💰 I'LL BE THERE FOR YOU*
Il faut qu’on avoue une chose. Depuis qu’on écoute Diam’s et Vitaa, on rêve de monter notre chorale de l’an 2000 avec nos meilleures potes. Malheureusement, cette aspiration nous paraît, 22 ans plus tard, un poil utopiste, notamment parce que notre rituel matinal clips de hip-hop sur MTV x bol de Chocapics s’est transformé en métro x vélo x auto x boulot, avec option kiddo. Heureusement, chez Voxe, on répond contre-kems à la vie dès qu’elle freine nos emportements, on t’a donc mitonné un dossier 100 % amitié.
Ralentis Mélanie, qu’en dit le dico ?
"Amitié : 1/ Sentiment réciproque d'affection ou de sympathie qui ne se fonde ni sur la parenté ni sur l'attrait sexuel. 2/ Marque d'affection, témoignage de bienveillance." On comprend : tes amis ne sont ni ton mec, ni ta meuf et ni ta mère, mais quelqu’un avec qui tu t’entends bien et à qui tu peux t’identifier.
On l’a toujours vu comme ça ?
Pas vraiment : au temps de l’Antiquité et des philosophes grecs, l’amitié, aka philia, désigne toute relation qui lie à un groupe social, y compris les mariages, les cousinades et les partis politiques. Une notion plus proche de la fréquentation ou de la camaraderie que du lien infaillible qui lie Diam’s à Vitaa.
Je sors mon 4 couleurs.
Pour le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C. ), philia regroupe 3 types d’amitié :
-
l’amitié utile, fondée sur l’intérêt et qu’on peut donc rapprocher des alliances politiques par ex,
-
l’amitié agréable, qui repose sur le plaisir et correspondrait aux "potes de teufs" contemporains ou encore à 2 enfants qui s’allient sur la plage le temps de construire un château de sable,
-
et l’amitié parfaite, celle que 2 personnes nourrissent de leur vertu et pour le bien.
Et cette dernière nous intéresse tout particulièrement ?
Toutafé. La plus exigeante, solide et durable de toutes, et là, on met le doigt sur Diam’s feat. Vitaa. Par vertu, Aristote veut dire "apprentissage", c’est-à-dire construire, nouer, consolider son amitié par les expériences et l’éducation qu’on partage avec ses potes. Et par "bien" il veut dire "ni son intérêt ni son plaisir". Pour résumer, amitié = émotions et expériences partagées pour vivre nos meilleures vies - plus sereines, plus plaisantes, plus solides - ensemble.
Et ensuite ?
Au Moyen Âge, les aristocrates au pouvoir parlaient d’amicitia, mais on était encore loin de la dynamique entre nos 2 rappeuses préfs, puisque ce concept englobait seulement les liens diplomatiques, donc intéressés. Même si un "ami" est considéré comme un égal, l’entente sert à créer une alliance et se donner assistance en cas de danger. Le principe : plus ton réseau de potes est grand, plus t’es puissant.
Et concrètement, ça ressemblait à quoi ?
Pour démontrer leur popularité, les chefs de territoire organisaient des banquets où ils embrassaient leurs amis devant le public, un peu comme un utilisateur Instagram posterait des stories avec ses autres amis influenceurs pour asseoir sa notoriété. Du bisou sur la bouche à l’accolade, il y avait différents niveaux d’alliance guerrière pour faire plus ou moins peur aux potentiels ennemis. Ça fait d’ailleurs aussi penser aux câlins qu’Emmanuel Macron offre aux alliés diplomatiques de la France.
Fun ! Mais l'amitié devait bien exister ?
Yep, des écrits historiques comme les chants troubadours le prouvent, simplement, on n’avait pas encore LE mot pour le dire, plutôt des émotions chantées ou des concepts philosophiques.
Un peu comme Montaigne et La Boétie ?
20/20 ! L’amitié entre Michel et Étienne, 2 politiques et essayistes majeurs de la Renaissance française, est l’illustration emblématique de l’amitié parfaite à la Aristote. À 2, à coups d’essais politiques acérés et débats sulfureux, ils réfléchissent à un modèle de société humaniste et pacifiste tandis que des guerres de religion éclatent. Surtout, ils affirment régulièrement l’importance qu’ils accordent à leur relation et comprennent qu’une société en paix est le résultat d’une multitude d’amitiés entre les individus qui la composent.
Verse-moi du miel.
L’une des citations les plus connues de Montaigne explique justement son affection pour son BFF : "Parce que c’est moi, parce que c’est lui." Dixit La Boétie : "L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne se met jamais qu’entre gens de bien et ne se prend que par mutuelle estime, elle s’entretient non pas tant par bienfaits que par bonne vie."
Cœur avec les doigts. Et à part les bromances ?
Héhé, tu fais bien de le rappeler. On pense à l’auteure anglaise Virginia Woolf, qui dans son roman Une Chambre à soi, publié en 1929, proteste contre l’absence de représentations pertinentes d’amitiés féminines dans la fiction.
What else ?
Simone Weil - philosophe française du début du 18e siècle - voit l’amitié comme la réponse à tous les problèmes relationnels. Pour elle, entre autres, l’amour implique des contradictions à la "fuis-moi je te suis et suis-moi je te fuis", où on est frustrée de ne pas pouvoir être 100 % fusionnelle avec l’autre, alors qu’on ne supporterait en réalité pas une fusion aussi totale.
Tu as toute mon attention, Simone.
Nos relations - tout comme notre rapport à toute chose dans la vie - seraient animées par le bien (se faire plaisir, la liberté) et/ou la nécessité (survivre, la dépendance). Si on calibre convenablement ces 2 moteurs, on respecte la liberté de tous et on se fait du bien, on atteint "l’harmonie surnaturelle" et on atteint "l’amitié originelle (...), l’essence même de Dieu". Pour y arriver, il faut mettre en pratique un savant mélange de bienveillance, de respect, de réciprocité, de savoir s’écouter et exprimer ses émotions.
Tu me résumes le cours de philo ?
De l’Antiquité à Simone Weil en passant par la Renaissance, certains des grands philosophes estiment que l’amitié est LA relation parfaite qui permet de s’épanouir, tout en construisant nos meilleures vies et en améliorant la société dans son ensemble. On retient donc que les philosophes nous conseillent d’accorder une attention particulière à nos friends pour atteindre "l’essence même de Dieu" évoquée par S. Weil, aka La Chorale de l’an 2000 rappée par Diam’s.
Wow, d’accord, et comment je fais pour y arriver ?
Direction les post-it, Brigitte ! Pour les écrire, on a lu Platonic: How the Science of Attachment Can Help You Make - and Keep - Friends de la psychologue Marisa Franco, la guru américaine de l’amitié à l’âge adulte. Elle y décortique les mécanismes psycho-sociaux qui bloquent la naissance ou l’épanouissement d’amitiés après 30 ans.
Psst… Si tu parles anglais et veux un récap audio du bouquin (avec un TRÈS FORT accent californien, hello Paris Hilton), tu peux.
Pourquoi les amis sont importants ?
- Problème : l’isolement est l’un des plus gros facteurs de dépression chronique, il pèserait aussi lourd que 15 cigarettes par jour dans la balance d’une mort précoce.
- Solution : nos amis. Ils sont d’excellents anti-dépresseurs et bons pour la santé physique, nous aident à construire nos identités, à nous affirmer.
- Enjeu : valoriser nos besties et leur accorder du temps dans la mesure du possible.
Pourquoi c'est plus dur à l'âge adulte ?
- Problème : on croit que les amitiés se créent par chance et s’entretiennent par elles-mêmes, comme pendant notre enfance, alors que se faire des amis et les garder requiert des efforts.
- Solution : construire une "infrastructure dédiée aux amitiés" où on se cale des créneaux réguliers dédiés aux potes, par exemple s’inscrire à un cours hebdo avec l’une, instaurer un dîner bi-mensuel avec d’autres, rejoindre un club pour en rencontrer de nouveaux.
- Enjeu : oser se lancer, ne pas s’arrêter au premier vent et aller vers d’autres personnes, il y aura toujours quelqu'un d’autre à la recherche de nouveaux potes.
Comment rendre mes amitiés existantes plus solides ?
- Problème : on ne réalise généralement pas qu’une amitié saine nécessite autant d’implication et de créativité qu’un couple épanoui.
- Solution : dédier du temps à ses amis. Par exemple : proposer de nouvelles expériences, instaurer des règles de communication et surtout, en cas de conflit, être dans la bienveillance, la transparence, l'échange, et avoir de petites attentions l’une pour l’autre.
- Enjeu : accepter que les amitiés soient fluctuantes, en profiter pour donner de l’intensité à chaque relation selon ses besoins.
Comment gérer ma peur du rejet ?
- Problème avec les nouveaux amis : l’estimation de notre popularité reflète notre amour-propre, on a donc tendance à la sous-estimer. Marisa Franco appelle cet effet the liking gap, qu’on pourrait traduire par le décalage affectif.
- Solution : partir du principe que les gens nous aiment sans trop se prendre la tête. Un comportement optimiste qui apporte chaleur et pétillements à nos conversations et nous rend donc attractifs.
- Problème avec les amis qu’on a déjà : à cause du décalage affectif, on ne remarque pas les gestes mignons de nos potes envers nous, ou alors on les sous-estime, donc on doute de soi et ça crée un cercle vicieux où on finit par douter de leur loyauté.
- Solution : partager nos insécurités avec nos amis et être attentif à leurs gestes.
- Enjeu : si on se prend effectivement un vent, être fière de rester en mouvement plutôt que de rester focus sur le sentiment d’échec.
Comment s'assurer que son amitié est saine ?
- Problème : la peur d’être une personne trop envahissante, pas assez présente, ou au contraire de se laisser envahir ou délaisser par the pote qu’on a pourtant envie de garder dans sa vie.
- Solution : poser ses limites en alignant nos capacités internes avec leurs besoins et exiger que la personne fasse la même chose pour nous. Par exemple : "Cette situation me met mal à l’aise parce qu’elle est trop en décalage avec mon caractère."
- Enjeu : trouver le juste milieu entre la protection de soi et protéger sa relation amicale.
Comment accepter la fin d'une amitié ?
- Problème : tous les 7 ans, on remplace à peu près la moitié des membres de notre réseau proche par de nouvelles personnes. Il est donc normal de perdre des amis au cours de sa vie. Ceci dit, ça peut être douloureux, parce qu’on ne nous a pas appris à faire ce type de deuil.
- Solution : pour guérir, il faut se tourner vers notre communauté et articuler sans retenue qu’on vit un deuil, même si c’est le deuil d’une amitié, pas forcément reconnu comme tel par la communauté.
- Enjeu : se donner le temps et l’espace de le vivre en le racontant à nos autres amis pour trouver du réconfort.
👩🚀 À chiper, à choper
-
Écoute Les copines d’abord, par Charlotte Bienaimé sur ARTE Radio, l’histoire d’Avril & Alenka, tellement BFF qu’elles ont rassemblé leurs proches pour célébrer leur relation en se "mariant". Un témoignage puissant, rythmé par les commentaires de sociologues ayant travaillé sur la place de l’amitié dans nos sociétés.
-
Lis Une vie comme les autres, de l'auteure américaine Hanya Yanagihara, qui a secoué les lettres américaines en racontant les liens tissés entre Willem, JB, Malcolm et Jude, 4 amis de la fac, à New York, à travers plusieurs dizaines d’années. Attention, tu ne t’en remettras pas.
-
Regarde Bande de filles, de Céline Sciamma, où Marieme se lie d’amitié avec 3 autres adolescentes et sort de sa solitude pour mieux se construire en dehors des injonctions familiales et sociétales.
-
Écoute la playlist ultime des 10 titres de rap qui parlent d’amitié par Booska-p, ou la spéciale Galentine’s Day de Madmoizelle.
Qu'as-tu pensé cette Friteletter ?
😍 😐 🙄
|
