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L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
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Hebdo n° 7/2023
13 mars 2023
Actualités de la semaine du 13 au 17 février 2023
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : Estimant que le droit de l’Union en matière d’actions indemnitaires ne s’oppose pas à une règle nationale qui, en cas d’accueil partiel de la demande de la victime, laisse les dépens à la charge de chaque partie, qui supporte alors la moitié des frais communs, la Cour de justice de l’UE, relevant que l’asymétrie de l’information entre les parties n’est pas pertinente pour déterminer si une juridiction nationale peut procéder à l’estimation du préjudice, précise les situations dans lesquelles une telle estimation est envisageable [COMMENTAIRE À VENIR DE MARC BARENNES]

JURISPRUDENCE : Estimant que la généralisation de l'utilisation d'un médicament en dehors de son AMM, en présence d’un autre médicament disposant d'une AMM pour le traitement d’une même pathologie, pose en soi une question qui relève d'un débat d'intérêt général de santé publique, et, partant, que la communication des laboratoires Novartis, Roche et Genentech sur les risques liés à l’utilisation de l’Avastin pour le traitement de la DMLA, reposant sur une base factuelle suffisante, ne contenait aucune assertion erronée, ni ne manquait de mesure ou de prudence et, s’inscrivant dans un débat d'intérêt général de santé publique, relevait de la liberté d’expression, la Cour d’appel de Paris juge qu’aucune des pratiques reprochées par l’Autorité aux laboratoires n’était établie, prononce en conséquence la réformation totale de la décision querellée entrainant l’annulation des amendes de 444 millions d’euros prononcées, et invite instamment l’Autorité à adapter ses communications en cours sur sa décision de sanction de 2020

JURISPRUDENCE RENVOIS ARTICLE 22 : Estimant être en présence d’une procédure strictement européenne, placée sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union, le Conseil d’État dit pour droit que le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’un recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence de renvoyer à la Commission une opération de concentration en dessous des seuils, et rejette en conséquence les requêtes des société Illumina et Grail

INFOS : Opérant une distinction excessive entre injonctions et engagements, l’Autorité de la concurrence, s’estimant incompétente pour accorder ou refuser la révision d’injonctions, déclare irrecevable la demande de révision de vieilles injonctions formée par Interflora, ouvrant la voie à l’autoévaluation de ses pratiques par l’entreprise

ANNONCE COLLOQUE : « Développement durable et avantage concurrentiel », Rennes — 16 mars 2023 [message de Kelig Bloret-Dupuis]

JURISPRUDENCE UE : Estimant que le droit de l’Union en matière d’actions indemnitaires ne s’oppose pas à une règle nationale qui, en cas d’accueil partiel de la demande de la victime, laisse les dépens à la charge de chaque partie, qui supporte alors la moitié des frais communs, la Cour de justice de l’UE, relevant que l’asymétrie de l’information entre les parties n’est pas pertinente pour déterminer si une juridiction nationale peut procéder à l’estimation du préjudice, précise les situations dans lesquelles une telle estimation est envisageable [COMMENTAIRE À VENIR DE MARC BARENNES]

 

Le 16 février 2023, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-312/21 (Tráficos Manuel Ferrer S.L., Ignacio contre Daimler AG) qui fait suite à la demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de commerce n° 3 de Valence en Espagne.

Encore une fois, s’agissant d’actions indemnitaires, c’est la décision de la Commission sanctionnant le 19 juillet 2016 le cartel des camions qui est à l’origine de la présente procédure.

À l’appui de leur recours, les requérants, deux entreprises espagnoles, faisaient valoir qu’ils avaient acheté, pendant la durée de l’entente, des camions de marque Mercedes, Renault et Iveco, concernés par le comportement des constructeurs de poids-lourds sanctionné la Commission et que du fait des accords anticoncurrentiels sur les prix, ils avaient subi des dommages tenant au surcoût des véhicules achetés. C’est ce dont attestait, selon eux, un rapport d’expertise quantifiant le préjudice subi réalisé à leur demande. La défenderesse avait alors contesté cette expertise en présentant son propre rapport d’expertise, dont il ressortait que les bases, les hypothèses et la méthodologie retenues dans le rapport d’expertise des requérants étaient erronées. La défenderesse avait ensuite donné aux requérants l’accès à toutes les données prises en compte dans son rapport d’expertise. Sur quoi, les victimes ont produit un autre « rapport technique » sur les résultats obtenus grâce à l’accès aux données de la défenderesse, sans toutefois reformuler les conclusions de leur propre rapport d’expertise.

Précisons d’emblée que, pour la Cour, les dispositions pertinentes de la directive « dommages » (la « directive 2014/104 ») trouvent à s’appliquer au cas d’espèce et qu’il était donc possible de s’y référer pour répondre aux questions préjudicielles.

Dans la présente affaire, les trois questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi portent essentiellement sur deux thématiques. En premier lieu, il s’agissait de savoir si, au regard du principe d’effectivité, une règle de procédure civile nationale telle que celle prévue à l’article 394, § 2, du code de procédure civile espagnol et nuancée, le cas échéant, par la jurisprudence des juridictions espagnoles, selon laquelle il serait également possible d’obtenir la condamnation aux dépens lorsqu’il existe une différence mineure entre ce qui a été demandé et ce qui a été obtenu dans le cadre de la procédure, rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à la réparation intégrale du préjudice subi du fait d’un comportement anticoncurrentiel, tel que reconnu et défini à l’article 3, §§ 1 et 2, de la directive 2014/104 et découlant de l’article 101 TFUE (première question préjudicielle). En second lieu, il s’agissait de savoir dans quelles conditions une juridiction nationale peut faire usage de la possibilité d’estimer le montant du dommage invoqué, causé par l’entente (deuxième et troisième question préjudicielle).

Sur la première question préjudicielle, la Cour considère que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une règle de procédure civile nationale en vertu de laquelle, en cas d’accueil partiel de la demande, les dépens demeurent à la charge de chaque partie, qui supporte alors la moitié des frais communs, sauf comportement abusif (pt. 49). Selon la Cour, cette règle ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile le droit à la réparation intégrale du préjudice subi du fait d’un comportement anticoncurrentiel (principe d’effectivité) (pt. 48).

En effet, à la différence de la directive sur les clauses abusives, évoquées par la juridiction de renvoi, qui impose des limites à un rapport de force inégal entre une partie faible (le consommateur) et une partie forte (le professionnel ayant vendu ou loué des biens ou fourni des services) via l’interdiction des clauses abusives sanctionné, la directive « dommages » vise des actions qui mettent en jeu la responsabilité extracontractuelle d’une entreprise et présentent un rapport de force entre les parties au litige, qui, du fait de l’intervention des mesures nationales transposant l’ensemble des dispositions de cette directive, peut, selon l’emploi qui aura été fait des outils ainsi mis à la disposition, en particulier, de la partie demanderesse, se trouver rééquilibré (pt. 45). L’intervention du législateur de l’Union a donc doté la partie ayant subi le préjudice, initialement désavantagée, de trois moyens — i) production des preuves en possession du défendeur, ii) possibilité d’une estimation du préjudice par le juge et iii) instauration de présomptions — visant à rééquilibrer à son profit le rapport de force entre celle-ci et la partie ayant commis l’infraction, en remédiant à l’asymétrie d’information (pts. 43-44). C’est par conséquent du comportement de chacune de ces parties, souverainement apprécié par le juge national saisi du litige, que dépend l’évolution de ce rapport de force et, en particulier, de la question de savoir si la victime a utilisé ou non les outils mis à sa disposition, notamment s’agissant de la possibilité de demander à ce juge d’enjoindre à la partie défenderesse ou à un tiers de produire les preuves pertinentes en leur possession (pt. 46). Il s’ensuit que, s’agissant des procédures en réparation des préjudices causés par des infractions au droit de la concurrence, si un requérant succombe en partie, il peut lui être raisonnablement imposé de supporter ses propres frais ou, à tout le moins, une partie de ceux-ci, ainsi qu’une partie des frais communs, dès lors, notamment, que la survenance de ces frais lui est imputable, par exemple en raison de demandes excessives ou de la manière dont il a mené la procédure (pt. 47).

Les deuxième et troisième questions préjudicielles portaient sur les points de savoir si une estimation judiciaire du préjudice causé par le comportement anticoncurrentiel de la partie défenderesse est permise dans des circonstances dans lesquelles, d’une part, cette dernière a donné accès à la partie demanderesse aux informations sur le fondement desquelles elle avait elle-même élaboré son rapport d’expertise afin d’exclure l’existence d’un préjudice indemnisable et, d’autre part, la demande en dommages et intérêts est dirigée contre un seul des destinataires d’une décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE, lequel n’a commercialisé qu’une partie des produits acquis par la partie demanderesse et dont il est allégué qu’ils auraient été affectés d’un surcoût en raison de cette infraction. À cet égard, la Cour souligne qu’une telle estimation présuppose, d’une part, que l’existence du préjudice a été établie et, d’autre part, qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de le quantifier avec précision (pt. 65). Cela implique, entre autres, que des démarches telles que la demande de production de preuves prévue par la directive n’aient pas porté leurs fruits (pt. 56). En raison du rôle-clef de cette disposition au sein de la directive « dommages », il appartient au juge national, avant de procéder à l’estimation du préjudice, de vérifier si la partie demanderesse a fait usage de cette possibilité de demande de production de preuves. En effet, dans l’hypothèse où l’impossibilité pratique d’évaluer le préjudice résulte de l’inaction de la partie demanderesse, il n’appartient pas au juge national de se substituer à cette dernière ni de combler ses carences (pt. 57). Par suite, l’asymétrie de l’information n’intervient pas dans la mise en œuvre de la prérogative du juge d’estimer le préjudice, puisque, même lorsque les parties se trouvent sur un pied d’égalité en ce qui concerne les informations disponibles, des difficultés peuvent survenir lors de la quantification concrète du préjudice (pt. 54).

La circonstance que la partie ayant commis l’infraction au droit de la concurrence ait mis à la disposition de la partie ayant subi le préjudice les données sur lesquelles elle s’est fondée pour contredire l’expertise de cette dernière n’est, en elle-même, pas pertinente pour apprécier s’il est permis aux juridictions nationales de procéder à l’estimation du préjudice (pt. 59). De même, le fait que la demande ait été dirigée contre un seul des destinataires d’une décision constatant l’infraction en cause n’est, en principe, pas non plus pertinent à cette fin (pt. 64).

Mais je m’arrête là. Le présent arrêt fera l’objet sous peu dans ces colonnes d’un commentaire circonstancié de Marc Barennes, ancien référendaire à la Cour de justice de l’Union, chargé d’enseignement à Sciences Po et avocat associé au bureau Brandeis Paris.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE : Estimant que la généralisation de l'utilisation d'un médicament en dehors de son AMM, en présence d’un autre médicament disposant d'une AMM pour le traitement d’une même pathologie, pose en soi une question qui relève d'un débat d'intérêt général de santé publique, et, partant, que la communication des laboratoires Novartis, Roche et Genentech sur les risques liés à l’utilisation de l’Avastin pour le traitement de la DMLA, reposant sur une base factuelle suffisante, ne contenait aucune assertion erronée, ni ne manquait de mesure ou de prudence et, s’inscrivant dans un débat d'intérêt général de santé publique, relevait de la liberté d’expression, la Cour d’appel de Paris juge qu’aucune des pratiques reprochées par l’Autorité aux laboratoires n’était établie, prononce en conséquence la réformation totale de la décision querellée entrainant l’annulation des amendes de 444 millions d’euros prononcées, et invite instamment l’Autorité à adapter ses communications en cours sur sa décision de sanction de 2020

 

Coup dur pour l’Autorité de la concurrence !

À la faveur d'un arrêt rendu le 16 février 2023 (RG n° 20/14632), la Chambre de la régulation de la Cour d’appel de Paris est venu, accueillant le  recours formé par les laboratoires Novartis et Roche, ainsi que par la filiale de ce dernier, Genentech, prononcer la réformation totale de la décision n° 20-D-11 de l’Autorité de la concurrence du 9 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), annulant au passage les amendes de 444 millions d’euros infligées aux trois laboratoires suisses pour abus de position dominante collective.

On se souvient que l’Autorité de la concurrence avait sanctionné à hauteur de 444 millions d’euros le groupe Novartis et le groupe Roche/Genentech (385 millions pour le seul Novartis) pour avoir abusé de leur position dominante collective sur le marché français du traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), en mettant en œuvre deux pratiques distinctes quoique proches et en tout état de cause participant à la même finalité, à l’attention, d’une part, des professionnels de santé, des autorités du secteur de la santé, des patients et du grand public et, d’autre part, des responsables politiques et des autorités de santé.

Pour le traitement de la DMLA, les médecins recourent aux anti-VEGF. À l’origine, seuls deux médicaments anti-VEGF disposaient d’une AMM pour le traitement de la DMLA, dont le Lucentis commercialisé par Novartis. En raison du coût très élevé de ce médicament, certains hôpitaux et ophtalmologues ont commencé à recourir à une autre spécialités susceptibles d’être utilisées pour le traitement de la DMLA : l’Avastin, mais en utilisation « hors AMM », puisque celui-ci ne disposait pas d’une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de la DMLA. À cet égard, l’Autorité a considéré que l’utilisation d’Avastin « hors AMM » en ophtalmologie, et plus particulièrement pour le traitement de la DMLA, n’était pas illicite, et ce, même après l’adoption de la loi Bertrand visant à privilégier l’utilisation d’un anti-VEGF disposant d’une AMM. Du reste, pour l’Autorité l’Avastin relevait du même marché que le Lucentis, dès lors que, tout au long de la période, l’Avastin a été utilisé par de nombreux ophtalmologues pour le traitement de la DMLA exsudative et que cette utilisation n’était pas illicite.

Petit détail, en raison de la pratique consistant à fabriquer plusieurs seringues avec un seul flacon d’Avastin de Roche, son coût d’utilisation était au moment des faits trente fois moins élevé que celui de l’anti-VEGF disposant d’une AMM pour le traitement de la DMLA, le Lucentis, commercialisé par Novartis…

Or, un seul laboratoire — Genentech — dispose des licences à la fois sur le Lucentis et sur l’Avastin. Il en assure la commercialisation sur le territoire américain et a accordé des licences pour chacun de ces produits, dans le reste du monde, respectivement à Novartis et à Roche. Au-delà de ces liens contractuels, il existe des liens capitalistiques croisés entre Genentech, Roche et Novartis : Roche, qui était l’actionnaire majoritaire de Genentech jusqu’en 2009, détient depuis cette date la totalité de son capital. Par ailleurs, Novartis détient une participation non contrôlante dans le capital de Roche, avec 6,2 % du capital et 33,33 % des droits de vote de Roche Holding.

Selon le scénario retenu par l’Autorité, compte tenu des différences de prix entre les deux spécialités et de la pratique consistant à fabriquer plusieurs seringues avec un seul flacon d’Avastin, toute utilisation d’Avastin à la place de Lucentis pour une injection dans l’oeil était susceptible d’entraîner un manque à gagner significatif pour chacun des trois laboratoires concernés. Dès lors l’incitation financière était forte pour les trois laboratoires de ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune visant à limiter les prescriptions « hors AMM » d’Avastin pour le traitement de la DMLA au profit des ventes de Lucentis. Pour ce faire, les laboratoires mis en cause ont adressé un discours dénigrant l’utilisation de l’Avastin en ophtalmologie à l’attention, d’une part, des professionnels de santé, des autorités du secteur de la santé, des patients et du grand public et, d’autre part, des responsables politiques et aux autorités de santé.

Fort de l’existence de liens juridiques et économiques entre les trois laboratoires, l’Autorité a constaté que Novartis, Roche et Genentech formaient une entité collective, pour les besoins de la commercialisation de Lucentis et Avastin, détenant une position dominante collective jusqu’à l’arrivée d’Eylea en novembre 2013, sur le marché du traitement de la DLMA exsudative, compte tenu, d’une part, de l’existence de liens structurels importants et stratégiques entre les laboratoires, qui leur a permis de connaître leurs comportements respectifs, et, d’autre part, de l’existence de liens capitalistiques croisés entre Genentech, Roche et Novartis, qui leur a permis d’adopter une ligne d’action commune sur le marché concerné, visant à limiter les prescriptions d’Avastin « hors AMM » en ophtalmologie.

Novartis a été sanctionné au titre du grief n° 1 pour avoir diffusé, en s’appuyant sur la position dominante collective détenue avec Roche et Genentech sur le marché du traitement de la DMLA, un discours dénigrant, en exagérant, de manière injustifiée, les risques liés à l’utilisation d’Avastin « hors AMM » pour le traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie, en comparaison avec la sécurité et la tolérance de Lucentis pour un même usage.

Novartis, Roche et Genentech ont par ailleurs été sanctionnés au titre du grief n° 2 pour avoir diffusé, en s’appuyant sur la position dominante collective détenue qu’ils détenaient sur le marché du traitement de la DMLA, et plus généralement en ophtalmologie, un discours alarmiste, voire trompeur, sur les risques liés à l’utilisation d’Avastin pour le traitement de la DMLA, et ce, à destination des responsables politiques et des autorités de santé, dans le dessein de bloquer ou ralentir, de façon indue, les initiatives des pouvoirs publics qui envisageaient de favoriser et sécuriser son usage pour le traitement de la DMLA. Ainsi, le laboratoire Roche a, par une instrumentalisation des risques associés à l’utilisation d’Avastin en ophtalmologie, cherché à faire obstacle à la volonté de l’AFSSAPS, exprimée publiquement, de disposer d’une étude comparative entre Lucentis et Avastin, afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause en faveur ou en défaveur de l’utilisation d’Avastin pour le traitement de la DMLA.

Le scénario retenu par la Cour d’appel de Paris est tout autre.

En premier lieu, s’agissant de la délimitation du marché pertinent, si la Cour d’appel parvient à la conclusion qu’il existe une substituabilité concrète du Lucentis, disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de la DMLA, et l’Avastin, dépourvu d’une AMM pour le traitement de cette maladie (pt. 226), et qu’il existe une connexité des marchés du traitement de la DMLA et d’autres pathologies oculaires (pt. 250), elle estime en revanche, et contrairement aux conclusions de l’Autorité, qu'il n'y a pas de raison suffisante pour remettre en cause, en l'espèce, la distinction entre un marché de la ville et un marché de l’hôpital (pt. 301), de sorte que la pratique en cause doit être regardée comme affectant le marché de l'hôpital, seul marché où l'Avastin était accessible licitement et susceptible de faire l'objet « en l'absence de preuve contraire » d'un reconditionnement dans les conditions d'asepsie requises (pt. 302).

Par ailleurs, et surtout, la Cour d’appel de paris n’admet la substituabilité juridique de ces deux médicaments qu'au cours de la période antérieure à l’adoption de la loi n° 2011-12 du 29 décembre 2011, dite « loi Bertrand », où la prescription de l'Avastin en vue d’une utilisation hors AMM n'était pas illicite au regard du droit national (pt. 335). En revanche, et s'écartant sur ce point de l'analyse retenue par l’Autorité (pt. 339), la Cour retient qu’après l'entrée en vigueur de la loi Bertrand, qui, réagissant au scandale du Médiator, a posé le principe selon lequel une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché (pts. 336-337), il n'a en conséquence plus été permis de prescrire l'Avastin pour le traitement de la DMLA (pt. 350), puisqu’aussi bien le Lucentis, qui disposait d'une AMM délivrée par la Commission européenne le 22 janvier 2007, était, au cours de la période infractionnelle, disponible sur le marché et constitutif d’une « alternative médicamenteuse appropriée » au sens de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique (pt. 349). Ce faisant, pendant la période infractionnelle retenue par l’Autorité, qui court du 31 décembre 2011 au mois de novembre 2013, la Cour considère qu’il a existé un empêchement légal à la prescription de l'Avastin hors AMM pour le traitement de la DMLA exsudative (pt. 352), et partant qu’il nexistait pas, au cours de la période postérieure au 30 décembre 2011, de substituabilité juridique de ces deux médicaments (pt. 367).

Passant à l’examen des deux griefs retenus par l’Autorité, la Cour de Paris confirme dès l’abord la compétence de l’Autorité pour apprécier le discours des laboratoires. En effet, il appartenait à l'Autorité d'analyser les propos reprochés  afin de déterminer s'ils ont dénaturé les arguments scientifiques opposés dans le cadre du débat public sur l'efficacité et la sécurité comparées d'Avastin et Lucentis. Or, une telle analyse n'implique pas de se livrer à une appréciation d'ordre scientifique ou médicale mais uniquement de rechercher si les propos litigieux ont relayé de manière fidèle et mesurée les arguments de ces études (pt. 388).

Examinant ensuite, dans le cadre de l’analyse du grief n° 1, le discours de Novartis pendant la période du 10 mars 2008 au 30 décembre 2011, la Cour de Paris rappelle d’abord qu’en droit de la concurrence, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit est constitutive de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (pt. 404). Le principe posé, la Cour s’attache alors à vérifier si le discours de Novartis encoure le grief de dénigrement. Relavant qu’il est indifférent que le discours de Novartis ait été produit pour des considérations commerciales dans la mesure où il ne saurait être reproché à une entreprise en position dominante d'agir en vue de la défense de ses positions commerciales, pourvu qu'elle ne recoure pas à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (pt. 409), la Cour juge que la généralisation de l'utilisation d'un médicament en dehors de son AMM, en présence d’un médicament disposant d'une AMM pour le traitement de la pathologie en cause, pose en soi une question qui relève d'un débat d'intérêt général de santé publique (pt. 410), de sorte que le discours de Novartis, diffusé en particulier auprès des professionnels de santé, s'inscrivait dans un débat d'intérêt général de santé publique sur la substituabilité de l'Avastin au Lucentis dans le traitement de la DMLA (pt. 412). En outre, relève la Cour, Novartis disposait, à la lumière de différentes publications scientifiques disponibles, mises en rapport l'une avec l'autre, d'une base factuelle suffisante pour rendre crédibles, en avril 2011, ses allégations, qui portaient non sur la certitude mais sur la possibilité, voire la probabilité, d'un lien entre les différences moléculaires et de pharmacodynamique entre le ranibizumab (Lucentis) et le bevacizumab (Avastin), et les effets indésirables systémiques plus importants relevés dans le cas de ce dernier (pt. 421). Par ailleurs, la Cour estime que le discours de Novartis ne contenait aucune assertion erronée et ne manquait pas de mesure ni de prudence dans l'expression en ce qu'il tendait à des constats purement objectifs liés à la délivrance d'une AMM pour le traitement de la DMLA pour l'un et à l'absence d'AMM de même nature pour l'autre (pt. 426).

Insistant sur le fait que la mesure dans l'expression du discours qui relève les différences entre deux médicaments dont l'un bénéficie d'une AMM pour une spécialité donnée et l'autre non, comme en l'espèce, ne peut être appréciée de la même manière que dans le cas de propos soulignant des différences entre un générique et un princeps qui tous les deux bénéficient de la même présomption d'efficacité et d'innocuité (pt. 439), la Cour conclut que le discours développé par Novartis ne manquait ni de mesure ni de prudence dans l'expression en ce qu'il tendait à des constats purement objectifs liés à la délivrance d'une AMM pour le traitement de la DMLA dans le cas du Lucentis et à l'absence d'AMM de même nature dans le cas de l'Avastin (pt. 440). De la même façon, la Cour estime que le rappel de la responsabilité encourue par les médecins, opéré par Novartis, qui s'inscrivait dans le débat d’intérêt général suscité par la prescription massive d'un médicament hors AMM, n'a pas méconnu, en ce qu’il ne manquait ni de mesure ni de prudence (pt. 448), les limites de la liberté d'expression (pt. 450), au sens de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (pt. 400).

Au final, la Cour d’appel de Paris juge que les pratiques mentionnées à l'article 1 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 1, ne sont pas établies (pt. 451).

La Cour parvient précisément à la même conclusion à propos des pratiques mises en œuvre, dans le cadre de l’analyse du grief n° 2, à la faveur desquelles il était reproché aux trois laboratoires, non seulement d’avoir adopté un comportement de blocage administratif, mais également d’avoir diffusé un discours alarmiste voire trompeur auprès des autorités publiques sur les risques liés à l'utilisation de l'Avastin pour le traitement de la DMLA et autres affections associées.

S’agissant d’abord du comportement de blocage administratif tenant au refus initial de Roche de fournir les échantillons demandés par l'AFSSAPS en février 2008 en vue de réaliser une étude de stabilité de ce médicament dans le cadre de l'étude « GEFAL », la Cour d’appel de Paris, confirmant que le délai dans lequel Roche a répondu à la demande de l'AFSSAPS, qui a atteint près de seize mois, a effectivement retardé le lancement de cette étude « GEFAL » (pt. 478), observe cependant que, dans la mesure où, à compter de la loi Bertrand, entrée en vigueur en décembre 2011, l'Avastin n'était plus juridiquement substituable au Lucentis, il est indifférent que l'étude ait pu, potentiellement, être publiée seize mois plus tôt, soit en janvier 2012, de sorte que le délai de réponse de Roche n'a pas pu avoir d'effet anticoncurrentiel (pt. 479).

Quant aux propos tenus par Roche à destination des autorités publiques, que l’Autorité a qualifiée d’« alarmistes, voire trompeurs », la Cour d’appel, relevant que la décision du laboratoire de ne pas demander d'AMM complémentaire pour l'Avastin relevait de sa libre appréciation (pt. 485), en déduit que, dès lors que, d'une part, l'AFSSAPS avait fait de l'engagement de Roche de demander une AMM concernant l'Avastin pour des indications thérapeutiques en ophtalmologie une condition préalable et, d'autre part, qu'il ne peut être reproché à Roche de ne pas avoir formé une telle demande, la question de savoir si les propos tenus par Roche pour s'opposer à l'utilisation de l'Avastin hors AMM étaient « alarmistes, voire trompeurs », est inopérante (pt. 486).

En tout état de cause, la Cour de Paris juge que ces propos, fondés sur une base factuelle suffisante au sens de la jurisprudence de la CEDH (pt. 492), étaient mesurés dans leur expression (pt. 493) et, intervenus au surplus dans le contexte d'un débat d'intérêt général, n'excédaient ainsi pas les limites de la liberté d'expression (pt. 494). En sorte que la Cour pouvait conclure à cet égard qu'il n'est pas établi que Roche ait commis les pratiques visées à l'article 2 de la décision attaquée, lu à la lumière du grief n° 2, pendant la période considérée antérieur à l’entrée en vigueur de la loi Bertrand (pt. 508).

La Cour parvient précisément à la même conclusion à propos du discours alarmiste et trompeur qu’aurait tenu Novartis vis-à-vis des autorités de santé et des pouvoirs publics. Là encore, la Cour relève que le discours ne contient en lui-même aucune erreur factuelle (pt. 527), qu’il n'outrepasse pas les limites de la liberté d'expression (pt. 532), qu’il ne saurait non plus être considéré comme alarmiste voire trompeur dans la mesure où il ne peut être regardé comme tendant à exagérer, dans un contexte d'incertitude scientifique, la perception des risques liés à l'utilisation hors AMM de l'Avastin (pt. 523). Par ailleurs, estime la Cour, le courrier de Novartis n'a pu avoir la moindre influence sur l'AFSSAPS, laquelle était au demeurant parfaitement en mesure de faire une lecture critique des études scientifiques en débat et par ailleurs publiées, dans la mesure où la position de l'AFSSAPS s'explique en revanche par le refus de Roche de former une demande d'extension de l'AMM de l'Avastin au traitement de la DMLA (« en l'absence d'évolution du dossier d'enregistrement d’Avastin ») (pt. 536), de sorte que la pratique reprochée n'a pu avoir aucun effet anticoncurrentiel (pt. 537).

Enfin, il était reproché à Genentech d’avoir informé Roche de sa décision de ne pas développer l’Avastin. Or, retient la Cour de Paris, comme les discours de Roche et Novartis examinés pendant la période retenue ne constituent pas des pratiques anticoncurrentielles, en conséquence, la coordination de ces discours par Genentech n'a pas pu avoir d'effet anticoncurrentiel (pt. 550), de sorte que, la encore, la Cour juge que les pratiques anticoncurrentielles reprochées à Genentech ne sont pas établies.

Au final, la réformation totale de la décision de sanction est encourue.

Restait à examiner le grief soulevé par Novartis contestant la communication effectuée en 2020 par l’Autorité à l’occasion de l’adoption de sa propre décision de sanction. Fort de la décision du 11 avril 2022 (n° 4242), à la faveur de laquelle le Tribunal des conflits a jugé que la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant Roche à l'Autorité de la concurrence, estimant que, si les actions de communication de l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, relèvent en principe de la compétence de la juridiction administrative, la diffusion par l'Autorité de la concurrence, concomitamment à la mise en ligne d'une décision de sanction sur son site internet, d'une vidéo et de commentaires se rapportant uniquement à cette sanction particulière n'est pas dissociable de la décision de sanction elle-même (pt. 571), la Cour d’appel a logiquement considéré que le présent litige relevait de sa compétence (pt. 572).

Estimant que la communication litigieuse relative à des pratiques que l'Autorité estimait anticoncurrentielles, et qui a consisté en la tenue d'une conférence de presse par l'Autorité et la mise en ligne sur les réseaux sociaux tels que You Tube, LinkedIn, ou Twitter, d'une vidéo exposant, en anglais et en français, les principales articulations de l'affaire telle que l'Autorité l'a appréciée, n'était pas dépourvue de tout fondement légal (pt. 574), qu’elle ne contenait pas de propos de nature diffamatoire ou dénigrants, ni n’a porté atteinte à la présomption d'innocence des parties (pt. 581) et, ce faisant, n’a manifestement pas excédé son pouvoir de communication (pt. 580), la Cour d’appel de Paris enjoint cependant l'Autorité de la concurrence d’adapter sa communication pour tenir compte de la réformation totale intervenue (pt. 582), en supprimant les messages diffusés sous forme écrite ou vidéo ou, à défaut, en les assortissant de la mention suivante, au début de la communication et de manière apparente.

JURISPRUDENCE RENVOIS ARTICLE 22 : Estimant être en présence d’une procédure strictement européenne, placée sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union, le Conseil d’État dit pour droit que le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’un recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence de renvoyer à la Commission une opération de concentration en dessous des seuils, et rejette en conséquence les requêtes des société Illumina et Grail

 

À la faveur d’une décision rendue le 10 février 2023, le Conseil d’État est venu dire que le juge administratif nationale n’est pas compétent pour connaître d’un recours contre la décision de l’Autorité de la concurrence de renvoyer à la Commission européenne une opération de concentration en dessous des seuils, et ce, quels que soient les effets d'un tel renvoi pour les entreprises concernées. Il estime à cet égard que la demande, adressée par l’Autorité de la concurrence à la Commission européenne, tendant à l’examen d’une opération de concentration, n’est pas détachable de la procédure d’examen de cette opération, menée par la Commission sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Par suite, les requêtes de la société Illumina et de la société Grail doivent être rejetées.

Merci à Jamal Henni pour l’information.

La présente décision confirme en quelque sorte les conclusions de l’ordonnance rendue le 1er avril 2021 par le juge des référés du Conseil d’État.

La particularité de l'espèce tient au fait que l’Autorité ne faisait là que répondre à une requête formée le 19 février 2021 par la Commission européenne invitant les États membres, sur le fondement du paragraphe 5 de l'article 22 du règlement concentrations, à lui présenter une demande d'examen de l'opération d'acquisition de la société Grail par la société Illumina, au motif que cette opération répondait aux conditions énumérées au paragraphe l de cet article. Le fait que la première demande émane de la Commission renforce assurément le caractère européen de la procédure. Toutefois, il nous semble que la réponse du juge des référés aurait été la même si l'initiative première était venue de l'Autorité de la concurrence.

On se souvient dans cette affaire que le 9 mars 2021, l’Autorité de la concurrence avait adopté une décision à la faveur de laquelle elle avait adressé à la Commission européenne, sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 139/2004 sur les concentrations, une demande de renvoi concernant l’opération d’acquisition de la société Grail par la société Illumina.

INFOS : Opérant une distinction excessive entre injonctions et engagements, l’Autorité de la concurrence, s’estimant incompétente pour accorder ou refuser la révision d’injonctions, déclare irrecevable la demande de révision de vieilles injonctions formée par Interflora, ouvrant la voie à l’autoévaluation de ses pratiques par l’entreprise

 

Le 15 février 2023, l’Autorité de la concurrence a rendu une brève mais fort intéressante décision n° 23-D-01 relative à la demande de révision des injonctions prononcées à l’encontre de la société Interflora par la décision du ministre de l’économie n° 86-4/DC du 6 février 1986 et la décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-75 du 6 février 2001.

On se souvient qu’Interflora avait fait l’objet d’injonctions prononcées d’abord en 1986 par le ministre de l’économie visant à supprimer de son règlement intérieur une cluse qui interdisait à ses membres d’appartenir à aucune autre organisation de transmission florale (pts. 14-16), puis en 2001 par le Conseil de la concurrence visant à mettre fin à un système accordant un bonus aux fleuristes qui adhéraient au seul réseau Interflora, constitutif d’une exclusivité de fait (pts. 17-19).

Estimant que l’irruption du commerce en ligne a fait évoluer le marché pertinent sur lequel elle opère, entraînant, par conséquent, la disparition de sa position dominante sur ce marché, ce qui rendrait de fait les injonctions en question obsolètes, voire défavorables au développement d’une concurrence efficace, Interflora a, le 1er décembre 2020, saisi l’Autorité de la concurrence afin de demander la levée de ces injonctions (pts. 20-25). Et quand bien même Interflora serait toujours en position dominante, cette dernière estime que dans le contexte de marché qui prévaut aujourd’hui, les clauses contractuelles ayant donné lieu aux injonctions du ministre de l’économie et du Conseil de la concurrence ne constitueraient plus des pratiques abusives (pt. 26).

Au terme de la présente décision, l’Autorité se déclare incompétente pour accorder ou refuser une révision d’injonctions. Elle considère ainsi que, si elle peut prononcer des injonctions et s’assurer du respect de celles-ci, en revanche elle ne peut en réviser la teneur une fois que celles-ci sont revêtues de l'autorité de la chose décidée, dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire ne lui permet de réviser une décision de sanction, dont font partie les injonctions, qu’elle a adoptée (pt. 31).

Visiblement, l’Autorité opère ici, sans le dire, une nette distinction entre engagements et injonctions. Alors que les premiers pourraient faire l’objet d’une révision (Point 46 a) du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence), les secondes ne le pourraient pas.

Pourquoi des injonctions faisant parties d’une décision de sanction ne pourraient-elles pas faire l’objet d’une révision en cas de changements intervenus sur le marché en cause ? L’argument selon lequel aucune disposition législative ou réglementaire ne permet à l’Autorité de réviser une décision de sanction, dont font partie les injonctions ne convainc guère. À cet égard, on observera qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne permet à l’Autorité de réviser une décision d’engagements. C’est si vrai qu’il a fallu le préciser dans le communiqué de procédure. On ajoutera que l’Autorité de la concurrence a longtemps considéré que la décision de refus d’engagements n’ouvraient pas, dans le silence de la loi, le droit à un recours immédiat, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel vienne lui dire le contraire…

De même, l’argument selon lequel les injonctions sont revêtues de l'autorité de la chose décidée n’emporte pas pas la conviction. On relèvera sur ce point que la décision par laquelle le collège de l’Autorité accepte et rend obligatoires les engagements, même si elle est précédée par une procédure comportant nécessairement des aspects négociés, revêt le caractère d’une décision unilatérale, mettant fin à une situation potentiellement contraire au droit de la concurrence.

À bien y réfléchir, on ne comprend pas pourquoi la même obligation de faire ou de ne pas faire rendue obligatoire par une décision unilatérale de l’Autorité pourrait faire l’objet d’une révision lorsqu’elle a été précédée d’une négociation et ne pourrait pas l’être en l’absence d’une telle négociation, alors même qu’elle peut être justifiée dans les deux cas par les changements intervenus sur le marché en cause. Ce qui devrait compter en la matière, ce n’est point tant le caractère négocié ou non de la procédure qui a conduit à la décision unilatérale de l’Autorité que l’effet que le temps peut induire sur la structure de la concurrence sur le marché en cause, lequel peut être identique dans les deux cas.

Les présentes objections ne sont pas si extravagantes, puisqu’aussi bien les services d’instruction, eux-mêmes, semblent avoir considérés que la demande de levée des injonctions formulée par Interflora était recevable. Même si, finalement, ils ont proposé de rejeter cette demande sur le fond, au motif que les injonctions prononcées seraient toujours pertinentes, dans la mesure où Interflora demeure en position dominante sur le marché de la transmission florale, de sorte que la réintroduction par Interflora d’une clause d’exclusivité vis-à-vis de ses fleuristes aurait pour effet de restreindre la concurrence sur le marché en entravant la capacité de ses concurrents à se développer et à exercer une pression concurrentielle sur Interflora (pt. 4).

Dans la présente décision, l’Autorité aurait pu s’en tenir au seul constat de son incompétence à opérer une révision des injonctions. Mais elle va au-delà et semble proposer une voie de sortie à Interflora : l’autoévaluation de ses pratiques, celle-là même qui est prescrite par les différents règlements d’exemption par catégorie européens.

Mais avant, l’Autorité constate qu’en l’espèce les injonctions en cause, qui consistaient en des obligations « de faire » imposées à Interflora ont été mises en oeuvre dans le délai de six mois imparti par le ministre de l’économie s’agissant des injonctions prononcées en 1986 et dans un délai raisonnable s’agissant de l’injonction prononcée par le Conseil de la concurrence en 2001 (pt. 37). Pour autant, peut-on déduire de cette constatation qu’Interflora ne serait plus exposée à un risque de non-respect d’injonctions, dans la mesure où elle ne pourrait pas être perpétuellement liée par des injonctions prononcées en 1986 et 2001. À notre avis, une telle interprétation du point 37 peut paraître audacieuse. En effet, s’il s’avère que le temps n’a finalement pas fait son oeuvre et que la structure de la concurrence sur le marché n’a pas été substantiellement modifiée, notamment par l’avènement du commerce en ligne, au point de laisser subsister la même position dominante, on ne voit pas au nom de quoi les injonctions, mêmes vieilles de 37 et 22 ans, seraient devenues caduques.

En revanche, l’Autorité, constatant, à tort ou à raison, qu’elle ne peut opérer de révision des injonctions prononcées par le ministre puis par le Conseil de la concurrence, mais également qu’elle ne peut, en principe, délivrer à une entreprise qui en ferait la demande une décision d’exemption négative qui conclurait à l’absence de violation du droit de la concurrence, propose à Interflora d’évaluer, par elles-mêmes, la validité des accords qu’elles concluent ou des comportements qu’elles mettent en oeuvre au regard des règles qui prohibent les pratiques anticoncurrentielles en général, et des injonctions qui ont pu être prononcées à leur encontre afin de remédier à de telles pratiques, en particulier (pt. 36).

Ainsi, la saisissante est invitée à faire sa propre analyse des éventuels accords qu’elle pourrait envisager de conclure au sein de son réseau, et ce, afin de s’assurer que ceux-ci sont bien licites, non seulement au regard des règles de concurrence, mais également, le cas échéant, au regard des injonctions prononcées à son encontre. Ainsi, à la lumière de la décision rendue par l’Autorité, Interflora pourrait, dès lors qu’elle parviendrait à la conclusion, au terme de son autoévaluation, qu’elle ne se trouve plus en position dominante — conclusion toutefois contestée par les services d’instruction de l’Autorité qui considère qu’elle demeure en position dominante sur le marché de la transmission florale, mettre en place des clauses d’exclusivité ou des mécanismes tarifaires incitant à l’exclusivité. Et quand bien même, interflora parviendrait à la conclusion qu’elle demeure en position dominante, elle pourrait encore se prévaloir des conclusions de l’arrêt Intel et de celles — plus récentes — de l’arrêt Unilever. Dans ces arrêts, la Cour de justice de l’Union a dit pour droit, relativisant les conclusions précédentes selon lesquelles les dispositifs tarifaires fidélisants et les clauses d’exclusivité sont « par nature » une exploitation abusive d’une position dominante, que, pour conclure à l’existence d’un tel abus, les autorités de concurrence doivent démontrer que ces pratiques ont un effet restrictif de concurrence, concrètement en caractérisant la capacité d’éviction de la pratique, notamment parce qu’elle couvre une partie suffisante du marché. En outre, elle a précisé que, lorsqu’une autorité de concurrence suspecte qu’une entreprise a violé l’article 102 TFUE en ayant recours à des clauses d’exclusivité et que cette dernière conteste, au cours de la procédure, la capacité concrète desdites clauses d’exclure du marché des concurrents aussi efficaces, éléments de preuve à l’appui, cette autorité doit s’assurer, au stade de la caractérisation de l’infraction, que ces clauses avaient, dans les circonstances de l’espèce, la capacité effective d’exclure du marché des concurrents aussi efficaces que cette entreprise.
 
Reste à savoir ce que serait la réaction de l’Autorité de la concurrence si interflora venait à restaurer une forme d’exclusivité de droit ou de fait ? Ne serait-elle pas tenter de se saisir d’office du non-respect des injonctions prononcées en 1986 et 2001 ? Mais alors, ne serait-elle pas contrainte d’examiner la pertinence des injonctions prononcées respectivement il y a 37 et 22 ans, à l’aune des changements intervenus depuis lors sur le marché en cause… ce que, précisément, elle se refuse à faire au terme de la présente affaire.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

 

Bonjour,

Le Master 2 Concurrence, consommation et droit de la propriété industrielle de Rennes et son association affiliée l’ADESSCOR organisent le 16 mars 2023 à 18h un séminaire hybride — en présentiel et à distance — sur le thème « Développement durable et avantage concurrentiel ».

Lors de cet évènement, la discussion s'organisera autour de deux tables rondes qui évoqueront successivement le volet économique et institutionnel de la prise en compte du développement durable dans les analyses concurrentielles puis le point de vue de plusieurs acteurs économiques. La parole sera ainsi donnée à Eric Avenel, professeur à l'Université de Rennes, Guillaume Labarbat, économiste à la Commission Européenne, Edith Baccichetti et Antoine Coursaut-Durant, avocats associés PwC Société d'Avocats, Philippine Tamic et Coralie Glédel, juristes Decathlon, et Morgan Gouault, responsable juridique Sodebo.

Les modérateurs seront Aziz Mouline, professeur chercheur et directeur du Master 2 Université de Rennes, et Kélig Bloret-Dupuis, professeure associée Université de Rennes.

Pour vous inscrire, il vous suffit de cliquer ICI.

Bien cordialement,

Kélig Bloret-Dupuis
Professeure associée Université de Rennes
Directrice Juridique Concurrence et Antitrust EssilorLuxottica

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