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David’s news !

Power to the pipou !


Le mémorial des fusillés de la forêt de Bikernieki, près de Riga, capitale de la Lettonie.

(Attention, cette newsletter parle de trucs vraiment trash. Lisez seulement si vous êtes d’accord pour voir le côté obscur de l’humanité en face.)


Dis moi pourquoi tu es prêt à mourir, et je te dirai pourquoi tu es prêt à vivre.


Je ne pensais pas que la Lettonie allait me faire un effet pareil. Et comme j’ai promis d’expliquer un peu, je vais vous raconter pourquoi.


À la chute de l’URSS, la Lettonie a rapidement rejoint l’OTAN, puis l’Europe. Une (grosse) minorité Russe y vit. Une petite moitié de cette minorité, surtout la plus âgée, est russophile. Surtout dans les régions les plus à l’Est. Et tout le reste du pays est majoritairement tourné vers l’Occident, l’Europe, et une sorte de libéralisme mâtiné de social-démocratie assez classique dans les pays Scandinaves.


Avant les soviétiques, la Lettonie a été occupée par les nazis. Et avant l’invasion nazie en 1941, les Juifs comptaient pour environ 30% de la population Lettone. Environ 80000 personnes. Près de 70000 ont été fusillés. Les autres sont partis à temps, et ont fui en Union Soviétique à l’arrivée des nazis. Parmi ces derniers, environ 15% ont survécu : beaucoup sont morts au goulag. D’autres sont morts en combattant pour le compte de l’armée rouge.


Après la seconde guerre mondiale et la Shoah par balles, moins de 1% de la population Lettone était Juive.


Je suis allé là-bas (invité par une fac avec laquelle je bosse régulièrement depuis plusieurs années, et par une asso qui travaille sur ces questions) notamment, pour rencontrer des survivants, et quelques rares témoins oculaires encore vivants de cette Shoah par balles. Des gens qui ont aujourd’hui 91, 92, 97 ans et qui ont soit survécu, soit assisté, soit contribué indirectement à ces exécutions de masse. J’ai entendu les témoins raconter. Je suis allé voir plusieurs de ces fosses. J’ai marché entre la route et l’endroit dans la forêt toute plate, où des monticules de terre rompent avec le paysage rectiligne. Ces monticules, ces petites collines, sont le volume excédentaire de terre. Parce que quand on creuse des tranchées, et qu’on entasse vingt-cinq mille corps dedans, ça laisse un certain volume de terre inutilisée. Forcément.


C’est ce qui s’est passé à Bikernieki et à Rumbula, non loin de Riga. Et un peu partout, dans les petits villages, à plus petite échelle. La méthode était simple : on trouvait un endroit adapté, loin des nappes phréatiques, et doté d’un sol meuble et facile à creuser. On faisait une fosse immense, en forme de pyramide inversée. La forme du trou était importante : il fallait que les fusillés puissent y descendre par leurs propres moyens. On emmenait donc les Juifs, Tziganes, et autres opposants. Petit à petit, échelonnés, à pied. Menés par des garde armés de fusils et de bâtons. On demandait aux victimes de se déshabiller entièrement à une certaine distance, avant les fosses. On leur faisait ranger leurs chaussures proprement, par paires. Entasser leurs chemises, lunettes, sous-vêtements en bon ordre.


Pour adoucir la tâche des bourreaux, Il y avait de la musique. Et on buvait. Beaucoup. Les futures victimes entraient d’elles-mêmes dans les fosses et s’allongeaient dedans, se couchant sur les cadavres des précédents. Et on les fusillait ainsi.


Pour les bourreaux qui n’étaient pas au travail, il était formellement autorisé de violer les femmes avant leur exécution. Ces viols avaient généralement lieu à côté de la fosse, pour limiter les risques d’évasion.


L’antichambre de l’enfer.


Cette méthode, appelée “méthode Arājs”, évitait aux bourreaux de devoir déshabiller leurs victimes, ou de devoir même les déplacer. Et si un juif simulait sa mort, dans la fosse, il y avait de bonnes chances qu’il soit touché par les tirs suivants, traversant le corps des derniers fusillés.


Plus que les pierres et les mémoriaux et les histoires, ce sont les tas de terre qui m’ont fait prendre la mesure de l’horreur. Des centaines et des centaines de mètres cubes. On en voit une partie sur la photo, en haut de ce mail. La photo ne rend pas justice à la hauteur du talus. Il fait environ 15 mètres de haut. C’est une petite colline artificielle, ni plus ni moins. Et autour, il y a plein de fosses communes, marquées par un petit mémorial. Assez sobre.


Il existe des centaines de fosses communes de ce genre, un peu partout en Lettonie. Chaque village, ou presque, a la sienne. La plupart ne sont pas marquées, pas connues, pas même signalées. Vous pourriez bivouaquer dessus sans même vous en rendre compte, si vous n’avez les l’habitude de les repérer.

Marģers Vestermanis

Marģers Vestermanis a aujourd’hui 97 ans. Enfermé dans le ghetto de Riga à l’arrivée des Nazis en juillet 1941, il assiste impuissant à l’incendie de la grande Synagogue et à quelques pogroms. Jeune et vigoureux, il est ensuite déporté dans un camp de travail pendant 3 ans. Il profite d’un déplacement à pied provoqué par l’arrivée de l’armée soviétique pour s’échapper, puis rejoint les partisans. Il se cache dans la forêt et fait des coups de main, jusqu’à la fin de la guerre.


Après 1945, il revient à Riga. Et il ne retrouve plus personne. Ses amis, ses parents, ses frères, sœurs, cousins, oncles, tantes. Tout le monde est mort. Et il croise des Lettons, qui sont eux bien vivants. Et il se demande : ont ils participé ? Ont ils approuvé ? Ont ils simplement regardé ailleurs ? Quand, dans le combat entre un faible et un fort, on n’intervient pas, est-ce qu’on est neutre ?


Après la fin de la guerre, la Lettonie devient soviétique et la mémoire des Juifs est nivelée par le concept d’égalité absolue et d’athéisme des doctrines communistes. Historien et journaliste, il se heurtera à la censure du parti dès qu’il souhaitera évoquer la Shoah et plus particulièrement la religion de la majorité des victimes. Mais un peu avant la chute du mur, il commencera à organiser la fondation d’un musée. Pour ne pas oublier. Et en 1991 il mettra au monde le musée Juif de Lettonie, à Riga. C’est là qu’il nous a reçu. Digne, calme, avec une voix encore grave et posée, il a les yeux doux et la poigne solide. Disant avec un petit sourire “Napoléon disait qu’il vaut mieux mourir debout, alors je ne vais pas vous parler assis”, il a posé sa canne et s’est levé, et a fait tout son speech sur ses pieds.

Monsieur Vestermanis posait (entre autres) trois questions pendant son long exposé.


Pourquoi ? Parce que le comment et le quand, et le qui, on le sait. Mais “pourquoi” est une question qui le taraude encore, 80 ans après.


Comment vivez-vous avec cet héritage ? Sachant qu’en France, les juifs ont été plutôt déportés, et moins fusillés sur place, mais que le problème était identique, “comment vivez-vous avec ça” est une question lourde, dans sa bouche. Et très émouvante.


Qu’est-ce que vous faites ? Et là je pense que la question se suffit à elle-même. On peut toujours se demander si on aurait collaboré, regardé ailleurs ou résisté… mais ça reste très théorique. Alors que la question “qu’est-ce que vous faites” nous replace dans le présent. Ici, et maintenant, qu’est-ce que je fais, moi ?


Je me sens honoré et privilégié d’avoir pu serrer la main à ce vieux guerrier, qui continue d’oeuvrer, de parler, de raconter, d’honorer.


Pourquoi la Lettonie m’a tant chamboulé ?


Alors la Lettonie m’a tant chamboulé pour plein de raisons. D’abord parce que la question des génocides est une chose qui me touche personnellement, pour des raisons familiales (je vous raconterai peut-être ça aussi un jour, tiens). Cette visite m’a aussi beaucoup touché d’une manière inattendue : elle m’a vraiment confirmé que ce que je fais, depuis 20 ans, a vraiment, profondément du sens. Non seulement pour moi, mais aussi une utilité très concrète en termes de possibilités de survie en cas de conflit ou de crise, pour les gens. Et du haut de mon syndrome de l’imposteur à la con, je ne m’attendais pas du tout à ça.


Les processus de prise de décision rapides, notamment, sont LE facteur qui ont contribué à sauver la vie à beaucoup de familles Juives en Lettonie en 1941 : comprendre vite ce qui se passe, accepter vite la réalité telle qu’elle est, et partir vite auront été LE facteur déterminant pour beaucoup d’entre eux. Avoir un plan préalable, avoir des compétences et des contacts, certes, était aussi utile. Avoir un corps en bonne santé et robuste, évidemment. Mais le plus utile était de voir rapidement la réalité en face, de l’accepter, de faire le deuil de tout ce qu’il fallait laisser derrière soi, et de faire les bons choix.


Et en écoutant les récits, je me surprenais à cocher les cases des compétences essentielles utilisées. Les cases de ce que j’enseigne, depuis 20 ans, de tout ce qu’on enseigne au CEETS, aussi. Gestion du stress. Orientation. Camouflage. Faire du feu. Economiser son énergie. Préparer son corps. S’acclimater. Savoir être “the grey man” et ne pas sortir du lot. Mettre en place des procédures, des kits, des itinéraires. Avoir des compétences. Avoir le bon mindset. Savoir trouver des micro-climats pour avoir moins froid. Marcher sans faire de bruit. Le leadership. La coopération de crise. L’antifragilité. You name it. Tout ça mis bout à bout est purement et simplement inestimable, au final, en cas de conflit ou de crise majeure, ou de catastrophe.


Ce qui m’a chamboulé, en fait, c’est que la rencontre avec tous ces gens m’a confirmé que j’allais dans la bonne direction. Et je me suis retrouvé à deux doigts de transpirer des yeux régulièrement. Pas tellement parce que j’étais touché. Surtout parce que je me suis senti soulagé. Soulagé de cette espèce de phobie que j’ai de ne servir à rien, de ne rien faire d’utile, de ne pas aller dans le bon sens.


Et évidemment, ça m’a donné envie d’aller encore plus loin. D’en faire encore plus. Et d’étudier plus en profondeur la question. La question des génocides et des conflits, évidemment, mais surtout la question de comment y survivre.

Parce que “die less often”. Merde.


Ne lâchez rien. Et restez quand-même pipou ;)

David, unorthodox and unspecialized.


Prochains stages où j’interviens



5% “nouvelles menaces” — du mardi 17 au samedi 21 octobre 2023, dans la Drôme, près de Crest / Saou.

Stage “leadership” — du mardi 12 au samedi 16 débembre 2023, dans la Drôme, près de Saou.


Stages 3volution avec Aurélie (OUI, IL RESTE DES PLACES !) :

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