Copy
L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
Voir cet e-mail dans votre navigateur
                     Hebdo n° 6/2023
                           6 mars 2023
Actualités de la semaine du 6 au 10 février 2023
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE QPC : Affirmant que la décision de l’Autorité de la concurrence de refuser les engagements proposés fait grief aux entreprises, le Conseil constitutionnel considère que ce refus doit être regardé comme une décision de fond susceptible de faire l’objet d’un recours immédiat en application de l’article L. 464-8 du code de commerce, et déclare, au vu de cette lecture de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, cette dernière disposition conforme à la Constitution

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Relevant, d’une part, qu’une des mesures accordées à la compagnie aérienne low cost Wizz Air, générale en apparence, n’avait bénéficié dans les faits qu’à cette dernière et, d’autre part, que la conclusion de la Commission selon laquelle un opérateur privé en économie de marché avisé aurait conclu les accords de 2008 était entièrement fondée sur des éléments de preuve établis ex post, le Tribunal de l’Union annule la décision de la Commission validant les aides roumaines à l’aéroport international de Timișoara en raison d’erreurs de droit concernant le caractère sélectif et le caractère avantageux desdites mesures

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le « socio » (membre) d’un club professionnel de football n’est pas une « partie intéressée » au sens du règlement 2015/1589 et, partant, ne peut se plaindre auprès de la Commission de l’existence d’une aide d’État illégale au profit du PSG qui lui aurait permis de recruter Lionel Messi


INFOS UE : Subventions étrangères : la Commission lance une consultation publique d’un mois sur son projet de règlement d'exécution

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris constate la caducité du recours formé contre la décision n° 22-D-17 à la faveur de laquelle l’Autorité a sanctionné l’ELD Gaz de Bordeaux à hauteur d’un million d’euros pour avoir utilisé les moyens du monopole afin d'anticiper la fin du tarif réglementé et développer son activité concurrentielle


INFOS : S’interrogeant sur les éventuels effets d’une acquisition de Smartbox par Wonderbox dans le secteur des titres cadeaux, l’Autorité de la concurrence lance un test de marché de 3 semaines

ANNONCE : Les actes du colloque sur « L’application du droit de la concurrence par les trois autorités françaises de concurrence en outre-mer » sont en libre accès [Message de Rayhane Ricci]

JURISPRUDENCE QPC : Affirmant que la décision de l’Autorité de la concurrence de refuser les engagements proposés fait grief aux entreprises, le Conseil constitutionnel considère que ce refus doit être regardé comme une décision de fond susceptible de faire l’objet d’un recours immédiat en application de l’article L. 464-8 du code de commerce, et déclare, au vu de cette lecture de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, cette dernière disposition conforme à la Constitution

 

Il est des décisions du Conseil constitutionnel déclarant une disposition déférée conforme à la Constitution qui donnent aux entreprises à l’origine de la QPC, sinon toute satisfaction, du moins satisfaction sur l’essentiel. Ainsi en va-t-il de la décision n° 2022-1035 QPC rendue par le Conseil le 10 février 2023.

En effet, si le Conseil constitutionnel déclare bien conforme à la Constitution l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, qui prévoit que l’Autorité de la concurrence peut accepter des engagements, mais ne dit rien sur sa faculté de les refuser, c’est précisément parce qu’il propose une lecture de la disposition différée correspondant, pour l’essentiel, à celle qu’avançait les entreprises, et radicalement opposée à la lecture qu’en faisait non seulement l’Autorité de la concurrence, mais aussi la Cour d’appel de Paris, ouvrant la voie à une censure de cette dernière par la Cour de cassation.

Mais reprenons les choses dans l’ordre.

On se souvient qu’à la faveur d’une décision rendue le 7 décembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, dans la version en vigueur du 11 mars 2017 au 5 décembre 2020, laquelle dispose que l’Autorité de la concurrence « peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 ».

À l’origine de ce renvoi, se trouve une demande de question prioritaire de constitutionnalité formée par les sociétés Sony Interactive Entertainment France (SIEF) et Sony Interactive Entertainment Europe Limited (SIEE), à l'occasion du pourvoi qu'elles ont introduit contre l'arrêt rendu le 21 avril 2022 par la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris et à la faveur duquel, on s’en souvient aussi, elle avait déclaré irrecevable le recours des sociétés Sony contre la décision n° 20-S-01 en date du 23 octobre 2020 prise par le Collège de l’Autorité de refuser les engagements proposés par celles-ci après test de marché et de renvoyer le dossier à l’instruction.

C’est donc par un communiqué quelque peu laconique daté du 26 octobre 2020, que l’Autorité de la concurrence a annoncé que le Collège avait décidé de ne pas accepter et donc de ne pas rendre obligatoires les engagements proposés un an plus tôt par Sony, ceux-là mêmes qui visaient à rendre l’octroi de licences officielles pour la fabrication et la commercialisation de manettes compatibles avec la console de jeux Playstation 4 plus transparent et non discriminatoire. Pour le Collège, dans leur version ultime, les engagements de Sony ne permettaient pas de répondre de façon pertinente aux préoccupations de concurrence identifiées par les services d’instruction. En conséquence, le collège avait renvoyé le dossier à l’instruction pour que celle-ci puisse reprendre son cours.

Devant la Cour d’appel, SIEF et SIEE avaient soutenu en substance que la décision de renvoi à l'instruction constituait, en réalité, une décision au fond, en ce qu'elle tranchait la question de savoir si les derniers engagements proposés par elles étaient de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence identifiées dans l'évaluation préliminaire, que cette décision leur faisait au surplus grief en ce qu'elle les privait de la chance de pouvoir conclure favorablement la procédure d'engagements en mettant un terme final à cette affaire sans la moindre qualification d'infraction ni la moindre sanction, sans compter que cette décision de renvoi à l’instruction constituait un acte de « name and shame » susceptible de leur créer un préjudice d’image. Par suite, selon les requérantes, la décision attaquée était susceptible de recours, au même titre et, par une espèce de parallélisme des formes, que les décisions d’acceptation d’engagements.

La Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris n’avait donc pas fait droit à cette demande, considérant à l’inverse qu’il résulte clairement du libellé de l'article L. 464-8 du code de commerce que le recours en annulation ou en réformation des décisions de l'Autorité de la concurrence n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions qui y sont limitativement énumérées et qu’il résulte tout aussi clairement du libellé de l'article L. 464-2 du même code, auquel le premier renvoie, que seules les décisions d'acceptation des engagements proposés par les entreprises sont visées comme étant susceptibles de recours, à l'exclusion de celles portant refus desdits engagements. Or, ajoutait la Cour, à la différence des décisions d’acceptation d’engagements qui mettent fin à la procédure, les décisions de refus des engagements proposés, loin de constituer des décisions au fond, ne mettent pas fin à la procédure mais impliquent, au contraire, une reprise du cours de l'instruction. Par ailleurs, rappelait-elle, les entreprises ne disposent pas d'un droit aux engagements, l'Autorité jouissant d'un pouvoir discrétionnaire en la matière, et le Collège n'était dès lors pas tenu de formaliser sa décision de refus des engagements proposés ni, a fortiori, de la motiver. Au final, la Chambre de la régulation économique de la Cour d’appel de Paris avait considéré que la décision de rejet des engagements proposés ne saurait faire l'objet d'un recours immédiat, au même titre qu'une décision d'acceptation des engagements, d’autant que les entreprises concernées bénéficient d’une protection juridictionnelle effective dès lors qu’elles disposent d’un droit de recours contre la décision au fond.

Telle n’est pas du tout la lecture que fait de cette disposition le Conseil constitutionnel.

Les sociétés requérantes, relève-t-il dès l’abord, soutenaient que l’absence de recours spécifique contre la décision de l’Autorité de la concurrence de refus d’acceptation des engagements proposés par l’entreprise méconnaîtrait le droit à un recours juridictionnel effectif (pt. 3). Rappelant qu’il résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction (pt. 12), les magistrats de la rue Montpensier affirment immédiatement qu’« Au regard des conséquences qu’est susceptible d’entraîner pour l’entreprise en cause le refus d’acceptation d’engagements, ce refus doit être regardé comme une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en application de l’article L. 464-8 du code de commerce » (pt. 13).

Ce faisant, le Conseil constitutionnel retient d’abord que la décision de refus d’accepter les engagements opposées aux entreprises par le Collège de l’Autorité fait grief, comme le soutenaient les entreprises, en ce qu'elle les privait de la chance de pouvoir conclure favorablement la procédure d'engagements en mettant un terme final à cette affaire sans la moindre qualification d'infraction ni la moindre sanction.

Le Conseil déduit ensuite de cette première constatation que, pour permettre aux entreprises intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction, la décision de refus doit pouvoir faire l’objet d’un recours en application de l’article L. 464-8 du code de commerce. Autrement dit, et contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel de Paris, cette décision de refus, parce qu’elle fait, en elle-même, grief, est bien de celles qui sont visées par l’article L. 464-8 du code de commerce comme susceptibles d’un recours — immédiat — en annulation ou en réformation des décisions de l'Autorité de la concurrence et, partant, sans qu’il soit besoin d’attendre un hypothétique recours contre une éventuelle décision de sanction. Bref, pour le Conseil constitutionnel, la décision de refus est bien une décision au fond.

Sur ce point, il semble que les membres du Conseil constitutionnel ait été sensible à la description concrète du déroulement de la procédure d’engagements devant l’Autorité dans la présente affaire, et plus particulièrement à l’interrogation formulée lors de l’audience du 31 janvier 2023, par Jérôme Philippe, l’avocat des sociétés requérantes : Si sanction il y a, l’Autorité aura qualifié le comportement de pratique anticoncurrentielle. Dans ces conditions, que vaudra un moyen soutenant, lors d’un recours différé contre la décision de sanction que, au stade de l’examen des engagements, alors que les pratiques n'étaient pas encore qualifiées, une possibilité de sortie via des engagements a été indûment refusée à l'entreprise. Le fait qu’il y ait eu entre-temps qualification et sanction des pratiques va attraire toute l'attention et l’on ne voit pas comment la Cour d'appel pourrait dire : « Je suis d’accord avec la qualification retenue et avec la sanction infligée, mais vous n’auriez jamais dû à en arriver là, car vous avez indûment refusé une proposition d’engagements ».

Et puisque la disposition déférée prévoit, au moins implicitement, le droit à une recours immédiat devant le juge, sans attendre le recours contre la décision de sanction, plus rien ne justifie de retenir le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, lequel ne peut qu’être écarté (pt. 14). Par suite, conclut le Conseil, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus les autres exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Quid à présent de la suite de la procédure devant la Cour de cassation ? Fort de la présente décision et des conclusions adoptées dans son point 13, lues en liaison des points 3, 12 et 14 de la même décision, on peut raisonnablement penser que la Cour de cassation va censurer l’arrêt de la Chambre 5-7 de la Cour d’appel, puis renvoyer l’affaire en l’état devant la Cour de Paris autrement composée, et ce, afin qu’elle procède à un contrôle de proportionnalité de la décision de fond ayant conduit au refus des engagements proposés.

Le droit à un recours effectif constituait la principale demande des sociétés requérantes. Sur ce point elles obtiennent toute satisfaction. En revanche, le Conseil constitutionnel ne fait pas droit à leurs autres demandes, somme toute plus secondaires. En particulier, il écarte le grief tenant au risque de préjugement entre la procédure d’engagement, par hypothèse clôturée par un refus, et, par la suite, la procédure contentieuse pouvant conduire à des sanctions.

Sans convaincre, le Conseil se contente, en substance, de relever que les dispositions querellées ne conduisent pas à la qualification de pratiques prohibées (pt. 8), partant, que la procédure d’engagements n’a pas pour objet de prouver ou d’écarter la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner, mais uniquement de vérifier que les propositions d’engagements présentées par l’entreprise permettent de mettre fin aux préoccupations de concurrence identifiées par l’Autorité de la concurrence (pt. 9). Dès lors, les dispositions contestées n’ayant ni pour objet ni pour effet de conduire l’Autorité de la concurrence à préjuger la réalité et la qualification des faits qu’elle examine dans le cadre de la procédure d’engagements, la circonstance qu’elle pourrait avoir à connaître de ces mêmes faits dans le cadre d’une procédure de sanction faisant suite à une décision de refus d’acceptation d’engagements ne porte pas atteinte au principe d’impartialité (pts. 10-11).

À dire vrai, on pourra trouver l’argument un peu court. Les préoccupations de concurrence retenues par les services d’instruction, puis adoptées par le Collège, comporte, n’en déplaise aux magistrat de la rue Monpensier, une opinion, même si celle-ci n’est pas juridiquement formalisée, sur l’existence d’une probable atteinte à la concurrence. Ainsi que l’observait Jérôme Philippe lors de l’audience du 31 janvier 2023, si les engagements publiés sont finalement considérés comme non proportionnés aux préoccupations de concurrence, c'est bien que ces préoccupations existent et sont substantielles, c'est bien qu'il existe une situation non concurrentielle en l’absence d’engagements. À cet égard, gardons à l’esprit que le premier job des membres de l’Autorité consiste à attribuer une qualification à des pratiques, qu’ils sont en quelque sorte programmés pour ça. Il en est d’autant plus ainsi lorsque les membres du Collège qui ont à connaître de la procédure contentieuse, ont, au préalable, adopté une décision de refus des engagements proposées par les entreprises dont ils vont avoir à juger les pratiques. C’est si vrai que la seule fois où la question du refus des engagements et du retour au contentieux s’est posée — c’est-à-dire dans la présente affaire —, l’Autorité a, semble-t-il, décidé de confier la procédure contentieuse à une formation de jugement différente de celle qui avait eu à connaitre la procédure d’engagements…

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Relevant, d’une part, qu’une des mesures accordées à la compagnie aérienne low cost Wizz Air, générale en apparence, n’avait bénéficié dans les faits qu’à cette dernière et, d’autre part, que la conclusion de la Commission selon laquelle un opérateur privé en économie de marché avisé aurait conclu les accords de 2008 était entièrement fondée sur des éléments de preuve établis ex post, le Tribunal de l’Union annule la décision de la Commission validant les aides roumaines à l’aéroport international de Timișoara en raison d’erreurs de droit concernant le caractère sélectif et le caractère avantageux desdites mesures

 

Le 8 février 2023, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt dans l’affaire T-522/20 (Carpatair contre Commission européenne).

Il y prononce l’annulation de la décision de la Commission du 24 février 2020, concernant l’aide d’État mise à exécution par la Roumanie en faveur de l’aéroport international de Timișoara – Wizz Air, en tant qu’elle conclut que certaines mesures ne constituent pas des aides d’État.

L’aéroport international de Timișoara, situé dans l’ouest de la Roumanie, est exploité par un opérateur — l’AITTV — contrôle par l’État roumain.

En prévision de l’augmentation du trafic devant résulter de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne en 2007, et afin d’attirer des compagnies aériennes à bas coût et à accroître la rentabilité globale de l’aéroport, AITTV a signé, en 2008, avec la compagnie hongroise Wizz Air des accords, modifiés en 2010 pour y adjoindre un nouveau régime de réductions convenu entre Wizz Air et AITTV.

En 2010, la compagnie aérienne régionale roumaine Carpatair SA, qui avait établi en 2010 sa plaque tournante à l’aéroport de Timișoara, d’où elle exploitait un réseau en étoile, a déposé une plainte mettant en cause des aides accordées par les autorités roumaines à l’aéroport international de Timișoara en faveur de Wizz Air.

Par décision du 24 février 2020, la Commission a notamment considéréque les accords de 2008 conclus avec Wizz Air, y compris les accords modificatifs de 2010, ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE.
 
Carpatair SA a alors introduit un recours en annulation de cette décision.

À titre liminaire, le Tribunal juge que la requérante avait non seulement l’intérêt pour agir, dans la mesure où l’éventuelle annulation de la décision attaquée était susceptible de lui procurer un bénéfice (pt. 38), mais également la qualité pour agir. En effet, la partie de la décision litigieuse concernant les redevances aéroportuaires constituait un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, de sorte que son recours était recevable puisqu’elle était individuellement concerné. En revanche, les accords constituant la troisième mesure, négociés individuellement et s’appliquant uniquement aux deux parties contractantes, c’est-à-dire entre l’exploitant de l’aéroport et Wizz Air, devaient être considérés comme des mesures individuelles. Par suite, pour avoir la qualité pour agir, la requérante devait être directement et individuellement concernée par cette mesure. Au cas d’espèce, le Tribunal retient que la troisième mesure était susceptible d’affecter de façon substantielle la position concurrentielle de la requérante sur les marchés concernés (pt. 85) et que Carpatair SA était directement concernée par la décision attaquée (pt. 92) : d’une part, la décision attaquée était susceptible de la placer dans une situation concurrentielle désavantageuse et, partant, affectait directement sa situation juridique, en particulier son droit à ne pas subir sur ce marché une concurrence faussée par les mesures litigieuses (pt. 90). D’autre part, la décision attaquée laissait entiers les effets tant de la deuxième que de la troisième mesure, de manière purement automatique en vertu de la seule réglementation de l’Union et sans application d’autres règles intermédiaires (pt. 91). Par suite, le recours formé par Carpatair SA était recevable.

Sur le fond, le Tribunal se contente d’examiner les premiers et deuxième moyen du recours pour procéder à l’annulation de la décision de la Commission.

S’agissant du premier moyen tiré d’une erreur de droit concernant le caractère sélectif de la deuxième mesure, c’est-à-dire des remises et des rabais sur les redevances aéroportuaires figurant dans la PIA (publications d’information aéronautique) 2010, le Tribunal rappelle d’emblée que ce n’est pas parce qu’une mesure est d’application générale qu’elle ne peut pas présenter un caractère sélectif (pt. 131). Le fait que l’aide ne vise pas un ou plusieurs bénéficiaires particuliers préalablement définis, mais qu’elle soit soumise à une série de critères objectifs en application desquels elle pourra être octroyée à un nombre indéfini de bénéficiaires, non individualisés à l’origine, ne saurait suffire à mettre en cause le caractère sélectif de la mesure et, partant, la qualification de celle-ci d’aide d’État. Une telle circonstance n’exclut pas, en effet, que cette intervention publique doive s’analyser comme étant constitutive d’une mesure sélective si, du fait de ses critères d’application, elle procure un avantage à certaines entreprises, à l’exclusion d’autres (pt. 140).

Au cas d’espèce, observe le Tribunal, la troisième réduction prévue par la deuxième mesure sur les redevances aéroportuaires, quoique applicables à toutes les compagnies aériennes utilisant ou susceptibles d’utiliser l’aéroport international de Timișoara, prévoyait des réductions de 72 à 85 % pour les compagnies aériennes exploitant des avions d’un poids supérieur à 70 tonnes et embarquant plus de 10 000 passagers par mois.

Or, la Commission a examiné de manière conjointe les trois types de réductions prévus par la deuxième mesure, sans expliquer en quoi, aux fins de déterminer si celle-ci avait un caractère sélectif, une telle appréciation conjointe était pertinente, compte tenu du fait que chaque type de réduction répondait à des conditions différentes et que lesdites réductions n’étaient pas cumulatives. Partant, estime le Tribunal, elle a omis d’examiner si la troisième réduction, prise isolément, favorisait Wizz Air du fait de ses conditions d’application, à l’exclusion des autres compagnies aériennes présentes à l’aéroport (pt. 142). En outre, observe-t-il, la Commission ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si d’autres compagnies aériennes que Wizz Air avaient dans leur flotte des avions, de taille appropriée et assurant des fréquences suffisantes, leur permettant effectivement d’en bénéficier (pt. 143). Dans les faits, si une autre compagnie — Tarom — disposait d’avions de plus de 70 tonnes, la réduction litigieuse a bénéficié exclusivement à Wizz Air et qu’aucune autre compagnie aérienne, y compris Tarom, n’a atteint le nombre minimum de passagers embarqués par mois requis (pt. 145). Le Tribunal conclut sur ce point que la Commission a commis une erreur de droit en omettant d’examiner si la réduction en cause, prise individuellement, avait vocation à s’appliquer de manière sélective (pt. 148) et, par suite, accueille le premier moyen.

S’agissant du deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation en ce que la décision attaquée conclut que la troisième mesure n’a pas conféré d’avantage indu à Wizz Air, le Tribunal rappelle que cette appréciation s’effectue en principe par application du critère de l’opérateur privé en économie de marché (pt. 170). À cet égard, sont seuls pertinents, notamment aux fins de l’application du critère de l’opérateur privé, les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où la décision de procéder à l’opération en cause a été prise (pt. 173).  Quoi qu’il en soit, un investisseur public est tenu de procéder à une évaluation préalable appropriée de la rentabilité de son investissement, comparable à celle qu’aurait fait établir un opérateur privé se trouvant dans une situation similaire, en fonction des éléments disponibles et prévisibles (pt. 177). Or, il apparait que la conclusion à laquelle est parvenue la Commission dans la décision litigieuse, selon laquelle un opérateur privé en économie de marché avisé aurait conclu les accords modificatifs de 2010, avec Wizz Air, était entièrement fondée sur des éléments de preuve établis ex post, et, notamment, sur un rapport établi en 2015, à savoir une analyse ex ante de la rentabilité, reconstituée ex post sur la base des données disponibles avant la conclusion des accords de 2008, présentée par Wizz Air, le 10 février 2015, et recalculée par la Commission (pt. 186).

Et le Tribunal de préciser qu’il ne saurait être considéré, du seul fait que ce rapport serait fondé sur les éléments disponibles et sur les évolutions prévisibles au moment où la troisième mesure a été adoptée en 2008, qu’il équivaudrait à une analyse ex ante à même de démontrer le respect du critère de l’opérateur privé en économie de marché (pt. 188). Il s’ensuit que la Commission ne disposait d’aucun document écrit préparé préalablement à la conclusion des accords de 2008 lorsqu’elle a analysé la question de savoir si AITTV avait agi comme un opérateur privé se trouvant dans une situation similaire, en fonction des éléments disponibles et prévisibles (pt. 184) et que des éléments postérieurs au moment où la mesure concernée a été adoptée ne sauraient être pris en compte aux fins de l’application du critère de l’opérateur privé (pt. 190). Même fondé sur des données disponibles avant la conclusion des accords de 2008, le rapport établi en 2015 n’en reste pas moins un constat rétrospectif de la rentabilité effective desdits accords (pt. 192).

Ce faisant, le Tribunal estime que la Commission n’a pas légalement fondé sa conclusion selon laquelle la troisième mesure n’avait pas conféré à Wizz Air un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché et ne constituait donc pas une aide d’État (pt. 199).

À la lumière de ces considérations, le Tribunal accueille le recours et annule la décision litigieuse pour autant qu’elle conclut que les redevances aéroportuaires figurant dans la PIA de 2010 et les accords de 2008, y compris les accords modificatifs de 2010, ne constituent pas des aides d’État.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Tribunal.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le « socio » (membre) d’un club professionnel de football n’est pas une « partie intéressée » au sens du règlement 2015/1589 et, partant, ne peut se plaindre auprès de la Commission de l’existence d’une aide d’État illégale au profit du PSG qui lui aurait permis de recruter Lionel Messi

 

Le 8 février 2023, le Tribunal de l’union a rendu un arrêt dans l’affaire T-538/21 (Penya Barça Lyon : Plus que des supporters (PBL) et WA contre Commission européenne).

Le Tribunal y rejette le recours formé par un « socio » (membre) du Football Club de Barcelone et membre d’une association de supporters dudit club, sollicitant notamment l’annulation de la décision du 1er septembre 2021, par laquelle la Commission a indiqué au second requérant que les informations fournies ne seraient pas enregistrées comme une plainte formelle, mais uniquement comme des informations générales sur le marché, dans la mesure où elles n’avaient pas été déposées par une « partie intéressée » au sens du règlement 2015/1589.

Relevant que le second requérant n’est ni le bénéficiaire de la prétendue aide d’État, ni un concurrent du bénéficiaire de cette aide, ni une association professionnelle chargée de la défense d’intérêts collectifs affectés par ladite aide, le Tribunal confirme que le second requérant ne peut être qualifié de partie intéressée, dans la mesure où il n’a pas démontré que ses intérêts pourraient être affectés par l’octroi de la prétendue aide d’État, ni que cette aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation. Non seulement la défense d’un intérêt patrimonial personnel doit être écartée comme possible fondement au soutien de la qualification de partie intéressée du second requérant (pt. 31), mais en outre l’atteinte alléguée ne saurait concerner le second requérant personnellement, dès lors qu’il fait valoir un intérêt purement général ou indirect (pt. 33). Le Tribunal constate par ailleurs que les requérants restent en défaut de préciser en quoi il serait porté atteinte au droit moral du second requérant et à sa liberté d’association (pt. 37).

INFOS UE : Subventions étrangères : la Commission lance une consultation publique d’un mois sur son projet de règlement d'exécution

 

Quelques jours après l’entrée en vigueur, le 12 janvier 2023, du règlement sur les subventions étrangères, qui vise à remédier aux distorsions causées par les subventions accordées par des pays non membre de l’UE, et ce, à l’occasion du contrôle des concentrations, lors des procédures de passation de marchés publics ou pour toutes les autres situations de marché, et dans la perspective de son entrée en application en juillet 2023, la Commission soumet à une consultation publique d’une durée d’un mois, jusqu’au 6 mars 2023, son projet de règlement d'exécution qui vient préciser les aspects pratiques et procéduraux liés à l’application du règlement sur les subventions étrangères.

Le projet de règlement soumis à consultation est accompagnée d’une annexe 1 et d’une annexe 2.

En particulier, le projet de règlement d'exécution du RSE précise les informations requises dans les formulaires de notification pour les concentrations et les procédures de marchés publics, les règles relatives au calcul des délais et à l'accès au dossier et les droits des parties.

La Commission envisage d’adopter le règlement d'exécution au deuxième trimestre de 2023.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission.

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris constate la caducité du recours formé contre la décision n° 22-D-17 à la faveur de laquelle l’Autorité a sanctionné l’ELD Gaz de Bordeaux à hauteur d’un million d’euros pour avoir utilisé les moyens du monopole afin d'anticiper la fin du tarif réglementé et développer son activité concurrentielle

 

Par arrêt rendu le 2 février 2023, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris a constaté la caducité du recours formé par Gaz de Bordeaux et ses sociétés mères successives, les sociétés Régaz-Bordeaux et Bordeaux Métropole Energies contre la décision n° 22-D-17 à la faveur de laquelle l’Autorité a sanctionné l’ELD Gaz de Bordeaux à hauteur d’un million d’euros pour avoir utilisé les moyens du monopole afin d'anticiper la fin du tarif réglementé et développer son activité concurrentielle

Au cas d’espèce, la caducité est prononcée en raison de l’absence de dépôt au greffe de l’exposé des moyens dans le délai de deux mois qui suivent la notification de la décision attaquée prévu à l’article R. 464-15 du code de commerce.

INFOS : S’interrogeant sur les éventuels effets d’une acquisition de Smartbox par Wonderbox dans le secteur des titres cadeaux, l’Autorité de la concurrence lance un test de marché de 3 semaines

 

Dans le cadre de l’instruction du projet d’acquisition de Smartbox par Wonderbox dans le secteur des titres cadeaux, laquelle n’a pas encore été formellement notifiée, l’Autorité de la concurrence, qui s’interroge sur les éventuels effets de cette opération sur les différents marchés concernés,  mène actuellement une consultation auprès des prestataires dont les offres sont référencées sur les titres cadeaux de Wonderbox et Smartbox  (hôtels, restaurants, instituts de beauté, organisateurs d’activités de loisirs et d’aventure, etc…) et lance un test de marché jusqu’au 3 mars 2023 à destination des prestataires qui n’ont pas encore été interrogés et qui estiment qu’ils auraient dû l’être.

ANNONCE : Les actes du colloque sur « L’application du droit de la concurrence par les trois autorités françaises de concurrence en outre-mer » sont en libre accès [Message de Rayhane Ricci]

 

Bonjour,

Les actes du colloque organisé le 27 juillet 2022 à Nouméa par l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie sur « L’application du droit de la concurrence par les trois autorités françaises de concurrence en outre-mer » en libre accès sur le site web de Concurrences.

Parmi les articles disponibles, vous pouvez prendre connaissance de deux contributions de Benoît Cœuré, le président de l’Autorité de la concurrence, la première sur « Le contrôle préventif des concentrations et du secteur du commerce de détail : quelles spécificités en outre-mer ? quelle efficacité ? » et la seconde sur « Le rôle consultatif des autorités de concurrence pour dynamiser le fonctionnement concurrentiel des marchés ultramarins ».

Bien cordialement,

Rayhane Ricci
Associate Editor
Concurrences

S'ABONNER                     ARCHIVES       
RECHERCHER            MENTIONS LÉGALES
Website
Email
LinkedIn
Twitter
 
Cet e-mail a été envoyé à <<Adresse e-mail>>

Notre adresse postale est :
L'actu-droit
83 rue Colmet Lepinay
Montreuil 93100
France

Add us to your address book