord EEE qui entraveraient la possibilité pour les requérantes de se prévaloir de son effet direct devant la juridiction de renvoi pour demander un jugement déclaratoire et des dommages‑intérêts en lien avec la coordination par les défenderesses de différents éléments du prix à facturer pour des services de fret aérien sur des liaisons avec des pays tiers parties contractantes à l’EEE mais non membres de l’Union avant le 19 mai 2005 (pt. 90).

Au terme de son analyse, l’avocat général Bobek s’interroge sur l’articulation entre public et private enforcement. Même si pour des raisons pratiques les actions privées en réparation sont le plus souvent des actions consécutives aux décisions de constatation d’une infraction aux règles de concurrence par les autorités de concurrence, il existe également des actions autonomes (pts. 93-94). De sorte qu’il est inexact d’affirmer, selon lui, que, d’un point de vue juridique, la nécessité de cohérence et de coordination dans ce domaine du droit implique d’empêcher les juridictions nationales d’exercer leurs devoirs en vertu du droit de l’Union et du droit national, à savoir protéger les droits individuels qui découlent également de dispositions du droit de l’Union ayant un effet direct (pt. 95). Fort de ce constat, il se distancie de l’analyse à laquelle s’est livrée la High Court of England and Wales dans l’affaire Emerald Supplies Ltd/British Airways Plc, dans la mesure où la compétence des juridictions nationales pour appliquer de manière autonome le contenu de l’article 101, § 1, TFUE, dans le cadre de leurs compétences déjà prévues par le droit national, par exemple d’un recours en indemnisation, ne requiert, contrairement au public enforcement, aucune clause expresse d’habilitation au titre du droit de l’Union (pt. 97).

Au final, l’avocat général Bobek invite la Cour de répondre à la question préjudicielle posée comme suit : « Une partie qui s’estime lésée par la coordination de divers éléments du prix à facturer par des transporteurs pour des services de fret aérien sur les liaisons entre des aéroports situés à l’intérieur de l’Union européenne et/ou de l’Espace économique européen, ainsi qu’entre des aéroports situés sur ces territoires et dans les pays tiers, peut invoquer la violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen devant une juridiction nationale afin d’obtenir réparation de la part de ces transporteurs même pour la période au cours de laquelle les articles 104 et 105 TUE étaient encore applicables. »

JURISPRUDENCE : Fustigeant la lenteur de l’Autorité de la concurrence dans l’instruction de cette affaire, la Cour d’appel de Paris rejette néanmoins le recours contre la décision sanctionnant une pratique de devis de complaisance sur le marché du déménagement des militaires au départ de La Réunion

 


À la faveur d'un arrêt rendu le 6 mai 2021, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris rejette en tous points le recours introduit par l’une des trois entreprises de déménagement sanctionnées avec deux entreprises de transport par l’Autorité de la concurrence aux termes d’une décision n° 20-D-05 du 23 mars 2020 pour avoir mis en œuvre une pratique de devis de complaisance en vue de fausser la concurrence en ce qui concerne les déménagements des militaires.

Au soutien de son recours, l’entreprise faisait d’abord valoir une durée excessive de la procédure.

Au cas d’espèce, les faits remontaient à la période 2009-2013. Ils ont été mis au jour par un rapport administratif d'enquête de la brigade interrégionale d’enquête de concurrence d’Île-de-France, Haute et Basse-Normandie, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, datée du 14 novembre 2013. L’Autorité s’est saisie d’office de l’affaire le 14 mars 2014, de sorte qu’il a donc fallu plus de six ans à l'Autorité de la concurrence pour adopter une décision ! Et encore l'affaire a-t-elle été examinée selon la procédure simplifiée, c'est-à-dire sans établissement préalable d'un rapport !!! Au surplus, on ne peut pas dire que le cas était particulièrement complexe. Ça n’était pas la première fois que l’Autorité devait traiter de pratiques de devis de complaisance, et ce, dans le secteur du déménagement, et plus encore à destination des militaires… C’est si vrai que l’une des entreprises ici sanctionnée par l’Autorité l’avait déjà été par le Conseil de la concurrence en 1992 pour des pratiques similaires.

Sur ce point, fustigeant le train de sénateur adopté pour le traitement de cette affaire par l’Autorité (pts. 33-34), la Cour d’appel de Paris constate que, si certaines particularités de l’affaire peuvent expliquer que la procédure devant l’Autorité ait pris un certain temps, ils ne suffisent pas néanmoins, en l’absence de complexité de celle-ci, à justifier que cette procédure dite simplifiée ait duré six ans, de sorte que la durée de la procédure en cause était donc excessive (pt. 36).

Pour autant, la Cour constate que la requérante n’établit pas en quoi cette durée aurait porté une atteinte concrète et irrémédiable à son droit de se défendre (pt. 37). En dépit de la durée de la procédure, elle a été en mesure de présenter des observations détaillées en réponse à la notification des griefs et que ses écritures ont été accompagnées de pièces jointes destinées, notamment, à renverser la présomption d’imputabilité retenue à son encontre par les services de l’instruction. Elle n’a donc pas été mise dans l’impossibilité de se défendre utilement (pt. 40).

L’entreprise dénonçait encore la violation des principes de l’égalité des armes et de bonne administration de la justice tirée de ce que l’Autorité lui aurait imputé le comportement de sa filiale uniquement pour pallier l’insolvabilité de sa filiale, soumise à une procédure de liquidation judiciaire intervenue. À cet égard, elle faisait valoir que, du fait du choix de traiter cette affaire en procédure simplifiée, elle avait été privée de la possibilité de répliquer par une contestation raisonnée à la motivation présentée par le rapporteur dans son rapport. Bref, elle estimait avoir été privée d’un tour — écrit — de contradictoire.

Sur quoi la Cour de Paris, observant que la requérante n’avançait aucun élément de nature à démontrer ses allégations (pt. 51), relève que les principes de bonne administration de la justice et de l’égalité des armes ne peuvent conduire à écarter l’application de l’article L. 463-3 du code de commerce, aux termes duquel le rapporteur général de l’Autorité peut, lors de la notification de griefs aux parties, décider que l’affaire sera examinée sans établissement préalable d’un rapport. Ce choix procédural s’impose certes aux parties, en ce compris celle qui a pu ne pas être mise en cause lors de l’enquête administrative, mais la sanction pécuniaire est corrélativement plafonnée sur le fondement de l’article L. 464-5 du code de commerce et le respect du principe du contradictoire est assuré, à l’occasion des observations en réponse à la notification des griefs d’une part, lors de la séance, d’autre part, offrant à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris jusque devant la Cour (pt. 55). Ce faisant, la Cour d’appel valide la procédure simplifiée ancienne manière, qui comportait une contrepartie pécuniaire — le plafonnement de la sanction — à la privation d’un tour de contradictoire. Désormais, en l’absence de contrepartie matérielle, on peut espérer que la Cour sera plus attentive au respect du principe du contradictoire à la faveur des deux tours de contradictoire — l’un écrit et l’autre oral — restants…
 
Au cas d’espèce, la Cour d’appel de Paris observe que l’imputation des pratiques à la mère résulte du double constat que la requérante détenait 100 % du capital de sa filiale et qu’elle n’est pas parvenue à réfuter avoir exercé une influence déterminante sur sa filiale unipersonnelle, bien qu’elle ait été mise en mesure d’opposer une contestation raisonnée aux arguments avancés par l’Autorité dans sa notification des griefs (pt. 57).

Examinant la légalité interne de la décision de l’Autorité, la Cour parvient à la conclusion que la requérante a soutenu en vain que sa filiale se serait comportée de façon autonome, son analyse reposant sur des affirmations non étayées par des éléments concrets ou pertinents (pt. 86). Ainsi relève-t-elle que les liens capitalistiques entre le mère et la fille était anciens (pt. 71) et qu’il importe peu que les dirigeants des deux sociétés aient été distincts, que les sociétés n’aient pas eu les mêmes dénominations et que la mère n’ait pas créé de holding de participation et n’ait pas souhaité, comme elle en avait la faculté, que des comptes consolidés soient dressés (pt. 73).

Dès lors, retient la Cour, l’Autorité a fait en l’espèce une exacte application des règles relatives à l’imputabilité des pratiques et, partant, le moyen doit être rejeté, faute d’éléments probants permettant de renverser la présomption d’influence déterminante de TTDI sur DEM Austral, dont elle était l’associée unique (pt. 87).

Enfin, la requérante se plaignait de ce que l’Autorité avait méconnu le principe d’égalité de traitement. En substance, cette dernière n’aurait pas pris en compte le fait que la filiale de la requérante était en liquidation judiciaire, ni son incapacité contributive, alors que cette même circonstance a conduit l’Autorité à dispenser de sanction deux autres mises en cause.
 
Sur quoi la Cour d’appel de Paris, observant que la filiale de la requérante ne se trouvait pas dans une situation comparable à celle des deux autres mises en cause, qui, si elles aussi avaient été mises en liquidation judiciaire, étaient en revanche détenues par des personnes physiques et agissaient de manière autonome sur le marché. Étant placées dans une situation différente, ces entreprises pouvaient être sanctionnées de manière différente. En outre, ajoute la Cour, l’Autorité a bien pris en compte la situation financière de la filiale, auteure de la pratique, mise en liquidation judiciaire, mais également la situation financière de sa société mère, qui n’avait pas de difficultés financières particulières l’empêchant de s’acquitter de la sanction envisagée. De sorte que l’Autorité a fait en l’espèce une application appropriée des règles relatives à l’individualisation de la sanction, dans le respect du principe de l’égalité de traitement.

INFOS UE : La Commission rend publique sa proposition de règlement sur les subventions étrangères génératrices de distorsions au sein du marché unique

 

Le 5 mai 2021, la Commission a présenté sa proposition de règlement sur les subventions étrangères génératrices de distorsions au sein du marché unique et soumet cette proposition à une consultation publique d'une durée de huit semaines. Parallèlement, le texte sera soumis au Parlement européen et au Conseil de l’Union dans le cadre de la procédure législative ordinaire en vue d'adopter le texte final du règlement.

La proposition de règlement est accompagnée d'un rapport d'analyse d’impact de 120 pages, lequel a fait l’objet d’un résumé.

Le texte vise à combler un vide réglementaire au sein du marché unique. En effet, les subventions accordées par des pouvoirs publics de pays tiers ne sont actuellement soumises à presque aucun contrôle, tandis que les subventions accordées par les États membres font l'objet d'un examen approfondi, notamment au titre du contrôle des aides d’État. Le nouvel instrument vise à lutter contre les subventions étrangères lorsqu’elles provoquent des distorsions et nuisent à l'égalité des conditions de concurrence au sein du marché unique dans toutes les situations de marché. Il participe également aux objectifs de la stratégie industrielle actualisée de l'UE également adoptée aujourd'hui.

En vertu du règlement proposé, la Commission sera habilitée à enquêter sur les contributions financières accordées par les autorités publiques d'un pays tiers à des entreprises exerçant une activité économique dans l'UE et, s'il y a lieu, à remédier à leurs effets de distorsion.

En pratique, la proposition de règlement envisage l'introduction de trois outils, deux outils basés sur une obligation de notification préalable par l'acquéreur ou le soumissionnaire de toute contribution financière versée par les pouvoirs publics d'un pays tiers, et un outil général d'enquête sur le marché.

Le premier outil basé sur des notifications permettra d'examiner les opérations de concentration impliquant une contribution financière émanant des pouvoirs publics d'un pays tiers, lorsque le chiffre d'affaires dans l'UE de l'entreprise visée par l'acquisition (ou d'au moins une des parties à la concentration) est égal ou supérieur à 500 millions d'euros et que la contribution financière étrangère est d'au moins 50 millions d’euros.

Le second outil basé sur des notifications permettra d'examiner les offres soumises dans le cadre de marchés publics impliquant une contribution financière émanant des pouvoirs publics d'un pays tiers, lorsque la valeur estimée du marché public est égale ou supérieure à 250 millions d’euros ;

Enfin, le troisième outil, qui ne repose pas sur une obligation de notification, permettra d'examiner toutes les autres situations de marché, en ce compris les  opérations de concentration et les marchés publics ne franchissant pas les seuils de notification. La Commission pourra alors lancer de tels examens de sa propre initiative (examen d'office) et demander des notifications ad hoc lorsqu'elle suspecte l'existence d'une subvention étrangère.

Tant que l'examen de la Commission, enserré dans des délais contraignants, n'aura pas eu lieu, la concentration en question ne pourra être menée à son terme et le soumissionnaire qui fait l'objet de l'enquête ne pourra se voir attribuer le marché. En cas de non-respect de l'obligation de notifier, la Commission pourra infliger des amendes et examiner l'opération comme si elle avait été notifiée.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission, ainsi qu’à celle des questions-réponses sur le texte.

INFOS : L’Autorité sanctionne une nouvelle pratique d’obstruction, en dépit de la déclaration d’inconstitutionnalité du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, mais sous couvert de la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2021

 

Quand l’Autorité de la concurrence vient confirmer, par sa pratique décisionnelle, l’absence d’effet utile de la déclaration d’inconstitutionnalité du pouvoir de sanction des pratiques d’obstruction prononcée par le Conseil constitutionnel…

À ceux qui pourraient encore en douter, l’Autorité de la concurrence vient rappeler à la faveur d’une décision n° 21-D-10 du 3 mai 2021 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Fleury Michon que la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 qui a prononcé la non-conformité totale du second alinéa du V de l’article L. 464-2 du code de commerce, mais seulement dans la version du texte entre le 11 mars 2017 et 5 décembre 2020, alors même que le libellé du texte n’a pas changé d’une virgule depuis 2008, est « sans conséquence » aucune pour l’Autorité.

Non seulement les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur, mais, même lorsque ces dispositions sont en cause, le Conseil constitutionnel a ajouté une autre réserve pour être bien sûrs que la non-conformité totale du second alinéa du paragraphe V de l'article L. 464-2 du code de commerce prononcée resterait sans conséquence aucune : si les dispositions déclarées inconstitutionnelles sont bien abrogées à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, ce dernier décide, en revanche, dérogeant en cela au principe selon lequel la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, que, dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée lorsque l'entreprise poursuivie a préalablement fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article L. 450-8 du code de commerce.

Or, c’est précisément cette seconde réserve énoncée par le Conseil constitutionnel que l’Autorité se fait un plaisir de mettre en oeuvre, à la faveur de la présente décision.

Au cas d’espèce, les faits d’obstruction — ne pas avoir prévenu les services d’instruction au cours de la procédure qui a conduit à la condamnation du cartel du jambon par décision n° 20-D-09 du 16 juillet 2020 que l’une des sociétés du groupe Fleury Michon mise en cause dans cette affaire avait disparue à la suite d’une opération de fusion-absorption au profit d’une autre société du même groupe — ont été constaté au moment où les dispositions du second alinéa du V de l’article L. 464-2 du code de commerce déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, étaient en vigueur, c’est-à-dire entre le 11 mars 2017 et 5 décembre 2020 (pt. 25).

Qu’à cela ne tienne ! L’Autorité met ici en œuvre la seconde réserve énoncée par le Conseil constitutionnel. Ainsi, « dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée lorsque l'entreprise poursuivie a préalablement fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article L. 450-8 du code de commerce ». Or, constate l’Autorité, le groupe Fleury Michon n’ayant pas fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du code de commerce, il ne peut invoquer la déclaration d’inconstitutionnalité précitée (pt. 29). Fermez le ban !

Comme dans les deux précédentes affaires d’obstruction, l’Autorité de la concurrence n’hésite pas, là encore avec l’approbation du Conseil constitutionnel, à imputer les faits d’obstruction de la filiale à sa mère et d’opposer à la société Fleury Michon, qui détenait 100 % du capital des sociétés Fleury Michon Charcuterie et Fleury Michon LS pendant la durée des pratiques, la présomption selon laquelle, constituant une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de ses filiales (pt. 62).

Quand à la détermination de la sanction, et quoiqu’elle retienne que le comportement des sociétés du groupe Fleury Michon mises en cause est constitutif d’une infraction grave, amplifiée par la circonstance qu’il a perduré après l’envoi de la notification de griefs, l’Autorité se contente d’infliger une sanction solidairement aux sociétés Fleury Michon LS et Fleury Michon d’un montant de 100 000 euros… Très loin assurément du plafond de 1 % du montant du chiffre d'affaires mondial dudit groupe, qui a déclaré un chiffre d’affaires de 735,4 M€ en 2020… et sans commune mesure avec les sanctions pour obstruction infligées dans les deux précédentes affaires…

Il est clair en tous cas qu’alors même que l’Autorité invoque au point 67 la nécessité de garantir à l’amende prononcée un effet suffisamment dissuasif, ce qui revêt d’autant plus d’importance pour la sanction des infractions ne doivent pas pouvoir estimer qu’il serait avantageux pour elles de faire obstacle à une instruction, et de se prémunir ainsi à bon compte de toute possibilité de sanction, la présente décision est tout sauf dissuasive…

À l’évidence, l’intérêt de la présente décision est à rechercher ailleurs… peut-être dans un message à peine subliminal adressé non seulement à la Chambre commerciale de la Cour de cassation, mais également à la Cour d’appel de Paris, l’une et l’autre appelées à se prononcer prochainement sur cette question dans les affaires Akka et Brenntag.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

EN BREF : La Commission publie les 90 contributions reçues sur le Digital Markets Act (DMA)

 

Le 5 mai 2021, la Commission a rendu publiques les quelques 90 contributions qu’elle a reçues à propos du paquet législatif sur les services numériques et notamment du Digital Markets Act (DMA), instrument de régulation ex ante des plateformes structurantes en ligne jouant le rôle de contrôleurs d’accès («gatekeepers»).

Sept contributions émanent d’acteurs ou d’organisation français (L’AFNUM, Groupe Canal +, Fondation Descartes, Medef, La Poste, Cigref dans 2 contributions).

EN BREF : Premiers indices des améliorations que la Commission entend apporter aux règles relatives aux accords horizontaux de R&D et de spécialisation

 

Le 6 mai 2021, la Commission européenne a publié un document de travail de ses services qui résume les conclusions de l'évaluation des deux règlements horizontaux d'exemption par catégorie relatifs aux accords de R&D et aux accords de spécialisation, ainsi que des lignes directrices horizontales, qui expirent le 31 décembre 2022.

Il est accompagné d’un résumé de cette évaluation en français.

L’évaluation indique que, globalement, les règlements d’exemption par catégorie applicables aux accords horizontaux et les lignes directrices horizontales répondent à leurs objectifs. Elle recense toutefois plusieurs domaines dans lesquels l’efficacité peut être renforcée. Les REC applicables aux accords horizontaux et les lignes directrices horizontales ne seraient pas tout à fait adaptés aux transformations économiques et sociétales survenues ces dix dernières années, notamment la digitalisation de l’économie et la poursuite d’objectifs de durabilité. Certaines des dispositions des règlements sont considérées comme rigide et complexes, tandis que d’autres sont jugées peu claires et difficiles à interpréter par les entreprises. Le niveau de sécurité juridique fourni par les lignes directrices horizontales est jugé inégal pour les différents types d’accords de coopération horizontale couverts.

L’évaluation recense également un certain nombre de domaines dans lesquels les textes des règlements d’exemption par catégorie applicables aux accords horizontaux et des lignes directrices horizontales sont jugés insuffisamment clairs, trop stricts ou difficiles à interpréter.

Au cours des prochaines semaines, la Commission lancera la phase d'analyse d'impact du réexamen, afin d'examiner les problèmes recensés au cours de l'évaluation, en vue d'une révision des règles d'ici au 31 décembre 2022, date à laquelle les règles actuelles expireront. Les parties prenantes auront la possibilité de présenter des observations sur l'analyse d'impact initiale et de faire connaître leur point de vue dans le cadre d'une consultation publique prévue pour la mi‑2021. Au début de l'année prochaine, la Commission publiera un projet de règles révisées afin de recueillir les observations des parties prenantes.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission.

 

Bonjour,
 
Concurrences et University College London ont le plaisir de vous inviter à la conférence « International Mergers » qui aura lieu en ligne par le biais d'une série de 4 webinaires entre le 17 et 20 mai 2021.
 
Cette seconde édition abordera les thèmes suivants :

— « Reconciling efficiencies and public policy objectives: FDI, FFD, non-competition considerations… »

— « The counterfactual scenario in times of crisis »

— « Remedies: Design, implementation & revision of remedies »

— « Challenges for mergers in the digital economy »

— « The role of the courts in merger review »
 
Parmi les intervenants figurent notamment : Joel Bamford, Tembinkosi Bonakele, Étienne Chantrel, Cani Fernández, Peter Freeman, Frédéric Jenny, Ioannis Lianos, Birthe Panhans, Pierre Régibeau, Ulla Schwager, Martijn Snoep, Christopher Vajda...
 
Vous pouvez vous inscrire et consulter le programme complet ICI.

Pour toute question, merci de contacter par e-mail.

Nous espérons vous accueillir — virtuellement — nombreux pour cette 2ème édition.

Bien cordialement,
 
Nicolas Charbit | Rédacteur en chef, Concurrences
Achet-Billa Saleh | Global Events Manager, Concurrences

L'évaluation judiciaire des préjudices économiques

23 juin 2021, 09:00-13:00

 

Bonjour,


L’EFB organise en liaison avec l'ENM un webinaire sur « L'évaluation judiciaire des préjudices économiques ».

La manifestation aura lieu en ligne le 23 juin 2021, de 09:00 à 13:00.

Charlotte de Cabarrus, conseillère référendaire à la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et Jean-François Laborde, expert près la Cour d'appel de Paris et près les cours administratives d'appel de Paris et de Versailles interviendront lors de cette formation.

Bien cordialement,

Jean-François Laborde
Expert près la Cour d'appel de Paris et près les cours administratives d'appel de Paris et de Versailles.

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