Copy
L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
Voir cet e-mail dans votre navigateur
                     Hebdo n° 5/2023
                        27 février 2023
Actualités de la semaine du 30 janvier au 3 février 2023
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant, dans l’affaire de l’aide en faveur de la banque italienne BMPS, que les requérantes, qui ne contestaient pas la compatibilité en tant que telle des aides d’État avec le marché intérieur, mais seulement celle des engagements pris par les autorités italiennes dans le but d’obtenir de la Commission une décision autorisant lesdites aides, alors que de tels engagements ne sauraient être considérés comme étant imposés par la Commission, la Cour de justice de l’Union, accueillant le pourvoi de la Commission, annule l’arrêt du Tribunal et, estimant le litige en état d’être jugé, rejette le recours en première instance comme étant irrecevable, faute de qualité pour agir afin de contester le bien-fondé de la décision litigieuse

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la récupération de l’intégralité du montant de l’aide visée a été ordonnée sur la base d’une identification erronée des bénéficiaires, la Cour de justice annule partiellement la décision de la Commission dans l’affaire du régime espagnol de leasing fiscal, mais confirme l’existence d'un avantage sélectif découlant du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale d’accorder l’aide

JURISPRUDENCE PRATIQUES RESTRICTIVES : La Cour de cassation confirme l'application du droit des pratiques restrictives de concurrence aux contrats de sous-traitance et précise les modalités de l'application de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce sanctionnant l’avantage sans contrepartie à la réduction de prix obtenue d'un partenaire commercial [Commentaire de Muriel Chagny]

JURISPRUDENCE : Confirmant la compétence de l’Autorité à connaître des pratiques de l’Ordre des architectes, tout en critiquant l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public, la Cour de cassation dit par ailleurs que l’Autorité pouvait imputer les pratiques au seul Ordre, dès lors qu’il était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale

JURISPRUDENCE QPC : Audience du Conseil constitutionnel sur la QPC portant sur la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, qui prévoit que l’Autorité de la concurrence peut accepter des engagements, mais ne dit rien sur sa faculté de les refuser


JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris constate des désistements emportant extinction de l’instance et son dessaisissement dans deux affaires distinctes, celle qui a conduit l’autorité à sanctionner à hauteur de 500 millions Google pour le non-respect de plusieurs injonctions prononcées en mesures conservatoire à propos de la rémunération des droits voisins des éditeurs et agences de presse et celle des isolants thermiques

INFOS AIDES D’ÉTAT : La Commission propose aux États membres de prolonger l’encadrement temporaire de crise jusqu'au 31 décembre 2025 en le transformant en un encadrement temporaire de crise et de transition vers la neutralité carbone

INFOS : L’Autorité lance deux consultations publiques en vue de préparer des avis sur la liberté d’installation des notaires et des commissaires de justice et de proposer une révision des cartes arrêtées en 2021

INFOS : Vers une nomination de Stéphane Retterer comme président de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et de Sophie Charlot comme rapporteure générale

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant, dans l’affaire de l’aide en faveur de la banque italienne BMPS, que les requérantes, qui ne contestaient pas la compatibilité en tant que telle des aides d’État avec le marché intérieur, mais seulement celle des engagements pris par les autorités italiennes dans le but d’obtenir de la Commission une décision autorisant lesdites aides, alors que de tels engagements ne sauraient être considérés comme étant imposés par la Commission, la Cour de justice de l’Union, accueillant le pourvoi de la Commission, annule l’arrêt du Tribunal et, estimant le litige en état d’être jugé, rejette le recours en première instance comme étant irrecevable, faute de qualité pour agir afin de contester le bien-fondé de la décision litigieuse

 

Le 31 janvier 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l’affaire d’aides d’État C-284/21 (Commission européenne contre Anthony Braesch e.a.).

Il fait suite au pourvoi formé par la Commission, à la faveur duquel elle sollicitait l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 février 2021 rendu dans l’affaire T-161/18 (Braesch e.a. contre Commission). Rejetant l’exception d’irrecevabilité introduit par la Commission, le Tribunal a déclaré recevable un recours tendant à l’annulation de la décision du 4 juillet 2017 de ne pas soulever d’objections, la Commission approuvant, à l’issue de la phase préliminaire d’examen et sur la base des engagements offerts par les autorités italiennes, tant l’aide de trésorerie de quinze milliards d’euros en faveur de la banque italienne Banca Monte dei Paschi di Siena (BMPS) que l’aide à la recapitalisation préventive de celle-ci à hauteur de 5,4 milliards d’euros. Ces mesures d’aide, accompagnées d’un plan de restructuration et des engagements offerts par les autorités italiennes, ont été considérées comme constituant des aides d’État compatibles avec le marché intérieur pour des motifs de stabilité financière.

Le plan de restructuration, condition sine qua non de l’approbation de l’aide par la Commission, a entraîné l’annulation des contrats de financement. Les détenteurs de ces obligations FRESH ont formé un recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission de ne pas soulever d’objections. Dès lors, les requérantes ont invoqué la violation des droits procéduraux qu’elles tireraient de l’article 108, § 2, TFUE et de l’article 6, § 1, du règlement 2015/1589.

Dans un cadre factuel inédit, se pose à nouveau la question des conditions de recevabilité d’un recours en annulation introduit par des parties intéressées contre une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une aide notifiée, et, plus particulièrement, les conditions auxquelles des personnes, qui ne sont pas des concurrents d’un bénéficiaire de cette mesure ni ne prétendent être affectées par celle-ci sur le marché, peuvent être qualifiées d’« intéressé[e]s », au sens de l’article 108, § 2, TFUE, ou de « parties intéressées », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, afin de se prévaloir de la qualité pour agir contre cette décision.

À l’appui de son pourvoi, la Commission soulevait un moyen unique tiré de ce que le Tribunal aurait erronément qualifié les requérants en première instance de « parties intéressées ».

En substance, la Commission faisait valoir que la Cour n’avait admis, en tant que parties intéressées, que les requérants démontrant que l’aide d’État litigieuse était susceptible d’avoir une incidence concrète « en lien avec la concurrence » sur leur situation, tandis que les parties défenderesses objectaient que si, aux fins d’établir son statut de « partie intéressée », un requérant doit démontrer que la mesure litigieuse a une incidence préjudiciable sur sa situation, il n’est pas exigé que cette incidence soit de nature concurrentielle. La Commission reprochait, en substance, au Tribunal d’avoir conclu que les requérants avaient la qualité pour agir en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE contre la décision litigieuse, en les qualifiant de « parties intéressées » simplement en raison de la perte économique qu’ils avaient prétendument subie en tant que détenteurs d’obligation FRESH, du fait des mesures de répartition des charges appliquées par la République italienne aux créanciers subordonnés de BMPS. Le Tribunal aurait ainsi suivi une interprétation excessivement large de la notion de « partie intéressée », incluant non seulement les entités pour lesquelles l’aide d’État pourrait avoir des effets concurrentiels, mais aussi les entités contestant d’autres aspects de cette aide, qui n’ont aucun lien avec la concurrence.

Aux termes du présent arrêt, la Cour de justice de l’Union estime que, si le Tribunal a, à juste titre, examiné, afin de déterminer si les requérantes sont directement et individuellement concernés par la décision litigieuse, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, si celles-ci ont la qualité d’« intéressé », au sens de l’article 108, § 2, TFUE, et, partant, sont recevables à introduire un recours en annulation dirigé contre une telle décision aux fins de sauvegarder leurs droits procéduraux, il a en revanche commis une erreur de droit en jugeant que Braesch e.a. avaient cette qualité en l’espèce (pts. 56-57).

Rappelant que, si la notion de « partie intéressée » vise, tout particulièrement, les entreprises concurrentes du bénéficiaire de l’aide, elle inclut un ensemble indéterminé de destinataires (pt. 59), sous réserve que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation, de sorte que la qualité de « partie intéressée » ne présuppose pas nécessairement une relation de concurrence (pt. 60), la Cour relève que le Tribunal, pour dire que Braesch e.a. avaient cette qualité, a retenu qu’il était sans pertinence que les requérantes ne contestent pas la compatibilité en tant que telle des aides d’État en cause avec le marché intérieur, dès lors que les engagements des autorités italiennes visant le plan de restructuration et les mesures de répartition des charges faisaient partie intégrante des aides notifiées, de telle sorte que la décision litigieuse porte sur ces aides et ces engagements pris dans leur ensemble (pt. 63).

De fait, relève la Cour, les requérantes ne contestent ni la nature d’« aide d’État » des aides en cause ni leur compatibilité avec le marché intérieur, mais mettent uniquement en cause la conformité au regard du droit de l’Union, en particulier, de la directive 2014/59, du règlement n° 806/2014, du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte et de plusieurs principes généraux du droit de l’Union, d’une partie des mesures de répartition des charges notifiées par la République italienne, lesquelles sont contenues dans le plan de restructuration décrit dans cette décision et reflétées dans les engagements figurant en annexe à celle-ci (pt. 66).

Toutefois, conclut la Cour, en jugeant que l’incidence sur les intérêts des créanciers subordonnés de BMPS résulte des aides d’État en cause et, partant, de la décision litigieuse, au motif que les mesures de répartition des charges visées par celle-ci font partie intégrante, au même titre que le plan de restructuration et les engagements présentés par les autorités italiennes, des aides notifiées, de telle sorte que, par cette décision, la Commission a rendu contraignantes lesdites mesures, le Tribunal a méconnu les règles du droit de l’Union qui régissent la portée de ladite décision et, ce faisant, a commis une erreur de droit entachant cet arrêt d’illégalité (pt. 68).

En effet, de tels engagements ne sauraient être considérés comme étant imposés en tant que tels par la Commission ni leurs éventuels effets nuisibles sur des tiers ne seraient attribuables à la décision adoptée par cette institution, dans la mesure où la Commission, afin d’apprécier si les aides d’État en cause suscitaient des doutes quant à leur compatibilité avec le marché intérieur, n’a pas imposé à la République italienne les éléments figurant dans le plan de restructuration et les engagements présentés par cet État membre, lesquels incluaient, notamment, les mesures de répartition des charges des détenteurs d’actions et de titres subordonnés (pts. 70-71). Du reste, la Commission ne peut rien imposer ou interdire à l’État membre concerné, mais est uniquement en droit d’approuver, par une décision de ne pas soulever d’objections, le projet d’aide tel que celui-ci a été notifié par cet État membre, en déclarant cette aide compatible avec le marché intérieur (pt. 72). Ainsi, par la décision litigieuse, la Commission s’est bornée à autoriser la République italienne à mettre à exécution les aides d’État en cause en prenant note du cadre factuel préalablement défini par cet État membre dans le plan de restructuration et les engagements que celui-ci a notifiés afin de dissiper tout doute quant à la compatibilité de ces aides avec le marché intérieur (pt. 73). Il appartenait donc à la République italienne de vérifier qu’elle serait en mesure de respecter les engagements inclus dans l’autorisation accordée par cette décision et de s’assurer que ces engagements étaient conformes à sa législation nationale et au droit de l’Union pertinents (pt. 74).

À ce stade, la Cour opère une distinction entre la décision de ne pas soulever pas d’objections à l’encontre d’une aide et une « décision conditionnelle », au sens de l’article 9, § 4, du règlement 2015/1589, adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen, par laquelle la Commission assortit elle-même sa décision approuvant une aide d’État de conditions lui permettant de reconnaître la compatibilité avec le marché intérieur ainsi que d’obligations lui permettant de contrôler le respect de cette décision (pt. 76). Dès lors, il ne saurait être considéré que les mesures de répartition des charges notifiées en l’occurrence par la République italienne dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen ont été imposées par la décision litigieuse elle-même, ces mesures résultant uniquement d’actes adoptés par cet État membre (pt. 77). Du reste, la République italienne aurait très bien pu notifier un plan de restructuration et des engagements comportant des mesures différentes (pt. 78). De sorte que l’interdiction faite à BMPS de payer des coupons aux détenteurs d’obligations FRESH trouvait sa source non pas dans la décision de la Commission mais dans le droit italien (pt. 79).

Partant, l’annulation des contrats FRESH, dont Braesch e.a. prétendent qu’elle est susceptible d’entraîner, dans leur chef, en tant que détenteurs des obligations FRESH, un préjudice économique substantiel, ne saurait être considérée comme un effet obligatoire de la décision litigieuse, dès lors qu’elle ne résulte pas de la mise en œuvre des aides en cause en tant que telles. Elle découle, en revanche, des mesures, certes liées dans les faits, mais juridiquement distinctes, adoptées par l’État membre qui a notifié ces aides à la Commission. La circonstance que ces mesures aient, notamment, été adoptées par cet État membre dans le but d’obtenir de la Commission une décision autorisant lesdites aides et qu’elles fassent l’objet d’engagements pris en compte dans une telle décision de cette institution est sans pertinence à cet égard (pt. 81).

Peu importe à cet égard que l’Autorisation donnée par la Commission soit subordonnée au respect des engagements pris par la République italienne. En effet, toute méconnaissance de ces engagements conduirait à mettre en œuvre des aides différentes de celles approuvées par la Commission dans la décision litigieuse (pt. 84). Sur quoi, la Commission pourrait ouvrir à l’égard de ces aides la procédure formelle d’examen en vue d’imposer à la République italienne la suppression ou la modification des aides ayant été appliquées de façon abusive ainsi que, le cas échéant, d’ordonner la récupération des montants d’aide versés illégalement (pt. 85), voire les considérer comme des « aides nouvelles », constituant des « aides illégales », dont les juridictions nationales pourraient également ordonner le recouvrement (pt. 86), car lesdites aides ne correspondent plus aux aides notifiées et ne sont plus couvertes par la décision d’autorisation (pt. 87).

Peu importe également à cet égard que la communication concernant le secteur bancaire subordonne la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide accordée aux banques dans le contexte de la crise financière à l’adoption de mesures de répartition des charges. La Cour estime sur ce point que la circonstance qu’une aide d’État prévoit une mesure de répartition des charges réunissant les critères énoncés à cette communication, si elle constitue une condition, en principe, suffisante pour que la Commission déclare cette aide compatible avec le marché intérieur, n’est pas strictement nécessaire à cette fin (pt. 91). En effet, insiste, la Cour, les États membres conservent la faculté de notifier à la Commission des projets d’aide d’État qui ne satisfont pas aux critères prévus par cette communication et cette institution peut autoriser de tels projets dans des circonstances exceptionnelles (pt. 92), de sorte que la communication concernant le secteur bancaire n’est pas susceptible de créer des obligations autonomes à la charge des États membres (pt. 94) et que ces derniers ne sont pas tenus d’imposer aux banques en difficulté des mesures de répartition, préalablement à l’octroi de toute aide d’État, en convertissant les titres subordonnés en fonds propres ou en procédant à une réduction de leur valeur ou en faisant contribuer pleinement ces titres à l’absorption des pertes (pt. 95).

Peu importe enfin à cet égard que la Commission soit tenu de vérifier la conformité de toutes mesures notifiées par la République italienne avec le droit de l’Union. Au cas d’espèce, la Commission a vérifié que les aides d’État notifiées par la République italienne, de même que la recapitalisation de BMPS qu’elles visaient à financer, ne violaient pas, par ailleurs, d’autres dispositions ou principes généraux pertinents du droit de l’Union (pts. 100-101). En revanche, la Commission n’avait pas à vérifier si cette répartition des charges décidée par la République italienne violait elle-même les droits de Braesch e.a. tirés du droit de l’Union ou du droit national. En effet, une telle violation, à la supposer établie, découlerait non pas de l’aide en tant que telle, de son objet ou de ses modalités indissociables, mais des mesures prises par cet État membre aux fins d’obtenir de la Commission une décision autorisant ladite aide à l’issue de la phase préliminaire d’examen (pt. 103).

Au final, si un tiers s’estime affecté par des mesures adoptées par les autorités d’un État membre dans le contexte de la restructuration d’une entreprise, le fait que ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’un plan de restructuration nécessitant le versement d’aides étatiques et que, par conséquent, cet État membre notifie ces aides à la Commission afin de solliciter l’approbation desdites aides à l’issue de la phase préliminaire d’examen ne confère pas à ce tiers la qualité de « partie intéressée » dans le cadre de la procédure menée par cette institution au titre de l’article 108 TFUE. Dans un tel cas, c’est devant le juge national, seul compétent à cet égard, qu’il doit contester la légalité de ces mesures, ce juge ayant la faculté, voire l’obligation s’il statue en dernier ressort, de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, au besoin, pour l’interroger quant à l’interprétation ou la validité des dispositions pertinentes du droit de l’Union (pt. 104). Ce faisant, une juridiction nationale qui, ayant été saisie de la légalité des mesures de répartition des charges en cause, annulerait celles-ci en totalité ou en partie au motif qu’elles sont entachées d’illégalité n’irait pas à l’encontre de la décision litigieuse, dès lors que cette dernière n’impose pas ces mesures et n’a pas apprécié leur conformité au droit de l’Union (pt. 107). Il s’ensuit que les requérantes ne sont nullement privés du droit à un recours juridictionnel effectif garanti à l’article 47 de la Charte et, d’autre part, que c’est à tort que le Tribunal a jugé que Braesch e.a. ne pouvaient défendre leurs intérêts qu’en demandant l’annulation de la décision litigieuse au juge de l’Union.

Aux termes de ces développements, la Cour accueille le moyen unique soulevé par la Commission dans son pourvoi et annule en conséquence l’arrêt attaqué.

Estimant à ce stade que le litige était en état d’être jugé, s’agissant de l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission au cours de la procédure devant le Tribunal, en ce que cette dernière reproche à Braesch e.a. un défaut de qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, pour demander l’annulation de la décision litigieuse, la Cour s’attache à examiner si Braesch e.a. ne peuvent pas être considérés comme étant directement et individuellement concernés par cette décision.

La Cour observe d’abord que Braesch e.a. n’ont pas qualité pour agir afin de sauvegarder des droits procéduraux, puisqu’il ressort du présent arrêt qu’ils n’ont pas la qualité d’« intéressés » et de « parties intéressées » (pts. 117-118).

S’agissant à présent de la mise en cause par Braesch e.a. du bien-fondé de la décision litigieuse, la Cour observe que Braesch e.a. ne soutiennent pas que la décision litigieuse exerce une quelconque incidence sur leur position concurrentielle sur le marché, mais se bornent, en substance, à faire valoir, d’une part, qu’ils ont adressé à la Commission une lettre exprimant leurs préoccupations quant à l’incidence négative de cette décision sur leur situation et, d’autre part, que ladite décision fait référence, lorsqu’elle décrit les mesures de répartition des charges prévues par le plan de restructuration concernant les créanciers subordonnés de BMPS, au contrat d’usufruit relatif aux instruments FRESH (pt. 120). Or, précise-t-elle, de telles circonstances ne démontrent nullement que Braesch e.a. se trouvent dans une situation de fait qui les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire, dès lors que ceux-ci sont affectés par les mesures de répartition des charges visées par la décision litigieuse en leur qualité de détenteurs d’instruments financiers de la même manière que l’ensemble des autres détenteurs d’instruments affectés par ces mêmes mesures (pt. 121). Il s’ensuit que Braesch e.a. ne sont pas individuellement concernés par la décision litigieuse (pt. 123). Et comme les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE sont cumulatives, le fait que l’une d’entre elles fasse défaut dans le chef d’un requérant a pour conséquence que le recours en annulation qu’il a formé contre cet acte doit être considéré comme étant irrecevable (pt. 124). Il en résulte que Braesch e.a. n’ont pas davantage qualité pour agir afin de contester le bien-fondé de la décision litigieuse (pt. 125) et, partant, que le recours en première instance doit être rejeté comme étant irrecevable (pt. 127).

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Estimant que la récupération de l’intégralité du montant de l’aide visée a été ordonnée sur la base d’une identification erronée des bénéficiaires, la Cour de justice annule partiellement la décision de la Commission dans l’affaire du régime espagnol de leasing fiscal, mais confirme l’existence d'un avantage sélectif découlant du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale d’accorder l’aide

 

Le 2 février 2023, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans les affaires jointes C-649/20 (Espagne contre Commission européenne), C-658/20 (Lico Leasing et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión contre Commission européenne) et C-662/20 (Caixabank e.a. contre Commission européenne), concernant toutes trois la saga du régime espagnol de leasing fiscal.

Les mesures litigieuses concernent le régime espagnol de leasing fiscal (RELF), visant à permettre aux compagnies maritimes d’acquérir des navires construits par des chantiers navals espagnols à des prix réduits de 20 à 30 %. Le RELF est un montage fiscal, généralement mis au point par une banque pour générer des avantages fiscaux en faveur d’investisseurs regroupés au sein d’un GIE fiscalement transparent et pour transférer une partie de ces avantages fiscaux à la compagnie maritime sous la forme d’un rabais sur le prix du navire, les investisseurs du GIE conservant les autres avantages au titre de retour sur investissement. À côté du GIE, d’autres intermédiaires interviennent dans une opération relevant du RELF, notamment une banque et une société de location-vente.

On se souvient que, par arrêt rendu le 17 décembre 2015 dans les affaires jointes T-515/13 (Espagne / Commission) et T-719/13 (Lico Leasing, SA et Pequeños y Medianos Astilleros Sociedad de Reconversión, SA / Commission), le Tribunal de l'Union avait annulé la décision de la Commission du 17 juillet 2013 qualifiant le régime espagnol de leasing fiscal d'aide d’État illégale et ordonnant la récupération de l’aide uniquement auprès des investisseurs ayant bénéficié des avantages en cause. Le Tribunal avait estimé que la condition tenant la sélectivité des mesures concernées n'était pas remplie.

Pour parvenir à l'annulation de la décision de la Commission, le Tribunal avait d’abord considéré que, si les GIE ont bénéficié des trois mesures fiscales, ce sont les membres des GIE qui ont bénéficié des avantages économiques découlant de ces trois mesures. En l’absence d’avantage économique en faveur des GIE, c’était donc à tort que la Commission avait conclu qu’ils avaient bénéficié d’une aide d’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE.

Le Tribunal avait estimé ensuite que la Commission ne pouvait retenir l’existence d'un avantage sélectif et, partant, une aide d’État en faveur des GIE et des investisseurs, dans la mesure où tout opérateur pouvait bénéficier des avantages fiscaux en cause en réalisant un certain type d’opération ouverte, dans les mêmes conditions, à toute entreprise sans distinction.

Sur quoi, la Commission avait introduit un pourvoi que la Cour de justice de l’Union a accueilli aux termes d’un arrêt du 25 juillet 2018, jugeant qu’il convenait d’apprécier la condition relative à la sélectivité au regard des GIE et pas seulement au niveau des investisseurs qui les composent, annulant en conséquence l’arrêt du Tribunal et la lui renvoyant, comme l’affaire n’était pas en état d’être jugée.

Le 23 septembre 2020, le Tribunal de l’Union s’est donc à nouveau prononcé dans l'affaire du régime espagnol de leasing fiscal. Il y a conclu à l’existence d'un avantage sélectif découlant du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale pour accorder l’aide et confirmé l’obligation de récupération auprès des bénéficiaires identifiés. À cet égard, il a considéré que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit en ordonnant la récupération de l’intégralité de l’aide en cause auprès des seuls investisseurs des GIE, alors même qu’une partie de l’avantage fiscal obtenu avait été transférée à des tiers, à savoir les compagnies maritimes.

Par leur pourvoi, les requérantes demandaient et l’annulation de l’arrêt du Tribunal du 23 septembre 2020, et l’annulation de la décision de la Commission du 17 juillet 2013.

Aux termes du présent arrêt, la Cour se concentre d’une part sur le moyen relatif au caractère sélectif de l’aide alléguée et, d’autre part, sur la détermination des bénéficiaires des aides litigieuses auprès desquels il convient de récupérer le montant de ces aides.

S’agissant en premier lieu de la sélectivité, les requérantes reprochaient d’abord au Tribunal de n’avoir pas exigé de la Commission une analyse en trois étapes, requise pour qualifier une aide de sélective.

Relevant que, l’arrêt du 25 juillet 2018 n’a pas prescrit de procéder en l’espèce à une analyse en trois étapes de la sélectivité du RELF et a, en revanche, invité le Tribunal à examiner si la procédure d’autorisation de l’amortissement anticipé conférait à l’administration fiscale un pouvoir discrétionnaire de nature à favoriser les activités exercées par les GIE participant au RELF ou ayant pour effet de favoriser de telles activités (pt. 41), la Cour répond que la méthode d’analyse en trois étapes de la sélectivité d’une aide, invoquée par les requérants, a été conçue afin de dévoiler la sélectivité cachée de mesures fiscales avantageuses dont toute entreprise peut en apparence bénéficier. Elle n’est, en revanche, pas pertinente pour examiner la sélectivité d’une mesure fiscale avantageuse dont l’octroi dépend du pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale et qui, partant, ne saurait être considérée comme présentant un caractère général (pt. 48). Il ne pouvait donc lui être reproché de ne pas avoir procéder à une analyse en trois étapes de la sélectivité du RELF, puisqu’aussi bien celle-ci est réservée aux mesures fiscales à caractère général. Or, l’existence même d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale lui permettant de choisir les bénéficiaires de ces mesures écarte d’emblée le caractère général du régime d’aides. Ainsi, l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale pour accorder son autorisation suffisait en elle-même à rendre le RELF sélectif dans son ensemble (pt. 43).

Abordant alors les critères d’appréciation pertinents en présence d’une mesure fiscale avantageuse octroyée de manière discrétionnaire, la Cour approuve le Tribunal d’avoir rappelé que l’existence d’un système d’autorisation n’implique pas en soi l’existence d’une mesure sélective. Tel est le cas lorsque le pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente est limité à la vérification des conditions qui sont établies pour servir un objectif fiscal identifiable et que les critères à appliquer par cette autorité sont inhérents à la nature du régime fiscal. En revanche, lorsque les autorités compétentes disposent d’un pouvoir discrétionnaire étendu de déterminer les bénéficiaires et les conditions de la mesure accordée, l’exercice de ce pouvoir doit alors être considéré comme favorisant certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi, dans une situation factuelle et juridique comparable (pt. 57). Or, au cas d’espèce, le Tribunal a relevé, à l’instar de la Commission, que le système d’autorisation en cause était fondé sur l’obtention d’une autorisation préalable, plutôt que sur une simple notification, sur la base de critères vagues requérant une interprétation de l’administration fiscale, cette administration n’ayant pas publié de lignes directrices et que ces critères ne pouvaient, dès lors, être considérés comme étant objectifs. Il a constaté, en particulier, que l’administration fiscale pouvait fixer la date du début de l’amortissement eu égard aux « particularités de la durée du contrat » ou aux « spécificités de l’utilisation économique du bien », ce qui constituaient des critères vagues par nature et dont l’interprétation accordait une marge de discrétion importante à l’administration fiscale (pt. 58). Et il était suffisant, ajoute la Cour, que le Tribunal ait conclu que l’existence d’aspects discrétionnaires était de nature à favoriser les bénéficiaires par rapport à d’autres assujettis se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable (pt. 61). Et c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré que, eu égard au caractère discrétionnaire de jure des dispositions nationales examinées, il importait peu que leur application ait été discrétionnaire ou non de facto (pt. 64).

Dès lors, le Tribunal ayant jugé, dans le cadre de son appréciation du droit national, que ce droit conférait à l’administration fiscale une marge de discrétion importante pour autoriser l’amortissement anticipé, c’est sans commettre d’erreur de droit qu’il a considéré que l’existence des aspects discrétionnaires de ce régime était de nature à favoriser les bénéficiaires par rapport à d’autres assujettis se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable et qu’il a ainsi jugé que cette mesure présentait un caractère sélectif (pt. 69). C’est également à bon droit que le Tribunal a pu conclure que la Commission n’avait pas commis d’erreur en considérant que l’amortissement anticipé rendait le RELF sélectif dans son ensemble (pt. 72).

Au final, la Cour rejette l’ensemble des moyens relatifs à la sélectivité du RELF comme étant non fondés.

S’agissant en second lieu de la violation des principes applicables à la récupération, les requérantes reprochaient en substance au Tribunal d’avoir manqué à son obligation de motivation, en abandonnant sa vision d’ensemble du RELF comme formant un tout pour se concentrer sur une seule partie de ses participants, à savoir les investisseurs, pour exiger la récupération auprès d’eux et sans avoir égard aux autres bénéficiaires des mesures composant le RELF (pt. 111). Elles faisaient valoir que la décision litigieuse avait ordonné la récupération de l’intégralité de cette aide auprès des investisseurs, alors que 85 à 90 % de l’avantage aurait été systématiquement transféré aux compagnies maritimes (pt. 117).

À cet égard, la Cour juge que, si l’arrêt attaqué apparaît motivé à suffisance de droit en ce qui concerne le caractère sélectif du RELF, il n’en va, en revanche, pas de même en ce qui concerne la récupération de l’aide en cause.

En effet, la Cour relève qu’en réponse à cette objection, le Tribunal a considéré, dès lors que la Commission a décidé en l’espèce que les compagnies maritimes n’étaient pas les bénéficiaires de l’aide et que cette conclusion ne faisait pas l’objet du présent litige, c’est par voie de conséquence que l’ordre de récupération visait uniquement et intégralement les investisseurs, seuls bénéficiaires de la totalité de l’aide selon la décision [litigieuse] en raison de la transparence des GIE (pt. 117). Or, constate la Cour, en se limitant ainsi, d’une part, à constater que les requérantes n’avaient pas contesté la désignation des bénéficiaires effectuée dans la décision litigieuse et, d’autre part, à se référer à la logique ainsi qu’au contenu de cette décision, alors qu’il se déduisait du moyen soulevé que ces entreprises faisaient valoir, implicitement, mais nécessairement, qu’elles n’avaient pas été les seules bénéficiaires de l’aide en cause, une grande partie de cette dernière ayant été transférée aux compagnies maritimes, le Tribunal n’a pas répondu à ce moyen. Il a, par conséquent, omis de statuer sur celui-ci, ce qui constitue une violation de l’obligation de motivation (pt. 118).

Dans ces conditions, la Cour annule l’arrêt attaqué dans la mesure où il a rejeté les recours pour autant qu’ils visaient l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle désigne les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée ainsi que l’annulation de la disposition imposant au Royaume d’Espagne de récupérer l’intégralité du montant de l’aide visée auprès des investisseurs des GIE. Les pourvois sont rejetés pour le surplus (pts. 120-121).

Suite à l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal, la Cour, considérant le litige en état d’être jugé, décide de statuer elle-même définitivement sur la partie des recours en annulation devant le Tribunal restant à examiner, à savoir le bien-fondé de l’obligation de récupération de l’aide en cause auprès de ses bénéficiaires

Rappelant que l’obligation pour l’État membre concerné de supprimer, par voie de récupération, une aide considérée par la Commission comme incompatible avec le marché unique vise, selon une jurisprudence constante de la Cour, au rétablissement de la situation antérieure à l’octroi de l’aide (pt. 130), la Cour, examinant le moyen concernant l’identification des bénéficiaires de l’aide en cause sur lequel le Tribunal a omis de statuer, relève à cet égard qu’il résultait des propres constatations de la Commission que le RELF constituait, dans son ensemble, un régime d’aide découlant de l’application de la législation fiscale espagnole et des autorisations accordées par l’administration fiscale espagnole, et destiné, peu important les procédés juridiques utilisés, à générer un avantage au profit non seulement des GIE, mais aussi des compagnies maritimes (pt. 137). Et ce d’autant plus qu’il ressort des constatations de la Commission que la répartition de l’avantage fiscal généré par le RELF entre la compagnie maritime et les investisseurs des GIE était prévue dans des contrats juridiquement contraignants, soumis à l’administration fiscale et dont celle-ci tenait compte pour autoriser, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont elle disposait à cet égard, l’amortissement anticipé. Dès lors, contrairement à ce que la Commission a, en substance, affirmé, les GIE étaient obligés, en vertu des règles du droit applicable aux contrats conclus avec les compagnies maritimes, de transférer à ces dernières une partie de l’avantage fiscal obtenu (pt. 138). Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur de droit quant à la désignation des bénéficiaires de l’aide en cause et, par voie de conséquence, quant à la récupération de celle-ci en ce qu’elle a enjoint au Royaume d’Espagne, contrairement à la jurisprudence, de récupérer l’intégralité du montant de cette aide uniquement auprès des investisseurs des GIE, en considérant que les avantages que tiraient les compagnies maritimes n’étaient pas imputables à l’État membre concerné, dès lors que toutes les conséquences économiques découlant de l’octroi de l’avantage fiscal aux GIE résultaient d’une combinaison d’opérations juridiques entre des entités privées, que les règles en vigueur n’obligeaient pas, en effet, les GIE à transférer une partie de l’avantage fiscal aux compagnies maritimes et que le fait que, dans l’exercice du large pouvoir discrétionnaire dont disposait l’administration fiscale, celle-ci évaluait l’impact économique de toute la transaction ne suffisait pour établir que les autorités espagnoles décidaient du transfert d’une partie de l’avantage aux compagnies maritimes ou du montant de ce transfert (pt. 136), alors qu’il résultait des propres constatations de la Commission que les GIE étaient pourtant obligés, en vertu des règles applicables, de transférer à ces compagnies maritimes une partie de l’avantage fiscal obtenu (pt. 137).
 
En conséquence, la Cour annule partiellement la décision litigieuse, en ce qu’elle désigne les GIE et leurs investisseurs comme étant les seuls bénéficiaires de l’aide visée et, par suite, dans la mesure où elle ordonne la récupération de l’intégralité de son montant exclusivement auprès des investisseurs des GIE (pt. 140).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE PRATIQUES RESTRICTIVES : La Cour de cassation confirme l'application du droit des pratiques restrictives de concurrence aux contrats de sous-traitance et précise les modalités de l'application de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce sanctionnant l’avantage sans contrepartie à la réduction de prix obtenue d'un partenaire commercial [Commentaire de Muriel Chagny]

 

AVANTAGE SANS CONTREPARTIE – PRIX – DOMAINE D’APPLICATION – DROIT COMMUN ET DROIT SPÉCIAL

Si la règle sur le déséquilibre significatif introduite dans le code de commerce par la loi LME a longtemps éclipsé et même relégué les autres règles du droit des pratiques restrictives, on peut se demander si elle n’est pas, à son tour, en passe d’être concurrencée par la disposition qui, appréhendant le fait d’obtenir ou tenter d’obtenir un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, repose sur un élément constitutif unique correspondant au résultat recherché ou avéré, sans qu’il y ait lieu d’établir un comportement analogue à celui consistant à soumettre ou tenter de soumettre.

Cette interrogation prend son origine dans le choix, effectué par l’ordonnance du 14 avril 2019 portant refonte du Titre IV du Livre IV du code de commerce, de supprimer dans cette dernière règle toute référence au « service commercial » et, partant, de la rendre applicable aux mêmes contrats que ceux concernés par celle relative au déséquilibre significatif.

Mais l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 11 janvier 2023, sur le rapport de Madame la Conseillère Poillot-Peruzzetto — à laquelle des remerciements sont adressés pour la communication de celui-ci —, contribue également à alimenter la thèse d’une forme de « compétition » entre les deux dispositions érigées par l’ordonnance de refonte pivots du contrôle des déséquilibres contractuels dans les relations relevant du droit des pratiques commerciales déloyales entre professionnels et qui ont, l’une comme l’autre, été confortées jusqu’à présent sur le plan constitutionnel (v. en dernier lieu, Cons. constit., déc. n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, à propos de la règle sur l’avantage sans contrepartie).

La Chambre commerciale était très directement saisie de cette question à la faveur du pourvoi principal par lequel le Ministre de l’économie reprochait à la Cour d’appel de Paris d’avoir exclu l’application de l’ancien article L. 442-6-I-1° du code de commerce en considérant en substance que le contrôle d’une réduction de prix relève uniquement de la disposition appréhendant le déséquilibre significatif.

La société mise en cause avait, de son côté, formé un pourvoi incident faisant grief aux juges du fond d’avoir fait application des règles relatives aux pratiques restrictives de concurrence malgré l’existence d’un régime spécialement prévu pour les contrats de sous-traitance en matière de construction de maison individuelle.

La Cour régulatrice, ainsi doublement invitée à apporter des précisions quant au domaine d’application, se prononcer, pour commencer, sur l’articulation du droit des pratiques restrictives avec un régime spécial au contrat considéré (I). Puis, elle prend position sur l’articulation de la règle sur l’avantage sans contrepartie avec celle relative au déséquilibre significatif, dans le cas particulier, mais ô combien crucial, du prix (II).

I - Le domaine d’application matériel des dispositions consacrées aux pratiques restrictives de concurrence en présence d’un régime spécial relatif au contrat concerné

Jusqu’à présent, la délimitation du champ matériel du droit des pratiques restrictives quant aux contrats concernés s’est plutôt opérée à partir des deux règles « stars » appréhendant respectivement la rupture brutale et le déséquilibre significatif. Ces deux dispositions ont en commun de s’abstenir de viser tel ou tel type de contrat, le terme de contrat ne figurant même pas dans la formulation de ces règles. La jurisprudence a dès lors été appelée à indiquer, en l’absence d’exclusion expresse, si différentes relations sociétaires (Cass. com. 11 mai 2017, n° 14-29.717, Cass. com. 18 oct. 2017, n° 16-18.864), le bail commercial (Cass. 3ème civ., 15 fév. 2018, n° 17-11.329) ou encore la cession de fonds de commerce (Paris, Pole 5 ch. 3, 10 avr. 2019, n° 18-00311) entraient dans le champ du droit des pratiques restrictives. Dans ces différents cas de figure, les juridictions ont répondu par la négative, en suivant des raisonnements différenciés, plus ou moins convaincants selon les cas.

S’agissant des relations sociétaires, le refus de leur appliquer des règles de droit du marché, quoiqu’il n’ait pas vraiment été explicité, peut se justifier car il s’agit de rapports internes à un groupement, hors marché en quelque sorte (sous la réserve, le cas échéant, de l’hypothèse dans laquelle deux types de rapports se superposent et pourraient donner lieu à une application distributive). Quant aux contrats de louage d’un local commercial ou de cession d’un fonds, autant le dire franchement, la justification avancée pour les soustraire à l’emprise du droit des pratiques restrictives peine à convaincre : peut-on effectivement considérer qu’il ne s’agit pas là d’activités économiques se déroulant sur un marché alors d’ailleurs que le droit des pratiques anticoncurrentielles a pu être appliqué à des baux commerciaux ?

En réalité, un raisonnement fondé sur l’articulation entre le spécial et le général (ou le moins spécial) pourrait apparaître plus approprié (rappr. Paris, Pôle 5, ch. 3, 25 nov. 2016, RG n° 16/08557, dont il résulte notamment que « les dispositions du statut des baux commerciaux qui tendent dans leur ensemble à assurer l’équilibre des droits de chaque partie sont exclusives de toute application conjointe ou alternative des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce qui visent pour leur part à réguler les relations commerciales entre professionnels portant sur la fourniture ou la distribution de produits ou de services »).

Aussi l’arrêt du 11 janvier 2023 mérite-t-il de retenir l’attention même si l’ancien article L. 442-6-I-1° du code de commerce se rapportant à l’avantage sans contrepartie est de prime abord moins propice à des précisions à ce propos. En effet, contrairement aux deux autres dispositions, il était, jusqu’à la réforme du 14 avril 2019, explicitement circonscrit, selon sa lettre même, aux services commerciaux. Même s’il a été considéré que cette disposition était applicable, au-delà de la coopération commerciale, à n’importe quel contrat de services (Paris, 10 déc. 2014, n° 11/13313, à propos de services consistant en des programmes de formation et des travaux comptables ; v. aussi CEPC, avis n° 15-22 relatif à une demande d’avis d’un professionnel sur la validité des conditions de révision du prix d’un abonnement), elle n’en demeure pas moins limitée à cette seule variété de contrats. Le litige dont la Cour de cassation a eu à connaître dans la présente affaire concernait des relations de sous-traitance, relevant dès lors, en tant que prestations de services, de la règle sur l’avantage sans contrepartie.

L’auteur de la pratique alléguée faisait pourtant valoir que, par application du principe specialia generalibus derogant, le bénéfice de ce dispositif est exclu lorsque des dispositions spéciales protègent déjà le partenaire en position de faiblesse.

La Cour de cassation fait brèche à cette critique en approuvant nettement la Cour d’appel d’avoir « exactement » considéré, d’une part, que « les relations de sous-traitance entrent dans le champ d'application de l'(ancien) article L. 442-6, I du code de commerce » et d’autre part, qu’en l’absence de « règle incompatible » avec les dispositions du code de la construction et de l'habitation de ce texte « s'applique aux relations entre un constructeur de maison individuelle et ses sous-traitants ».

L’arrêt du 11 janvier 2023 contribue de la sorte à éclairer l’articulation du droit des pratiques restrictives avec certains régimes spéciaux, propres à tel ou tel contrat, ainsi qu’à en délimiter le champ d’application. La référence faite à l’incompatibilité entre les deux séries de dispositions susceptibles de s’appliquer conduit à considérer que le principe specialia généralibus derogant entraîne la mise à l’écart d’une règle au profit d’une autre uniquement lorsqu’il existe entre elles une contradiction telle qu’on ne peut en faire application en même temps. Par où la vocation transversale et quelque peu impérialiste de cette branche singulière du droit de la concurrence se trouve mieux préservée. Il n’en sera sans doute pas moins nécessaire que d’autres décisions viennent prolonger la solution ainsi énoncée.

Au demeurant, l’arrêt du 11 janvier 2023 fera également et plus encore date par la réponse apportée à l’autre question soumise à la Cour de cassation.

II – L’application de la règle sur l’avantage manifestement disproportionné au prix dont le contrôle judiciaire ne relève pas exclusivement de la règle sur le déséquilibre significatif

La Chambre commerciale accueille le pourvoi formé par le Ministre de l’économie à l’encontre de l’arrêt d’appel qui, pour refuser de faire droit aux demandes formulées sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 1° à l’encontre d’une pratique de déduction systématique d’une remise, avait considéré que cette disposition n’est pas applicable à la réduction de prix obtenue d'un partenaire commercial (Paris, 5-4, 4 nov. 2020, n° 19/09129).

Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre spécialisée de la Cour d’appel avait retenu que, compte tenu du principe de la libre négociation du prix, « le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence ». Puis, elle en avait déduit, en se référant à la décision n° 2018-749 QPC du Conseil constitutionnel, qu’un tel contrôle ne peut être effectué qu’en l’absence de libre négociation, autrement dit uniquement sur le fondement de la règle relative au déséquilibre significatif, excluant ainsi que la disposition appréhendant l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionnée puisse s’appliquer en pareil cas.

Ce souci de restreindre les possibilités de contrôler le quantum du prix pouvait se comprendre au regard de l’admission de la lésion par exception en droit français des contrats. Il avait déjà inspiré une approche assez similaire en ce qui concerne la règle sur le déséquilibre significatif avant que la Cour de cassation admette, en des termes particulièrement nets, que « l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (Cass. com. 25 janv. 2017, n° 15-23.547).

La tentative de cantonner le contrôle judiciaire du prix échoue pareillement sur la lettre très claire de l’article L. 442-6-I-1° du code de commerce. Comme le souligne, à juste titre, l’arrêt de cassation pour violation de la loi, cette disposition « exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ». Contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel, cette règle, qui vise précisément « un avantage quelconque », est indéniablement applicable « quelle que soit la nature de cet avantage », ainsi que l’énonce la Chambre commerciale ; elle peut donc concerner le prix. Par où il est désormais acquis que le droit français des pratiques restrictives a consacré, non pas un, mais bien deux cas d’admission de la lésion dans les relations entre entreprises.

La solution de principe ainsi dégagée, sur le fondement de l’ancienne disposition restreinte aux seules prestations de services, doit d’autant plus retenir l’attention que, depuis l’ordonnance du 14 avril 2019, son domaine d’application a été élargi notamment quant aux contrats et est désormais identique à celui de la règle sur le déséquilibre significatif. Elle continue en revanche à s’en démarquer en ce que, contrairement à cette dernière reposant sur deux éléments constitutifs, sa violation continue d’être établie à partir du résultat — obtenu ou recherché — consistant, soit en un avantage sans contrepartie, soit manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie.

Dès lors, celui qui entend dénoncer en justice un déséquilibre d’ordre tarifaire pourrait être enclin à invoquer, de préférence ou concomitamment, le bénéfice d’une disposition pour laquelle il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve, parfois délicate, que ce déséquilibre trouve son origine dans un comportement consistant à imposer sans possibilité de négocier.

Reste à savoir comment effectuer le contrôle du déséquilibre tarifaire sur le fondement de chacune de ces deux dispositions concurrentes, question épineuse à laquelle la Cour de cassation n’a pas été appelée à répondre pour le moment.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance de refonte, la Cour d’appel de Paris, admettant de contrôler un déséquilibre tarifaire sur le fondement de l’article L. 442-2-6-I-2° du code de commerce, a défini la pratique comme celle consistant à « imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu’une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu’il donne » (Paris 23 mai 2013). Dans le prolongement, la Commission d’examen des pratiques commerciales a indiqué dans l’un de ses avis que « l’appréciation à porter pour identifier un éventuel déséquilibre significatif d’ordre tarifaire se rapproche nettement de celle requise en application de l’article L. 442-6-I-1° appréhendant l’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu », de sorte que « la démonstration peut donc être effectuée de façon similaire » (avis CEPC, 15-21 relatif à une demande d’avis d’un professionnel concernant l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce au secteur d’activité du conseil aux entreprises). On peut cependant s’interroger sur le point de savoir si la démonstration d’un avantage manifestement disproportionné à la valeur de la contrepartie ne devrait pas être plus exigeante qu’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations. Une réponse affirmative permettrait d’éviter que la règle relative à l’avantage manifestement disproportionné connaisse un succès contentieux grandissant, au point d’éclipser quelque peu celle sur le déséquilibre significatif. Autant dire que l’on suivra avec intérêt les prochaines décisions à venir…

Muriel Chagny
Président de l’AFEC
Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (Paris-Saclay)
Directeur du master de droit de la concurrence et de droit des contrats

JURISPRUDENCE : Confirmant la compétence de l’Autorité à connaître des pratiques de l’Ordre des architectes, tout en critiquant l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en œuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public, la Cour de cassation dit par ailleurs que l’Autorité pouvait imputer les pratiques au seul Ordre, dès lors qu’il était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale

 

À la faveur d’un arrêt rendu le 1er février 2023, lequel est appelé à être publié au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté dans son intégralité le pourvoi formé par l’Ordre des architectes contre l’arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire du barème de prix instauré par l’Ordre des architectes pour la construction d’ouvrages publics en France.

Elle y avait confirmé pour l’essentiel la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019, à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence, qui s’était saisie d’office au stade de la transmission de plusieurs rapports d’enquête réalisés par la DGCCRF, était venue sanctionner par une amende de 1,5 million d’euros l’Ordre des architectes — directement ou via quatre de ses conseils régionaux (CROA), ceux des Hauts-de-France, du Centre-Val de Loire, d’Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d’Azur —, mais aussi l’association A&CP Nord Pas de Calais Architecture et Commande Publique, ainsi que plusieurs architectes et sociétés d’architecture, pour avoir mis en œuvre des pratiques d’entente anticoncurrentielle sur les prix dans le secteur des marchés publics de la maîtrise d’œuvre pour la construction d’ouvrages publics en France, en violation des articles 101, § 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

Estimant toutefois que la proportionnalité de la sanction infligée à l’Ordre des architectes n’avait pas été motivée à suffisance au regard des capacités contributives de l’Ordre, la Cour d’appel de Paris avait annulé la décision de l’Autorité sur ce point et, statuant à nouveau, lui avait infligé, après vérification de ses capacités contributives, une amende du même montant.

En pratique, différentes mesures de nature pré-disciplinaire et disciplinaire avaient été diligentées au plan local à l’encontre de certains architectes pratiquant des honoraires jugés trop bas, lesquelles avaient été formalisées au niveau national par l’adoption d’un modèle de saisine de la chambre de discipline. Par ailleurs, des actions avaient été entreprises, également au plan local, à l’égard des maîtres d’ouvrage publics, visant à les alerter sur les risques, notamment contentieux, liés au montant prétendument trop faible des offres qu’ils avaient retenues. L’ensemble de ces mesures avaient été engagées dans le but de mettre en place un système de contrôle des prix généralisé et sophistiqué consistant en la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires rendue obligatoire par la multiplication des interventions auprès des maîtres d’ouvrage publics et des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires auprès des architectes.

À l’appui de son pourvoi, l’Ordre des architectes soulevait deux moyens.

Par son premier moyen, il contestait la compétence de l’Autorité à connaître de son action disciplinaire à l’encontre de ses membres, estimant en substance que le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié. Il soutenait à cet égard que l’action disciplinaire d’un ordre professionnel à l’encontre de l’un de ses membres traduit en principe l’exercice d’une prérogative de puissance publique échappant à la compétence des autorités de concurrence. Plus précisément, il reprochait à la Cour d’appel d’avoir considéré que l’Autorité est compétente pour connaître de pratiques mises en œuvre par les ordres professionnels, notamment « lorsque les pratiques relevant de l’exercice de prérogative de puissance publique ont été mises en œuvre de manière manifestement inappropriée et sont donc détachables de la mission de service public, et ainsi de l’appréciation de la légalité d’un acte administratif » (pt. 29).

Sur quoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation énonce, après un rappel opportun de la jurisprudence du Tribunal des conflits, que, si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique.

Au cas d’espèce, la Cour, relevant que l’arrêt attaqué a clairement énoncé que l'ordre des architectes avait, par son comportement, concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires, tire de ces constatations que les pratiques en cause ne relevaient pas de la mission de service public confiée à l'ordre des architectes ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, de sorte que la Cour d'appel a exactement déduit que l'Autorité de la concurrence était compétente pour les poursuivre et les sanctionner.

Toutefois, la confirmation n’est pas totale. À cet égard, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne laisse pas passé l’un des arguments avancés par la Cour d’appel, qu’elle juge erroné, l’affirmation, critiquée par la première branche du premier moyen, selon laquelle l'Autorité de la concurrence serait compétente pour connaître des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en œuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public. De deux choses l’une, semble-t-il : soit les pratiques en cause relèvent de la mission de service public confiée à l'ordre des architectes et ont été mises en œuvre au moyen de prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, auxquels cas lorsque ces prérogatives ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée, c’est le juge administratif qui est compétent pour en connaître ; soit elles ne relèvent pas de la mission de service public ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, et alors c’est l’Autorité de la concurrence qui est compétente. Or, au cas d’espèce, il n’était pas dans la mission de service public conférée à l’Ordre des architectes d’instaurer une police des prix. Par suite, cet Ordre ne saurait en vérité mettre en œuvre aucune prérogative de puissance publique, puisqu’ayant lui-même placé son intervention hors de cette mission de service public.

Par son second moyen, l’Ordre des architectes reprochait encore à la Cour d’appel d’avoir retenu que l’Autorité pouvait imputer, à lui seul, les pratiques, à l’exclusion de ses auteurs — le Conseil National de l'Ordre des architectes (CNOA) et les Conseils Régionaux de l'Ordre des architectes (CROA) — au motif qu’il était la « seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale », mais aussi que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en œuvre par ces derniers.

En premier lieu, la Cour de cassation estime que c'est à bon droit que, par motifs propres et adoptés, la Cour d'appel a déduit de la combinaison des textes régissant la matière que l'ordre des architectes était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, tandis que le CNOA et les CROA ne sont ni totalement indépendants de cet ordre ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de celui-ci.

En second lieu, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que l'Autorité de la concurrence dispose d'une marge d'appréciation quant à l'entité qu'elle entend poursuivre, et d’avoir affirmé par ailleurs — sans se contredire — que l'Autorité pouvait décider de ne retenir que la seule responsabilité de l'ordre, unique entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières avaient été mises en œuvre par ses composantes que sont le CNOA et les CROA, de sorte qu'il devait être tenu pour responsable de l'infraction en cause en sa qualité d'auteur.

JURISPRUDENCE QPC : Audience du Conseil constitutionnel sur la QPC portant sur la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, qui prévoit que l’Autorité de la concurrence peut accepter des engagements, mais ne dit rien sur sa faculté de les refuser

 

Le 31 janvier 2023, s’est tenue devant le Conseil constitutionnel l’audience concernant la QPC n° 2022-1035, laquelle porte sur la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, qui prévoit que l’Autorité de la concurrence peut accepter des engagements, mais ne dit rien sur sa faculté de les refuser.

On se souvient qu’à la faveur d’une décision rendue le 7 décembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, seconde phrase, du code de commerce, dans la version en vigueur du 11 mars 2017 au 5 décembre 2020, laquelle dispose que l’Autorité de la concurrence « peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1 à L. 420-2-2 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 ».

À l’origine de ce renvoi, se trouve une demande de question prioritaire de constitutionnalité formée par les sociétés Sony Interactive Entertainment France (SIEF) et Sony Interactive Entertainment Europe Limited (SIEE), à l'occasion du pourvoi qu'elles ont introduit contre l'arrêt rendu le 21 avril 2022 par la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris et à la faveur duquel, on s’en souvient, elle a déclaré irrecevable le recours des sociétés Sony contre la décision n° 20-S-01 en date du 23 octobre 2020 prise par le Collège de l’Autorité de refuser les engagements proposés par celles-ci après test de marché et de renvoyer le dossier à l’instruction.

C’est donc par un communiqué quelque peu laconique daté du 26 octobre 2020, que l’Autorité de la concurrence avait annoncé que le Collège avait décidé de ne pas accepter et donc de ne pas rendre obligatoires les engagements proposés un an plus tôt par Sony, ceux-là mêmes qui visaient à rendre l’octroi de licences officielles pour la fabrication et la commercialisation de manettes compatibles avec la console de jeux Playstation 4 plus transparent et non discriminatoire. Pour le Collège, dans leur version ultime, les engagements de Sony ne permettaient pas de répondre de façon pertinente aux préoccupations de concurrence identifiées par les services d’instruction. En conséquence, le collège avait renvoyé le dossier à l’instruction pour que celle-ci puisse reprendre son cours.

Devant la Cour d’appel, SIEF et SIEE avaient soutenu en substance que la décision de renvoi à l'instruction constituait, en réalité, une décision au fond, en ce qu'elle tranchait la question de savoir si les derniers engagements proposés par elles étaient de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence identifiées dans l'évaluation préliminaire, que cette décision leur faisait au surplus grief en ce qu'elle les privait de la chance de pouvoir conclure favorablement la procédure d'engagements en mettant un terme final à cette affaire sans la moindre qualification d'infraction ni la moindre sanction, sans compter que cette décision de renvoi à l’instruction constituait un acte de « name and shame » susceptible de leur créer un préjudice d’image. Par suite, selon les requérantes, la décision attaquée était susceptible de recours, au même titre et, par une espèce de parallélisme des formes, que les décisions d’acceptation d’engagements.

La Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris n’avait donc pas fait droit à cette demande, considérant à l’inverse qu’il résulte clairement du libellé de l'article L. 464-8 du code de commerce que le recours en annulation ou en réformation des décisions de l'Autorité de la concurrence n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions qui y sont limitativement énumérées et qu’il résulte tout aussi clairement du libellé de l'article L. 464-2 du même code, auquel le premier renvoie, que seules les décisions d'acceptation des engagements proposés par les entreprises sont visées comme étant susceptibles de recours, à l'exclusion de celles portant refus desdits engagements. Or, ajoutait la Cour, à la différence des décisions d’acceptation d’engagements qui mettent fin à la procédure, les décisions de refus des engagements proposés, loin de constituer des décisions au fond, ne mettent pas fin à la procédure mais impliquent, au contraire, une reprise du cours de l'instruction. Par ailleurs, rappelait-elle, les entreprises ne disposent pas d'un droit aux engagements, l'Autorité jouissant d'un pouvoir discrétionnaire en la matière, et le Collège n'était dès lors pas tenu de formaliser sa décision de refus des engagements proposés ni, a fortiori, de la motiver.

Au final, la Chambre de la régulation économique de la Cour d’appel de Paris avait considéré que la décision de rejet des engagements proposés ne saurait faire l'objet d'un recours immédiat, au même titre qu'une décision d'acceptation des engagements, d’autant que les entreprises concernées bénéficient d’une protection juridictionnelle effective dès lors qu’elles disposent d’un droit de recours contre la décision au fond.

La question prioritaire de constitutionnalité des sociétés Sony est ainsi rédigée : « En édictant les dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce — lesquelles prévoient la faculté pour l'Autorité de la concurrence d’accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles illégales —, le législateur a-t-il, d'une part, méconnu les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, à savoir les principes d'indépendance et d'impartialité ainsi que le principe des droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, et d'autre part, méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant ces mêmes droits et libertés ? »

De son côté, la Cour de cassation, visiblement sensible aux arguments avancés par les sociétés Sony, relève que la disposition déférée est applicable au litige, qu’elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et que la question posée présente un caractère sérieux, au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, ainsi que des droits de la défense, en ce que les rapporteurs et les membres du collège, qui participent à la procédure d'engagements, peuvent se forger une opinion sur les pratiques en cause, susceptibles de justifier l'ouverture d'une procédure de sanction en cas d'échec des négociations, et que, dans cette hypothèse, les garanties permettant de prévenir cette situation de connaissance, par ces mêmes personnes, de la procédure de sanction et de faire en sorte que soient retirées du dossier les propositions d'engagements et les observations des tiers intéressés faites à leur sujet, résultent, pour l'essentiel, du communiqué de procédure édicté par l'Autorité et de ses règles internes de fonctionnement.

Ce faisant, la Cour de cassation semble mettre en avant les risques de préjugement en cas d’échec de la procédure d’acceptation d’engagements et de renvoi à l’instruction tant du côté des services d’instruction que celui du Collège. Elle pointe également le fait que les quelques garanties procédurales applicables en pareil cas résultent non de la loi, mais du communiqué de procédure édicté par l'Autorité et de ses règles internes de fonctionnement, faisant écho à l’argument des sociétés Sony selon lequel le législateur aurait ici méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif…

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a entendu Me Patrice Spinosi et Me Jérôme Philippe, avocats de parties requérantes. Si Me Spinosi s’en est tenu au niveau des principes, Jérôme Philippe s’est, quand à lui, attaché à examiner la conformité à la Constitution de la disposition déférée d’un point de vue concret en se servant du déroulement de la procédure devant l’Autorité de la concurrence dans la présente affaire à titre d’illustration des atteintes aux principes d’indépendance et d’impartialité, aux droits de la défense et au droit à un recours effectif, pour conclure sur l’incompétence négative du législateur.

Me Spinosi a insisté sur les différences conceptuelles qui opposent l’Autorité de la concurrence et le Secrétariat général du Gouvernement d’un côté et les entreprises requérantes de l’autre. Pour l’Autorité et le SGG, la procédure d’engagements n’est qu’un préalable, une phase préparatoire à une éventuelle procédure de sanction. On serait en présence d'une procédure unitaire. Dans ces conditions, il ne peut y avoir d'atteinte à l'impartialité puisqu'il n'y a pas eu d'appréciation sur les faits lors de la phase d'engagements. Il n'y a pas eu non plus de jugement, mais seulement une opinion sur les engagements proposés pour remédier à des préoccupations de concurrence. De la même façon, il n'est pas nécessaire de prévoir un recours autonome puisque la procédure d'engagement n’est qu’un acte préparatoire inclus dans la procédure de sanctions. En outre, le contrôle exercée par l'Autorité serait différent dans les deux cas.

À l’inverse, selon les parties requérantes, la procédure d'engagements et la procédure de sanctions ne sont pas deux phases successives d'une procédure unique, mais deux procédures distinctes. Il s'agit de deux voies alternatives, soit une solution négociée, soit une procédure de sanction. Pourtant, dans les deux procédures, c'est le même manquement qui est examiné, d’abord sous la forme de préoccupations de concurrence, puis sous la forme d'un grief. Ce sont les mêmes juges qui statuent dans les deux cas. Le collège est associé au rapporteur très en amont dans les engagements, avant même l'évaluation initiale, sur l'opportunité d'initier une procédure d'engagement et il reste associé jusqu'au bout de la procédure. Pour elles, il existe un lien nécessaire entre l'appréciation de la suffisance des engagements pour remédier aux préoccupations de concurrence et l'appréciation de l'existence même d'une pratiques anticoncurrentielles prohibée. La perméabilité entre les deux procédures est patente et, in concreto, le risque d'atteinte au principe d'impartialité est caractérisée.

Existe-t-il dans les textes — communiqué de procédure et règles internes — une possibilité de pallier ce risque d'impartialité ? Non, car seul, une dispositions législatives est susceptible d'offrir une garantie suffisante pour se prémunir d'une atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité. La simple réglementation interne ne saurait suffire. En outre, de nombreux documents issus de la procédure d'engagements demeurent accessibles au collège, puisque rendus publics : l'évaluation préliminaire, le communiqué de l’Autorité relatif au retrait de l’engagement, le communiqué relatif au test de marché comme les propositions d’engagements. Ainsi, l'incompétence négative du législateur est patente pour le risque de violation des principes d'indépendance et d’impartialité.

S’agissant du droit d'accès au juge, les arguments de l'Autorité et du SGG sont identiques : comme la procédure d'engagements n'est qu'une phase préparatoire de la procédure de sanctions avec laquelle elle forme un tout, il faut attendre l’issue de la procédure contentieuse et une éventuelle condamnation pour avoir accès au juge. À l’inverse, plaide Me Spinosi, seul l'accès immédiat au juge peut permettre de contrôler l'absence de violation par l'autorité de ses propres pouvoirs, par exemple, lorsqu'elle exige de l'entreprise mise en cause une contrepartie disproportionnée par rapport à l'atteinte possible à la concurrence. Ainsi, en l'absence de mesures législatives, aucune garantie ne permet d'éviter que l'autorité mettent en œuvre la procédure d'engagement de façon excessive.

Jérôme Philippe commence par rappeler l'historique de la procédure dans la présente affaire. Saisie en 2016 par un plaignant, l’Autorité accepte après deux ans d’instruction d’ouvrir une procédure d’engagements à la demande de Sony qui, en 2018, adresse à l’Autorité une note comportant une engagement unique de modifier sa politique de licence. Bon, à ce stade que les services d'instruction de l'autorité se mettent à rédiger une évaluation préliminaire, laquelle est envoyée à l’entreprise 15 mois plus tard. Cette évaluation préliminaire comporte une préoccupation de concurrence unique tenant à l’articulation des mesures techniques visant à lutter contre la contrefaçon et l’absence de transparence du programme de licence qui conduisait à l’exclusion de certains revendeurs qui n’avaient pu résoudre les problèmes techniques car ils n’étaient pas parvenu à entrer dans le programme de licence de Sony en raison de son absence de transparence. En pratique, il suffisait d’améliorer l’un des volets pour résoudre l’ensemble du problème. Dans ses engagements, Sony a donc choisi d’améliorer la transparence de son programme de licence à fin de permettre à tous les acteurs de résoudre le problème technique. Toutefois, lors de la séance devant l'Autorité, le collège a indiqué qu'il n'y avait pas une mais deux préoccupations de concurrence et qu'il exigeait non pas un mais deux engagements. Pour lui, il ne sert à rien de solutionner la question de la transparence de la licence s’il n'y a pas par ailleurs d'engagement sur le volet technique. Finalement, le collège refuse les engagements de Sony. Ironie de l’histoire, après le retour à l'instruction, les rapporteurs ont notifié un grief unique sur la combinaison mesures techniques/licences, écho parfait de la préoccupation de concurrence initialement retenue. Pour Jérôme Philippe, cela témoigne de l'erreur manifeste du collège. C'est du reste ce que Sony souhaitait voir trancher par le juge d’appel…

Jérôme Philippe passe ensuite en revue les différentes fictions juridiques qui leur ont été opposées.

Premièrement, il existerait une indépendance totale entre le rapporteur général et le collège pendant la négociation des engagements. Pourtant, le communiqué de procédure de l’Autorité dit l’inverse : il s’agit d’associer le collège et le rapporteur général dès le début et tout au long de la procédure. Du reste, dans ses dernières observations, l'autorité dit que le collège n'est pas associé à la négociation, en raison de la séparation fonctionnelle entre l'instruction et le jugement, alors qu'elle avait soutenu dans ses premières observations, que ce principe de séparation fonctionnelle n'est pas applicable à la procédure d’engagements.

Deuxièmement, la procédure d'engagement ne donnerait lieu qu'à des mesures d'instruction allégées. En réalité, soutient Jérôme Philippe, ce n'est pas du tout en pratique : toutes les questions substantielles ont été traité avant la séance d'engagements. La quasi-totalité de l'instruction s'est déroulée avant et l'évaluation préliminaire a mis beaucoup plus de temps à arriver que la notification des griefs, laquelle n'a donné lieu qu'à très peu d'instruction avec quelques questions supplémentaires seulement. Au reste, le dossier d'instruction accompagnant la notification des griefs était quasiment identique à celui accompagnant la séance d'engagements. De sorte que c'est bien une instruction quasi complète qui a été réalisée pendant la procédure d’engagements.

Troisièmement, en l'absence de qualification formelle des pratiques, la décision de rejet des engagements ne ferait pas grief et ne porterait aucun pré-jugement. Toutefois, l'Autorité est tenue de s'assurer du caractère proportionné des engagements aux préoccupations de concurrence. Si les engagements publiés sont considérés comme non proportionné aux préoccupations de concurrence, c'est bien que ces préoccupations existent et sont substantielles, c'est bien qu'il existe une situation non concurrentiel en l’absence d'engagements. On ne peut donc pas dire qu'il n'existe pas de pré-jugement. Outre la perte d’une chance de sortir de la procédure en évitant la phase contentieuse, il est évident que la décision de rejet fait grief, en ce qu’elle indique publiquement qu'il subsiste une situation de concurrence non satisfaisante. Du reste, le plaignant ne s’y est pas trompé, puisqu'il a engagé immédiatement une procédure indemnitaire contre Sony devant le Tribunal de commerce de Paris. En outre, il est difficile de concevoir que cette décision de rejet n’aura pas d’influence sur les rapporteurs et sur les membres du collège appelés à connaître du contentieux. L'obligation de proportionnalité doit être contrôlable par un juge. Si l'entrée dans la procédure peut être discrétionnaire, la sortie ne peut pas l’être.

Quatrièmement, un appel différé contre cette décision de rejet serait possible dans le cadre d'un recours contre la décision de sanctions de l’Autorité. Toutefois, en l'absence de décision de sanctions, il n'y aurait pas d'appel possible. Mais surtout, si sanction il y a, l’Autorité aura qualifié le comportement de pratique anticoncurrentielle. Dans ces conditions, que vaudra un moyen soutenant que, alors que les pratiques n'étaient pas encore qualifiées, une possibilité de sortie via des engagements a été indûment refusée à l'entreprise. Le fait qu’il y ait eu entre-temps qualification et sanction des pratiques va attraire toute l'attention et l’on ne voit pas comment la Cour d'appel pourrait dire : « Je suis d’accord avec la qualification retenue et avec  la sanction, mais vous n’auriez jamais dû à en arriver là, car vous avez indûment refusé une proposition d’engagements ». Suggérant un parallèle avec le contentieux qui a conduit à reconnaître un recours immédiat aux entreprises faisant l’objet d’opération de visites et saisies, Jérôme Philippe soutient que ce n'est pas réaliste de considérer que le recours contre le refus des engagements peut être traité dans le cadre du recours contre la décision de sanctions.

Tout ceci est la preuve de l'incompétence négative du législateur et de l'urgence à donner un cadre juridique à la décision de rejet des engagements en établissant clairement que cette décision faisant grief doit pouvoir faire l'objet d'un recours immédiat et en encadrant ses conséquences au regard des principes d'indépendance et d'impartialité et des droits de la défense.

Le Conseil constitutionnel a ensuite entendu le représentant de l'Autorité de la concurrence, Me Jean-Philippe Duhamel et celui du secrétariat général du gouvernement, M. Antoine Pavageau, qui ont développé l’un et l’autre des arguments identiques.

Jean-Philippe Duhamel, qui décrit la procédure d’engagements comme une procédure facultative, légère, c’est-à-dire sans instruction ni enquête, et consensuel, met en garde le Conseil contre un dévoiement possible de la procédure d'engagements, alors même qu'il ne détecte dans cette procédure, aucune violation des principes protégés par la Constitution.

Ainsi en va-t-il des principes d'indépendance et d’impartialité. Rappelant que la séparation fonctionnelle entre l'instruction et le jugement a été jugée conforme aux principes d'indépendance et d’impartialité le représentant de l’Autorité insiste sur le fait que le collège intervient tout au début sur l'opportunité de recourir à la procédure d'engagement et tout à la fin pour accepter ou refuser les engagements de sorte que le collège est totalement étranger à la négociation. Du reste, dans la présente affaire, l’indépendance fonctionnelle a été respectée puisqu'aussi bien le collège à penser différemment des services d'instruction. En outre, le collège se borne à dire si les engagements lui semble adaptés, de sorte qu'il n'y a pas de pré-jugement. Enfin, les membres du collège qui jugent au contentieux, ne sont pas ceux qui ont fait partie de la formation qui a statué sur les engagements.

Il n'y a pas non plus, selon lui, d'atteinte aux droits de la défense. La nature consensuel de la procédure d'engagements fait que les droits de la défense ne sont pas aussi étendus qu’au contentieux. L'accès au dossier — évaluation préliminaire, proposition d'engagements, observations des tiers intéressés après le test de marché — suffit. L'entreprise peut ainsi faire valoir l'ensemble de ses droits. Si l'autorité finit par refuser les engagements, ces pièces peuvent rester au dossier car elles ne comportent aucune accusation ni aucune qualification. Pourtant, le dossier est expurgé de toutes ces pièces comme de la décision de renvoi à l’instruction.

Pas plus qu’il n’y a, selon lui, atteinte au droit à un recours effectif. Si le collège refuse les engagements, sa décision ne met pas fin à la procédure et ne fait pas grief. Seul la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours. La procédure d'engagements donne lieu à un premier communiqué, puis à un test de marché et enfin à un communiqué de refus ou d’acceptation des engagements. Ces mesures ne font pas grief, car l’entreprise sait à l'avance que ces mesures seront mises en œuvre. Elle les accepte par avance. Aucun de ces actes ne qualifie le comportement de pratiques anticoncurrentielles. En cas de refus, les engagements ne sont pas rendus publics. Si le Conseil constitutionnel reconnait un recours immédiat alors cela favorisera les pratiques dilatoires : les entreprises proposeront des engagements successifs certes croissants, mais toujours insuffisant, de sorte qu’en cas de refus le recours qu’elles formeront devant la Cour d’appel de Paris, puis devant la cour de cassation prendront près de trois ans. Entre-temps, Sony aura commercialisé une autre console de jeux et la procédure d'engagements n'aura plus aucun intérêt. Cette procédure légère et rapide serait ainsi ralenti alors qu'il n'y a aucune atteinte aux droits un recours effectif.

Enfin, quant à la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, Jean-Philippe Duhamel rappelle que la disposition déférée ne relève pas de la matière pénale, qu'elle ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux protégés par la Constitution et qu'elle ne relève pas de la loi mais du règlement.

À l'issue de ces auditions, trois membres du Conseil constitutionnel ont posé des questions. Alain Juppé s'est interrogé sur la différence entre préoccupations de concurrence et pratiques anticoncurrentielles ; Jacques Mézard a demandé s’il était déjà arrivé qu'un plaignant conteste l'acceptation d'engagements. Enfin, Véronique Malbec a demandé si le refus d'engagements opposé dans cette affaire constituait une première.

Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le vendredi 10 février 2023.

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris constate des désistements emportant extinction de l’instance et son dessaisissement dans deux affaires distinctes, celle qui a conduit l’autorité à sanctionner à hauteur de 500 millions Google pour le non-respect de plusieurs injonctions prononcées en mesures conservatoire à propos de la rémunération des droits voisins des éditeurs et agences de presse et celle des isolants thermiques

 

 

Ces derniers jours, la Cour d’appel de Paris a rendu deux arrêts aux termes desquels elle a constaté, le 19 janvier 2023, des désistements emportant extinction de l’instance et son dessaisissement du recours formé par les sociétés Google contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-17 du 12 juillet 2021 qui les a sanctionnées à hauteur de 500 millions d’euros pour le non-respect de plusieurs injonctions prononcées en mesures conservatoires à propos de la rémunération des droits voisins des éditeurs et agences de presse, puis, le 26 janvier 2023, des désistements emportant extinction de l’instance et son dessaisissement du recours formé par la saisissante, la société ACTIS S.A., contre la décision n° 21-D-01 du 14 janvier 2021 aux termes de laquelle l'Autorité de la concurrence a prononcé un non-lieu pour des pratiques concernant le secteur de la fabrication de produits d’isolation thermique.

INFOS AIDES D’ÉTAT : La Commission propose aux États membres de prolonger l’encadrement temporaire de crise jusqu'au 31 décembre 2025 en le transformant en un encadrement temporaire de crise et de transition vers la neutralité carbone

 

La Commission a annoncé le 1er février 2023 qu’elle avait adressé aux États membres pour consultation un projet de proposition visant à prolonger de deux ans, jusqu’au 31 décembre 2025 l’encadrement temporaire de crise conçu pour soutenir l'économie dans le contexte de la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine en le transformant en un encadrement temporaire de crise et de transition afin de faciliter et d'accélérer la transition verte de l'Europe. Cette proposition fait partie du plan industriel Green Deal, également présenté le même jour. Elle contribue à son deuxième pilier visant à assurer un accès plus rapide au financement pour les entreprises opérant dans l’Union. Elle pourrait être formellement adoptée dans les semaines à venir, en tenant compte des observations formulées par les États membres.

La proposition d'encadrement temporaire de crise et de transition vise à stimuler les investissements afin d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables, ainsi qu'à soutenir la décarbonation de l'industrie et la production des équipements nécessaires à la transition vers la neutralité carbone, tout en préservant l'intégrité et les conditions de concurrence équitables sur le marché unique.

Les modifications proposées visent à :

— faciliter davantage le déploiement des énergies renouvelables et la décarbonation de l'industrie en prévoyant la possibilité : i) de soutenir le déploiement de toutes les sources d'énergie renouvelables ; ii) d'octroyer des aides pour les technologies moins matures, comme l'hydrogène renouvelable, sans procédure de mise en concurrence, pour autant que certains garde-fous permettant de garantir la proportionnalité du soutien public soient en place ; et iii) d'encourager les investissements entraînant une réduction significative des émissions en prévoyant des plafonds d'aide plus élevés et des calculs d'aide simplifiés (par exemple, les aides seraient simplement déterminées en proportion des coûts d’investissement).

— soutenir les investissements dans la production des équipements stratégiques nécessaires à la transition vers la neutralité carbone, afin d'accélérer la transition vers une économie neutre en carbone et de surmonter la crise énergétique actuelle. La Commission propose notamment de combler le déficit d'investissements productifs dans les secteurs stratégiques pour la transition écologique. Cela s'inscrit dans le contexte des difficultés mondiales qui risquent d'entraîner une réorientation des nouveaux investissements dans ces secteurs vers des pays tiers situés en dehors de l'Europe. La Commission propose en particulier d'autoriser les États membres à octroyer un soutien à la production de batteries, de panneaux solaires, de turbines éoliennes, de pompes à chaleur, d'électrolyseurs et de dispositifs de captage, d'utilisation et de stockage du carbone, ainsi que des matières premières critiques nécessaires à la fabrication de ces équipements.

La présente proposition sera accompagnée par la révision en cours du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), qui permet aux États membres de mettre en œuvre directement des mesures d'aide d'État sans avoir à les notifier au préalable à la Commission en vue d'obtenir son autorisation. Le RGEC révisé donnera aux États membres plus de flexibilité pour soutenir les mesures dans les secteurs clés pour la transition vers une économie neutre en carbone, comme l'hydrogène, le captage et le stockage du carbone, les véhicules à émission nulle et la performance énergétique des bâtiments. La Commission a notamment l'intention de relever encore les seuils de notification des aides en faveur des investissements verts, d'élargir le champ d'application des aides à l'investissement en faveur des infrastructures de recharge et de ravitaillement, ainsi que de faciliter davantage les aides à la formation permettant d'acquérir des compétences pour les PME.

La révision du RGEC contribuera entre autres à rationaliser et à simplifier davantage le déploiement des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), plus particulièrement en ce qui concerne la mise en œuvre de projets innovants de plus petite taille liés à des PIIEC. La Commission travaille également de concert avec les États membres sur un code de bonnes pratiques pour une conception plus transparente, inclusive et rapide des PIIEC. Le code de bonnes pratiques sera signé par la Commission et les États membres d'ici au printemps de cette année.

INFOS : L’Autorité lance deux consultations publiques en vue de préparer des avis sur la liberté d’installation des notaires et des commissaires de justice et de proposer une révision des cartes arrêtées en 2021

 

Le 1er février 2023, l’Autorité de la concurrence a lancé deux consultations publiques jusqu’au 2 mars 2023 en vue d’élaborer deux nouveaux avis sur la liberté d’installation des notaires et des commissaires de justice et de proposer une révision des cartes arrêtées en 2021.

À cette occasion, l’Autorité rendra pour la première fois un avis et une proposition de carte unique pour la profession de commissaire de justice.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS : Vers une nomination de Stéphane Retterer comme président de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et de Sophie Charlot comme rapporteure générale

 

Un an près l’appel à candidatures lancé le 4 février 2022, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, après avoir entendu et questionné les candidats proposés par le Gouvernement de la Nouvelle Calédonie, a émis, le 2 février 2023, un avis favorable à la candidature de M. Stéphane Retterer au poste de président de l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle Calédonie ainsi qu’à celle de Mme Sophie Charlot au poste de rapporteure générale.

Il faudra cependant attendre encore leur nomination officielle et leur prise de poste, qui devraient intervenir au courant du mois d'avril ou en mai, pour que Stéphane Retterer remplace Aurélie Zoude-Le Berre à la tête de l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et pour que Sophie Charlot remplace Virginie Élissalde comme rapporteure générale.

Agé de 55 ans, originaire de Toulon, Stéphane Retterer, qui est resté seul candidat après que Simon Genevaz, candidat le mieux placé à ce poste, y a renoncé pour rejoindre le cabinet de la vice-présidente de la Commission européenne Vestager, est magistrat administratif depuis 15 ans. Il a du reste exercé pendant plus de 7 ans en Polynésie française en qualité de magistrat, où il a eu à se pencher sur la libéralisation du secteur aerien et, plus encore, sur l’ouverture à la concurrence du secteur des télécoms. Il a insisté, au cours de son audition, sur le fait qu’il avait une connaissance du fonctionnement d’une économie insulaire, du droit de l’outre-mer, mais aussi des règles de concurrence, auteur d’une thèse de doctorat portant sur le droit de la concurrence, matière qu’il a ensuite enseignée. Il a par ailleurs indiqué que son expérience de magistrat lui permettrait d’apporter une sécurisation des procédures et des décisions de l’Autorité, tout en assurant le Congrès de son intégrité au service de l’intérêt général, de sa neutralité et de son indépendance, même s’il entend instaurer un dialogue avec toutes les parties prenantes dans le respect des justiciables.

Quant à Sophie Charlot, diplômée de l’Institut d’étude politique de Rennes, elle est entrée en 2003 à la DGCCRF où elle a occupé différents postes et est passée par le SGAE de 2012 à 2016. Depuis, 6 ans, elle dirige la Brigade interrégionale d'enquête concurrence (BIEC) basée à Marseille, laquelle couvre non seulement la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais également l’Occitanie et la Corse, économie insulaire.

 

S'ABONNER                     ARCHIVES       
RECHERCHER            MENTIONS LÉGALES
Website
Email
LinkedIn
Twitter
 
Cet e-mail a été envoyé à <<Adresse e-mail>>

Notre adresse postale est :
L'actu-droit
83 rue Colmet Lepinay
Montreuil 93100
France

Add us to your address book